25/09/2024
Jacques Brunius sur France-Culture bientôt
Voici que dans les archives sonores de France-Culture, on annonce à une heure très matinale la rediffusion d'une émission de 1983 sur Jacques Brunius. Jugez-en plutôt ci-dessous. Ce sera l'occasion d'en apprendre plus sur ce sympathique surréaliste anglophile, touche à tout génial comme disait André Breton, collectionneur d'art insolite, grand curieux de toutes sortes de créations inopinées, cinéaste inventif (Violons d'Ingres, c'est lui), acteur, collagiste, critique de cinéma. J'en ai souvent parlé sur ce blog.
Jacques Brunius dans le rôle de Fouché dans La Belle Espionne de Raoul Walsh.
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Nuit du vendredi 11 octobre au samedi 12 octobre 2024
04:27 - 06:37 Les samedis de France Culture - A la recherche de Brunius (1ère diffusion : 07/05/1983)
Par Paule Chavasse et Jean-Pierre Pagliano - Avec André Bay, Yannick Bellon, Louis Bloncourt, Anne Cottance, Marguerite Fawdry, Roland Penrose, Paul Grimault, Claude Heymann, Ado Kyrou, Pierre Prévert, Michel Laclos, Lucien Logette, Marc Maurette, Jean Mitry et Claude Roy - Avec en archives, les voix de Jacques Prévert et de Jacques Brunius dans la dernière émission des "Français parlent aux Français" (BBC) - Textes de Jacques Prévert, Lewis Carroll et Jacques Brunius - Interprétation Michel Bouquet, Pierre Delbon, René Farabet, Dominique Jayr, Michaël Lonsdale, Jean Topart et Maurice Travail - Réalisation Christine Berlamont.
Comptine lue par le sciapode à partir d'un recueil de comptains, comptines, formulettes et autres nursery ryhmes recueillis par Jacques Brunius (inédit?)
Photo d'Eli Lotar en off du tournage (1936) de Partie de Campagne de Jean Renoir, avec les acteurs principaux, dont le deuxième à partir de la gauche, Brunius, et la troisième, Sylvia Bataille. Le film ne sortit qu'en 1946.
10:43 Publié dans Art de l'enfance, Art immédiat, Cinéma et arts (notamment populaires), Littérature jeunesse, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jacques brunius, jean-pierre pagliano, france-culture, violons d'ingres, la bele espionne, raoul walsh, andré breton, surréalisme, cinéma, comptines | Imprimer
25/08/2024
Présences (et absences) arabes au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris
Je suis allé visiter la nouvelle exposition du MAMVP, curieux de voir quels artistes étaient proposés dans ce panorama de l'art moderne dans les pays arabes entre 1908 et 1988. J'avais été alléché, je dois dire, par quelques noms jetés de-ci, de-là, dans les informations traînant sur le Net. J'y avais pointé quelques noms familiers, Baya, Jaber (oui, Jaber!), Chaïbia (qui fut défendue, me semble-t-il, par Cérès Franco dans sa galerie L'Œil de Bœuf, rue Quincampoix, à Paris, dans les années 1980), Fahrelnissa Zeid (une artiste d'origine turque, entre autres amie de Charles Estienne qui était un critique d'art proche des surréalistes à l'époque du tachisme dans les années 1950), Abdul Kader El Janaby (un surréaliste d'origine irakienne dont j'ai croisé superficiellement la route dans les années 1980), le Tunisien Gouider Triki (dont j'avais admiré il y a plusieurs décennies, à l'Institut du Monde arabe, des peintures fort séduisantes et originales), etc. Il y était question aussi du surréalisme en Egypte...
Baya (1931-1998), Femme en orange et cheval bleu, gouache, crayon graphite et encre sur papier marouflé sur carton, vers 1947, collection du LaM de Villeneuve-d'Ascq, Donation de l'Aracine ; exposé dans une alcôve à part dans "Présences arabes".
Baya, terres cuites peintes, de gauche à droite: Janus vert et rouge, 1947, Bête noire et rouge, 1947, Femme candélabre, 1948 ; exposées dans "Présences arabes", MAMVdP ; ces terres cuites seulement peintes sont à rapprocher des terres cuites vernissées que l'on trouve (ou trouvait) à un moment dans d'autre spays du Maghreb, comme la Tunisie (voir ci-dessous), où existent (existaient?) des communautés villageoises où l'on pratiquait la poterie décorée de motifs naïfs (stylisés) ; comme le signalait très justement le cartel placé à côté des terres cuites de Baya ci-dessus : ."[e style de Baya], trop souvent interprété comme de l'art brut, est une manière raffinée de revisiter ses souvenirs d'enfance de la Kabylie, sa végétation, ses contes et son artisanat, mais aussi les femmes qui lui ont transmis cet héritage. " ; cette association de Baya à l'art brut est assez proche d'autres cas, où l'on ne veut pas reconnaître dans des œuvres singulières la trace renouvelée de l'inventivité populaire anonyme (ou pas) appliquée à des expressions modestement diffusées, bien souvent circonscrites aux cercles de communautés restreintes, comme les sculptures en roche volcanique par exemple d'Antoine Rabany dans le Puy-de-Dôme, qui se retrouvèrent trente ans après la mort de leur auteur enrôlées dans l'art brut sous le vocable de "Barbus Müller", pourvus d'une aura de mystère lié à leur anonymat (provisoire, jusqu'à ce que je les rapporte à leur véritable auteur en 2017-2018) ; photo Bruno Montpied.
Art populaire tunisien, travail de femme dans un village reculé, acquis par le couple Cerisier lors d'un séjour en Tunisie dans les années 1980 ; ph. et collection B.M (ce n'est évidemment pas exposé dans "Présences arabes").
Exposition "Présences arabes", une sculpture de Jaber placée devant un agrandissement d'une photo d'une partie de l'exposition "Singuliers, Bruts ou Naïfs?" qui s'était tenue en 1988 au Musée des enfants, structure éphémère autrefois sise à l'intérieur du MAMVdP ; on y aperçoit d'autres sculptures de Jaber de même type (faites à l'aide de bandes plâtrées surpeintes entourant des objets en infrastructure, sans doute les œuvres les plus abouties et originales parmi toutes celles, souvent passablement bâclées, que réalisa Jaber par la suite), installées devant une peinture de Macréau, avec laquelle les sculptures entretenaient visiblement des points communs stylistiques en effet, de façon éphémère, cela dit ; le cartel, dans l'expo "Présences arabes", qualifie très étonnamment l'art de Jaber d'"esthétique punk et anarchiste" proche de celle du collectif Le Désir libertaire, installé et actif à Paris à la même époque. Moi qui ai rencontré dans cette même décennie un des membre du DL, dont il est question à un autre endroit dans cette expo du MAMVdP, Abdul Kader El-Janaby, un surréaliste irakien, je ne sais pas si on peut vraiment tant que cela rapprocher les deux démarches... Cela reviendrait à identifier deux formations culturelles très éloignées l'une de l'autre, et du coup nuire à l'exactitude de l'approche d'un Jaber, bateleur excentrique, délirant histrion des rues, quoiqu'un chouïa matois... ; ph. B.M.
Fahrelnissa Zeid, Alice au pays des merveilles, huile sur toile, 236 x 210 cm; 1952 ; ce n'est pas une œuvre de ce type qui est exposée dans "Présences arabes", mais elle correspond mieux, selon moi, à la période la plus intéressante de Fahrelnissa Zeid lorsqu'elle croisa la route du critique d'art Charles Estienne dans les années 1950 ; cet ami des surréalistes (Breton ou Péret) invita Zeid parmi d'autres (notamment Jan Krizek, Loubchansky, ou Toyen) en villégiatures répétées du côté d'Argenton et de Ploudalmézeau, au point qu'on parla pour ce cénacle informel d'une "École des Abers" (les abers étant les bras de mer de cette côte nord de la Bretagne) ; Toyen, en particulier, qui était sensible à la poésie des bords de mer, y peignit des toiles inspirées par la sublimation des estrans laissés par la marée , j'eus le bonheur d'en voir une, sortie de façon tout à fait primesautière, sans le moindre chichi, du grenier d'une connaissance de Charles Estienne qui me reçut avec deux amis au milieu des années 1990, lors d'un séjour estival en Bretagne.
Sur une table vitrée de l'exposition, des exemplaires de la revue The Moment du groupe néo-surréaliste qui publiait Abdulkader El Janaby, Guy Girard (dont j'ai plusieurs fois parlé sur ce blog), Peter Wood ou encore Stéphane Mahieu (devenu aujourd'hui un 'pataphysicien distingué), pour ne citer que des personnes que j'ai connues (et connais encore pour deux d'entre eux) ; Abdul Kader El Janaby est évoqué dans l'expo également par des exemplaires de ses "gommages", technique inventée par El Janaby où des stars du cinéma se retrouvent spectralisées du fait de leurs têtes gommées; ph. B.M.
Un point de vue était de temps à autre évoqué dans les cartels et les panneaux explicatifs de cette exposition, à savoir qu'au moment des diverses Indépendances, un certain nombre d'artistes et intellectuels arabes (on a insisté en fait surtout sur des artistes égyptiens, notamment ceux du groupe Art et Liberté fondé par Georges Henein) avaient cherché à se déprendre des influences artistiques occidentales académiques, assimilées aux menées colonialistes, qui se paraient intellectuellement de visions orientalistes consistant à construire des mythes et des clichés plaisant aux esprits occidentaux, peignant "l'Orient" sous des dehors factices, avec ses harems aux femmes désirables et soumises, ses palais de Mille et une nuits, ses vizirs cruels (dont les avatars seraient aujourd'hui les imams nécessairement tous fous de Dieu, clones de Ben Laden, appelant à des croisades terroristes : le mythe de l'Orient enchanté ayant tendance aujourd'hui à se renverser en Enfer aux portes de l'Occident). Les artistes arabes ou orientaux ont cherché à établir cet art indépendant, c'est-à-dire tout neuf, jamais vu jusque là, parfaitement original, sans retomber pour autant dans une tradition et une imprégnation nécessairement islamiques, et pour ce faire, sont allés chercher dans les avant-gardes occidentales, notamment les groupes les plus anticolonialistes, comme les surréalistes, dès la guerre du Riff au Maroc, des stimulations aptes à les libérer des académismes et des dominations coloniales.
Ramsès Younan (1913-1966), tropique du Cancer, vers 1945, huile sur toile, collection particulière, Le Caire ; expo "Présences arabes", MAMVdP, ph. B.M. ; cette toile fait écho au texte des surréalistes égyptiens, "Vive l'art dégénéré!", qui défendait les artistes occidentaux poursuivis par les Nazis ; on retrouve dans la composition des citations de Picasso, Dali et Chirico, voire peut-être des cubistes et des expressionnistes.
L'exposition cependant m'a paru, à moi qui y venais en parfait béotien, plutôt décousue et partiale, de par les échantillons accrochés aux cimaises. Cela partait un peu dans tous les sens, de façon émiettée, fournissant cependant au passage – dans ses marges – des noms intéressant méconnus (par exemple Valentine de Saint-Point, une anti colonialiste et féministe complètement oubliée par nos contrées, ou Gustave-Henri Jossot (1866-1951), caricaturiste anarchiste converti à l'Islam par opposition au colonialisme, auteur de livres particulièrement toniques¹). Il me semble aussi qu'on a oublié de parler dans cette exposition de catégories artistiques telles que l'art dit naïf ou populaire qui représentent pourtant un réservoir fourni d'expressions originales, qui peuvent faire figure de formes d'art spécifiques aux pays des territoires d'Afrique du Nord, voir des pays plus à l'est, vers le Moyen Orient (je pense aux peintures murales des pèlerins égyptiens par exemple).
Fresque à Gourna (Haute-Egypte) peinte sur un lait de chaux et un mortier apposé sur le mur de briques crues par un artiste local afin de permettre à ceux qui sont restés au pays, faute des moyens pour faire le pèlerinage de La Mecque, de se recueillir et de méditer sur des images symboliques liées aux lieux et moyens de transport du pèlerinage ; ph. Hughes Fontaine, extraite du recueil de photos et textes de Hughes Fontaine et Frédérique Fogel, Mémoires des façades, maisons peintes des pèlerins d'Egypte, éditions Twiga, 1992.
Art bruto-naïf contemporain d'Essaouira, découvert par Philippe Saada d'Escale Nomad : Ahmid Gnidila, sans titre (2 hommes se battant), 43x45 cm, gouache aquarellée sur carton, vers 2020 ; ph. et coll. B.M.
Les artistes autodidactes d'Essaouira, dont j'ai eu l'occasion de parler sur ce blog, auraient pu en effet aussi être convoqués, ce qui aurait brillamment illuminé l'exposition, en ne la laissant pas aux seules mains des artistes professionnels. On retrouve là les préjugés de nos commissaires d'exposition toujours rétifs à incorporer dans leurs expositions rétrospectives des auteurs d'art non reconnus comme artistes, parce qu'étrangers au cirque spectaculaire des Beaux-arts établis. Il y avait pourtant des prémisses de cette reconnaissance peu développée, avec les présences d'oeuvres de Baya, Jaber ou Triki. Allons, encore un effort si vous voulez, messieurs-dames les commissaires d'exposition, devenir révolutionnaires...
Couverture du petit catalogue consacré à des œuvres de Gouider Triki, publié à l'occasion d'une exposition en 1992 à l'Institut du Monde Arabe, à Paris.
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¹ De Henri Jossot, je signale cependant que les éditions bordelaises Finitude ont réédité (pour le premier) et édité (pour le second), il n'y a pas si longtemps, deux livres, Le Fœtus récalcitrant (1ère édition 1939, puis Finitude 2011) et Sauvages Blancs! (2013), où il se livre à une descente en règle des attitudes et comportements colonialistes dans les pays du Maghreb sous domination française.
12:18 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art moderne méconnu, Art singulier, Art visionnaire, Questionnements, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : présences arabes, anti colonialisme, surréalisme, surréalisme égyptien, art et liberté, georges henein, the moment, jaber, musée des enfants, baya, art d'essaouira, ahmid gnidila, fahrelnissa zeid, école des abers, charles estienne, toyen, jossot, estran, ramsès younan, musée d'art moderne de la ville de paris, abdul kader el janaby, gouider triki, maisons peintes des pèlerins d'egypte, hughes fontaine | Imprimer
19/10/2022
"Des Pays Habitables", six numéros, et "Alcheringa", trois numéros, des revues amies à la Halle Saint-Pierre
Cette rencontre (au sommet) de deux revues – auxquelles je participe (pour le n° 5 de Des Pays Habitables, et pour les numéros 2 et 3 d'Alcheringa) – aura lieu samedi 22 octobre prochain, à 15h dans l'auditorium de la Halle Saint-Pierre. Il y aura présentation de sa revue par l'animateur de Des Pays Habitables, Joël Cornuault, avec lecture de quelques textes de James Ensor par Nicolas Eprendre, et présentation de la leur – Alcheringa (Le temps du rêve, en langage aborigène d'Australie) – par trois membres du groupe surréaliste de Paris, Guy Girard, Sylwia Chrostowska et Joël Gayraud. Pour clore la réunion, qui devrait durer environ une heure (et plus si affinités), je serai également présent pour ajouter aux traits d'union entre ces revues cousines, en passant quelques images en rapport avec mes contributions dans les deux publications, contributions ayant bien sûr à voir, me connaissant – et connaissant ce blog –, avec les arts spontanés (bruts, naïfs, populaires). En l'occurrence, il s'agira d'oeuvres réalisées par divers autodidactes, certaines (celles d'Emile Posteaux, sculpteur de bouchons de champagne), datant des années 1930, d'autres plus récentes, plus ou moins en rapport avec des tentations infernales...
Gabriel Jenny, sans titre (crèche "païenne"), terre cuite vernissée, 43 x 35 cm, années 2000 (?) ; photo et collection Bruno Montpied ; cette photo sera projetée samedi parmi 13 autres ayant un un rapport avec deux de mes articles dans les revues.
Ce sera aussi l'occasion pour les deux revues de proposer à l'achat les derniers numéros parus, le 6 pour Des Pays Habitables et le 3 pour Alcheringa. Les anciens numéros seront églement disponibles bien sûr.
Des Pays Habitables n°5, couverture et 4e de couv'.
On en saura plus en consultant la newsletter des "événements" à la Halle Saint-Pierre: https://www.hallesaintpierre.org/2022/09/05/lectures/
Pour se procurer la revue Des Pays Habitables, on peut en savoir plus en allant sur le site web des éditions La Brèche. Ce sera aussi l'occasion de consulter les autres livres toujours séduisants que cette maison édite. A signaler en particulier la réédition par La Brèche du merveilleux Journal de neiges du poète Jean-Pierre Goff (un journal tenu uniquement les jours de neige à Paris) qui n'avait pas été republié depuis 1983 (voir ci-dessous la couverture de l'édition originale de 83 – qui a malheureusement pris un "coup de soleil"–, ainsi que le dessin (fait à la carte à gratter, il me semble) que Jean Benoît avait offert à Le Goff en guise de frontispice).
La réédition du Journal de neiges de Jean-Pierre Le Goff par La Brèche éditions, 2022.
L'édition originale aux éditions le Hasard d'être, 1983.
Dessin en frontispice de l'édition originale de Jean Benoît ; le petit homme moustachu sur le chemin, c'est Le Goff bien sûr.
