Benjamin Péret à la Halle Saint-Pierre, quelques événements pour un riche retour sous la lumière (07/01/2018)
Du 8 au 28 janvier, la Halle Saint-Pierre accueille une évocation de Benjamin Péret dans sa "galerie" du rez-de-chaussée, centrée sur les voyages qu'il fit entre 1955 et 1956, fasciné par les arts des Indiens et l'art populaire du Brésil. En effet, les éditions du Sandre, au même moment où elles publiaient mon Gazouillis des Eléphants – qui traite aussi d'art populaire – a sorti en novembre 2017 un beau livre consacré à Benjamin Péret et intitulé Les arts primitifs et populaires du Brésil, photographies inédites, qui illustre une fois de plus le profond intérêt qu'éprouvait le poète surréaliste pour l'art primesautier où qu'il se manifeste dans le monde. Si la galerie de la Halle présente sept vitrines d'exposition de différents documents et objets relatifs à cette période de la quête pérétienne, le tout sous le titre "Du merveilleux, partout, de tous les temps, de tous les instants", il convient de signaler – outre le vernissage (en entrée libre, comme tout ce qui concerne ces événements) autour de Péret qui aura lieu le jeudi 11 janvier prochain de 18h à 21h – également une après-midi consacrée à la présentation du livre, ainsi qu'à celle du dernier numéro (le n°6) des Cahiers Benjamin Péret dans l'auditorium de la Halle, au sous-sol, le dimanche suivant 14 janvier, à 15h. Cela se fera en présence de Leonor de Abreu et de Jérôme Duwa, co-responsables du livre des éditions du Sandre, ainsi que de Gérard Roche (président de l'Association des amis de BP), celui-là même qui vient de signer la magnifique et vivante édition de la correspondance André Breton-Benjamin Péret chez Gallimard (2017).
Une correspondance fascinante, pleine de vie, qui restitue les deux poètes avec une spontanéité et une chair que l'on ne rencontre pas de la même manière dans leurs autres écrits (même si Péret écrivait comme il respirait) ; certainement un des meilleurs volumes de la correspondance jusqu'ici parue concernant Breton. A n'en pas douter, ce furent eux les piliers du château étoilé...
Il faut dire que l'actualité éditoriale est richement consacrée au retour de Benjamin Péret dans nos esprits et dans notre mémoire en ce moment. Il ne faut pas oublier de mentionner en effet la très bonne biographie de Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret, l'astre noir du surréalisme, parue en 2016 chez Libertalia¹, qui permettra à tous ceux qui apprécient cet enfant terrible de la poésie, de l'amour sublime et de la révolte, s'ils ne savent pas de qui il s'agit exactement, de faire un copieux tour du personnage, documenté de faits, d'analyses et d'anecdotes savoureuses comme celle qui campe Péret, sortant de chez André Masson, et qui, chaque fois qu'il passait devant la loge où les concierges laissaient voir leur repas en famille, lançait : "Alors? Elle est bonne la merde?", ou encore cette autre, racontée par Marcel Duhamel, où, déambulant en voiture avec Tanguy, Prévert et Duhamel, il tirait au revolver en l'air au long des routes, comme un fêtard mexicain...
Photo de Benjamin Péret extraite du livre aux éditions du Sandre ; Lampião et Maria Bonita, céramique polychrome, Mestre Vitalino, Caruaru, État du Pernambouc, coll. Museu de Arte Popular, Recife.
Benjamin Péret, comme le souligne pertinemment Schwartz dans sa biographie, était un des rares autodidactes du mouvement surréaliste, avec Yves Tanguy, par ailleurs d'origine bretonne comme lui (Péret était nantais). Cela est à mettre en liaison directe avec son goût jamais démenti pour les techniques automatiques surréalistes, lui servant à lâcher les rênes d'une inspiration qui ne mettait jamais longtemps à traîner dans la boue les autorités, le clergé, l'armée, les juges, tout ce qui s'opposait à l'exercice de la liberté et de l'amour. Et cela explique aussi, outre le fait qu'il était de par ses origines prolétaires anti élitiste et anti bourgeois, sa compréhension profonde pour les arts populaires, les mythes et légendes dont il prisait essentiellement l'esprit magique, le merveilleux sous toutes ses formes (voir par exemple cet article qu'il consacra dans Minotaure aux armures délirantes de la Renaissance, ou aux automates) et vers la dernière partie de sa vie, pour deux figures importantes de l'art singulier (aux limites de l'art brut), Robert Tatin et Gaston Chaissac.
