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31/07/2022

Une histoire de racines en l'air (Chaissac/Jesuys Christiano)

      Gaston Chaissac, certains le savent, a écrit en 1946 dans la revue Centres pour René Rougerie qui, alors âgé de 20 ans, y collaborait, chargé de repérer de nouveaux talents, un merveilleux texte, intitulé Surréalisme!!!. Je recopie ci-après deux extraits qui m'ont toujours plu :

   "Nous avons des littérateurs, des peintres surréalistes, et ils ont fait des trouvailles indéniablement intéressantes, utiles.

     Demain ce sera des artisans, des ouvriers, des paysans surréalistes que nous aurons aussi ; d'eux nous avons un besoin urgent, et leurs trouvailles également intéressantes et utiles changeront la face du monde.

     Le bon travail est devenu chose rarissime et pour le réapprendre il nous faut des novateurs.

      Quand nous verrons des artisans construire de chariots avec des roues carrées et des paysans planter des choux les racines en l'air ce sera de bon augure ; car ces hommes, enfin plus esclaves des exigences d'autrui, feront à leur idée en hommes libres, en surréalistes, et retrouveront les secrets qui permettent de faire du bon travail honnête. Cela dans la joie, car le travail libre c'est la joie, celle qu'on ne saurait trouver à courir après la fortune ou simplement gagner beaucoup d'argent (en étant l'esclave d'autrui) pour satisfaire des vices. (...)

    "Sœur Jeanne de là-haut ne vois-tu rien venir? - Je vois à l'horizon des surréalistes accourir avec des pelles, des rabots, des fourches ,des enclumes et bien d'autres outils".  (...)"

         Revue Centres n°3, 1946.

 

        Cette histoire de planter des choux les racines en l'air m'a toujours marqué.... Quelle ne fut pas ma surprise en lisant l'autre extrait de texte ci-dessous, publié récemment dans le catalogue de l'excellente récente exposition (terminée le 17 juillet dernier) de cette extraordinaire découverte brute qu'est l'œuvre du Brésilien nommé – probablement un surnom – Jesuys Christiano (Jésus-Christ, en somme), à la galerie Christian Berst (passage des Gravilliers, à Paris, le catalogue doit y être toujours disponible, du moins à partir de la rentrée de septembre) Jesuys Chirstiano,couv catalogue Berst.jpg :

    "(...) Son objectif était d'ériger un nouveau monde, l'ancien devait donc être inversé – c'est ainsi qu'il arrachait des fleurs et des plantes pour les enterrer afin que les racines pointent vers le ciel. Pour que les voix qu'il entendait chaque jour se taisent, que les vers qui lui rongeaient le crâne se calment, que la peur de la persécution et du châtiment s'éloigne de lui. (...)"

       Thilo Scheuermann (hôtelier allemand installé au Brésil ayant découvert en 2011 les dessins tracés par Jesuys Christiano sur les murs du quartier miséreux de Malhado à Ilhéus ; il s'occupa alors de lui jusqu'à la mort de ce dernier survenue en 2015).

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Jesuys Christiano, sans titre, graphite sur papier, 42x59 cm, 2013. Extrait du catalogue d'exposition à la galerie Christian Berst "Jesuys Christiano, A contrario".

 

    Etonnant  parallèle, n'est-ce pas? Entre le cordonnier de Vendée et le pauvre hère brésilien qui bien entendu n'a jamais entendu parler du premier... A signaler que Jesuys Christiano est allé plus loin que Chaissac, en plantant réellement ses végétaux les racines en l'air... Mais bon, chez le cordonnier, il est plutôt question d'une métaphore, d'un appel au monde à l'envers, un thème cher à la culture populaire.

21/02/2022

Epouvantail plus que girouette, c'est-à-dire "pignols"

     J'aime infiniment les épouvantails, leurs silhouettes sur le ciel d'orage, loques au vent, l'air désolé, pour ne pas dire piteux, regrettant leur condition, eux que l'on a placés par tous les temps dans les champs, et qui n'effraient pas les oiseaux, les corbeaux venant jusqu'à prendre la pose sur leurs épaules, les gratifiant à l'occasion d'un trait de fiente sur leurs pardessus déchiquetés.