00:12 Publié dans Art des jardins secrets, Art immédiat, Art moderne ou contemporain acceptable, Art populaire insolite, Art singulier, Art visionnaire, Littérature, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : des pays habitables, alcheringa, groupe surréaliste de paris, joël cornuault, joël gayraud, sylwia chrostowska, guy girard, bruno montpied, surréalisme, poésie contemporaine, la brèche éditions, journal de neiges, jean-pierre le goff poète, halle saint-pierre | Imprimer
31/07/2022
Une histoire de racines en l'air (Chaissac/Jesuys Christiano)
Gaston Chaissac, certains le savent, a écrit en 1946 dans la revue Centres pour René Rougerie qui, alors âgé de 20 ans, y collaborait, chargé de repérer de nouveaux talents, un merveilleux texte, intitulé Surréalisme!!!. Je recopie ci-après deux extraits qui m'ont toujours plu :
"Nous avons des littérateurs, des peintres surréalistes, et ils ont fait des trouvailles indéniablement intéressantes, utiles.
Demain ce sera des artisans, des ouvriers, des paysans surréalistes que nous aurons aussi ; d'eux nous avons un besoin urgent, et leurs trouvailles également intéressantes et utiles changeront la face du monde.
Le bon travail est devenu chose rarissime et pour le réapprendre il nous faut des novateurs.
Quand nous verrons des artisans construire de chariots avec des roues carrées et des paysans planter des choux les racines en l'air ce sera de bon augure ; car ces hommes, enfin plus esclaves des exigences d'autrui, feront à leur idée en hommes libres, en surréalistes, et retrouveront les secrets qui permettent de faire du bon travail honnête. Cela dans la joie, car le travail libre c'est la joie, celle qu'on ne saurait trouver à courir après la fortune ou simplement gagner beaucoup d'argent (en étant l'esclave d'autrui) pour satisfaire des vices. (...)
"Sœur Jeanne de là-haut ne vois-tu rien venir? - Je vois à l'horizon des surréalistes accourir avec des pelles, des rabots, des fourches ,des enclumes et bien d'autres outils". (...)"
Revue Centres n°3, 1946.
Cette histoire de planter des choux les racines en l'air m'a toujours marqué.... Quelle ne fut pas ma surprise en lisant l'autre extrait de texte ci-dessous, publié récemment dans le catalogue de l'excellente récente exposition (terminée le 17 juillet dernier) de cette extraordinaire découverte brute qu'est l'œuvre du Brésilien nommé – probablement un surnom – Jesuys Christiano (Jésus-Christ, en somme), à la galerie Christian Berst (passage des Gravilliers, à Paris, le catalogue doit y être toujours disponible, du moins à partir de la rentrée de septembre) :
"(...) Son objectif était d'ériger un nouveau monde, l'ancien devait donc être inversé – c'est ainsi qu'il arrachait des fleurs et des plantes pour les enterrer afin que les racines pointent vers le ciel. Pour que les voix qu'il entendait chaque jour se taisent, que les vers qui lui rongeaient le crâne se calment, que la peur de la persécution et du châtiment s'éloigne de lui. (...)"
Thilo Scheuermann (hôtelier allemand installé au Brésil ayant découvert en 2011 les dessins tracés par Jesuys Christiano sur les murs du quartier miséreux de Malhado à Ilhéus ; il s'occupa alors de lui jusqu'à la mort de ce dernier survenue en 2015).
Jesuys Christiano, sans titre, graphite sur papier, 42x59 cm, 2013. Extrait du catalogue d'exposition à la galerie Christian Berst "Jesuys Christiano, A contrario".
Etonnant parallèle, n'est-ce pas? Entre le cordonnier de Vendée et le pauvre hère brésilien qui bien entendu n'a jamais entendu parler du premier... A signaler que Jesuys Christiano est allé plus loin que Chaissac, en plantant réellement ses végétaux les racines en l'air... Mais bon, chez le cordonnier, il est plutôt question d'une métaphore, d'un appel au monde à l'envers, un thème cher à la culture populaire.
20:48 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Art visionnaire, Confrontations, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : gaston chaissac, surréalisme, monde à l'envers, jesuys christiano, galerie christian berst, a contrario, catalogue d'exposition, revue centres, rené rougerie, art et vie quotidienne | Imprimer
14/12/2020
La poésie aujourd'hui (2): les poèmes de mots collés de Vanessa Ancelot
Il y a quelques années, alors que je travaillais encore en Bibliothèque Centre de Documentation (BCD) d'une école primaire du Bas Belleville, je proposais de temps à autre aux enfants dans mes ateliers d'écriture organisés le soir pour des CE1 (des 7-8 ans) d'écrire des phrases en piochant dans des boîtes de mots découpés au préalable par d'autres enfants, notamment des CP, pendant le service d'interclasse du milieu de journée. L'essentiel étant de réaliser des phrases "qui tiendraient debout", qui seraient syntaxiquement valables. J'étais un animateur et non pas un enseignant, et je proposais cela comme une expérimentation ludique. Le collage des mots avec leurs couleurs, leurs typographies variées, souvent attractives, plaisait aux enfants qui fréquentaient l'atelier et la BCD (ils avaient choisi cet atelier-lecture (et écriture) avec leurs parents et étaient a priori motivés).
Collage de Fatima (toute une philosophie du comportement à avoir vis-à-vis de son enfance parmi les autres condisciples quand on est une très jeune fille), vers 1996, archives Bruno Montpied.
Collage de Tseman M., (qui soupirait peut-être de ne pouvoir faire comme le corbeau, au plumage noir comme la couleur de sa peau ; d'origine africaine, Tseman, par ce texte, retrouvait (ou répercutait?) le ton des proverbes africains par ailleurs), archives B.M.
Collage de Arnaud (grave question...), archives B.M.
Collage de Christine W., (un coup de dés n'abolit jamais le hasard?), archives B.M.
Collage de Léa M. (qui dans ses collages aimait les phrases lapidaires mais au sens - comme le lait - condensé), archives B.M.
Les résultats étaient curieux. Le hasard nous donnait des sortes de poèmes impromptus. On s'accordait eux et moi sur le fait que la phrase devait avoir quelque sens. Je n'étais jamais été sûr qu'ils en perçoivent toutes les dimensions. Pour m'en assurer davantage, je leur demandais d'illustrer ensuite la phrase obtenue.
Poème de mots collés de Louis Aragon, extrait d'un cahier de collages de 1924, (exposé actuellement à "L'Invention du surréalisme", jusqu'au 7 février 2021, à la Bibliothèque Nationale de France, site Mitterrand).
Il y avait des télescopages de mots qui donnaient des éclairs poétiques surprenants, déroutants. Sans bien le savoir, sans m'en souvenir précisément, on mettait nos pas dans ceux des dadaïstes qui avaient joué au début du XXe siècle de même que nous avec des mots découpés et collés, selon la technique que l'on appelle aussi, dans les manuels d'ateliers d'écriture, des lettres anonymes.
On peut convoquer aussi le souvenir dans les années 1950-1960 des collages de mots de Guy-Ernest Debord dans ses livres, illustrés de "structures portantes" d'Asger Jorn, Mémoires ou Fin de Copenhague.
Mots collés dans un carnet par Vanessa Ancelot, 2020. Photo et collection de l'artiste.
Mais tout cela m'est revenu ces temps-ci grâce à d'excellents collages réalisés récemment par une jeune femme de nos amis, Vanessa Ancelot, qui excelle dans cet art, je dois dire, obtenant des poèmes très drôles, percutants, qui renouvellent avec bonheur la poésie contemporaine, faite de ronron et de vers obscurs très souvent enquiquinant. Jugez plutôt d'après les exemples ci-dessus et ci-dessous. Chaque poème, pour se distinguer des voisins, est entouré d'un trait de crayon.
Vanessa Ancelot, ph. et coll. de l'artiste.
Vanessa Ancelot, ph. et coll. de l'artiste.
Vanessa Ancelot, ph. et coll. de l'artiste.
Et cet avant-dernier pour la route, imprégné d'un bel humour noir, ce dernier prenant souvent le relais de la tendre moquerie, du goût de l'absurde aussi parfois, ou de la poésie directe à coloration narquoise.... :
Vanessa Ancelot, ph. (détail) et coll. de l'artiste.
Enfin, un dernier collage sur les structures portantes cette fois de l'ami Darnish, bien connu sur ce blog, par ses commentaires fréquents.
Mots collés, Vanessa Ancelot, peinture, Darnish, ph.et coll. des artistes, 2020.
Dernier?... Pas tout à fait cependant. J'oubliais de joindre aux collages ci-dessus cette affiche photographiée avenue Trudaine dans le IXe arrondissement ces jours-ci, alors que je méditais cette note:
Adresse à l'attention de "Monsieur le Coronavirus" qu'on prie de s'en aller et de nous rendre toute liberté... Mais ce texte, s'il est réalisé par la technique des mots collés, n'est pas fait du tout au hasard, il est laborieusement volontaire ; ph. B.M. 2020
17:15 Publié dans Art de l'enfance, Art immédiat, Littérature, Poèmes choisis du sciapode, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : mots collés, poèmes de mots collés, collages de mots, art enfantin, louis aragon, dadaïsme, vanessa ancelot, humour noir, goût de l'absurde, surréalisme, guy-ernest debord, asger jorn, darnish | Imprimer
23/01/2020
Dictionnaire du Poignard Subtil
Pensée :
"Un examen réfléchi, approfondi, des possibilités de la pensée, de la pensée commune à tous, rend vaine toute hiérarchie entre les hommes. Entre l'homme et la femme, elle serait la négation même de leur rôle propre."
(André Breton, Paul Eluard, "Notes à propos d'une collaboration", manuscrit original publié, entre autres, sur le site web André Breton, destiné à servir d'introduction à l'édition japonaise du recueil L'Immaculée conception de 1930¹).
NB: La dernière phrase de cette citation me paraît aller à rebours de l'opinion commune à beaucoup de commentateurs malveillants du surréalisme, n'hésitant pas à présenter les membres du mouvement comme anti-féministes.
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¹ Voir aussi le tome I des Oeuvres complètes d'André Breton , dans la Notice sur l'Immaculée conception, p.1633). Le texte fut rédigé par Eluard qui le soumit à Breton qui apparemment ne le toucha pas.
00:28 Publié dans DICTIONNAIRE DE CITATIONS DU POIGNARD SUBTIL, Questionnements, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pensée, surréalisme, féminisme, paul éluard, andré breton, l'immaculée conception, la poésie faite par tous | Imprimer
23/11/2019
Mme Zka est partie en Catalogne (espagnole) dans un magnifique et stimulant musée du Jouet
Madame Zka, dont ce n'était pas le nom et "qui n'était pas absolument folle", selon les dires de Guy Selz dans la revue La Brèche n°2, (sous-titrée "Action surréaliste", et datée de mai 1962 ; son texte sur elle s'intitule "Les doigts de la mémoire"), a échappé aux collections d'art brut où elle n'aurait pas détonné¹. Sans doute parce que celui qui possédait ses "poupées" pas comme les autres les aura protégées d'un tel transfert... Simple supposition, car je ne sais pas grand-chose de la collection de Guy Selz (frère de Jean Selz et de Jacqueline Selz – elle-même, en compagnie d'Yvon Taillandier, collectionneuse d'art populaire essentiellement méditerranéen² –, et père de Dorothée et Philippe Selz, Dorothée étant connue comme artiste créatrice d'œuvres en sucre). On sait seulement qu'il fut une connaissance proche d'André Breton, qui lui demanda un article sur Mme Zka pour le n°2, en mai 1962, de la revue La Brèche qu'il dirigeait.
Une des illustrations de l'article de Guy Selz dans La Brèche, montrant les poupées peu communes de Mme Zka.
Les poupées possédaient sous les vêtements, particularité insolite, des visages aux yeux, bouches et autres pommettes, cousus de fils ; ici c'est un détail de la figure 7 reproduite ci-dessus et empruntée à la revue La Brèche.
Les poupées de Mme Zka, telles qu'elle étaient présentées à l'expo "Poupées" à la Halle Saint-Pierre en 2004 ; à noter que le catalogue ne les reproduisit pas, car elles furent prêtées inopinément à l'exposition, après que le catalogue avait été lancé ; du coup tout élément biographique ne put être donné dans l'ouvrage à leur sujet³ ; photo Bruno Montpied, 2004.
Ces poupées de Mme Zka ont aussi, autre particularité, le don d'exhiber des membres virils qui sortent des pantalons, comme oubliés... ; photos B.M., 2004.
Cette collection Selz vient – en partie? En entier? On ne le précise pas – d'entrer dans le remarquable et vivant Muséu del Joguet de Catalunya à Figueres (le Musée du Jouet de Catalogne), suite à une donation, précisément, de ses enfants, Philippe et Dorothée. Voici le laïus de ce musée au sujet de Guy Selz :
"Guy Selz (Paris, 1901-1975), designer graphique et journaliste, a été membre de l’équipe fondatrice de la revue Elle et chargé des chroniques culturelles du magazine. Collectionneur avide, il s’est intéressé à la créativité et à l’art populaire. Cela l’a conduit à collectionner des objets insolites, surprenants ou fascinants, sans hiérarchie ni frontières entre les genres et les arts. Et il est parvenu à rassembler plus de 30 000 pièces qu’il conservait chez lui, exposées et regroupées suivant son propre sens de l’esthétique. Cet espace abrite la plupart des fonds de la collection dont ses enfants, Philippe et Dorothée Selz, ont fait don au musée, tout en recréant l’aspect qu’elle avait lorsqu’elle était exposée chez lui. En 1974 la collection fit l’objet d’une exposition, qui connut un grand succès, au musée des arts décoratifs de Paris dont le commissaire était le conservateur en chef, François Mathey (à noter cependant que cette exposition était consacrée à plusieurs collections, et que celle de Françoise et Guy Selz, si elle était particulièrement bien représentée en effet dans l'expo, n'en était qu'une parmi beaucoup d'autres ; voir ci-dessous une page du catalogue de 1974).
Une des pages consacrée à la collection Françoise et Guy Selz dans le catalogue de l'exposition "Ils collectionnent..." du musée des Arts Décoratifs en 1974.
L’intérêt de Selz pour l’art populaire dans sa collection se manifeste, entre autres, sur la série de siurells (figurines en céramique, intégrant un sifflet, typiques des Baléares), compte tenu qu’entre 1933 et 1936, il tenait un bar sur l’île d’Ibiza."
J'ajouterai que ces sifflets en céramique originaires de Majorque furent très importants pour le peintre surréaliste catalan Joan Miro (qui en possédait, comme celui ci-contre, qui appartient au musée catalan). Ce musée du jouet de Figueres est remarquable, disais-je, par sa façon extrêmement vivante de présenter ses collections classées par départements aux thématiques insolites, surprenantes et ludiques, où diverses activités liées au jeu sont proposées en lien avec différents thèmes où l'esprit de curiosité règne en maître : le jeu dans l'antiquité, les jouets animaliers, les théâtres miniatures et les marionnettes, les illusions d'optique, la magie et l'illusionnisme, les soldats de plomb, une évocation de l'enfance et la jeunesse de Salvador Dali, les jeux de papier, les jouets mécaniques (avec une section consacrée en particulier aux jouets japonais), les jouets d'éducation sexuelle (les figures japonaises Kar Kar - la fille - et Tac Tac - le garçon -...), les figurines de la guerre civile espagnole, les jouets liés à la thématique spatiale avec des robots, des soucoupes volantes, les déguisements, les jouets bricolés par les enfants du Sahara, les jouets sonores, les jeux pour non-voyants, les casse-têtes, les instruments-jouets de Pascal Comelade, les figurines créées par José Antonio Heredia Navarrete, un autodidacte populaire (dont j'ai bien l'impression d'avoir un jour, il y a fort longtemps acheté l'une d'entre elles, une sirène, pour l'offrir à ma muse Christine Bruces ; voir ci-contre une de ces sirènes par Navarrete), les œuvres d'art inspirées par les jouets, etc., etc. Une maquette de réseau ferroviaire est présente également dans ce musée due à Andreu Costa Pedro (1926-2013) qui la réalisa durant dix-huit ans. Mention spéciale aussi doit être faite à des représentation de "caganers", c'est-à-dire des figurines de chieurs... Sortes de santons d'un genre spécial que l'on cachait dans les crèches (Catalogne, région de Valence, Baléares) pour soi-disant attirer la chance et la richesse (on sait que le caca est selon Freud la première monnaie d'échange, et donc l'origine de l'argent... ; dans une crèche, la défécation est censée fertiliser le sol de la crèche... argument qui sent bon - si j'ose dire - la justification). Il existe des caganers de toutes sortes (comme on le devine...), notamment actuellement, "des politiciens, des sportifs et des personnages célèbres ou médiatiques"...
Les caganers du musée du Jouet de Figueres...
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¹ Bizarrement, une notice du musée du Jouet de Figueres signale que les poupées en question parvinrent entre les mains de Guy Selz grâce à Jean Dubuffet. Si cette information a un fondement quelconque, on se demande alors pourquoi l'inventeur de l'Art Brut n'en a pas gardé pour lui dans sa prestigieuse collection? En tapant les mots-clés "Mme Zka" sur la base de données du musée lausannois, on ne rencontre que "0 résultat"...
² Jacqueline Selz et Yvon Taillandier qui eux-mêmes ont fait donation de leur collection d'art populaire personnelle au musée départemental de Noyer-sur-Serein dans l'Yonne.