En effet, si l'on connaît le texte qu'il consacra à Chaissac, daté de 1958, dans l'édition de luxe des Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann, L'homme du point du jour, tel qu'édité dans le livre d'Henri-Claude Cousseau sur l'œuvre graphique de Chaissac chez l'éditeur Jacques Damase en 1982, texte différent (on découvre en effet des paragraphes alternatifs d'une version à l'autre...) de la version intitulée Sur Chaissac dans Benjamin Péret, Œuvres complètes Tome VI (Association des amis de Benjamin Péret/libraire José Corti, 1992), on connaît bien moins le texte étonnant qu'il écrivit pour présenter Robert Tatin en 1948 (il venait de rentrer du Mexique en France), découvert par hasard semble-t-il, dans une galerie rue du Petit-Musc à Paris. Ce texte – inédit dans ses Œuvres Complètes – avait été proposé à Jean Dubuffet pour le projet d'Almanach de l'Art brut que ce dernier décida finalement de ne pas publier, en raison probablement de son désaccord ultérieur avec Breton. Il vient d'être (enfin) publié (en 2017, là aussi), en reprint d'après les tapuscrits, par la Collection de l'Art Brut, l'Institut Suisse d'Etude de l'Art et 5 Continents. Il nous montre que Péret n'eut de cesse de veiller aux irruptions de poésie sauvage qu'elles proviennent des jungles amazonienne ou mexicaine, ou de zones marginales de la créativité populaire en France. Voici un passage qu'il écrit au sujet de Tatin, alors seulement céramiste et peintre, et n'ayant donc pas commencé son environnement ébouriffant et syncrétique de la Frénouse à Cossé-le-Vivien en Mayenne (il recroisera la route des surréalistes au début des années 1960, ce que Péret n'aura pas su puisqu'il décédera en 1959) : "Sa peinture a en effet la force primitive de tous les arts archaïques (...) Robert Tatin revient donc aux origines mêmes de l'art, au point d'intersection qui contient en puissance l'infini des possibilités." (L'Almanach de l'Art Brut, p. 473). Dans ce même Almanach, on trouve un autre texte sur les peintures populaires des cafés mexicains où l'on buvait de la pulque (alcool d'agave), Enseignes de pulquerias. Il me semble qu'il a été édité dans ses Œuvres complètes, dans le tome VII (à vérifier). A propos de ces Œuvres complètes (sept jusqu'à présent), on notera aussi un texte qu'il consacra à l'architecture délirante de Gaudi à Barcelone.
Péret aurait vécu plus longtemps, nul doute qu'il aurait fait un tour plus appuyé du côté de tous les inclassables de l'art et autres poètes plastiques de la spontanéité apparus après les années 1960, du côté de l'art brut et dans ses marges. De l'art brut, je n'ai relevé jusqu'à présent qu'une mention par Péret. Elle figure dans son texte contre l'art abstrait, La soupe déshydratée, paru dans l'almanach surréaliste du demi siècle (réédité par Plasma en 1978). Et il est dit quelque part (un texte d'exégète dans la récente édition de l'Almanach de l'art brut ? J'avoue avoir la flemme d'aller retrouver la source...) qu'il accompagna Breton et Dubuffet aux Puces lorsqu'il s'agit d'aller acquérir des masques en coquillage de Pascal-Désir Maisonneuve vers 1948, à l'époque où tout allait encore bien entre le pape de l'art brut naissant et le chef de file du mouvement surréaliste...
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¹ On rappellera aussi le film de Remy Ricordeau, déjà signalé sur ce blog, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret poète c'est-à-dire révolutionnaire, sorti en DVD, production Seven Doc, sorti en 2015. La première partie de son titre est repris du titre d'un des recueils de Péret, tandis que la deuxième récupère un autre titre, celui d'une émission de radio de Guy Prévan de 1999, elle-même, comme il est précisé dans les commentaires ci-après par R.R.., reprenant un fragment du Déshonneur des poètes, ce livre de Péret contre la poésie de circonstance qui fit scandale chez les Aragonéluards en 1945, puisqu' y étaient visés les poètes stalino-nationalistes qui à la Libération confisquaient la vie culturelle à Paris.