    Parmi eux, on peut distinguer une sous-catégorie, les épouvantails à pales, sièges d'un mouvement censé épouvanter les moinillons, un mouvement et peut-être aussi quelques éclairs de lumière réverbérée suite aux rayons du soleil. Une ancienne carte postale m'a récemment fait découvrir qu'on les appelait du côté de la Bretagne, à un moment, des "pignols". Je ne sais d'où vient le mot qui ne sonne pas bien breton, a priori.

Le fabricant de pignols, à Plouigneau (Finistère)(2).jpg

D'après l'éditeur de la carte, les pignols seraient des "sortes de girouettes pour effrayer les oiseaux"... Cela s'appelle en bon français des épouvantails, monsieur l'éditeur (sans doute l'Hamonic signalé dans le coin supérieur droit de la carte) ; coll. Bruno Montpied.

Le fabricant de pignols et sa femme.jpg

Le sculpteur réjoui, un de ses "enfants", un marin apparemment, entre ses mains, et sa femme, prenant le frais parmi d'autres réalisations, Plouigneau (Finistère).

Pignols, évêque et marin.jpg

Un évêque et un autre marin.

Pignols, deux autres.jpg

Deux autres personnages que j'identifie moins bien (peut-être un meunier à droite)...

 

      C'est assez rare de pouvoir voir à quoi ressemblaient les fabricants d'épouvantail, à quelle classe sociale ils appartenaient (du moins en ce qui concerne les véritables épouvantails destinés à faire fuir la gent ailée, et non pas les épouvantails artistiques, participant à des concours de néo-ruraux¹). C'est pourquoi j'ai également récemment acquis une autre carte, plus moderne, en couleur, affichant un de ces artefacts en compagnie de son "Gepetto", un certain Yves Guérin, capté en Eure-et-Loir en 1989.

Fabricant d'épouvantail en Bretagne.jpg

Coll. B.M.

 

     Mais, pour ne pas quitter les épouvantails à pales, il m'est revenu que je possédais aussi depuis très longtemps une autre carte, éditée autrefois par le Musée Rural des Arts Populaires de Laduz (dans l'Yonne), présentant là aussi un de ces mêmes épouvantails aux "bras" tournoyant.

Epouvantail a pales, musee de Laduz (2).jpg

Un autre épouvantail à pales, peut-être plus élaboré que ceux de Plouigneau, appartenant à la collection Humbert, Musée Rural des Arts Populaires, Laduz ; carte postale coll. B.M.

 

     Il fait partie des collections extraordinaires de ce musée, hélas fermé depuis deux ans, Jacqueline Humbert, qui le tenait à bout de bras quasiment seule (pendant les 32 années qui ont suivi la disparition de son mari, Raymond Humbert), ne pouvant plus s'en occuper. L'avenir de cette collection, qui enchanta nombre de générations d'amateurs de poésie rurale et insolite, paraît désormais très incertain. On aimerait en recevoir de meilleures nouvelles.

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¹ Je ne range bien sûr pas dans les épouvantails proprets des néo-ruraux ceux qu'élabore Denise Chalvet sur les pentes de l'Aubrac, à Rimeizenc exactement. Là, ses centaines de créatures plantées sur une colline ou stockées densément dans une grange et une étable, relèvent plutôt  de l'art rustique moderne, dont se prévalait Gaston Chaissac, qui inventa le terme pour qualifier sa propre production, et pour se distinguer de l'art brut de son ami Dubuffet.

16/11/2021

Un livre magnifique sur Pierre Albasser, le "retraité qui dessine"

Cette note a fait l'objet d'une mise à jour et d'un remaniement le 2 décembre 2021.

 

       Les Emballements de Pierre Albasser, ça s'intitule. Que voilà une très belle réussite des éditions Le Temps Qu'il Fait, qui nous a habitués à sortir de très beaux ouvrages, rien qu'au niveau formel déjà. Et aussi du point de vue du contenu, par exemple ce Sentiment des rues de cet écrivain secret et délectable qui a pour nom Joël Cornuault, paru en 2017.