³ On n'a en guise d'éléments biographiques sur Mme Zka que quelques lignes extraites du n° de La Brèche par Guy Selz: "Sans doute d'origine polonaise, Mme Zka fut chanteuse lyrique, et fit probablement aussi du théâtre et du music-hall (...) Elle a vécu en Russie, en Italie, en Egypte, en Roumanie et peut-être dans d'autres pays où "ses tournées" et ses 4 ou 5 maris la conduisirent (...) Deux choses se remarquent aussitôt : un talent extraordinaire de couturière, et un bon lot de poupées figurant des officiers de l'ancienne armée polonaise..." Si le lecteur veut en apprendre plus, il se référera à l'article entier ici en PDF...
20:10 Publié dans Art Brut, Art populaire contemporain, Art visionnaire, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Jeux, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : guy selz, la brèche n°2, surréalisme, madame zka, poupées sexuées, poupées, jouets, figueres, caganers, navarette, maquettes de trains, musée de noyers sur serein, jacqueline selz, yvon taillandier, art brut, ils collectionnent, musée des arts décoratifs | Imprimer
12/11/2019
Roger Cardinal (1940-2019), après Laurent Danchin et Jean-François Maurice...
Des pages générationnelles, en matière de médiation autour des arts spontanés, se tournent décidément depuis quelque temps... Voici que j'apprends avec une tristesse certaine que Roger Cardinal vient de nous quitter.
C'était un médiateur réputé de l'art qu'il avait qualifié d'"outsider" en Grande-Bretagne, terme repris aux USA et dans le monde anglo-saxon, voire jusqu'ici, où il est de bon ton de parler anglais à tout bout de champ en désertant la langue française.
Roger Cardinal recueilli ; Bibliothèque de Bègles, avril 2009. Photo Bruno Montpied.
La dernière fois que je l'avais vu, c'était il y a trois ans, il me semble, dans un escalier de l'Hôtel du Duc où se tenait l'Outsider (comme de juste) Art Fair. Il était assis sur un banc, grignotant un sandwich ; je l'avais salué, en lui tendant je ne sais plus laquelle de mes publications, et il était resté assez bizarrement sans réaction, alors que nous nous connaissions et avions usuellement des relations cordiales. Quand j'avais envoyé ensuite des informations par mail, il n'avait pas non plus réagi, et je m'étais demandé ce qu'il se passait. La fatigue de l'âge (selon l'euphémisme convenu)?
C'était un gentleman d'une grande bienveillance, un gentleman des années 1970, et un poète incontestablement, davantage qu'un théoricien (ainsi m'est-il toujours apparu en tout cas). C'est lui qui a lancé le terme d'Outsider art, en montant des expositions sur ce thème dès 1972 (parfois avec l'aide de la Fabuloserie d'Alain Bourbonnais) et pendant de nombreuses années, tout en écrivant de nombreux articles et études sur les arts spontanés (où il ne hiérarchisait pas l'art naïf par rapport à l'art brut). Certes, il n'était pas le seul au Royaume-Uni, il y avait aussi Victor Musgrave et Monika Kinley (la Madeleine Lommel britannique), et aujourd'hui il y a la Gallery of Everything de James Brett et ses amis. Mais Cardinal a eu un rôle déterminant, en influençant la création de la revue Raw Vision, de John Maizels en 1989 notamment. Le terme d'outsider a eu un retentissement énorme aux USA, ce qui a causé en retour une onde de choc vers l'art brut européen.
Le catalogue de l'expo "Outsiders" de 1979.
Ce que l'on sait moins – surtout dans le petit monde des spécialistes de l'art brut et autres – c'est qu'il avait donné, dans ces mêmes années 1970, quelques textes au groupe surréaliste qui tentait internationalement de conserver une activité structurée en réaction à la décision que d'autres avaient prise de décréter, trois ans après la mort d'André Breton (soit en 1969), la fin du mouvement organisé. J'ai retrouvé ses deux contributions dans le Bulletin de Liaison surréaliste réédité en 1977 par l'éditeur Savelli : "Tout un roman" et "Je note des signes", d'une très belle et très claire venue poétique.
En Grande-Bretagne, il avait prolongé et adapté l'activité d'un Dubuffet pour tenter d'attirer l'attention du public sur des arts spontanés où il mélangeait artistes marginaux et auteurs d'art brut. Je possède son livre de 1979, paru à l'occasion d'une exposition à la Hayward Gallery, où l'on retrouve au sommaire des créateurs bien connus désormais : certains venus de l'Atelier Jacob (1972-1982) comme Alain Bourbonnais, Francis Marshall, Jano Pesset, Mario Chichorro, Joël Negri, Denise Aubertin, Pascal Verbena, François Monchâtre, ou Emile Ratier, d'autres en rapport avec la maison des artistes psychotiques de Gugging en Autriche comme Johan Hauser, Johann Scheïbock, Philipp Schöpke, Oswald Tschirtner, ou August Walla ; bien sûr, il y avait quelques grands créateurs de l'Art Brut venus d'autres collections, comme Aloïse, Scottie Wilson, Wölfli, Henry Darger, Joseph Yoakum, Martin Ramirez, Anna Zemankova, Heinrich Anton Müller, des patients artistes de la collection Prinzhorn à la clinique de Heidelberg comme Joseph Sell, Gustav Sievert, August Neter, Peter Moog, Johann Knüpfer, ou Karl Brendel, un créateur d'environnement visionnaire, Clarence Schmidt, mais aussi de grands inclassables comme Louis Soutter, ou ce dessinateur allemand étrange revendiqué par le surréalisme, Friedrich Schröder-Sonnenstern (voir ci-contre).
Cette expo prolongeait celle des "Singuliers de l'art" qui s'était tenue un an auparavant au Musée d'Art moderne de la ville de Paris, là aussi organisée avec l'aide d'Alain Bourbonnais et de son Atelier Jacob (galerie qu'il animait avant de fonder son musée de la Fabuloserie dans l'Yonne.
Au fond, ce qui me séduisait, dans la perspective de Cardinal, c'était son origine et sa culture surréalistes. On sait que ce mouvement, surtout du vivant de Breton, incorporait des autodidactes naïfs ou bruts, de même que de la poésie naturelle sous forme d'objets insolites trouvés dans la nature, sans faire de séparation de valeur entre ces créateurs et les artistes plus explicitement en relation avec le mouvement. Je pense que c'était dans ce sillage que se situait Cardinal. D'autant qu'en Grande-Bretagne, on pouvait le faire sans dommage, ce pays ayant fait l'économie de la dispute qui eut lieu sur le continent entre ces deux crocodiles que furent Dubuffet et Breton, se colletant au fond du même marigot (image que me délivra un soir Philippe Dereux au fond d'un restaurant lyonnais)... Les défenseurs de l'art brut français et suisses en effet ont longtemps hérité du clivage entre les deux crocodiles, et il est fort difficile de retisser les liens rompus de ce côté du Channel. J'en sais quelque chose, puisque moi aussi je m'efforce de me situer dans ce double sillage du surréalisme et de l'art brut...
Étrangement, cette origine surréaliste de Cardinal ne paraît pas avoir été perçue par le milieu suisse de l'art brut, puisqu'il fit partie sans difficulté du comité consultatif de la Collection de l'Art brut à Lausanne (comme Laurent Danchin, pourtant pas très orthodoxe en matière de doxa brute...). Pourtant, on s'est longtemps méfié des surréalistes du côté de la Collection (du moins peut-être jusqu'à l'après-Michel Thévoz¹ ; car, avec Lucienne Peiry, directrice de la collection de 2002 à 2012, la méfiance se tempéra et s'atténua me semble-t-il). Probablement parce que Roger resta toujours fort civil, diplomate, élégant, avec Dubuffet lui-même d'abord (qui lui avait fait part de son accord pour le terme d'"art outsider") puis avec les conservateurs successifs de la CAB.
Sur ce terme d'art outsider, j'ai déjà évoqué sur ce blog par le passé la traduction qu'on aurait pu lui donner : art alternatif. Roger Cardinal m'avait écrit son assentiment face à cette traduction, comme je l'ai déjà signalé. Certes, ce mot qui lui avait été imposé, comme il me l'a écrit, par son éditrice, devait servir de synonyme à "art brut". En réalité, c'est un tour de passe-passe, dans la mesure où il recouvre beaucoup d'expressions différentes, du folk art, aux artistes marginaux, en passant par l'art brut au sens strict, et les environnements spontanés. En France, il sert d'ailleurs souvent de mot lui-même alternatif à la place d'art singulier. Le Musée de la Création Franche de Bègles par exemple, qui se sert beaucoup en ce moment du terme d'art brut – à mon avis inadéquatement – serait mieux inspiré de parler d'art outsider pour ses collections.
Concernant Roger Cardinal, il serait judicieux de rassembler et de traduire ses principaux textes pour les lecteurs français. Il en a donné quelques-uns pour des catalogues, comme le premier qu'édita l'Aracine ou ceux édités par la Halle Saint-Pierre au fil des années.
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¹ Michel Thévoz qui écrivit un jour: "André Breton fusille les spirites et leur fait les poches". Ce qui, on en conviendra peut-être, est assez odieux...
18:09 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Art visionnaire, Environnements populaires spontanés, Hommages, Lexique et définitions des arts populaires, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roger cardinal, outsider art, raw vision, art brut, collection de l'art brut, surréalisme, bulletin de liaison surréaliste, gugging, prinzhorn, atelier jacob, alain bourbonnais, dubuffet, andré breton, michel thévoz | Imprimer
14/05/2019
Rue de Seine ou rue Elzévir, à Paris, deux façons de découvrir l'art imaginatif, singulier ou brut
La rue de Seine, depuis quelque temps, voit régulièrement de l'art brut, ou singulier, voire "outsider" pour parler franglais comme à la galerie Hervé Courtaigne¹, se présenter sur ses cimaises, est-ce le début d'une tache d'huile?
En face de chez Courtaigne, on peut voir ainsi en permanence des bruts et de l'art populaire de curiosité dans la petite galerie qui fait l'angle avec la rue de l'Echaudé de Laurent de Puybaudet (42 rue de Seine, www.laurentdepuybaudet.com). Plus loin, dans la galerie Les Yeux Fertiles, animée par Jean-Jacques Plaisance et Benoît Morand (27 rue de Seine), on aime aussi de temps à autre glisser un "brut" (Charles Boussion, Thérèse Bonnelabay, Madge Gill ou Gabritschevsky) parmi des surréalistes historiques (Jacques Hérold par exemple), ou quelques visionnaires (Fred Deux), voire quelques grands Singuliers (comme Yolande Fièvre, Ursula, Philippe Dereux... Marilena Pelosi à l'occasion). Dans l'ensemble, ces galeristes restent cependant prudents, préférant miser sur des valeurs déjà consacrées dans le milieu des amateurs d'art d'autodidactes inspirés. C'est le cas avec l'exposition Bruts et Raffinés, apparemment, qui commence bientôt, dans deux jours, le 16 mai et qui s'achèvera le 16 juin à la galerie Hervé Courtaigne.
Les artistes ou créateurs présentés sont Anselme Boix-Vives, Jacqueline B. (Jacqueline Barthes), Gaston Chaissac, Ignacio Carles-Tolrà (dont il y a eu récemment une rétrospective au Musée de la Création franche, et dont il y aura une exposition très prochainement, à ce que m'a dit mon petit doigt, à la galerie de la Fabuloserie-Paris, dans la rue Jacob qui est perpendiculaire à la rue de Seine...), Philippe Dereux, Fred Deux, Gaël Dufrêne, François Jauvion, Yolande Fièvre, Antonio Saint-Silvestre, André Robillard (incontournable...), Robert Tatin, Augustin Lesage, Germain Vandersteen, Pépé Vignes, et Scottie Wilson. Cherchez les véritables bruts dans le tas... Et amusez-vous à rendre à César ce qui appartient à César (rien à voir avec le Nouveau Réaliste spécialiste des compressions) sur la mosaïque de l'affiche courtaignesque ci-dessus... A part Dufrêne, récemment mis en avant par la galerie, et peut-être cet Antonio Saint-Silvestre que personnellement je ne connais pas, les autres sont comme on le voit un peu connus déjà...
Affiche de l'exposition prochaine de l'Escale Nomad rue Elzévir ; oui, je sais, c'est pas très alléchant, mais soyez curieux, ne vous arrêtez pas à ce pauvre habit, et vous ne serez certainement pas déçus...
Sur la rive droite, se tiendra, plus confidentielle, une seconde exposition intitulée assez immodestement, je dois dire – quoique probablement avec humour mégalo...– "Petit tour du monde de l'art brut" par Philippe Saada, dans le cadre de sa galerie ambulante, Escale Nomad. Il loue la galerie Six Elzévir (au 6 de la rue Elzévir comme de juste... L'adresse est dans le nom de la galerie ; on est dans le Marais, 3ͤ arrondissement parisien) du 4 au 9 juin prochains. Cette fois, Philippe Saada est parti un peu plus loin que l'Inde et le Maroc, ses terrains de "chasse" de prédilection (même si le Maroc est encore présent dans cette expo avec Babahoum et deux créateurs apparemment nouveaux pour moi). Il annonce des trouvailles réalisées en Belgique, aux USA et au Japon (il est parti loin, ce coup-ci, Escale Nomad devient globe-searcher d'art brut). Je ne peux pas dire grand-chose des créateurs annoncés à part Babahoum que j'apprécie particulièrement et dont j'ai souvent parlé sur ce blog, voir en suivant ce lien... C'est une galerie et un dénicheur à suivre, prenant des risques avec tous ces noms inconnus (et de plus, les déguisant sous des affiches vraiment trop moches!). Mais suivez mon conseil, allez-y jeter un œil... C'est souvent derrière cette discrétion très particulière que se cache le pot-aux-roses...
Babahoum, dessin aux crayons et à l'aquarelle (?) sur papier, 26 x 37 cm, vers 2018, ph. et coll. Bruno Montpied.
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¹ Dans le laïus de la galerie Courtaigne, il nous est dit ceci à propos des "outsiders": "Dubuffet a affirmé que les artistes "outsider" (même si le nom n'existait pas à son époque, évidemment), en échappant à la "culture" des mouvements établis, étaient les dépositaires de la véritable innovation qui est l'essence du travail artistique." Rappelons tout de même que le terme d'art outsider a été inventé par l'ancien surréaliste Roger Cardinal en 1972 à l'occasion d'une expo montée en Grande-Bretagne. Il servait à englober à cette époque aussi bien l'art brut que l'art d'artistes contemporains autodidactes et marginaux. Dubuffet était encore vivant à l'époque (il meurt en 1985)... Donc le nom d'outsiders existait bien "à son époque"... Les Singuliers de l'art, titre de l'expo de 1978 au musée d'art moderne de la ville de Paris, au titre trouvé paraît-il par Alain Bourbonnais, au fond, était un terme synonyme des outsiders de Roger Cardinal. Ce dernier terme pourrait se traduire par art alternatif.
21:49 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Art visionnaire, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art singulier, outsiders, art brut, art visionnaire, surréalisme, galerie hervé courtaigne, galerie laurent de puybaudet, charles boussion, galerie les yeux fertiles, escale nomad, philippe saada, babahoum | Imprimer
14/04/2019
2019, année des médiums?
L'art médiumnique fait un retour en force en ce moment. On annonce une expo Lesage, Crépin, Victor Simon pour bientôt au LaM. Dans le cadre de l'exposition "World Receivers", au Musée Lenbachaus de Munich, sont présentées trois créatrices inspirées par les "esprits", Hilma af Klint, Georgiana Houghton et Emma Kunz.
Cette exposition montre qu'avant qu'apparaisse l'abstraction chez un Kandinsky, certaines artistes médiums avaient dès le XIXe siècle déjà recouru à des graphismes sans rapport à des motifs pris dans la réalité visuelle, Hilma af Klint dans le cadre de son rapport à la théosophie, Georgina Houghton dans le cadre du spiritisme et Emma Kunz dans le cadre de la Naturopathie (ne me demandez pas ce que c'est), bien entendu chacune ne connaissant pas les autres.
Dans une autre, plus particulièrement consacrée aux femmes.dans l'art brut, qui se tient au Kunstforum à Vienne (Autriche) on peut trouver également des médiums dessinatrices (titre exact: "Flying High: Künstlerinnen der Art Brut" ("Du haut vol : les femmes artistes de l'art brut") du 15 février au 23 juin 2019.
A l'Es Baluard, le Musée d'Art Contemporain de Palma de Majorque, une exposition est entièrement consacrée à l'art médiumnique des femmes, intitulée « Médiums et visionnaires », du 15 février au 2 juin 2019.
M'intéressant plus particulièrement, a commencé aussi en Allemagne, fin mars, une série d'expositions sur le thème de la "Croissance de l'âme" ("l'importance de la plante comme expression artistique des états mentaux", apparemment...) au Wilhelm-Hack-Museum de Ludwigshafen, l'intitulé exact étant « Plantes de l'âme : Fantaisies végétales entre symbolisme et outsider art » (du 31 mars au 4 août 2019) . Miam, miam... Cette manifestation n'a pas lieu qu'à Ludwigshafen, elle a aussi des expos adventices dans d'autres institutions, comme le musée Haus Cajeth ou la Fondation Prinzhorn toutes deux basées à Heidelberg. Des parallèles y sont tracés entre symbolisme et surréalisme d'une part, et l'art médiumnique d'autre part. Parmi les artistes et auteurs exposés, on pourra trouver Ciurlionis, William Degouve de Nuncques, Max Ernst, Barbara Honywood, Paul Klee, Hilma af Klint, František Kupka, Séraphine Louis, ou encore Odilon Redon.
