Après "le Gazouillis des éléphants" (7): Destinée d'un vélo brut (11/01/2023)
Formidable nouvelle que vient de m'apprendre l'ami Philippe Lespinasse, à savoir l'envol du vélo métamorphosé d'André Pailloux – celui-là même dont j'ai parlé en différentes publications, ici même, mais surtout dans mes deux livres sur les environnements populaires spontanés, Eloge des Jardins Anarchiques (2011) et Le Gazouillis des éléphants (2017), ce qui permit de le faire grandement connaître des amateurs d'art populaire insolite, voire d'art brut – pour d'autres cieux que ceux de la Vendée, où il végétait, enkysté dans le garage de son créateur. Il a atterri en effet au Musée de la Création Franche, suite à une intermission de Philippe Lespinasse, et à l'hospitalité de la nouvelle directrice des lieux, Hélène Ferbos, qui, je dois dire, a eu le nez creux en validant cette transaction (car ce fut un achat, et non pas une donation).
Le vélo d'André Pailloux, tel qu'il figure en double page dans Bruno Montpied, Eloge des jardins anarchiques (livre épuisé édité en 2011 par les éditions de l'Insomniaque) ; ph. B.M., 2010.
André Pailloux avec son vélo sorti pour les besoins du tournage de Bricoleurs de paradis, ph. B.M., 2010.
Ce vélo extraordinaire, dont j'avais dit à André Pailloux qu'il ferait très bien dans un musée consacré aux créations brutes ou naïves, populaires, où il serait protégé des aléas des successions, prêchera désormais d'exemple auprès des visiteurs grands et petits qui le visiteront (dès que le Musée de la Création Franche rouvrira ses portes, après les travaux d'agrandissement actuels). Génial, donc, que la translation se soit opérée, et du vivant d'André, avec son plein accord. Me voici devenu un prophète, du coup... (je fais allusion au passage sur Pailloux, son vélo et son site hérissé de vire-vent stroboscopiques multicolores, dans le film Bricoleurs de paradis, disponible gratuitement en intégralité sur YouTube, où je parle de "patrimonialisation", certes, un grand mot, un peu trop ronflant, à André qui me répond que je voudrais voir des gens admirer son vélo dans un musée en tournant autour ; il dit cela en arborant un haut de survêtement décoré d'une spirale...!).
Il n'est pas indifférent – même si André Pailloux, que j'ai appelé au téléphone, s'en défend – de remarquer que ce dernier va fêter cette année 2023 son 80e anniversaire... Pour marquer le coup, il fallait bien celui-ci de coup... véritablement fumant, qui va nimber les collections de la Création Franche d'une aura brute encore plus assumée.
16:39 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : andré pailloux, musée de la création franche, hélène ferbos, bruno montpied, philippe lespinasse, vélo brut, cyclisme et at populaire, customisation sauvage, éloge des jardins anarchiques, le gazouillis des éléphants | Imprimer
Commentaires
Une bien bonne nouvelle !
Michel L'égaré
Écrit par : LEROUX | 12/01/2023
C'est très bien et comme vous le dites "de son vivant", ce qui est assez rare il me semble.
Écrit par : Darnish | 12/01/2023
Devant cette vivante merveille du monde qu'est le vélo magnétique d'André Pailloux, on en vient à rêver d'un tour de France des vélos bruts, fondé non pas sur la recherche vaine, stupide et fastidieuse du record de vitesse, mais sur l'inventivité des participants, où il n'y aurait ni vainqueur ni vaincu, bien sûr, mais l'expression du simple jeu de la rivalité créative, selon le libre déploiement de la cabaliste, cette passion fouriériste essentielle, aujourd'hui engorgée et dévoyée par l'infâme et crétinisante concurrence spectaculaire-marchande.
Écrit par : L'aigre de mots | 12/01/2023
Tant mieux si toute le monde est content. Lors d'une discussion avec lui, il m'avais dit que jamais son vélo n'irait dans un musée. mais bon, ça fait très longtemps.