    Il s'agit ici d'une monographie consacrée à un de nos Singuliers, lointain surgeon de Gaston Chaissac dont il se distingue bien entendu, ne serait-ce déjà que par le choix exclusif et particulier de ses supports et de ses outils (supports: cartons d'emballage de toutes sortes, loin d'être seulement d'origine alimentaire, puisque "TOUT emballage en carton compact du ménage est exploité, avec des cartons de mouchoirs, de pâte dentifrice, de collyres, de chaussettes, de ruban adhésif" (GEHA), cartons qui sont déployés soigneusement à plat ; outils: feutres, marqueurs usagés, encre d'imprimante, fournitures d'occasion diverses...), mais aussi dont il participe par un graphisme ultra stylisé, par son goût des traits cerneurs et des formes emboîtées, et aussi par son goût d'expérimenter et de son refus de se répéter.

       C'est pourquoi j'ai choisi de donner un texte à ce beau projet de monographie, Pierre Albasser, un enfant caché de Chaissac, un texte qui en recombine deux autres, parus respectivement, en 1999 dans la revue Création Franche (un des tout premiers textes, si ce n'est le premier, qui parut sur Albasser, suite à sa participation à l'expo automnale du Musée de la Création franche), et en 2021, dans le magazine Artension, textes que j'ai remaniés pour l'occasion.

 

PA ouvrant son livre.jpg

Pierre Albasser emballé par ses Emballements, photo GEHA, octobre 2021.

 

       Alors, bien sûr, on va me dire "vous en dites du bien du livre sur Albasser, parce que vous avez écrit dedans..." Mais n'est-ce  pas naturel? Si j 'y ai participé c'est que j'y croyais... De plus, je ne me sens pas toujours obligé de parler de tout ce à quoi je participe (quelquefois même, je serais tenté de critiquer certains "contenants" si la courtoisie de ne me retenait pas). Si j'écris sur tel ou tel sujet c'est par passion et engouement. Il est normal d'en répercuter partout la manifestation, surtout lorsque la publication ne bénéficiera à l'évidence pas de "publicité". A force d'y penser, du reste, je crois que je mettrai bientôt en ligne ma bibliographie de textes récents, pour embêter tous ceux qui pourront me traiter de narcissique.

      Je ne suis pas seul dans cet ouvrage à donner des textes, il en est d'autres : en premier, GEHA, l'épouse impresario-archiviste-artiste postal, mais aussi Denis Montebello, Pascal Rigeade, Anna Rozen (très bien son texte, très-très bien), Isabelle Lollivier (responsable de la revue Santé mentale, où Albasser a donné plusieurs illustrations, une vingtaine par numéro ; comme il a participé à huit de leurs numéros, calculez combien ça fait d'illustrations...), Bernard Ruhaud, Dino Menozzi, Peter Bolliger... Et Georges Monti, l'éditeur, qui nous livre un bel entretien avec Pierre et Gudrun Albasser, à la fin, qui m'a bien amusé, en constatant l'assurance de Pierre pour répondre à Monti (et à Gudrun qui cherche "traîtreusement" à l'entraîner sur cette pente de l'AAAArt) que décidément, non, ce n'est pas une coquetterie s'il ne se présente pas comme "artiste", mais simplement comme un "retraité qui dessine".

      Pierre Albasser est souvent en vente sur e-bay ou dans les ventes aux enchères d'art contemporain (que je trouve personnellement calamiteuses) organisées régulièrement à Drouot, et je trouve depuis longtemps que cela nuit à la correcte appréciation de ses expérimentations et autres travaux, car les œuvrettes qu'il y dépose sont loin d'être ses meilleures. J'ai même parfois l'impression qu'il y distille un peu ses "fonds de tiroir". Et cela donne à la longue une image un peu pâle, réductrice, et finalement mensongère de sa production (j'en connais même qui, ne connaissant que ces images visibles sur tous les écrans du Net, mésestiment grandement Albasser). Or, la magnifique monographie des éditions Le temps qu'il fait constitue un éclatant démenti face à ce genre de fausse impression. On y trouvera des reproductions (de très belle qualité d'impression : décidément, bravo à l'éditeur) de ses travaux les plus aboutis, d'une grande variété, et, en même temps, d'une grande unité de signature. Je donne deux exemples ci-dessous de double-page.