Toutes ces informations proviennent en partie d'un collectionneur allemand d'art médiumnique qui a prêté plusieurs de ses œuvres à certaines de ces expositions. Pour se faire une idée de sa collection, on peut visiter son site web, intitulé le COMA (acronyme - significatif? - pour "COllection of Mediumnistic Art").
Cecile Markova (dessinatrice médiumnique tchèque), crayons de couleur sur papier noir, 63 x 45 cm, 16-10-76, coll. privée, Paris ; photo Bruno Montpied.
Il y a une curieuse remarque à faire valoir entre l'art médiumnique autrefois produit en Bohème (celui du musée de Nowa Paka), aux esprits férus de courbes botaniques, et l'art médiumnique des anciens mineurs du Nord de la France, aux esprits en revanche plus amateurs d'architectures, et de lignes droites... D'un côté des esprits adeptes de l'arrosoir et du plantoir, et de l'autre, des esprits plus amateurs de truelle et de fil à plomb?
20:46 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art visionnaire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art médiumnique, art brut, spiritisme, plante et expression artistique, surréalisme, symbolisme, cecilie markova, coma | Imprimer
10/10/2018
Onirographies sauvagesques d'un côté et cinéma différent de l'autre...
Le 11 octobre, demain jeudi, il va falloir que je me coupe en deux, car la soirée propose deux événements, le vernissage de l'exposition de collages de Pierre-André Sauvageot à la Galerie l'Usine dans le XIXe ardt,, expo intitulée "Onirographies" (Pierre-André Sauvageot était exposé récemment aussi à St-Ouen dans l'expo collective "Le collage surréaliste en 2018", qui vient d'être prolongée jusqu'en décembre, par l'association La Rose Impossible, sous d'autres cieux, à St-Cirq-Lapopie, dans l'ancienne Auberge des Mariniers, plus célèbre pour avoir été aussi un temps la maison d'André Breton), et une projection de huit petits films "hors-les-normes" dus à des francs-tireurs excentriques du cinéma, à 20h dans le Ve ardt.
Pierre-André Sauvageot, Pigeons de Moscou, collage.
1 Programme de la séance de cinéma "hors-les-normes" du 11 octobre au Grand Action
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Ce programme qui prendra place dans une belle salle du cinéma Grand Action rue des écoles dans le Ve ardt parisien sera présenté par les trois mousquetaires du cinéma "différent", voire "hors-les-normes", Florian Maricourt, Boris Monneau (du groupe "Margins", c'est-à-dire "Marges", mais en anglais, comme d'hab', c'est plus à la mode...) et Théo Deliyannis du Collectif Jeune Cinéma. Cinq auteurs apparemment fort excentriques sont présentés donc, Horst Ademeit, Enrique Ley, Alain Bourbonnais (avec son court-métrage de fiction qui met en scène sur l'île de Groix ses créations carnavalesques qu'il appelait des "Turbulents"), Georges Andrus et Le Déboucheur. Andrus est un poète des irisations sur bulles de savon, Ademeit paraît s'exciter sur des phénomènes inexpliqués et des décryptages magiques d'après retransmission de tirages du Loto (il me paraît relever davantage à ce titre de l'immense cohorte des "fous littéraires" que de l'art brut où on le range depuis quelque temps), Ley fait de l'animation en pâte à modeler pour dénoncer les dangers que court la société actuelle, tandis que "Le Déboucheur", entreprise familiale bruxelloise, produit des films destinés à expliquer le débouchage qu'opère l'entreprise sur les tuyauteries de ses clients, ces films pouvant être vus au second degré comme du cinéma abstrait "aux qualités plastiques insoupçonnées", nous affirme Florian Maricourt.
Entre ces deux événements, l'un étant nettement plus éphémère que l'autre, je sais de quel côté je vais aller, quitte à m'enquérir de l'autre un peu plus tard...
14:45 Publié dans Cinéma et arts (notamment populaires), Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : collages, surréalisme, galerie l'usine, pierre-andré sauvageot, fous littéraires, horst ademeit, georges andrus, le déboucheur, alain bourbonnais, enrique ley | Imprimer
07/01/2018
Benjamin Péret à la Halle Saint-Pierre, quelques événements pour un riche retour sous la lumière
Du 8 au 28 janvier, la Halle Saint-Pierre accueille une évocation de Benjamin Péret dans sa "galerie" du rez-de-chaussée, centrée sur les voyages qu'il fit entre 1955 et 1956, fasciné par les arts des Indiens et l'art populaire du Brésil. En effet, les éditions du Sandre, au même moment où elles publiaient mon Gazouillis des Eléphants – qui traite aussi d'art populaire – a sorti en novembre 2017 un beau livre consacré à Benjamin Péret et intitulé Les arts primitifs et populaires du Brésil, photographies inédites, qui illustre une fois de plus le profond intérêt qu'éprouvait le poète surréaliste pour l'art primesautier où qu'il se manifeste dans le monde. Si la galerie de la Halle présente sept vitrines d'exposition de différents documents et objets relatifs à cette période de la quête pérétienne, le tout sous le titre "Du merveilleux, partout, de tous les temps, de tous les instants", il convient de signaler – outre le vernissage (en entrée libre, comme tout ce qui concerne ces événements) autour de Péret qui aura lieu le jeudi 11 janvier prochain de 18h à 21h – également une après-midi consacrée à la présentation du livre, ainsi qu'à celle du dernier numéro (le n°6) des Cahiers Benjamin Péret dans l'auditorium de la Halle, au sous-sol, le dimanche suivant 14 janvier, à 15h. Cela se fera en présence de Leonor de Abreu et de Jérôme Duwa, co-responsables du livre des éditions du Sandre, ainsi que de Gérard Roche (président de l'Association des amis de BP), celui-là même qui vient de signer la magnifique et vivante édition de la correspondance André Breton-Benjamin Péret chez Gallimard (2017).
Une correspondance fascinante, pleine de vie, qui restitue les deux poètes avec une spontanéité et une chair que l'on ne rencontre pas de la même manière dans leurs autres écrits (même si Péret écrivait comme il respirait) ; certainement un des meilleurs volumes de la correspondance jusqu'ici parue concernant Breton. A n'en pas douter, ce furent eux les piliers du château étoilé...
Il faut dire que l'actualité éditoriale est richement consacrée au retour de Benjamin Péret dans nos esprits et dans notre mémoire en ce moment. Il ne faut pas oublier de mentionner en effet la très bonne biographie de Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret, l'astre noir du surréalisme, parue en 2016 chez Libertalia¹, qui permettra à tous ceux qui apprécient cet enfant terrible de la poésie, de l'amour sublime et de la révolte, s'ils ne savent pas de qui il s'agit exactement, de faire un copieux tour du personnage, documenté de faits, d'analyses et d'anecdotes savoureuses comme celle qui campe Péret, sortant de chez André Masson, et qui, chaque fois qu'il passait devant la loge où les concierges laissaient voir leur repas en famille, lançait : "Alors? Elle est bonne la merde?", ou encore cette autre, racontée par Marcel Duhamel, où, déambulant en voiture avec Tanguy, Prévert et Duhamel, il tirait au revolver en l'air au long des routes, comme un fêtard mexicain...
Photo de Benjamin Péret extraite du livre aux éditions du Sandre ; Lampião et Maria Bonita, céramique polychrome, Mestre Vitalino, Caruaru, État du Pernambouc, coll. Museu de Arte Popular, Recife.
Benjamin Péret, comme le souligne pertinemment Schwartz dans sa biographie, était un des rares autodidactes du mouvement surréaliste, avec Yves Tanguy, par ailleurs d'origine bretonne comme lui (Péret était nantais). Cela est à mettre en liaison directe avec son goût jamais démenti pour les techniques automatiques surréalistes, lui servant à lâcher les rênes d'une inspiration qui ne mettait jamais longtemps à traîner dans la boue les autorités, le clergé, l'armée, les juges, tout ce qui s'opposait à l'exercice de la liberté et de l'amour. Et cela explique aussi, outre le fait qu'il était de par ses origines prolétaires anti élitiste et anti bourgeois, sa compréhension profonde pour les arts populaires, les mythes et légendes dont il prisait essentiellement l'esprit magique, le merveilleux sous toutes ses formes (voir par exemple cet article qu'il consacra dans Minotaure aux armures délirantes de la Renaissance, ou aux automates) et vers la dernière partie de sa vie, pour deux figures importantes de l'art singulier (aux limites de l'art brut), Robert Tatin et Gaston Chaissac.
En effet, si l'on connaît le texte qu'il consacra à Chaissac, daté de 1958, dans l'édition de luxe des Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann, L'homme du point du jour, tel qu'édité dans le livre d'Henri-Claude Cousseau sur l'œuvre graphique de Chaissac chez l'éditeur Jacques Damase en 1982, texte différent (on découvre en effet des paragraphes alternatifs d'une version à l'autre...) de la version intitulée Sur Chaissac dans Benjamin Péret, Œuvres complètes Tome VI (Association des amis de Benjamin Péret/libraire José Corti, 1992), on connaît bien moins le texte étonnant qu'il écrivit pour présenter Robert Tatin en 1948 (il venait de rentrer du Mexique en France), découvert par hasard semble-t-il, dans une galerie rue du Petit-Musc à Paris. Ce texte – inédit dans ses Œuvres Complètes – avait été proposé à Jean Dubuffet pour le projet d'Almanach de l'Art brut que ce dernier décida finalement de ne pas publier, en raison probablement de son désaccord ultérieur avec Breton. Il vient d'être (enfin) publié (en 2017, là aussi), en reprint d'après les tapuscrits, par la Collection de l'Art Brut, l'Institut Suisse d'Etude de l'Art et 5 Continents. Il nous montre que Péret n'eut de cesse de veiller aux irruptions de poésie sauvage qu'elles proviennent des jungles amazonienne ou mexicaine, ou de zones marginales de la créativité populaire en France. Voici un passage qu'il écrit au sujet de Tatin, alors seulement céramiste et peintre, et n'ayant donc pas commencé son environnement ébouriffant et syncrétique de la Frénouse à Cossé-le-Vivien en Mayenne (il recroisera la route des surréalistes au début des années 1960, ce que Péret n'aura pas su puisqu'il décédera en 1959) : "Sa peinture a en effet la force primitive de tous les arts archaïques (...) Robert Tatin revient donc aux origines mêmes de l'art, au point d'intersection qui contient en puissance l'infini des possibilités." (L'Almanach de l'Art Brut, p. 473). Dans ce même Almanach, on trouve un autre texte sur les peintures populaires des cafés mexicains où l'on buvait de la pulque (alcool d'agave), Enseignes de pulquerias. Il me semble qu'il a été édité dans ses Œuvres complètes, dans le tome VII (à vérifier). A propos de ces Œuvres complètes (sept jusqu'à présent), on notera aussi un texte qu'il consacra à l'architecture délirante de Gaudi à Barcelone.
Péret aurait vécu plus longtemps, nul doute qu'il aurait fait un tour plus appuyé du côté de tous les inclassables de l'art et autres poètes plastiques de la spontanéité apparus après les années 1960, du côté de l'art brut et dans ses marges. De l'art brut, je n'ai relevé jusqu'à présent qu'une mention par Péret. Elle figure dans son texte contre l'art abstrait, La soupe déshydratée, paru dans l'almanach surréaliste du demi siècle (réédité par Plasma en 1978). Et il est dit quelque part (un texte d'exégète dans la récente édition de l'Almanach de l'art brut ? J'avoue avoir la flemme d'aller retrouver la source...) qu'il accompagna Breton et Dubuffet aux Puces lorsqu'il s'agit d'aller acquérir des masques en coquillage de Pascal-Désir Maisonneuve vers 1948, à l'époque où tout allait encore bien entre le pape de l'art brut naissant et le chef de file du mouvement surréaliste...
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¹ On rappellera aussi le film de Remy Ricordeau, déjà signalé sur ce blog, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret poète c'est-à-dire révolutionnaire, sorti en DVD, production Seven Doc, sorti en 2015. La première partie de son titre est repris du titre d'un des recueils de Péret, tandis que la deuxième récupère un autre titre, celui d'une émission de radio de Guy Prévan de 1999, elle-même, comme il est précisé dans les commentaires ci-après par R.R.., reprenant un fragment du Déshonneur des poètes, ce livre de Péret contre la poésie de circonstance qui fit scandale chez les Aragonéluards en 1945, puisqu' y étaient visés les poètes stalino-nationalistes qui à la Libération confisquaient la vie culturelle à Paris.
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02/10/2017
Expositions en pagaille tous azimuts
L'automne est là, les feuilles roussissent, avant de se faire bientôt ramasser à la pelle, les marrons commencent à jaillir de leurs bogues, je ne vous apprends rien, et, comme d'habitude, l'actualité des expositions connaît l'emballement habituel des rentrées. Cela me donne des scrupules : par lesquelles commencer? C'est du boulot, et je renâcle à me faire le complaisant écho de ces manifestations qui toutes ne me font pas sauter en l'air, surtout quand elles participent d'un certain ron-ron au point de vue du choix des exposants (j'en ai un peu marre de voir parler des mêmes artistes ou créateurs : Robillard et ses sempiternels fusils pour investisseur en poncifs de l'art brut, Joël Lorand ou Ody Saban, les arbres qui cachent la forêt de l'art singulier). Alors, j'ai envie aujourd'hui de mettre plusieurs expos dans une même note, en vrac, sans trop de commentaires, et dieu, comme on dit (je n'irai pas jusqu'à lui mettre une majuscule), reconnaîtra les siens.
Toutes celles que j'indique ci-après, cependant, après un tri rigoureux, me paraissent dignes d'intérêt, et sont donc une sélection automnale non exhaustive de ce qui a trait à l'art singulier, brut, outsider, spontané, surréaliste spontané, etc.
Exposition Outsider Art III, "Art brut haïtien contemporain" : Charles Djerry, Jean-Baptiste Getho, Frantz Jacques dit Guyodo, Alexis Peterson, Fanfan Romain, Pierre-Paul Lesly. Du 5 octobre au 4 novembre 2017. Galerie Claire Corcia et Polysémie.
Guyodo à la galerie Corcia ; à noter qu'on a découvert cet artiste autodidacte (dont les graphismes, intéressants, ressemblent tout de même pas mal à d'autres œuvres déjà vues ailleurs dans le domaine de l'art brut, vous savez, tous ces dessins griffonnés au stylo Bic...) à l'expo du Grand Palais, "Haïti, deux siècles de création contemporaine" (19 novembre 2014-15 février 2015), où il était présenté avant tout comme un sculpteur, un récupérateur de matériaux variés, unifiant ses assemblages sous des couches de pulvérisation d'aluminium (technique qui fait beaucoup penser à celle des Staelens en France qui unifient également leurs assemblages de même manière, quoique en rouge, ou minium). A priori donc, ne relevant pas strictement, pour des raisons sociologiques de l'art brut annoncé sur l'intitulé de l'expo. A noter qu'on parle rarement d'art brut haïtien, plutôt d'art naïf. Ou d'art vaudou. Ces délimitations terminologiques sont bien délicates...
Claude et Clovis Prévost exhibent leur "exposition multimédia (photographies, films et œuvres d'artistes depuis 1963), avec la contribution des Rocamberlus de Georges Maillard, en son jardin de pierres d'Osny dans le Val d'Oise" à la Villa Daumier à Valmondois. Ouvert le week-end du 9 septembre au 15 octobre 2017. C'est bien sûr à l'occasion de la réédition de leur livre Les Bâtisseurs de l'imaginaire, aux Belles Lettres. Sur leur carton d'invitation, une photo non légendée (voir ci-dessous) montre un monsieur barbu d'allure distinguée posant devant une sorte de portail germinatif qui paraît indiquer une inspiration naturelle, quoique mâtinée d'une certaine culture, donc relevant à mes yeux du corpus des environnements singuliers (genre Robert Tatin). Ce doit être, par élimination de ce que nous connaissons déjà des trouvailles de Claude et Clovis Prévost, le dénommé Georges Maillard avec ses "Rocamberlus". Mais on aimerait que les Prévost le confirment.
Photo Clovis Prévost.
La Galerie Les Yeux Fertiles pour sa part s'apprête à établir des "Connexions" entre art brut, surréalisme et art singulier. A ses visiteurs de rendre à César... ce qui appartient à chacune des étiquettes en question. Deux cas parmi les exposants que je situe mal, les dénommés "L. Smith" (créateur populaire afro-américain?) et "D.Valdés-Lilla" Au chapitre du surréalisme, on rangera seulement Masson et les Cadavres exquis, Mirabelle Dors (qui inventa une éphémère "tendance surréaliste populaire") et en prenant quelques libertés, Louis Pons. Du côté de l'art singulier, je placerai personnellement, Bettencourt, Rispal, Sefolosha et Chomo (souvent abusivement rangé dans l'art brut). A noter cinq contemporains dans cette liste, Pons, Sefolosha et Rispal, voire Charles Boussion, un authentique créateur d'art brut d'aujourd'hui, avec Lubos Plny aussi. Pourquoi avancer, dès lors, M. Morand, que la galerie ne se tourne pas vers l'art contemporain? Vous avez le contemporain sélectif? (Pourquoi pas, d'ailleurs?).
A la nouvelle galerie de la Fabuloserie à Paris, l'expo d'automne est consacrée à Genowefa Magiera, seule cette fois. On se souviendra en effet qu'elle fut une première fois présentée dans l'expo d'art brut polonais précédente, à la galerie parisienne et plus récemment à la Fabuloserie dans l'Yonne. C'est une trouvaille de Sophie Bourbonnais en compagnie de Marek Mlodecki, suite à des explorations en Pologne. Expo du 8 septembre au 21 octobre. Voir le lien. J'aime beaucoup ce genre de peinture d'une fraîcheur et d'une ingénuité absolues.