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21:25 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : benjamin péret, éditions du sandre, arts primitifs et populaires du brésil, surréalisme, andré breton, barthélémy schwartz, libertalia, halle saint-pierre, cahiers benjamn péret, gérard roche, art populaire, gaston chaissac, robert tatin, almanach de l'art brut | Imprimer
Commentaires
L'article "Enseignes de pulquerias", comme tout se qui se rapporte à l'art populaire et aux arts plastiques, se trouve dans le volume 6 des oeuvres complètes de Benjamin Péret. A noter également dans ce même volume un article tout à fait intéressant sur l'art populaire Yougoslave qui avait fait l'objet en 1952 d'une exposition au musée des Arts et Traditions populaires. S'il évoque à cette occasion la richesse les costumes et tissus provenant de ce pays, il avait été également touché par les décors naïfs et humoristiques (humour qu'il qualifie "d'une grande fraicheur") dont les paysans ornaient les ruches de leurs jardins.
Aussi j'approuve tout à fait votre hypothèse selon laquelle, si Péret aurait vécu plus longtemps, il se serait sans doute intéressé d'un peu plus près encore à tout ce qui relève de l'art spontané, de l'art brut et plus généralement de l'art des autodidactes.
Écrit par : RR | 07/01/2018
Effectivement "Enseignes des pulquerias" se retrouve sous un autre titre - c'est ce qui m'a fait tromper - dans les OC n°VI : "Souvenirs du futur". Péret a dû vouloir publier son premier texte ailleurs, après avoir constaté l'échec de la publication de l'Almanach. Il reste à le comparer avec le texte destiné à la publication de Dubuffet, il y a probablement des différences.
Je n'ai pas cité toutes les occurrences où Péret parle d'art populaire, ce blog imposant des limites au delà desquelles les notes deviennent vite indigestes. Sur les ruches décorées (de Slovénie en l'occurrence), j'ai consacré une note autrefois: http://lepoignardsubtil.hautetfort.com/archive/2007/08/26/ruches-decorees-de-slovenie-pour-la-premiere-fois-a-paris.html
Écrit par : Le sciapode | 08/01/2018
Merci de rappeler cette note sur les ruches Slovènes décorées.
Sinon, pour rendre à César ce qui est à César, petite précision concernant la phrase "...poète, c'est à dire révolutionnaire". Si elle a bien été le titre d'une émission de radio de Guy Prévan en 1999, elle est d'abord une référence au texte de Péret "Le déshonneur des poètes" dans lequel il est écrit ceci:
"...sa qualité de poète en fait un révolutionnaire qui doit combattre sur tous les terrains: celui de la poésie par les moyens propres à celle-ci et sur le terrain de l'action sociale sans jamais confondre les deux champs d'action sous peine de rétablir la confusion qu'il s'agit de dissiper et, par suite, de cesser d'être POETE, C'EST A DIRE REVOLUTIONNAIRE".
Écrit par : RR | 08/01/2018
Inutile de mettre les capitales pour les six derniers mots (ce qui ne figure pas dans le texte original), on n'est pas sourd!
Écrit par : Le sciapode | 09/01/2018
J'aurais évidemment plus volontiers souligné cette partie de phrase en l'écrivant en italique si les commentateurs pouvaient avoir accès à cette police. Mais il semble que vous seul y avez accès pour le corps du texte de vos notices. Les commentaires, non.
Écrit par : RR | 09/01/2018
Mais vous ne comprenez pas ce que je vous ai indiqué ci-dessus, mon cher R.R. (Roland Roure?), nul besoin de souligner, le lecteur sait lire... N'insistez pas, ou quelque petite âme errante va encore prendre prétexte de cela pour traiter le Poignard de nid à bourrins... C'est qu'elle a l'âme délicate, la pauvre chérie...
Écrit par : Le sciapode | 09/01/2018
On peut également rappeler, même si cela commence à faire un peu “réchauffé”, la première publication en russe de textes de Péret (Je ne mange pas de ce pain-là, Le Déshonneur des poètes, La Parole est à Péret, etc. ), traduits par Maria Lépilova en 2015 aux si intelligentes éditions Guileïa. En soi, publier Péret en Russie en 2015 est un événement :
http://hylaea.ru/180-ja_ne_em_etot_hleb_stihotvorenija_i_stati__per._s_franc.,_komment._i_primech._m._lepilovoy.html
Écrit par : Régis Gayraud | 09/01/2018