Dialogue de 1974 Joël Gayraud/Bruno Montpied (15/11/2014)
Dialogue
Apercevant quelques centimètres de cendre sur la chaussée, que me direz-vous ?
C’était un tic-tac d’insolite, un autre rêve à trouver
De quel côté, le rêve ?
Passage du Désir, en ville
De quel métal, son portail ?
In memoriam
Cette situation n’a rien de réjouissant
Il y a des tristesses bien situées
Le flou n’est-il pas condamnable ?
Où ?
Dans leur mémoire
On rôde toujours autour de son absence
Ou de son manque ?
Ou de sa perte ?
Suffit ! Je ne rôde qu’en ma présence.
Avec le passé pour complice
Dans celui-ci, la lumière est rassurante.
La belle lumière noire
Bruno Montpied/ Joël Gayraud ,26-IX-1974
13:00 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : dialogue poétique, joël gayraud, bruno montpied, poésie contemporaine, 1974 | Imprimer
Commentaires
Comment avez-vous procédé ? Des phrases, questions ou affirmations, décontextualisées et tirées au sort d'un chapeau, ou bien sur le mode du cadavre exquis, écrites à partir du dernier mot de la phrase précédente ? En tous cas certains passages sont plus saisissants, je trouve, lorsqu'on les extrait de l'ensemble. Par exemple j'aime beaucoup:
C’était un tic-tac d’insolite, un autre rêve à trouver / De quel côté, le rêve ? / Passage du Désir, en ville
Ou bien
Cette situation n’a rien de réjouissant / Il y a des tristesses bien situées / Le flou n’est-il pas condamnable ?
Ou encore
Suffit ! Je ne rôde qu’en ma présence / Avec le passé pour complice / Dans celui-ci, la lumière est rassurante / La belle lumière noire
Écrit par : RR | 15/11/2014
Il est difficile de vous répondre, cher RR, en ce qi me concerne, à 40 ans de distance, la mémoire n'a bien sûr pas gardé grand-chose de précis sur la méthode employée. En relisant ce texte, simplement me suis-je dit qu'il avait dû être rédigé chaque ligne à tour de rôle par chacun de nous deux, sans cacher la ligne précédente à l'autre (ce qui est différent d'un cadavre exquis). C'est un poème fait d'un dialogue aux questions et réponses automatiques.
Nous n'en avons pas produit beaucoup, Joël et moi, peut-être même est-ce le seul de ce type. Nous faisions avec d'autres plutôt des cadavres exquis ou d'autres expérimentations basées sur le hasard. A part une tentative de roman de science-fiction, resté inachevé, Joël et moi n'avons pas développé l'idée d'écrire ensemble. Il suffisait de le faire une fois, voir que cela pouvait fonctionner et on passait à autre chose...
Je ne partage pas avec vous l'idée que décontextualiser certains de ces vers donne un éclat plus saisissant. Pour moi ce poème tire son intérêt de son déroulement et de ses enchaînements. Votre saucissonnage casse bien entendu ce déroulé, ce qui me paraît dommage.
Écrit par : Le sciapode | 16/11/2014
Ce que vous décrivez là, c'est être velléitaire.
Écrit par : Atarte | 16/11/2014
Mais non, Atarte, ce n'est pas être velléitaire, c'est être expérimentateur. Et nous avions 20 et 22 ans. Et il y avait eu beaucoup de littérature jusque là...
Écrit par : Le sciapode | 17/11/2014
Excusez moi, mais "Passage du Désir, en ville" - ça sent déjà un certain conformisme néo-surré. On peut (on doit?) aller puiser son inspiration ailleurs que chez les glorieux ancêtres. Mais bon, à vingt ans, si on n'est pas Rimbaud, c'est admissible...
Écrit par : Atarte | 16/11/2014
On ne sent pourtant pas de conformisme littéraire dans ce «dialogue» poétique, mais plutôt une réelle fraîcheur. La référence au Passage du Désir, qui pourrait bien renvoyer tout simplement à un lieu familier de l'auteur de la réplique, serait autant à rapprocher de la pratique situationniste de la dérive psychogéographique que du surréalisme, même si évidemment les points de concordance sont ici légion.
Écrit par : L'aigre de mots | 16/11/2014
Une hypothèse, corrigez-moi si je me trompe: contrairement aux vôtres, les phrases de Joël sont en italique, non ? Vous en souvenez-vous ?
Écrit par : RR | 16/11/2014
C'est indiqué, cher R.R., au bas du texte : les phrases de B.M. sont en romain, celles de J.G. en italique.
Écrit par : L'aigre de mots | 16/11/2014
Atarte, vous êtes une fois encore discrédité. Prenez vos petites gouttes, comme dirait R. R. , et rentrez vite dans votre hospice.
Écrit par : Siger du Haryag | 16/11/2014
Ces lignes, vieilles de quarante ans, contrairement à leurs auteurs, n'ont pas pris une seule ride !
Dans ce jeu de questions-réponses, le passage d'un auteur à l'autre se fait d'une manière subtile et fluide, terminant dans une clairvoyante opacité... Un plaisir de lecture.
Écrit par : gilles | 17/11/2014
Quelques années plus tard, j'ai rejoint ces jeux. Je me souviens, surtout de 76 à 81, avec quelle intensité nous pratiquions, sur les tables du "Denis-Martin", ou chez le Sciapode dans ses divers appartements, notamment celui de la rue Auguste-Barbier, près du métro Goncourt (qu'il partageait avec Dame Christine, que nous aimions tous d'amours plus ou moins tortueuses ou pures et qui, sans doute alors, pour nous, fut la muse idéale) le cadavre exquis à peine dirigé : je veux dire qu'était préétablie, seulement, la structure générale de la phrase, ou du court texte que nous cherchions à produire, afin de ne pas tomber dans l'absurde grammatical qui détruit le sens. Or, toujours, nous sidéraient les relations tellement fortes qui se tissaient entre tous nos fragments. La télépathie, semblait-il, faisait son oeuvre. Ou simplement la communauté d'âmes si proches, je ne sais. C'est pourquoi je ne serais pas étonné qu'en nulle manière ici l'interrogé n'ait eu connaissance, en dépit de ce qu'écrit Bruno, des questions posées par l'interrogateur. J'en veux pour preuve qu'à certains endroits du tissu verbal, il y a une rupture entre la question et la réponse ("De quel métal, son portail? - In memoriam"). mais le plus souvent, c'est une majestueuse consonance des inconscients qui s'exprime ("Dans celui-ci, la lumière est rassurante. La belle lumière noire"...) Nous vivions alors en totale symbiose, nos coeurs battaient unis dans nos poitrines, et quand nous descendions les rues dévalant vers la Seine, nos jambes, mues d'un même rythme, traçaient des arcs de cercle au bord du globe terrestre. L'automatisme croyait nous guider, nous en faisions notre affaire. O! Maine de Biran, j'en appelle à tes mânes!... Et rien, alors, ne pouvait nous stopper.
Écrit par : Régis Gayraud | 17/11/2014
Prenez garde, Régis Gayraud, quand vous tombez dans ce qui pourrait bien être devenu un véritable travers ces derniers temps, à savoir la pratique répétée d'une parodie de nostalgie élégiaque, à ne pas discréditer ce à quoi vous vous référez, ces moments d'expérimentation en commun dont nous gardons certes, tous sans doute, du moins ceux qui sont encore vivants, un bon souvenir, sans pour autant porter cela aux nues...
Écrit par : Le sciapode | 17/11/2014