Geneviève Magiera en vrac...
Et la Maison sous les Paupières, à Rauzan, dans l'Entre-deux-mers, que devient-elle, me direz-vous (enfin, ceux qui suivent...)? Après une longue éclipse due à des petits problèmes de dérapage sur verglas cet hiver, son animatrice, Anne Billon a repris l'activité. Elle expose Bernard Briantais, le singulier Nantais dont personnellement j'ai déjà eu l'occasion de parler sur ce blog. C'est du 7 au 29 octobre. Le vernissage ce sera samedi prochain le 7, à 18h (ouverture de la galerie dès 14h). Adresse de la Maison sous les paupières... voyez l'affichette ci-dessous :
Sans transition, signalons aussi l'exposition plurielle de visionnaires et créateurs dissidents que concocte chaque mois de septembre, depuis des années, le Musée de la Création Franche à Bègles. Si la plupart des créateurs ou artistes présentés me sont inconnus, et je ne peux donc rien en dire de particulier, à part signaler leur présence, on notera tout de même qu'en fait partie Solange Knopf que j'ai plusieurs fois défendue ici même et aussi dans les colonnes de la revue du musée : je fais allusion à l'entretien que j'avais réalisée avec elle dans Création Franche n°41, en décembre 2014 (« Quelques questions à Solange Knopf au-delà des ténèbres »). "Visions et créations dissidentes", musée de la Création franche, du 30 septembre au 3 décembre 2017. A noter qu'à l'issue du vernissage qui a eu lieu le 30 septembre dernier, le nouveau maire de Bègles, Clément Rossignol Puech, a remis symboliquement les clés du musée au Président de Bordeaux Métropole, en l'occurrence Alain Juppé. Je crois qu'on espère au musée que ce transfert de propriété des locaux (et non pas de l'entité administrative et artistique qui reste l'apanage de la ville de Bègles) ouvrira la porte à des travaux d'extension dont la collection a bien besoin, étant donné son étendue croissante.
Dessin de Solange Knopf présenté sur le site de la galerie d'Ys en Belgique où elle a une exposition parallèle à celle de Bègles (du 8 au 29 octobre).
Ailleurs, c'est la folie qui requièrent les efforts de deux organisateurs d'exposition et pas des moindres, d'une part le MAHHSA (Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte-Anne, anciennement Musée Singer-Polignac ; on annonce pour bientôt son déménagement dans de nouveaux locaux, la Chapelle de l'hôpital... – désertée pour cause de mort de Dieu?), pour deux expos dont une déjà en cours, "Elle était une fois, Acte I" (du 15 septembre au 26 novembre 2017) et "Acte II" (Du 1er décembre 2017 au 28 février 2018) – c'est "l'Acte I "qui est commencé – et d'autre part, la Maison de Victor Hugo place des Vosges qui va bientôt présenter une formidable exposition, montée avec l'appui de diverse collections et fondations, et intitulée "La folie en tête, aux racines de l'art brut". Cette dernière, comme son sous-titre l'indique, se veut comme une mise en perspective de quatre collections psychiatriques du XIXe siècle (celle écossaise du Dr. Browne – une des plus anciennes, puisque fondée en 1838 –, celle d'Auguste Marie – qui fut un des premiers en France à créer un Musée de la folie, à Villejuif il me semble –, et celles de Walter Morgenthaler et de Hans Prinzhorn). Ces collections existaient donc bien avant que la collection d'art brut de Jean Dubuffet ne se monte elle-même (à partir de 1945), parfois en s'incorporant justement certaines anciennes collections de psychiatres (comme celle du professeur Ladame, par exemple). L'exposition se tiendra du 16 novembre 2017 au 18 mars 2018 (vous avez le temps donc). La commissaire d'exposition, en dehors du directeur de la Maison de Victor Hugo, Gérard Audinet, en est Barbara Safarova, présidente de l'association ABCD. On note la présence, au sommaire du catalogue, de contributions de Savine Faupin et de Thomas Röske entre autres. Mais je m'étonne de ne pas retrouver de contributions de Vincent Gille qui travaillait encore il n'y a pas si longtemps à la Maison de Victor Hugo et avait contribué à plusieurs reprises à tisser de fructueuses collaborations du musée avec la collection d'ABCD.
du vernissage, le Maire de Bègles, Clémen
Exposants au MAHHSA dans le cadre d'"Elle était une fois Acte I".
Visuel proposé par la Maison de Victor Hugo pour l'expo "La folie en tête".
14:21 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier, Art visionnaire, Environnements populaires spontanés, Environnements singuliers, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : guyodo, art brut haïtien, art naïf haïtien, claud eet clovis prévost, environnement ssinguliers, georges maillard, rocamberlus, villa daumier, outsider art 3, galerie les yeux fertiles, surréalisme, art brut, art singulier, création franche, solange knopf, la maison sous les paupières, anne billon, genowefa magiera, art brut polonais, fabuloserie, mahhsa, maison de victor hugo, la folie en tête, abcd art brut, dr browne, prinzhorn, auguste marie, walter morgenthaler | Imprimer
24/07/2016
Eugen Gabritschevsky, dans le silence de l'été parisien
Importante nouvelle d'exposition à Paris, mais curieusement, selon moi, assez discrètement surgie, la Maison Rouge du boulevard de la Bastille dans le XIIe arrondissement parisien propose du 8 juillet au 18 septembre une rétrospective en 250 œuvres de cet extraordinaire visionnaire, et peintre autarcique, rangé dans l'art brut, nommé Eugen Gabritschevsky. Nom qui dérouta peut-être le public français et l'empêcha de se pencher plus avant sur cette œuvre, pourtant exceptionnelle (m'est avis que la même chose est arrivée au peintre danois de Cobra et du mouvement situationniste, Asger Jorn, au nom trop exotique pour être adoubé dans la mémoire du Français moyen). C'est une exposition prévue pour voyager ailleurs qu'à Paris, ce qui explique peut-être son installation initiale durant cet été dans la capitale (il doit être difficile de trouver des dates qui satisfassent chaque institution...). Elle devrait ensuite faire halte à Lausanne à la Collection de l'art brut, partenaire de l'exposition, du 11 novembre 2016 au 19 février 2017, pour enfin atterrir à l'American Folk Art Museum de New-York du 13 mars au 13 août 2017 (la conservatrice du département art brut du musée, Valérie Rousseau, signe du reste un texte dans le catalogue de l'expo).
Eugen Gabritschevsky, collection ABCD
E.G., extrait du blog Graffink
On trouve beaucoup d'information de type biographique sur Gabritschevsky, son métier de chercheur en génétique, son origine russe, une femme mystérieuse nommé "la muse" qui apparut et disparut au même moment où il commençait de sombrer dans la maladie mentale qui devait le conduire dans un hôpital allemand du côté de Munich en 1930 (il fut mis à l'abri dans un lieu privé de 39 à 45, ce qui lui évita de subir le même sort que tant d'aliénés allemands "euthanasiés"), son talent d'artiste depuis l'enfance (qui ne l'amena pas pour autant vers une activité professionnelle). Ce qui me séduit avant tout, c'est son œuvre, parfaitement visionnaire, surréaliste sans l'étiquette, quoiqu'elle ait pu attirer vers elle plusieurs personnalités de ce mouvement (Max Ernst acheta des œuvres de lui à la galerie d'Alphonse Chave, l'homme qui fit beaucoup pour classer, répertorier et montrer Gabritschevsky depuis 1960, date à laquelle elle lui avait été révélée par Jean Dubuffet; Georges Limbour écrivit à son sujet un texte en 1965, centré sur les techniques qu'il employait ; et depuis 1967 également, on trouve Annie Le Brun qui se passionne pour lui et sa recherche d'un "déferlement de la vie").
E.G., sans titre, 14x18 cm, (n°1268 de l'inventaire de la galerie Chave), coll. privée, Paris, ph. Bruno Montpied ; on remarque sur cette petite peinture les étranges arbres en train de contempler l'étrave d'un bateau flottant sur un fleuve ou un bras de mer, on les croirait comme chevelus (avec pour tous une frange bien taillée sur la nuque), et l'on repère aussi avec perplexité les rubans rouges noués autour de leurs cous-troncs...
E.G. sans titre, œuvre reproduite dans le catalogue de la galerie Alphonse Chave pour leur exposition de 1998 ; on retrouve là aussi des rubans noués autour des troncs de ces arbres qui ressemblent furieusement à des asperges géantes... ; ce paysage me fascine essentiellement en raison de ces fûts énigmatiques.
L'entrée dans la période de maladie (de celle-ci, malheureusement, une fois de plus, rien ne nous est dit qui permette de comprendre exactement ce qu'elle était ; on nous parle d'angoisses qui empêchèrent Gabritschevsky de continuer son métier de biologiste) coïncide avec une extension sans précédent de ses travaux graphiques (dans les années 1920, il pratiquait avec prédilection le fusain, plusieurs dessins de cette veine sont montrés dans l'exposition de la Maison Rouge). Une extension qui ressemble fortement à un lâchez-tout de l'imagination picturale et graphique, tant les champs explorés, les expérimentations pratiquées, l'amènent à produire des images variées et toutes plus surprenantes les unes que les autres. Un "lâchez-tout" qui fait personnellement de lui (que l'on me pardonne cet aparté) mon maître, tant son exemple correspond à ce vers quoi je me dirige en matière de peinture, me limitant comme lui aux petits formats (en majorité), parce que c'est dans ces espaces réduits qu'on a le plus de chances de capturer l'éventuelle poésie du hasard.
E. G., sans titre, gouache et aquarelle sur papier calque, 1942, coll. privée, New-York (exposé à la Maison Rouge)
L'œuvre de Gabritschevsky est protéiforme, parfois abstraite avec recherche de composition de motifs ornementaux proches de cellules vues au microscope et dansant une sarabande, parfois paysagère visionnaire, parfois aussi visant à un réalisme poétique comme lorsqu'il s'adonne à la peinture de bestiaire, avec des animaux aux étranges tatouages de petits points, des dinosaures aux corps se résolvant en flammèches. Des taches ressemblant à des tests de Rorschach (qu'on a pu lui proposer dans le cadre de son asile, comme dit Annie Le Brun) sont montrées à la Maison Rouge, visiblement précisées par le peintre dans un sens plus figuratif et moins informe, représentant des insectes pourvus d'une grande présence (celui que je reproduis ci-contre est emprunté au site web de la Collection de l'art brut de Lausanne).
E.G., sans titre, n°5247 de l'inventaire de la galerie Chave, 21x22,5 cm, gouache sur papier calque, 1942, Galerie Alphonse Chave.
On n'en finit pas de voyager de fenêtres sur des paysages enchantés (pas toujours gais, parfois séjours enténébrés) en fenêtres vers d'autres landes à figures improbables. Comme si vous sautiez d'un caillou magique à un autre caillou magique pour traverser une rivière périlleuse.
A signaler que la Galerie Alphonse Chave à Vence, de son côté, organise aussi une exposition Eugène Gabritschevsky du 27 juillet au 30 novembre 2016. A cette occasion, elle édite un nouveau livre (qui était en gestation depuis plusieurs années, confie-t-elle dans son carton d'invitation) qui fera 190 pages et comportera 300 illustrations. Il contiendra des textes originaux de Daniel Cordier, Florence Chave-Mahir, et Pierre Wat. On devrait aussi y retrouver divers documents d'archives de Georges Limbour, Dubuffet et Elie-Charles Flamand (encore un surréaliste celui-ci), des lettres d'Eugène et Georges Gabritschevsky (ces lettres, si elles sont de la même qualité et clarté que celles dont on peut trouver des extraits au gré des différents catalogues, seront fort éclairantes). Un film, joint en DVD aux 50 premiers exemplaires de cette édition, est également annoncé : Eugène Gabritschevsky, le vestige de l'ombre, de Luc Ponette et produit par Zeugma films (2013).
00:13 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Cinéma et arts (notamment populaires), Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : gabritschevsky, alphonse chave, dubuffet, annie le brun, valérie rousseau la maison rouge, georges limbour, max ernst, surréalisme, art visionnaire, tests de rorschach | Imprimer
24/11/2014
"L'autre de l'art": bref, l'art de l'immédiat
Se tient actuellement au LaM une exposition, "L'autre de l'art" (sous-titré "art involontaire, art intentionnel en Europe, 1850-1974", allusion transparente à un célèbre titre de recueil de Paul Eluard), qui, parallèlement à un des objectifs affichés dans le texte introductif du catalogue (dû à Savine Faupin, la commissaire principale de l'exposition), "brouiller les frontières entre art populaire et art savant", apporte du nouveau sur divers plans, du moins si l'on s'en rapporte au catalogue publié à cette occasion (mais l'expo qui s'y rapporte doit être bien belle et riche si l'on s'en rapporte à ce ramage). Apporte du nouveau et me confirme personnellement dans mes choix, tels que défendus sur ce blog entre autres. Que ce genre d'exposition, qui a retenu plusieurs découvertes accomplies au cours de l'histoire du mouvement surréaliste, puisse aujourd'hui se monter a de quoi nous rassurer.
On pourrait croire ainsi, lorsqu'on lit le catalogue dans l'ordre, "traumatisé" qu'on est par les expos d'art brut parisiennes de ces temps-ci (à la Maison Rouge, galerie Christian Berst, galerie Agnès B....) où un méli-mélo art brut/art contemporain s'esquisse, qu'on cherche aussi à Villeneuve-d'Ascq, de prime abord, à conduire l'amateur d'art brut et autres langages hors-normes dans des contrées singulièrement embrouillées, où art brut et art contemporain, c'est kif-kif —histoire au fond de régénérer le marché de l'art tout simplement (car quelle autre tactique en définitive se cache derrière de tels discours, le capitalisme cherchant perpétuellement de nouveaux profits?). Au LaM de Villeneuve-d'Ascq, dont je me demande toujours s'ils ne sont pas trop embarrassés d'avoir à gérer trois collections aussi différentes que celles d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut, l'on parle volontiers de transdisciplinarité, de passerelles, de transversalités. C'est un peu obligatoire, étant donné une collection à trois visages. Mais je me demande si ce ne sont pas que des mots, et si cela ne débouchera pas à la longue sur un grand magma, un grand foutoir où une chatte ne retrouvera plus ses petits. Je parle au futur, mais j'ai bien l'impression que c'est déjà en place ailleurs, on a atterri dans un nouveau paysage de l'art qui ressemble furieusement aux banquises actuellement en pleine débâcle, des pans entiers se mettant à dériver ici et là...
Mais passons les préfaces, les introductions et les intentions (peut-être exprimées de façon seulement stratégique) et regardons de plus prés certains chapitres, en s'intéressant moins aux tentatives d'annexion de "l'autre" par l'art qu'à cet art de "l'autre", un art qui ne se pare pas toujours du nom d'art, et qui se manifeste en dehors des systèmes artistiques conventionnels, au cœur de nos vies quotidiennes. En fait, à suivre petit à petit le catalogue, on s'aperçoit progressivement qu'on nous emmène du côté de ce que j'appelle depuis le début des années 90 l'art de l'immédiat. Et cela, ce n'est pas du tout la même tisane que celle qu'on tente de nous vendre à Paris!
Dessin d'Auguste Forestier exposé aux "Chemins de l'Art Brut VI" à St-Alban-sur-Limagnole en 2007
Savine Faupin nous parle de ses recherches sur des psychiatres d'avant-garde tels que Maxime Dubuisson à l'asile de Braqueville (le bien nommé...) à Toulouse (grand-père de Lucien Bonnafé, qui conserva les albums de dessins des pensionnaires des hôpitaux où son aïeul avait travaillé, dont les splendides dessins d'Auguste Forestier, avec leurs personnages aux chapeaux extravagants), ou le docteur Benjamin Pailhas dans son asile du Bon Sauveur d'Albi. On avait peu d'informations au sujet de ces deux-là jusqu'à présent.
Claire Margat publie dans ce même catalogue une savante étude sur la collection de Georges Courteline, son "musée des horreurs" rebaptisé à la fin de sa vie - par une sorte de repentir? - "musée du labeur ingénu", collection d'œuvres naïves (dont un tableau du Douanier Rousseau, ou ci-contre un anonyme, auteur, selon la légende rédigée stupidement par Courteline, d'une "Vierge à moitié cuite"...) construite par lui à la fin du XIXe siècle tout à la fois par fascination et dérision envers les réalisations de ces peintres autodidactes (j'y reviendrai dans une note ultérieure). Curieuse attitude de l'humoriste en question qui achetait trois fois rien, pour s'en moquer, secrètement intrigué par ailleurs, des tableaux aux perspectives étranges, aux objets rendus ambigus par des peintres amateurs qui s'attachaient peut-être plus au retentissement psychologique de ces objets sur leur esprit qu'à leur représentation photographique, ce que Georges-Henri Luquet appela intelligemment un "réalisme intellectuel", terminologie plus précise qui aurait dû supplanter le terme "d'art naïf", mais rebuta finalement car peut-être pas assez "vendeuse"... Claire Margat s'attache avant tout à ce paradoxe du collectionneur qui collectionne des œuvres pour marquer sa distance vis-à-vis d'elles. Elle trace dans son étude de savantes arabesques autour de cette ambivalence, qui se résume plutôt, en ce qui me concerne, à la position bien sotte d'un humoriste bourgeois ne comprenant rien à une tendance de la représentation qui commença au XIXe siècle à se faire remarquer, débordant les vieilles lunes de l'art académique. Comme l'art brut aujourd'hui peut-être se fait remarquer de même, dépassant un art contemporain à bout de souffle. A noter que l'étude en question réussit l'exploit de ne nous montrer que très peu de reproductions des peintures de la collection Courteline, alors qu'il en existe, certes cachées dans les bibliothèques et les archives , et au moins dans le catalogue de la vente finale de la collection à la galerie Bernheim en 1927, ainsi que dans un numéro plus ancien de la revue Cocorico (le n°39 du 15 août 1900, numéro entièrement consacré à la collection de l'humoriste), où Courteline avait déjà publié les mêmes commentaires goguenards et pince-sans-rire que ceux qu'il inséra dans le catalogue de la vente chez Bernheim (ce qui doit nous montrer qu'en dépit du nouveau terme dont il baptisa sa collection à la fin de sa vie, il n'avait pas changé d'un iota en ce qui concerne le jugement à son propos).