Écrit par : Matthieu | 13/01/2023
Oui, vous avez raison, personnellement, je ne croyais pas qu'il franchirait le pas. Depuis que je l'avais interrogé pour les besoins du film "Bricoleurs de paradis" en 2010 (date du tounage, précédée de deux visites en 2008 et 2009), je ne pensais pas qu'il s'en séparerait (dans le film, on entend des bribes de notre dialogue à ce sujet, malheureusement monté en mon absence et sans mon avis). Le danger étant - si l'on veut bien prendre en considération qu'il aurait été dommage de voir ce vélo jeté à la décharge après sa disparition et, donc, qu'il fallait à tout prix qu'une solution soit trouvée pour parer à cette date inéluctable - que ses héritiers se débarrassent de l'engin sans qu'on ait le temps d'apprendre cette information.
Mais le temps a passé, je l'ai souligné ci-dessus, André arrive sur ses 80 ans, et il s'est convaincu avec lucidité, et avec le temps, que son vélo devait lui survivre. C'est Philippe Lespinasse qui l'aura aussi sans doute convaincu. Et l'argument financier a aussi été déterminant. Même si l'argent file...
Écrit par : Le sciapode | 13/01/2023
On comprend très bien dans ce dialogue que vous essayez de le convaincre de mettre son vélo dans un musée et que lui s'y refuse. Le montage est plutôt bien fait, je trouve, que lui reprochez-vous ?
Écrit par : Bob | 14/01/2023
Lorsque l'on parle, nos paroles vont parfois trop loin, ou se glissent trop vite à la place de ce que l'on cherche à dire. On aimerait pouvoir corriger, retrancher... Retrancher, le montage d'un film le permet. Dans le dialogue que j'avais avec Pailloux en 2010, le mot de "patrimonialisation" que je dis priser, ça ne va pas. Je ne suis pas pour tout patrimonialiser. Il faudrait réécouter les rushs, mais il me semble qu'on pouvait plus mettre en évidence ce que je défendais auprés de lui, la possibilité de conserver ce vélo par delà son existence, parce que sa création concerne tout le monde, qu'elle nous instruit.
Le montage a laissé surnager ce mot à la place, que je trouve grandiloquent, et peu reflétant ce que je lui disais. C'est en fait Pailloux qui répète dans cette scène ce que je viens de lui expliquer en off. On pouvait en effet ne pas mettre ce que je venais de lui dire, puisqu'il le répétait, de plus avec sa façon marrante des'exprimer, mais garder ce mot de patrimonialisation, zut!
Écrit par : Le sciapode | 14/01/2023
En tant que réalisateur de ce film je me permets d’intervenir dans cet échange: ce qui est intéressant dans ce dialogue de sourd que vous évoquez c’est que « patrimonialisation » ou pas, Pailloux se fout de ce que vous dites, il est dans son monologue où il imagine l’attitude des visiteurs face à son vélo si celui-ci était exposé dans un musée. Si vous enleviez le mot de « « patrimonialisation » vous perdriez tout le sens de cette séquence basée sur le contraste entre deux « visions ». Votre remarque serait sans doute justifiée si vous étiez l’objet du film, mais son sujet était plutôt les auteurs de ces environnements. Votre rôle dans ce film était d’être un fil conducteur « révélateur » (dans le sens qui révèle) ce qui a pu être assez ingrat quelquefois je le conçois - nous en avions parlé au moment du tournage - (l’évocation savante de Marcel Duchamp en est un autre exemple), mais vous vous en êtes très bien tiré (seuls les imbéciles qui n’ont pas compris ce rôle en ont jugé autrement)
Écrit par : Rémy Ricordeau | 14/01/2023
Ce que vous dites ne correspond pas à ma vision du projet. Vous avez décidé unilatéralement, au fur et à mesure de la progression de ce tournage, de "l'objet du film", objet qui n'était pas, dans MA vision des choses, seulement une série de portraits de ces créateurs, mais bien aussi l'occasion de soulever un certain nombre de questions liées à cette forme de création, et dans le cas de cette séquence, l'occasion en particulier de parler de la question du prolongement, de la conservation - ou non - des environnements. Cette question va au-delà de la seule thématique de la patrimonialisation. Diverses solutions ont été apportées jusqu'à présent pour prolonger ces sites, je m'en suis ouvert dans "le Gazouillis des éléphants" par la suite en donnant de l'information sur les divers états des sites après la mort de leurs auteurs. Ces diverses solutions ne relèvent pas nécessairement d'une "patrimonialisation".