Double page des Emballements (2).jpg

Double-page des Emballements pp- (2).jpg

Pp 72-73 et pp108-109 des Emballements de Pierre Albasser au Temps Qu'il Fait.

 

      A parcourir ce bel album d'images, j'en retire la conviction que l'impresario (impresaria?) de Pierre, la nommée Gudrun, avait mis  de côté depuis longtemps les meilleurs crus de son cher et tendre "elfe" (moi, je disais lutin, mais d'autres le qualifient d'elfe ; va falloir qu'il se fasse tailler les oreilles en pointe pour être à la hauteur du qualificatif), comme lorsqu'on garde des millésimes pour les grandes occasions.

Le livre (144 p., 100 illustrations couleur) sera disponible dans toutes les bonnes librairies à partir du 22 novembre prochain. Voir le site de l'éditeur.

07/01/2018

Benjamin Péret à la Halle Saint-Pierre, quelques événements pour un riche retour sous la lumière

      Du 8 au 28 janvier, la Halle Saint-Pierre accueille une évocation de Benjamin Péret dans sa "galerie" du rez-de-chaussée, centrée sur les voyages qu'il fit entre 1955  et 1956, fasciné par les arts des Indiens et l'art populaire du Brésil. En effet, les éditions du Sandre, au même moment où elles publiaient mon Gazouillis des Eléphants – qui traite aussi d'art populaire – a sorti en novembre 2017 un beau livre consacré à Benjamin Péret et intitulé Les arts primitifs et populaires du Brésil, photographies inédites, qui illustre une fois de plus le profond intérêt qu'éprouvait le poète surréaliste pour l'art primesautier où qu'il se manifeste dans le monde. Si la galerie de la Halle présente sept vitrines d'exposition de différents documents et objets relatifs à cette période de la quête pérétienne, le tout sous le titre "Du merveilleux, partout, de tous les temps, de tous les instants", il convient de signaler – outre le vernissage (en entrée libre, comme tout ce qui concerne ces événements) autour de Péret qui aura lieu le jeudi 11 janvier prochain de 18h à 21h – également une après-midi consacrée à la présentation du livre, ainsi qu'à celle du dernier numéro  (le n°6) des Cahiers Benjamin Péret dans l'auditorium de la Halle, au sous-sol, le dimanche suivant 14 janvier, à 15h. Cela se fera en présence de Leonor de Abreu et de Jérôme Duwa, co-responsables du livre des éditions du Sandre, ainsi que de Gérard Roche (président de l'Association des amis de BP), celui-là même qui vient de signer la magnifique et vivante édition de la correspondance André Breton-Benjamin Péret chez Gallimard (2017).

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Une correspondance fascinante, pleine de vie, qui restitue les deux poètes avec une spontanéité et une chair que l'on ne rencontre pas de la même manière dans leurs autres écrits (même si Péret écrivait comme il respirait) ; certainement un des meilleurs volumes de la correspondance jusqu'ici parue concernant Breton. A n'en pas douter, ce furent eux les piliers du château étoilé...

 

     Il faut dire que l'actualité éditoriale est richement consacrée au retour de Benjamin Péret dans nos esprits et dans notre mémoire en ce moment. Il ne faut pas oublier de mentionner en effet la très bonne biographie de Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret, l'astre noir du surréalisme, parue en 2016 chez Libertalia¹, qui permettra à tous ceux qui apprécient cet enfant terrible de la poésie, de l'amour sublime et de la révolte, s'ils ne savent pas de qui il s'agit exactement, de faire un copieux tour du personnage, documenté de faits, d'analyses et d'anecdotes savoureuses comme celle qui campe Péret, sortant de chez André Masson, et qui, chaque fois qu'il passait devant la loge où les concierges laissaient voir leur repas en famille, lançait : "Alors? Elle est bonne la merde?", ou encore cette autre, racontée par Marcel Duhamel, où, déambulant en voiture avec Tanguy, Prévert et Duhamel, il tirait au revolver en l'air au long des routes, comme un fêtard mexicain...