Peintre non identifié, sans titre (une baleine émergeant sous des anges et toutes sortes d'engins volants), 27 x 36 cm, ancienne collection de Georges Courteline, reproduction d'après une méchante photocopie en noir et blanc...
Le catalogue nous parle des graffiti, et aussi du griffonnage, des dessins dits de "téléphone", tous ces croquis spontanés que tout un chacun exécute machinalement en marge de réunions de travail, ou de cours d'étudiants. Roger Lenglet donne dans le catalogue un article fort stimulant sur ce domaine (où il ne se cantonne pas à vanter le griffonnage mais attire notre attention sur la valeur esthétique des mâchouillements, triturations nerveuses, chantonnements machinaux, tout un patrimoine qui s'efface à chaque instant...). On sait qu'il fut l'auteur d'un ouvrage sur Le Griffonnage, esthétique des gestes machinaux aux éditions François Bourin en 1992, où il donnait nombre d'exemples iconographiques de ces fameux griffonnages. Ce genre de regard empathique avec ces dessins compulsifs est aujourd'hui possible en grande partie grâce aux surréalistes qui dès les années 20, dans leurs revues, attiraient l'attention sur les griffonnages des buvards de conseils de ministres... On sait aussi que des collectionneurs engrangent parfois au milieu de leurs collections d'œuvres dûment estampillées œuvres d'art des figurations cahotiques sur cartons, voire des planches de pupitres zébrées de graffiti poignants, qui sont autant de palimpsestes de générations d'élèves griffonneurs, autant d'automatistes qui s'ignorent...
Trois sous-main en bois griffonnés par des élèves en marge de leurs cours, coll. privée, région parisienne, ph. Bruno Montpied
Pierre Dhainaut signe pour sa part dans le catalogue deux articles, l'un sur Tristan Tzara et sa défense de la poésie qui n'est pas seulement "expression écrite" mais aussi et avant tout "activité de l'esprit", ce qui permit au poète dadaïste d'accueillir à bras ouverts à la fois la poésie phonétique —notamment celle qu'il trouvait dans la poésie africaine— et l'art produit à l'occasion d'une rupture mentale comme ce fut le cas lorsqu'il écrivit un texte sur le peintre suédois Ernst Josephson. Ce dernier bouleversa de fond en comble son esthétique jusque là classique en renouveau visionnaire à la faveur d'une période de folie.
Monographie sur Josephson avec texte de Tzara (assez court), éd. Pierre-Jean Oswald, 1976
Le second article de Dhainaut —dont il faudra bien un jour songer à réunir tous les textes extrêmement éclairants qu'il a donné sur les créateurs d'environnements, l'art naïf, les écrits bruts, les arts spontanés en général (on en trouve dès les années 70 à ma connaissance ; il rappelle que c'est André Breton qui lui apprit à voir l'art naïf)— son second article a trait à l'Anthologie de la poésie naturelle, cet excellent livre de 1949 que Camille Bryen et Alain Gheerbrant consacrèrent à la poésie involontaire telle que l'avait cernée en 1942 Paul Eluard (qu'il mettait en parallèle avec la poésie dite intentionnelle des écrivains patentés). Il s'agissait de la poésie des graffitis, trous dans les vitres, lézardes des murs, inventions loufoques d'autodidactes visionnaires comme il s'en était déjà rencontré dans les années 30 dans le film de Jacques Brunius, Violons d'Ingres ou dans la revue Minotaure.
L'enfance et ses dessins sont également convoqués dans le catalogue, et notamment dans leur rapport avec le groupe Cobra qui n'hésitait pas à se laisser influencer, comme Gaston Chaissac isolé dans sa Vendée de bigots, par les tracés bruts de décoffrage des enfants tout entiers à ce qu'ils tentent de représenter et producteurs de tracés simples et sobres, aux raccourcis saisissants.
Œuvres éphémères en pâte à modeler créées par des enfants de 6 ans, ph. BM, 2008
Bien d'autres sujets (j'oublie par manque de place de citer plusieurs autres références, comme par exemple le chapitre dû à Béatrice Chemama-Steiner sur des pierres sculptées sauvées de justesse, vestiges d'un mur taillé par un pensionnaire de l'asile de Sotteville-lès-Rouen, Adrien Martias, entre 1932 et 1943 -date où il meurt parmi les 40 000 malades mentaux français morts de malnutrition pendant l'Occupation suite à un abandon programmé de leurs rations par les autorités vichystes), bien d'autres sujets sont évoqués dans cette expo qui s'avère décidément très excitante, et laisse à penser finalement qu'au LaM, on parvient avec maestria à gérer de front collections d'art moderne et collections d'art brut, puisqu'on le fait dans le respect de chaque corpus.
21:01 Publié dans Art Brut, Art de l'enfance, Art immédiat, Art naïf, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Graffiti, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (30) | Tags : l'autre de l'art, lam, savine faupin, art populaire et art savant, art naïf, art immédiat, musée du labeur ingénu, musée des horreurs, graffiti, poésie naturelle, pierre dhainaut, tristan tzara, poésie activité de l'esprit, auguste forestier, maxime dubuisson, benjamin pailhas, dessins d'enfants, roger lenglet, griffonnage, surréalisme | Imprimer
13/01/2013
J'expose avec "l'Or aux 13 îles" à l'Inlassable Galerie
Cette note contient une mise à jour du 14 janvier
C'est pour bientôt, dans une galerie que je ne connaissais pas, l'Inlassable Galerie, divisée en deux parties, une où le public entre, au 13 bis, rue de Nevers (une des rues les plus étroites de Paris, digne d'une nouvelle de Jean Ray), et une autre cachée derrière une vitrine au n°18 de la rue Dauphine, le tout dans le VIe ardt à Paris, à deux pas de la rue Guénégaud, dans le quartier des galeries de la Rive Gauche. C'est une galerie, je le souligne, qui ouvre sur RENDEZ-VOUS (tél: 0620994117 ou 0671882114), en dehors du jour de vernissage s'entend, et l'après-midi de 14h à 20h tous les jours, même le dimanche.
La revue de Jean-Christophe Belotti, L'Or aux 13 îles, dont j'ai déjà plusieurs fois parlé ici (pour y avoir publié dans ses deux premiers numéros un dossier sur l'abbé Fouré et ses bois sculptés et un dossier sur une sélection d'art immédiat), présente quelques créateurs dans une ambiance de cabinet de curiosités de façon à attirer de nouveau quelque peu l'attention sur ce qui se joue en elle et autour d'elle.
Sur le verso de l'invitation ci-dessus, on retrouve une image de Jean-Pierre Paraggio
Bruno Montpied, La chamane entre en danse par le charleston, 43x30 cm, 2010 (un des trois dessins que j'exposerai, les deux autres s'intitulant le Charrieur et l'Idéaliste emplumé)
Cela ira des dessins d'un enfant de 7 ans, Alexandre Cattin, récente découverte de Mauro Placi qui en parlera plus largement dans le futur n°3 de la revue de Jean-Christophe, jusqu'à divers artistes surréalistes comme Jan Svankmajer (présent sous forme d'affiches), Jean Terrossian, Nicole Espagnol, Georges-Henri Morin, Josette Exandier, ou Alan Glass (dont Jean-Christophe présentera des photos des assemblages), en passant par des créateurs plus "singuliers" comme moi (j'exposerai trois dessins d'environ 40x30 cm), ou Charles Cako Boussion (voir ill. ci-contre), des photographies (Pierre Bérenger, Pierre-Louis Martin, Diego Placi, Alexandre Fatta - un commentateur habitué de mon blog, celui-ci - des cartes postales anciennes de l'Ermite de Rothéneuf - en provenance de ma collection - plus deux de mes photos montrant le site de l'abbé de nos jours), des créateurs héritiers de l'inspiration surréaliste comme Jean-Pierre Paraggio, Guylaine Bourbon, ou encore Jean-Christophe Belotti qui exposera à cette occasion certains de ses collages.
Pierre-Louis Martin, sans titre, photographie (exposée à cette occasion), vers 1996
Des artistes dont je connais moins le travail seront également présents, Mélanie Delattre-Vogt (voir le n°2 de l'Or aux 13 îles et image en noir et blanc ci-dessous), François Sarhan (artiste ayant plus d'une corde à son arc apparemment), Claude Variéras, et le poète Mauro Placi venu tout spécialement d'Helvétie. L'idée générale, on l'aura compris, est de rendre hommage à l'ensemble de ce qui a été présenté dans la revue depuis ses débuts en 2010.
Petite expérience appelée peut-être à grandement intriguer les passants de la rue Dauphine qui y circuleront entre 9h et 18h, derrière la vitrine du n°18 on pourra également voir Virgile Novarina se livrer, de façon diurne donc et devant les passants, à un sommeil destiné à provoquer des rêves qu'il notera et publiera peut-être à l'occasion (voir le n°2 de la revue où l'on parle de ses expériences précédentes). La "performance" en question aura lieu du 21 au 26 janvier. Autour de lui seront exposés différents éléments liés à la revue L'Or aux 13 îles.
La vitrine attendant la performance onirique de Virgile Novarina
Le vernissage, en même temps que le début de l'exposition, sont donc prévus pour le jeudi 17 janvier, et tous les lecteurs du Poignard Subtil sont bien entendu cordialement invités. La manifestation se déroulera jusqu'au 5 février 2013 (ouverture sur rendez-vous, téléphonique ou par mail, je le répète).
12:20 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Paris populaire ou insolite, Photographie, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : l'or aux 13 îles, jean-christophe belotti, l'inlassable galerie, abbé fouré, ermite de rothéneuf, bruno montpied, art immédiat, art singulier, josette exandier, jean-pierre paraggio, pierre bérenger, pierre-louis martin, charles cako boussion, jan svankmajer, georges-henri morin, nicole espagnol, diego et mauro placi, françois sarhan, mélanie delattre-vogt, virgile novarina, rêve en public, surréalisme | Imprimer
01/03/2012
Jan Krizek se donne au Limousin
L'épouse de Jan Krisek, Jirina, est décédée en 2010 sans que je l'ai personnellement su. Elle était la dépositaire de près de 900 oeuvres, essentiellement des oeuvres en deux dimensions de son mari, Jan, qui, connu d'abord comme sculpteur, avait plusieurs fois exposé à Paris dans les années d'après-guerre aussi bien dans les milieux surréalistes – où il avait réclamé à Breton un recours plus exigeant à l'automatisme qu'il trouvait alors délaissé – que dans le milieu de l'art brut. Ces milieux alors, avant la grande brouille entre Breton et Dubuffet, pouvaient encore jouer les vases communicants, ce qui permit à Krizek d'être accueilli aussi bien par les surréalistes que par les thuriféraires de la première Compagnie d'Art Brut.
Hélas, il lui fallut quitter la capitale, apparemment à la suite d'une dénonciation en 1962 de son concierge concernant sa situation irrégulière en France – comme le révèle un article du journal Le Populaire du Centre (numéro du 17 février 2012) qu'un camarade (François Letourneau) a eu l'obligeance de me faire parvenir.
Un "Sans-Papiers" avant la lettre, Krisek?
Ils allèrent lui et sa femme se cacher en Corrèze (l'article montre une photo de la cabane qu'il construisit pour leur couple) où ils vécurent modestement d'apiculture. Il arrêta la sculpture tout en déclarant être capable de la reprendre à tout moment, puisqu'il disait poursuivre mentalement ses sculptures. Il dessina, grava, peignit. L'essentiel de sa production vient d'être légué au FRAC Limousin, comme il en avait déjà été fait une donation au FRAC Bretagne voici plusieurs années (ce dernier FRAC possédant de fort belles terres cuites, si je ne me trompe pas). Une belle revanche post-mortem (Krisek est décédé en 1985) que cette leçon de générosité qui enrichit désormais un pays, la France, qui pourtant sut si mal l'accueillir, comme elle le fait encore aujourd'hui vis-à-vis de tant de ressortissants étrangers demandant à venir sur son sol, ou même à s'y maintenir.
02:47 Publié dans Art Brut, Art singulier, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : jan krizek, jirina krisek, art singulier, art brut, automatisme, surréalisme, groupe des abers, frac limousin, apiculture | Imprimer
29/09/2009
Benjamin Péret, oncle d'Amérique
Je rate toutes les expos à la Maison de l'Amérique Latine. J'ai raté Mandiargues récemment, vais-je rater Benjamin Péret et les Amériques ? Un sort s'acharne sur moi. Qui provient du fait que je n'ai jamais trop su où se situait cette fameuse Maison, ou du moins que je ne voulais pas vraiment la situer... Enfin, je me comprends. J'ai pris l'habitude de ne pas la situer, de penser à son existence évanescente dans une de ces ruelles ténébreuses chères à Jean Ray, qui apparaissent et disparaissent quand ça les arrange.
Tout ça donc, pour annoncer cette exposition que m'a aimablement signalé M. Gérard Roche qui a l'air très impliqué dans l'Association des amis de Benjamin Péret, dont l'adresse est à Lyon et qui édite un petit bulletin (pas cher, la collection complète des 23 numéros est à 25€), Trois cerises et une sardine, où l'on paraît trouver nombre d'inédits concernant Péret mais aussi d'autres surréalistes.
On découvrira donc dans cette expo: "les principaux livres de Benjamin Péret dans leurs premières éditions, des revues surréalistes auxquelles il a collaboré, des manuscrits, des correspondances, des photographies prises au Brésil et pendant son séjour au Mexique, ainsi que des œuvres de ses amis peintres et photographes". Ses voyages au Mexique (1941-1948) et au Brésil (1929-1931 et 1955-1956) y sont également évoqués. Y parle-t-on de la rencontre Robert Tatin-Benjamin Péret qui permit à ce dernier de rédiger un texte sur Tatin pour le projet d'Almanach de l'Art Brut qu'avaient réalisé conjointement André Breton et Jean Dubuffet? Ce projet ne fut jamais édité et son manuscrit dort encore aujourd'hui dans les archives de la collection de l'art brut à Lausanne (j'ai édité ici une fois un texte de Lise Deharme en provenance de cet "almanach" très spécial). Le texte de Péret sur Tatin (qui avait également voyagé au Brésil) paraît bloqué par les ayant-droit de Péret... A moins qu'il ne soit réservé aux inédits que distille Trois cerises et une sardine ?
Maison de l'Amérique Latine 217, Boulevard Saint Germain 75007 Paris. 01 49 54 75 00. Attention! Mardi 29 septembre, aujourd'hui donc, a lieu à 18h30 une soirée avec des lectures et des interventions (invités entre autres, Victoria Combalia, Claude Courtot, Gérard Durozoi, Jérôme Duwa), ainsi qu'en deuxième partie la projection du film rare de Michel Zimbacca et Jean-Louis Bédouin, L'Invention du monde, de 1952, dont le commentaire avait été écrit par Benjamin Péret. L'expo dure du 18 septembre au 6 novembre.
01:34 Publié dans Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : benjamin péret, surréalisme, contes et légendes d'amérique du sud, maison de l'amérique latine | Imprimer
16/05/2009
Disparition de Pierre Peuchmaurd, un hommage de Joël Gayraud
"Pierre Peuchmaurd (1948-2009)
Les trains dans la menthe
la main dans l'étreinte
la nuit violette aux œufs de femme
les forêts bleues au bas des ventres,
le sang sait ça
le sang sait la poussière
la lumière et l'écharde
et les doigts des amantes
dans la brèche bleue des bois
(Scintillants squelettes de rosée, Simili Sky, 2007)
Notre ami Pierre Peuchmaurd est mort le 12 avril 2009. Un enchanteur, un poète. Qui avait trouvé dans le surréalisme « une des passions de sa vie » et « son axe moral ». Il avait participé à des aventures collectives relevant éminemment de l'exigence surréaliste telles que les éditions Maintenant et la revue Le Cerceau, et avait animé de minuscules entreprises éditoriales comme L'air de l'eau ou Myrddin qui publiaient, pour le bonheur d'une constellation restreinte et sûre, certains des plus grands occultés de notre temps. Mais avant tout c'est sa voix singulière que nous écoutions, que nous attendions à chaque nouvelle parution - et là, dès l'ouverture du recueil, l'enchantement coulait de source. Voix de feuilles mouillées et d'envols dans les sous-bois, voix de cailloux jetés dans l'étang la nuit, voix qui, comme nulle autre, en ces années les plus hostiles au lyrisme qui furent jamais, a fait vibrer, de toutes ses harmoniques, la poésie, la maintenant inaltérée au-dessus des décombres d'une langue chaque jour un peu plus mise à mal. C'était la voix d'un amant de l'amour, la voix qui va droit au cœur, mais aussi la parole acérée et lucide, qui ne transige jamais sur l'essentiel, et porte au centre de la cible. Quand disparaît un poète, c'est une île, dans l'archipel du langage, qui s'enfonce sous les eaux. Il n'en reste, dans les textes, que l'empreinte cristalline et, nous le savons, nous ne lirons plus que ce qui a déjà été écrit. Cependant, les images inespérées, les attelages inouïs de mots dont chaque nouveau poème suscitaient le jaillissement, se lèveront toujours devant nous. Ils ne se prendront pas dans le givre de la mémoire.