Et permettez-moi de souligner la brutalité de certains passages de votre réponse ci-dessus. Je n'ai pas parlé d'un dialogue de sourds entre Pailloux et moi, s'il y en a eu un au fond, ce fut plutôt entre nous. Et cela continue aujourd'hui. Je récuse ce que vous affirmez, Pailloux m'écoutait bel et bien, il ne se foutait absolument pas de ce que je faisais valoir, ce n'est pas un introverti n'écoutant que lui-même. Simplement, à l'époque où je lui parlais de mon désir de voir un jour ce vélo extraordinaire, son chef-d'œuvre, préservé de l'anéantissement, comme le seront peut-être ses vire-vent, eux (même si, comme je l'ai appris encore plus récemment le Musée de la Création franche lui a pris aussi deux ou trois d'entre eux pour accompagner une future contextualisation dans leur futur cadre muséal), il n'était pas encore résolu à y penser. Je fus sans doute le premier à lui en parler. D'autres revinrent à la charge ensuite, tellement il était évident que tout amoureux de ces genres de créations ne pouvait envisager l'idée que cela soit détruit. Le film parlait de cela aussi, même si vous ne vous en souvenez pas, et ne voulez en garder que le souvenir d'un cortège de personnages singuliers.
Si j'avais pu assister au montage, j'aurais fait valoir en deux ou trois endroits un point de vue qui aurait pu améliorer le film, et aussi respecter un peu plus ma propre parole, qui, j'ai la faiblesse de le penser, faisait aussi partie du film, ne vous en déplaise, monsieur le réalisateur, qui vous êtes affirmé sous cette étiquette en cours de route, et pas au départ d'un projet qui nous était commun à fifty-fifty, au départ.
Écrit par : Le sciapode | 15/01/2023
Je n'ai pas dit que vous parliez de "dialogue de sourd", c'est moi qui l'ai qualifié comme tel. Il suffit de revoir la séquence pour en juger. Par ailleurs, contrairement à ce que vous dites le film évoque à plusieurs reprises la question de la pérennité ou non des oeuvres, je ne l'ai jamais conçu comme un cortège de personnages singuliers, même si c'était eux et leur rapport à leur création qui constituaient le sujet du film.
Pour le reste votre propension à réécrire l'histoire de ce projet dont je vous aurais en partie expulsé en cours de route, si je vous comprends bien, finit par m'indifférer. Si vous l'avez alors ressenti ainsi, il eût été plus honnête de vous en plaindre au moment de sa réalisation ou juste après. Mais je n'ai pas le souvenir, en marge des projections que nous avons accompagnées ensuite ensemble (alors en bonne intelligence), de vous avoir entendu exprimer de telles récriminations. Ni non plus dans les notes que vous avez alors écrites à son propos dans votre blog ou ailleurs. Je remarque par contre que dans vos dernières notices évoquant à l'occasion ce film la mention de son réalisateur y est le plus souvent absente. Dont acte.
Pour finir, mais ce n'est qu'un détail, ce n'est pas en cours de route mais dès l'origine du projet que je me suis affirmé comme étant son réalisateur (le dossier de production en témoigne) pour la bonne et simple raison que vous acceptiez alors: c'est mon métier et mon gagne-pain.
Écrit par : Rémy Ricordeau | 15/01/2023
J'avais découvert par hasard le film de Rémy Ricordeau lors d'un décrochement régional un samedi après midi sur France 3. Un vrai plaisir de tomber là dessus! Puis, quelques temps après, à la bibliothèque, je suis tombé (encore!) sur le bouquin "Eloge des jardins anarchiques" signé Bruno Montpied. Une bien belle découverte, encore plus belle quand je me suis aperçu qu'il contenait ce fameux documentaire que j'ai alors pu regarder plus attentivement. Tout ça pour dire que selon moi, les deux (le livre et le film) s'accordent parfaitement, le discours est clair, on comprend bien à qui on a affaire, on saisit l'intérêt que portent les deux auteurs à tous ces autodidactes et le regard qu'ils portent sur ces créations. L'approche que vous avez tous les deux de ces personnes est tout à fait sympathique et la question de la patrimonialisation est selon moi justifiée bien que pas évidente à réaliser.
Un punk rocker que j'adore, Sonny Vincent pensait en 76 que la musique ne s'écoutait qu'en concert, il refusait donc d'enregistrer des disques avec son groupe les Testors. Ne reste de ce groupe que quelques enregistrements pirates, quelques autres enregistrés vite fait lors de répétitions studio mais pas d'album à proprement parlé. Du coup, il n'y a plus beaucoup de traces pour constater à quel point ce groupe était novateur, c'est dommage je trouve. La conservation a du sens je trouve.