Benjamin Péret lampiao et maria bonita.jpg

Photo de Benjamin Péret extraite du livre aux éditions du Sandre ; Lampião et Maria Bonita, céramique polychrome, Mestre Vitalino, Caruaru, État du Pernambouc, coll. Museu de Arte Popular, Recife.

 

    Benjamin Péret, comme le souligne pertinemment Schwartz dans sa biographie, était un des rares autodidactes du mouvement surréaliste, avec Yves Tanguy, par ailleurs d'origine bretonne comme lui (Péret était nantais). Cela est à mettre en liaison directe avec son goût jamais démenti pour les techniques automatiques surréalistes, lui servant à lâcher les rênes d'une inspiration qui ne mettait jamais longtemps à traîner dans la boue les autorités, le clergé, l'armée, les juges, tout ce qui s'opposait à l'exercice de la liberté et de l'amour. Et cela explique aussi, outre le fait qu'il était de par ses origines prolétaires anti élitiste et anti bourgeois, sa compréhension profonde pour les arts populaires, les mythes et légendes dont il prisait essentiellement l'esprit magique, le merveilleux sous toutes ses formes (voir par exemple cet article qu'il consacra dans Minotaure aux armures délirantes de la Renaissance, ou aux automates) et vers la dernière partie de sa vie, pour deux figures importantes de l'art singulier (aux limites de l'art brut), Robert Tatin et Gaston Chaissac.

Benjamin Péret l'astre noir du surréalisme.jpg

    En effet, si l'on connaît le texte qu'il consacra à Chaissac, daté de 1958, dans l'édition de luxe des Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann, L'homme du point du jour, tel qu'édité dans le livre d'Henri-Claude Cousseau sur l'œuvre graphique de Chaissac chez l'éditeur Jacques Damase en 1982, texte différent (on découvre en effet des paragraphes alternatifs d'une version  à l'autre...) de la version intitulée Sur Chaissac dans Benjamin Péret, Œuvres complètes Tome VI (Association des amis de Benjamin Péret/libraire José Corti, 1992), on connaît bien moins le texte étonnant qu'il écrivit pour présenter Robert Tatin en 1948 (il venait de rentrer du Mexique en France), découvert par hasard semble-t-il, dans une galerie rue du Petit-Musc à Paris. Ce texte – inédit dans ses Œuvres Complètes – avait été proposé à Jean Dubuffet pour le projet d'Almanach de l'Art brut que ce dernier décida finalement de ne pas publier, en raison probablement de son désaccord ultérieur avec Breton. Il vient d'être (enfin) publié (en 2017, là aussi), en reprint d'après les tapuscrits, par la Collection de l'Art Brut, l'Institut Suisse d'Etude de l'Art et 5 Continents. Il nous montre que Péret n'eut de cesse de veiller aux irruptions de poésie sauvage qu'elles proviennent des jungles amazonienne ou mexicaine, ou de zones marginales de la créativité populaire en France. Voici un passage qu'il écrit au sujet de Tatin, alors seulement céramiste et peintre, et n'ayant donc pas commencé son environnement ébouriffant et syncrétique de la Frénouse à Cossé-le-Vivien en Mayenne (il recroisera la route des surréalistes au début des années 1960, ce que Péret n'aura  pas su puisqu'il décédera en 1959) : "Sa peinture a en effet  la force primitive de tous les arts archaïques (...) Robert Tatin revient donc aux origines mêmes de l'art, au point d'intersection qui contient en puissance l'infini des possibilités."  (L'Almanach de l'Art Brut, p. 473). Dans ce même Almanach, on trouve un autre texte sur les peintures populaires des cafés mexicains où l'on buvait de la pulque (alcool d'agave), Enseignes de pulquerias. Il me semble qu'il a été édité dans ses Œuvres complètes, dans le tome VII (à vérifier). A propos de ces Œuvres complètes (sept jusqu'à présent), on notera aussi un texte qu'il consacra à l'architecture délirante de Gaudi à Barcelone.