Parmi les dizaines de livres et de recueils que Pierre a égrenés sur sa route depuis quarante ans, et qu'ont souvent illustrés ses amis, nous citerons :
Plus vivants que jamais, Robert Laffont, 1968.
L'Embellie roturière, Éditions Maintenant, 1972.
L'Oiseau nul, Seghers, 1984.
Les Bannières blanches, illustré par Robert Lagarde, Fata Morgana, 1992.
Le Diable, illustré par Jorge Camacho, L'Embellie roturière, 1993.
Arthur ou le système de l'ours, illustré par Robert Lagarde L'Ether vague, 1994.
Parfaits dommages, avec cinq photographies de Nicole Espagnol, L'Oie de Cravan, 1996, 2007 (réédition augmentée).
À l'usage de Delphine, illustré par Jean Terrossian, L'Oie de Cravan, 1999.
Encyclopédie cyclothymique, illustré par Jean-Pierre Paraggio, Cadex Éditions, 2000.
Bûcher de Scève, L'Escampette, 2002.
L'Œil tourné, illustré par Hervé Simon, Cadex Éditions, 2003.
Colibris et princesses, L'Escampette, 2004.
Au chien sédentaire, Pierre Mainard, 2005.
Le Tigre et la chose signifiée, L'Escampette, 2006.
Scintillants squelettes de rosée, avec une photographie d'Antoine Peuchmaurd, Simili Sky, 2007.
Alices, illustré par Georges-Henri Morin, Les Éditions de surcroît, 2008.
La Nature chez elle, sur des images de Jean-Pierre Paraggio, Collection de l'Umbo, 2008.
Joël Gayraud, 1er mai 2009."
(NB: Ce texte est extrait du site du Groupe de Paris du Mouvement Surréaliste, où il a été mis en ligne récemment.)
15:50 Publié dans Hommages, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : pierre peuchmaurd, surréalisme, joël gayraud | Imprimer
06/05/2009
Alain Gruger chez Nuitdencre
Alain Gruger, c'est un dessinateur fort passionnant que j'ai pour ma part découvert en lisant sur lui une notice par Paul Duchein dans une des publications du Musée de la Création Franche, notice qui était fort injustement et inexplicablement reléguée à la fin de la publication.
J'avais pu voir deux grands dessins, semblables à des compositions en mandala, présentés à l'exposition Le Moi et son double au Musée Ingres à Montauban il y a trois ou quatre ans. L'occasion est donnée d'en découvrir un peu plus puisque la galerie Nuitdencre 64, dans le XIe ardt de Paris, dont j'ai déjà plusieurs fois relayé les annonces d'expos souvent attractives, va nous proposer plusieurs oeuvres de lui à partir du jeudi 7 mai qui vient .
A voir comme ça les oeuvres que vient de m'envoyer la galerie (et que je reproduis ici), son travail paraît évoluer dans un sens toujours plus intriguant. Cependant, il est à remarquer que ces dessins en viennent à ressembler à ceux d'un autre créateur que nous apprécions beaucoup aussi, Michel Boudin, adepte lui-même des compositions avec animaux stylisés tourbillonnant autour d'un sujet central (du moins est-ce une des composantes de son travail). Michel Boudin qui figurait aussi à la même expo du Musée Ingres. Cependant, ce ne doit être ici qu'une coïncidence, qu'un cousinage de grands esprits qui se rencontrent sur le plan de l'inconscient.
00:19 Publié dans Art singulier, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alain gruger, nuitdencre 64, surréalisme, art singulier | Imprimer
25/04/2009
Une image peut en cacher une autre
Une exposition à voir toutes affaires cessantes - et pourtant il y en a un certain nombre ces jours-ci à Paris, Calder, Jorn, Chirico, Kandinsky, Boix-Vives, Macréau (non, pas Warhol dont je me passe bien, personnellement), etc... - c'est L'AUTRE expo du Grand Palais, aux Galeries Nationales, UNE IMAGE PEUT EN CACHER UNE AUTRE. Du 8 avril au 6 juillet. Son chef d'orchestre est Jean-Hubert Martin, qui avait déjà coordonné une autre expo sur le même thème, à Düsseldorf, L'énigme sans fin, Dali et les magiciens de l'ambiguïté, en 2003. Plus lointainement, une expo au Palazzo Grassi à Venise, L'effet Arcimboldo (1987), avait elle aussi abordé le thème de la double image, de l'image cachée dans l'image. De même que plus près de nous, il y eut en 2006 au Palais des Beaux-Arts de Lille l'exposition L'Homme-Paysage, visions artistiques du paysage anthropomorphe entre le XVIe et le XXIe siècle, dont les concepteurs étaient Alain Tapié et Jeanette Zwingenberger, cette dernière se retrouvant au sommaire du catalogue de l'expo actuelle du Grand Palais. Assez en rapport avec cette dernière, on se souviendra également de la note que j'ai donnée le 30 mars 2008 à propos de l'exposition sur les cartes postales insolites, La photographie timbrée, qui fut montée l'année dernière à l'Hôtel de Sully.
C'est le genre d'expo qui peut intéresser tous ceux qui sont fascinés par les images ambivalentes, telles que Dali aimaient en produire (sa paranoïa-critique est basée sur ces jeux d'illusions, l'exposition lui consacre une petite salle avec des oeuvres de très haut niveau), ou telles qu'on peut en voir dans une foisonnante et hétéroclite iconographie dont cette expo montre une large sélection (parmi les artistes modernes, j'ai fait personnellement la connaissance des sculptures à double aspect, se dévoilant en tournant autour, de Markus Raetz). Dans la peinture de la Renaissance par exemple, nombreux sont les exemples de paysages où se dissimulent des têtes plus ou moins grotesques, des profils dans la découpure des falaises (un célèbre tableau de Mantegna avec des nuages façonnés en forme de visages, Pallas chassant les vices du Jardin des vertus, venu de la grande Galerie du Louvre, est présent dans l'expo). C'est un jeu de recherche qui fait le plaisir du visiteur (s'il parvient à s'approcher du tableau, ce qui relève de l'exploit étant donné l'affluence), l'exposition étant pour une fois parée d'une dimension ludique indéniable (qui ne devrait pas déplaire aux enfants qu'on peut y emmener de préférence à toute autre expo).
Mais elle ne se limite pas à cela. Des commentaires brefs mais denses aiguillonnent la curiosité. Notamment lorsqu'il s'agit d'expliquer au visiteur que ces images cachées à l'époque de la Renaissance avaient un sens peut-être édifiant, la nature peinte étant considérée comme le siège d'une sauvagerie qu'il était nécessaire de réduire par la civilisation. Ou bien voyait-on dans ces dissimulations d'images, destinées à être vues dans un second temps de la perception, la démonstration de ce que la contemplation d'une image, en apparence immédiatement lisible, recélait en réalité une autre signification cachée, ce qui ouvrait à une conception transcendante du parcours contemplateur. Dieu est caché dans le moindre détail, n'est-ce pas... Aujourd'hui, l'image cachée répond à d'autres significations, d'autres besoins, notamment celui de s'émerveiller, ou bien au goût des images séditieuses (une partie de l'expo est consacrée aux profils ou silhouettes d'hommes politiques cachés dans des trous, ou des intervalles du paysage, cf. les représentations de Napoléon en silhouette).
Il existe évidemment un lien avec les thèmes plus ou moins carnavalesques du monde à l'envers. L'imagerie populaire n'a pas été oubliée (si l'art brut lui, en dépit de sa présence à l'exposition de Düsseldorf pourtant, avec un article de Claudia Dichter dans le catalogue de cette dernière expo, a été mis de côté, on ne sait pourquoi ; je sais certain dessin de la collection Prinzhorn, présent dans le catalogue de l'expo de Düsseldorf, qui n'aurait pas détoné dans cette expo... ; on ne trouve dans un coin qu'un beau dessin - certes - d'Unica Zürn, qui n'est, de plus, elle, pas tout à fait réductible à l'art brut). L'exposition commence sur un mur constellé de cartes postales en noir et blanc montrant des roches aux formes fantastiques telles qu'on en trouve en nombre un peu partout en France (montage de Jean Le Gac, semble-t-il, mais il y avait trop de peuple, je n'ai pas réussi à me faufiler parmi les visiteurs qui les regardaient en faisant la queue sagement comme on fait la queue dans le métro, et du coup je n'ai pu identifier l'auteur du montage). Des pierres de l'ancienne collection de Roger Caillois sont montrées un peu plus loin (on se référera à ses ouvrages sur L'écriture des pierres). On rejoint là l'intérêt pour la poésie des formes naturelles que sur ce blog nous partageons fortement avec tant d'autres amateurs. Certains objets naturels trouvés reviennent dans l'expo qui avaient déjà été présentés au musée Dapper il y a plusieurs années dans le cadre de la très excitante expo intitulée Résonances (organisée par Yves Le Fur, que l'on retrouve comme par hasard parmi les auteurs du catalogue). Un chapitre de ce catalogue est consacré au thème sous le titre La Nature artiste. Ce secteur est présenté , à ce que je crois me souvenir, à proximité d'un autre espace consacré aux images vues dans les taches d'encre (pliages symétriques), comme par exemple celles de Rorschach dont quelques essais sont montrés à cette occasion (placés à côté de taches de Victor Hugo ou de Justinus Kerner, déjà montré autrefois dans ce même Grand Palais pour la grande exposition L'Ame au corps). Des décalcomanies surréalistes auraient pu également être montrées dans leur voisinage, mais sans doute a-t-on jugé que cela avait été déjà souvent fait (cependant, ce fut souvent de façon ultra partielle, une expo entière serait en réalité souhaitable sur le sujet des techniques d'empreinte dans le surréalisme)? Quelques taches obtenues par pliage et symétrisation produites par des poètes comme Eluard ou Marcel Duchamp sont présentées justement en raison de leur côté inédit, mais on reste un peu sur sa faim.
L'exposition ne manque pas de montrer également des cartes géographiques interprétées de façon à figurer dans les contours des frontières des personnages ou des animaux symboliques des nations, l'ours russe, le lion belge, etc. On retrouve évoquées, trop succinctement à mon gré, les lettres à images, des alphabets anthropomorphes (à ce sujet, on peut toujours se reporter au très bel et complet ouvrage de Massin, La Lettre et l'Image, paru autrefois chez Gallimard). Un bel espace est dévolu à des exemples d'anamorphoses, c'est le lieu où l'on enregistre d'ailleurs le plus grand nombre de torticolis au mètre carré dans l'expo... Les miniatures mogholes n'ont pas été oubliées. Dans le secteur sur le paysage-visage, on découvre que même Courbet sut se laisser impressionner par des rochers hallucinatoires (cf. Le géant de Saillon). Du reste, ce parcours recèle dans certains de ses replis et coins secrets des surprises comme ce très beau tableau de Meret Oppenheim de 1938 qui s'intitule La femme de pierre. De même certaines vidéos se révèlent au passage assez "bluffantes", comme une, due à Alain Fleisher (oublié ce me semble dans le catalogue), intitulée L'Homme dans les draps, qui consiste en une animation de draps se dépliant et dessinant des ombres de profils humains changeants, très belle idée et très belle réalisation...
Comme je le disais au début de cette longue note, décidément oui, une exposition à voir toutes affaires cessantes...
18:41 Publié dans Art immédiat, Art moderne méconnu, Art populaire insolite, Danse macabre, art et coutumes funéraires, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Images cachées, images délirantes?, Photographie, Poésie naturelle ou de hasard, paréidolies, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : doubles images, surréalisme, dali, raetz, arcimboldo, poésie naturelle | Imprimer
22/02/2009
Hypnos, images et inconscients en Europe 1900-1949
Le 14 mars, débutera une exposition qui nous intéresse vivement au Musée de l'Hospice Comtesse, à Lille, Hypnos, images et inconscients, 1900-1949. Organisée par les conservateurs du musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq, Savine Faupin, Christophe Boulanger et Nicolas Surlapierre, en collaboration avec Lorand Hegyi, le directeur du musée d'art moderne de Saint-Etienne, l'exposition se propose de montrer comment de nombreux artistes des premières décennies du XXe siècle se sont emparés de la notion d'inconscient, l'interprétant ou se l'appropriant. La notion était alors une révélation suite aux travaux de Sigmund Freud à Vienne. L'exposition ne se veut pas moins qu'une "contribution à l'histoire de l'inconscient visuel". On se dit: chiche, mais il faudra voir les résultats in situ. Car les images de l'inconscient sont fort multiples et variées.
Frantisek Drtikol, Le cri, 1927, Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, Dist. RMN, © Jacques Faujour © DR
Trois thèmes chronologiques structurent la manifestation, "le cosmos intériorisé (1900-1918)", "une géopoétique de l'inconscient: Berlin, Budapest, Cologne, Paris, Prague, Zürich (1918-1933)" et "l'heure dangereuse (1933-1949). Selon ces thèmes, on retrouve là des domaines qui ont déjà fait l'objet de passionnantes expositions précédemment montées ailleurs, comme l'art des spirites (la Halle Saint-Pierre notamment a monté deux expositions sur le thème, l'art médiumnique et l'art des spirites tchèques de la région des Monts des Géants et du musée de Nova Paka) ou la photographie spirite par exemple (cf le Troisième oeil, la photographie et l'occulte, Maison Européenne de la Photographie à Paris, 2004-2005). Un éclairage particulier doit être donné sur la production des médiums de Bohème-Moravie, précisément ces créateurs que l'expo sur l'Art Brut tchèque de la Halle Saint-Pierre (2002-2003, ensuite montée en Belgique, puis à la Collection de l'Art Brut à Lausanne), sous l'impulsion de son organisatrice Alena Nadvornikova (une membre historique du groupe surréaliste tchèque contemporain), avait fait brillamment découvrir aux amateurs.
Josef Kovář, Pruřez ovoce Neptuna, 1905, Mestské Muzeum Nova Paka, République Tchèque, © DR
La deuxième section sur la "géopoétique de l'inconscient" semble vouloir nous montrer des créateurs choisis ailleurs qu'en Europe de l'ouest, de façon à exposer une exploitation de la découverte du continent inconscient, peu connue en France, par d'autres mouvements que le surréalisme, à savoir en l'occurrence le cubisme, le dadaïsme ou l'expressionnisme. Si dans ce dernier cas, on connaît tout de même assez bien par ici le cinéma des Robert Wiene ou Fritz Lang, moins répertoriée est l'existence des "marionnettes dadaïstes" qu'on nous annonce dans l'expo et qui nous intriguent davantage (sans doute parentes des magnifiques oeuvres sculptées d'un Marcel Janco qui étaient naguère montrées au Centre Georges Pompidou dans le cadre de l'exposition bric-à-brac Traces du Sacré). De même les créateurs tchèques gagnent beucoup à être davantage contemplés (Kupka, Vachal, Driskol, etc...). On espère donc faire des découvertes dans cette section (par exemple Josef Vachal).
Frantisek Kupka Le rêve, 1909, Museum Bochum, Bochum ©ADAGP Paris, 2009
La troisième partie de l'exposition veut cerner ce moment de division et de totalitarisme (national-socialisme, stalinisme...) qui s'empare de l'Europe entre 1933 et 1949. Dans les représentations liées à l'inconscient se lisent des tendances et des menaces idéologiques qui font alterner les messages d'Eros ave ceux de Thanatos. C'est aussi le moment où le surréalisme qui s'était fait le champion de la libération du langage des désirs enfouis est traqué en Europe, et se diffuse dans le monde en même temps que s'exilent ou se cachent les membres des groupes européens. Cependant, on peut se demander si la place du surréalisme dans ce projet sur les images de l'Inconscient n'est pas quelque peu minoré. Il faut attendre de voir l'expo.
C'est près d'une centaine d'artistes d'Europe de l'Ouest, d'Europe Centrale et Orientale qui sont présentés, parmi lesquels Jean Arp, Brassaï, Victor Brauner, František Drtikol, Marcel Duchamp, Max Ernst, Simon Hantaï, Paul Klee, Hilma af Klint (de cette dernière, on a déjà eu l'occasion de voir des oeuvres en France, voir ma note du 25 avril 2008 sur ce blog, notamment à l'expo déjà mentionnée Traces du Sacré), Bohumil Kubista (qui était, Ô nom prédestinant, cubiste...), Frantisek Kupka, Emma Kunz, Augustin Lesage, André Masson, Joan Miró, Laszlo Moholy-Nagy, Man Ray, Joseph Sima, Sophie Taeuber-Arp, Marie Toyen, Josef Vachal, Lajos Vajda, Adolf Wölfli..., les cinéastes Fritz Lang, Friedrich Wilhelm Murnau, Georg Wilhelm Pabst, Robert Wiene..., des écrivains et poètes tels qu'André Breton, René Char, Géza Csáth, Robert Desnos, Franz Kafka, Frigyes Karinthy, Dezső Kosztolányi, Ghérasim Luca..., ainsi que des théoriciens de la psychanalyse comme Sigmund Freud, Sándor Ferenczi, Carl Gustav Jung ou Karl Abraham.