Écrit par : Darnish | 16/01/2023
Vous avez raison, Darnish, bien sûr que d'un point de vue général, le livre, avec le film à côté, servirent correctement la cause des Inspirés du bord des routes. Mes critiques rétrospectives ne visent qu'un aspect qui, pour les lecteurs et spectateurs, n'apparaît que superficiel. Il n'en reste pas moins que j'ai gardé une (petite) dent contre la manière dont fut développé en interne le projet. Bien entendu, je n'en ai pas parlé pendant la création progressive du film, car c'était pour moi une première occasion de participer à un film d'envergure professionnelle. Cela permettait de donner une audience et une visibilité renforcées auxdits Inspirés (choisis à à peu prés 80% à 90% dans mes recherches et adresses). J'assistai cemendant surpris, en silence, à la métamorphose de l'organisation des rôles dans la production et la réalisation du film. Au départ (le départ ce n'est pas le dossier de production), tel que j'en ai toujours gardé souvenir, le projet du film, élaboré par Ricordeau et moi, s'est fait en commun. Du coup, j'ai cru qu'il en irait de même tout du long, dans tous les aspects de la création. Cela fut assez vite récusé par Remy qui m'apprit que dans un film, selon lui, il faut toujours un chef, un meneur, un réalisateur, et pas deux. Ce que j'encaissai en silence. Mais n'en pensant pas moins... et songeant que cela n'avait rien à mes yeux d'une loi d'airain. D'autres façons de mener les opérations existent en effet.
"Bricoleurs de paradis" reste un doc parmi d'autres, pas génial, pas très audacieux, mais fort instructif par les créateurs et les problématiques présentés.
Écrit par : Le sciapode | 16/01/2023
Je comprends mieux la dent (que vous qualifiez de "petite", je m'en réjouis) que vous avez gardée à l'égard de cette expérience. Elle provient d'une confusion que beaucoup de gens font entre l'auteur d'un film et son réalisateur quand ceux-ci ne sont pas une seule et même personne:
L'auteur détermine le sujet, développe les idées et précise les enjeux dont le film sera porteur. A cette fin il choisit les personnages et les lieux qui seront les plus à même de servir le propos et détermine également les thématiques qui seront abordées en fonction des séquences. Le travail du réalisateur consiste lui, du tournage jusqu'au montage, à mettre en forme cinématographique les idées et les intentions de l'auteur: dispositifs de tournage, choix des cadres, rythme du montage, etc, ainsi que - je simplifie - la coordination de l'ensemble pour s'assurer de la cohérence du film au regard des intentions initiales. Ce rôle de chef d'orchestre, j'ai essayé de vous l'expliquer à l'époque, mais je vois aujourd'hui que vous ne l'avez toujours pas compris.
Si nous avons pu co-écrire le projet parce que nous étions en phase sur les intentions que nous voulions développer, co-réaliser le film dans de bonnes conditions et de manière égalitaire, outre la difficulté liée aux caractères que cela représente en général (c'est la raison pour laquelle j'ai toujours refusé toute co-réalisation), aurait supposé une équivalence d'expérience de tournage et de montage (que vous n'aviez pas) et une disponibilité de temps dont vous n'auriez de toutes façons pas pu bénéficier à cette époque où vous travailliez encore.
Libre à vous maintenant d'écrire sur un ton désabusé que ce film n'est ni génial (je n'ai jamais prétendu qu'il l'était) ni très audacieux (j'attends que vous me citiez un film sur ce sujet qui le soit), je peux vous dire cependant que pour un film co-produit par France 3 (qui a tendance à formater ses productions) la forme - et le propos bien sûr dont vous êtes également responsable en tant que co-auteur - de celui-ci a su captiver un public composé entre autre de jeunes gens en général peu intéressés par les documentaires diffusés sur cette chaine.
Et pour toucher comme moi les droits d'auteur qui lui sont liés, vous savez par ailleurs que ce film que vous qualifiez "comme les autres" a été rediffusé à de nombreuses reprises dans les quelques années qui ont suivi sa sortie et se projette encore très régulièrement dans des cadres associatifs, dans des cafés ou dans des médiathèques.
Écrit par : Rémy Ricordeau | 16/01/2023