On notera au passage que des créateurs de l'art brut, non professionnels de l'art par définition, comme Lesage ou Wölfli se trouvent ici mélangés aux artistes d'avant-garde. Cela augure-t-il d'autres mélanges à venir dans le cadre du nouveau Musée d'Art Moderne à Villeneuve-d'Ascq (où, comme on sait les travaux d'extension du musée, comprenant une aile consacrée à la présentation de la collection d'art brut du musée, sont en train de s'achever)? Wait and see...
L'exposition se tient du 14 mars au 12 juillet 2009. Musée de l'Hospice Comtesse, 32, rue de la Monnaie à Lille. Pour plus de renseignements, cliquer sur le site du musée d'art moderne Lille-Métropole (voir lien ci-dessus) à Villeneuve-d'Ascq. A noter qu'Hypnos devrait être la dernière exposition hors-les-murs du musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq avant sa réouverture prévue pour 2010.
16:43 Publié dans Art Brut, Art moderne méconnu, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : hypnos, drtikol, musée de l'hospice comtesse, surréalisme, freud, vachal, nova paka | Imprimer
29/01/2009
Asger Jorn le tellurique (avec un addendum)
On me pardonnera peut-être d'aborder la question Asger Jorn de façon très personnelle, si l'on n'oublie pas que le narcissisme est un trait qui fait le propre des blogs...
J'aime profondément la peinture d'Asger Jorn depuis que je l'ai découverte vers 1977 grâce à mon vieil ami Joël Gayraud. Je dois à la rencontre avec cette peinture (et celle du groupe Cobra aussi, bien entendu) le coup de fouet décisif qui stimula mon désir, alors balbutiant et se cherchant des motifs d'encouragement, de peindre et d'expérimenter dans l'art. Notamment, je me souviens d'une peinture que conserve de lui le Musée National d'Art Moderne au Centre Beaubourg (quand est-ce que ce MNAM sortira de ce bâtiment insupportable, où ses réserves cachent tant de trésors occultés par manque de place (entre autres motifs)?), tableau qui était exposé dans une salle à part au début des années 80, d'un dynamisme abstrait et d'une vitalité colorée extraordinaire, titrée du genre "Kyotorama", ou quelque chose d'approchant... Avec les Gayraud, nous avions envie de venir avec table et chaises pliantes manger et boire dans cette salle, devant le tableau et d'autres du groupe Cobra, où nous aurions porté toasts sur toasts en son honneur. C'était pour nous alors la huitième merveille du monde.
Une exposition est prévue pour février au centre Beaubourg. Des dessins semble-t-il avant toute chose. Une rétrospective de l'ensemble de son oeuvre protéiforme -la sculpture, la céramique, les décollages d'affiches, les peintures modifiées par exemple- n'aurait pourtant pas détoné à Beaubourg.
Le grand public connaît mal la peinture de Jorn dont le prénom et le nom ne sont guère familiers aux francophones. Quand on nous présente ici ou là certains de ses tableaux, le choix est rarement de qualité. Récemment, j'ai eu l'occasion de tomber sur un d'entre eux au musée des Beaux-Arts de Lyon dans le cadre de l'expo "Repartir à zéro" (la peinture après la Seconde Guerre Mondiale, vue comme une période de rupture généralisée avec l'art qui avait précédé, postulat séduisant mais truqué en même temps). Les commissaires avaient choisi comme par hasard une oeuvre secondaire (il suffit de tomber sur une oeuvre lorsque l'artiste se cherchait ou bien travaillait vite), on passait sans s'arrêter. Les organisateurs de l'exposition n'avaient pas misé sur cette avant-garde-là, venue d'un Nord qu'ils sous-estiment fréquemment (bien à tort selon moi, c'est le résultat d'une certaine suffisance française). Or, les nombreux ouvrages à lui consacrés le prouvent assez, la peinture de cet artiste est d'une richesse insoupçonnée (toujours du point de vue du grand public) que je mets bien au-dessus de celle d'un Dubuffet par exemple -avec qui Jorn dans les dix dernières années de sa vie fut cependant en relations cordiales.
Il est aussi vrai que même lorsqu'on a connu de près les oeuvres de Jorn dans les années 80 (je fis en 1979 le voyage du Danemark à Copenhague -où ma compagne Christine et moi rencontrâmes Henry Heerup, le plus autodidacte des peintres du groupe Cobra- puis à Aarhus pour voir la grande fresque murale de Jorn installée dans le hall du lycée de la ville -une des plus belles fresques murales que j'ai jamais vues, ensuite à Silkeborg, à Louisiana, au musée de Carl-Henning Pedersen aussi, au musée d'art moderne de Alborg aussi ; le but étant de voir le plus possible d'oeuvres que nous ne pouvions voir en France - à part une petite rétrospective Jorn au musée d'art moderne de la Ville de Paris en 1978, c'était plutôt difficile de voir de nombreuses oeuvres de Cobra en France dans les musées à cette époque), il est vrai que, passées les années, quand je revois des peintures de Jorn, je ne suis plus dans le même éblouissement initial, la surprise -et le surinvestissement intellectuel- s'étant un peu décolorés, inévitablement...
J'égrène entre ces lignes quelques images piquées ça et là dans les catalogues que je possède, pour donner des exemples de ce que je préfère dans cette oeuvre. Mais il reste après tant de regards jetés sur cette peinture de matière profondément labourée, saturée d'imagination de la matière (Jorn a fait un portrait de Gaston Bachelard justement), mon affection profonde, intacte. Un peintre qui ne lasse pas après tant d'années d'admiration, il n'y en a pas tant (personnellement, je garde Max Ernst, Slavko Kopac...).
Je reste toujours étonné devant cette peinture où jaillit un torrent tourmenté de couleurs et d'où émergent des figures ultra archaïques, simplifiées à l'extrême comme repêchées de retour d'une plongée régressive dans le puits obscur de l'enfance. Jorn attache en outre une grande importance au fait de les titrer. C'est comme un parachèvement de l'oeuvre qui n'a plus rien à voir dès lors avec une manifestation d'art pour l'art seulement préoccupée de rythmes plastiques et de pure esthétique désincarnée, comme indicible et voulant déjouer toute narrativité. Il déléguait parfois à d'autres, visiteurs de passage au moment de la fin du tableau, le soin de trouver ces titres. Cela rejoignait chez lui son désir de création collective. On sait qu'il a du reste participé à toutes sortes d'expérience de création en commun, comme durant les journées de Bregneröd au Danemark en 1949 où avec d'autres membres de Cobra (Pedersen par exemple) il recouvrit entièrement les murs intérieurs d'une maison. Ou lorsqu'en 1968, à La Havane, il peignit les murs d'une banque nationalisée. Dans la maison et le jardin qu'il possédait sur les hauteurs d'Albisola sur la Riviera italienne, il créa également des décors en collaboration avec le gardien de la villa Umberto Gambetta, à qui il laissa l'usufruit de la maison après sa mort survenue en 1973. Il fit des livres mémorables avec Guy Debord (Fin de Copenhague, Mémoires), etc, etc.
Il collabora également avec Dubuffet lorsque ce dernier reconstitua la compagnie de l'Art Brut au début des années 60 rue de Sèvres. Il paraît, à suivre l'ouvrage de Lucienne Peiry, qu'il signala à Dubuffet des cas de créateurs pouvant l'intéresser pour sa collection. Parallèlement, il menait des recherches érudites sur l'art populaire scandinave, les graffiti, l'art roman, le héros Didrek (qui fut sa dernière étude avant de mourir). Ses écrits ne sont pas toujours faciles à lire, soit du fait de mauvaises traductions soit du fait de leur cérébralité. Mais l'homme a tout d'un puissant visionnaire survolté désirant plus que tout l'émancipation des hommes dans une libre création de situations imaginatives. Il était, par delà l'esthétisme (l'art naissant avant tout selon lui d'un besoin moral avant d'être esthétique), à la recherche d'un alphabet et d'un vocabulaire de signes qui permettrait de créer un langage universellement compréhensible de l'ensemble de l'humanité par delà les religions, les cultures et les nations (comme l'explique de façon fort éclairante Laurent Gervereau dans le catalogue de l'exposition La Planète Jorn à Strasbourg en 2002). C'était pour ces raisons qu'il partait en quête des arts du peuple, notamment nordiques, ou des graffiti, parallèlement à un Dubuffet qui cherchait davantage pour sa part du côté des individualistes populaires, car chacun agit en fonction de ses inclinations...
Cette exposition (du 11 février au 11 mai 2009, Centre Georges Pompidou, Paris) paraît plutôt une sélection d'une centaine de dessins prêtés par le musée Asger Jorn de Silkeborg au Danemark (qui conserve des oeuvres de Jorn, mais aussi un choix d'oeuvres, notamment graphiques, des artistes qu'il admirait ; c'est ainsi qu'on peut y trouver l'ensemble de l'oeuvre gravée et lithographiée d'un Dubuffet par exemple). A signaler que la Maison du Danemark a monté une rétrospective Asger Jorn l'année dernière à Paris. Le CNACGP a beau jeu de présenter cette exposition 2009 comme la "première faite dans un musée parisien depuis 1978". Oui... dans un "musée", c'est peut-être vrai, mais ce genre d'homologation joue sur les mots. Musée ou centre culturel, quelle différence cela peut faire... ? Et "Parisien" ou "régional", qu'est-ce que ça change (il y a eu en 2002 au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg une expo intitulée La Planète Jorn qui nous a laissé un excellent catalogue que je conseille d'acquérir à tous ceux qui s'intéressent à Jorn)? On a envie de dire, qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. Ce terme de "première" ne veut en l'occurrence absolument rien dire.
ADDENDUM:
"Puisqu'on en est aux commentaires qui nous renvoient au bon vieux temps à jamais défunt, laissez-moi y aller du mien, même s'il faut pour cela ramasser profond dans la gravière des souvenirs. Albisola, ma plus belle excursion d'adolescent, quand nous gravissions la côte de Località brucciati pour y chercher la maison de Jorn. Les hasards poétiques se succédèrent dès lors. Comme nous expliquions que nous cherchions "la maison d'un artiste", on nous demandait duquel il s'agissait :"il bianco o il nero?", question qui nous jetait dans des abîmes de perplexité. Puis nous fûmes pris sur le bord de la route dans la Fiat 128 d'un Italien qui se révéla l'habitant-gardien-conservateur-scrupuleux du lieu (Umberto Gambetta). Il nous montra par le menu la belle maison de Jorn, mélange d'oeuvre d'art et de poésie quotidienne, puis comme nous lui demandions la raison de cette question "Il bianco o il nero?", il nous expliqua que non loin était la maison de Wifredo Lam. Un coup de téléphone pour prévenir Lam de notre visite, et nous nous retrouvâmes peu de temps après dans une tout autre ambiance, celle des totems, du vaudou, des plumes et des lances, quittant le minéral et la couleur pour toutes les nuances du marron et du brun et le bois, légèrement austère dans une architecture sobre (dois-je confesser que par son côté inattendu, j'ai plus de souvenir de ce moment-là que de la maison de Jorn, au fond) en présence de Lam amusé et heureux de notre jeunesse et de la sienne, à nous désaltérer dans sa salle de cinéma personnelle flanquée de deux gigantesques totems. Oui, ce fut la plus belle bourlingue de mon adolescence, et l'après-midi, elle s'acheva en bas, près du port, dans la cantine où l'on nous avait signalé Ansgar Elde buvant grappa sur grappa, autre artiste cobraïforme, que nous rencontrâmes et avec qui nous bûmes. Et j'y serais bien resté, n'eussé-je été si bicaténeux, comme disait l'amie Catherine Caron, qui, elle, y resta. "
(Ecrit par Régis Gayraud, initialement en commentaire et ajouté ici le 29 janvier 2009 ; une première version de cette note a paru le 17 janvier et s'est retrouvée du coup déplacée au 29 janvier)
12:05 Publié dans Art moderne méconnu | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : asger jorn, surréalisme, cobra, mibi, internationale situationniste | Imprimer
05/07/2008
La traduction optique, selon Alain Joubert et Nicole Espagnol
"Traduit optiquement du tchèque", d'après un recueil de poèmes et de dessins du surréaliste Roman Erben, intitulé Neilustrace et publié par lui en 1964, voici que l'éditeur Ab Irato (21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris, http://abirato.internetdown.org/) sort un essai de traduction analogique d'après le tchéque, langue inconnue des deux auteurs, Alain Joubert (qui écrit les poèmes) et Nicole Espagnol (pour les images), recueil intitulé L'Effet miroir.
En 1984 j'avais moi-même, sans connaître du tout ces expériences des deux surréalistes, essayé de la "traduction subjective" (avec ma compagne aussi, Christine Bruces, nous avions traduit par analogies de sons des textes roumains, langue totalement inconnue de nous ; deux textes en français différents furent ainsi produits à partir d'un seul et même texte en roumain, que j'éditais dans le n°3 de La Chambre Rouge ; cela a été réédité récement en 2004 dans le n°4 des Cahiers de l'umbo). J'associe traduction "optique", terme inventé par Joubert et Espagnol, à traduction "subjective" d'après ce que je comprends à la lecture du bulletin de souscription récemment reçu. Il est fort possible que les deux ne coïncident pas tout à fait cependant... Dans les deux cas, l'idée des poèmes (et des images) paraît cependant découler d'un besoin de comprendre une langue dont on ne connaît pas un traître mot. C'est par des à-peu-prés que Christine et moi (d'autres amis, les frères Gayraud, y avaient également participé) avions remplacé les mots roumains. Nous rajoutions, pour lier l'ensemble bien entendu, des mots que nous ne voyions pas mais que nous estimions devoir être dans le texte que nous croyions reconnaître, cachés qu'ils étaient par notre ignorance de la langue.
Alain Joubert, dans le même bulletin de souscription, explique à Roman Erben comment lui et sa compagne Nicole ont procédé (ils l'ont fait dix ans avant nos propres essais, à savoir entre 1974 et 1977, sans avoir eu l'occasion semble-t-il, à ce que l'on croit comprendre, de pouvoir publier le résultat de leur jeu). Il avoue que la chose est difficile à expliquer précisément: "Te dire exactement comment nous pratiquâmes est impossible ; sans doute chacun de nous devait-il proposer un mot, un membre de phrase, une image, que l'autre s'appropriait pour en modifier le sens, et réciproquement, jusqu'à ce que l'accord se fasse et que le poème optique de langue française prenne finalement forme à notre convenance. Nicole et moi éprouvâmes un grand plaisir à cet exercice, lequel nous permit de pouvoir enfin lire ce qui, dès lors, s'exprimait dans ta plaquette, à ton insu bien entendu!" Suit un exemple de poème publié dans le recueil L'Effet Miroir, le titre en tchéque étant Psenice, traduit par les surréalistes français par Pénis (il fallait s'y attendre). Il semble aussi qu'il y ait eu dans cette confection de poème traduit "optiquement" un aller-retour continuel entre images et mots, à la différence de nos essais de traduction subjective.
Pour en apprendre davantage, il faut bien sûr commander le recueil auprès des éditons Ab Irato, l'édition courante étant à 8€ (il existe aussi des tirages de tête sur Verger -90€- et sur Munken -20€-). Se reporter à l'adresse indiquée en haut de cette note.
16:51 Publié dans Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : alain joubert, nicole espagnol, roman erben, surréalisme, traduction optique, traduction subjective | Imprimer
18/04/2008
Plus que jamais cet air de Césaire
(Joël Gayraud)
00:34 Publié dans Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aimé césaire, surréalisme | Imprimer
03/02/2008
A la niche les glapisseurs de dieu!...
La Fédération de Paris de la Libre Pensée et le groupe Francisco Ferrer organisent une conférence de Guy Ducornet à la Bourse du Travail, salle Jean Jaurès, (3, rue du Château d'Eau, tout près de la place de la République à Paris), le jeudi 21 février prochain à 19h 30:
"Surréalisme et athéisme
«A la niche les glapisseurs de dieu !»"
*
Guy Ducornet (membre du mouvement surréaliste américain depuis 1967) y présentera son dernier ouvrage Surréalisme et athéisme «A la niche les glapisseurs de dieu !» (Gingko éditeur).
«A la niche les glapisseurs de dieu !» est à l'origine un pamphlet signé par André Breton et 50 surréalistes en 1948, qui a été contresigné sur la proposition de Guy Ducornet, en 2006, par 175 surréalistes du monde entier. Se calquant sur le mot d’ordre «A chacun selon ses désirs» clairement antagonique à la morale chrétienne, ce projet est l’occasion de revenir sur les combats anticléricaux et antireligieux du mouvement surréaliste.
Dans cette anthologie de textes méconnus – historiques ou contemporains – l’auteur revient en détail sur l’engagement politique (sur son aspect marxiste et libertaire) des surréalistes.
(Cette note est basée sur une information émanant de la Libre Pensée et de Guy Ducornet, que j'ai remontée et légèrement remaniée pour l'adapter au blog ; j'ajoute que je n'ai pas encore eu le livre entre les mains, je répercute de confiance l'information en laissant juges mes lecteurs)
19:40 Publié dans Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Guy Ducornet, A la niche les glapisseurs de dieu!, Surréalisme, Athéisme, Libre Pensée | Imprimer
12/07/2007
Václav Levý, un sculpteur instinctif en Bohême
Vaclav Levy, Adam et Eve, sculpture en cire (semble-t-il)
15:50 Publié dans Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : vaclav levy, environnements spontanés, surréalisme, joseph sima, libechov, abbé fouré, théophile bra | Imprimer