     Péret aurait vécu plus longtemps, nul doute qu'il aurait fait un tour plus appuyé du côté de tous les inclassables de l'art et autres poètes plastiques de la spontanéité apparus après les années 1960, du côté de l'art brut et dans ses marges. De l'art brut, je n'ai relevé jusqu'à présent qu'une  mention par Péret. Elle figure dans son texte contre l'art abstrait, La soupe déshydratée, paru dans l'almanach surréaliste du demi siècle (réédité par Plasma en 1978). Et il est dit quelque part (un texte d'exégète dans la récente édition de l'Almanach de l'art brut ? J'avoue avoir la flemme d'aller retrouver la source...) qu'il accompagna Breton et Dubuffet aux Puces lorsqu'il s'agit d'aller acquérir des masques en coquillage de Pascal-Désir Maisonneuve vers 1948, à l'époque où tout allait encore bien entre le pape de l'art brut naissant et le chef de file du mouvement surréaliste...

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¹ On rappellera aussi le film de Remy Ricordeau, déjà signalé sur ce blog, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret poète c'est-à-dire révolutionnaire, sorti en DVD, production Seven Doc, sorti en 2015. La première partie de son titre est repris du titre d'un des recueils de Péret, tandis que la deuxième récupère un autre titre, celui  d'une émission de radio de Guy Prévan de 1999, elle-même, comme il est précisé dans les commentaires ci-après par R.R.., reprenant un fragment du Déshonneur des poètes, ce livre de Péret contre la poésie de circonstance qui fit scandale chez les Aragonéluards en 1945, puisqu' y étaient visés les poètes stalino-nationalistes qui à la Libération confisquaient la vie culturelle à Paris.

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Association des amis de Benjamin Péret 
50, rue de la Charité
60009 Lyon

18/08/2016

René Rigal à la Maison du Tailleu, chez Michelle et Jean Estaque

Expo Rigal à la Maison du Tailleu en 2016.png

Exposition René Rigal à la Maison du Tailleu du 1er août au 4 septembre 2016 (La Maison du Tailleu : Place de l'Église, 23000 (la Creuse), Savennes, France)

    "Jean et Michelle Estaque seront heureux de vous recevoir pendant la durée de cette exposition tous les week-ends et jours fériés de 15h à 19h et sur rendez-vous au 05 55 80 00 59".

     L'exposition dont il est question dans le petit message ci-dessus concerne l'œuvre de René Rigal, cet ancien cheminot de Capdenac qui sculpta des personnages filiformes dans de longues branches durant des années. Il chercha à les exposer dans des locaux et galeries de sa région, comme par exemple à la galerie La Menuiserie de Rodez, mêlant ainsi son œuvre d'autodidacte rustique – on pourrait aisément le ranger dans l'art rustique moderne avec Gaston Chaissac, qui inventa le terme, ou Gaston Mouly – à celles d'artistes contemporains provinciaux.

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René Rigal, Eve enlacée par le serpent, sans date, coll. privée Capdenac, ph. Bruno Montpied, 2012

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René Rigal, détail d'un bouliste, coll. privée Capdenac, ph.B.M., 2012

    Ses œuvres, dont bien des exemples sont conservés par sa femme au prénom – prédestinant pour un mari cheminot – de Micheline, sont variées et originales, recherchant l'audace dans leur conception.

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René Rigal, groupe de pèlerins de Saint-Jacques, coll. privée, ph. inconnu, archives famille Rigal

 

   Même parmi les nombreux cas de transformateurs de branches en figures fantastiques ou réalistes, il fait figure de novateur. Le plus proche de lui étant peut-être Emile Chaudron qui dans la Haute-Marne, à Prez-sous-Lafauche, sculptait les brindilles, les branchettes d'épines ou de mirabelliers, créant comme une écriture arachnéenne proche des idéogrammes asiatiques. Ce dernier, qui était sculpteur sur meubles à la base, naïf malgré tout, exposa dans des salons parisiens ou régionaux, tout en se constituant un petit musée personnel qu'il ouvrit au public à partir de 1961 dans son village.

Rayonnages-d'exposition-dans-le musée-de-Lafauche.jpg

Emile Chaudron (disparu en 2014), autre sculpteur sur bois, rayonnages où sont désormais présentées ses œuvres dûment légendées dans le petit (et nouveau) musée "aux branches" municipal de Lafauche, ph. B.M., 2016

 

16/01/2016

Benjamin Péret, la riche actualité d'un révolutionnaire surréaliste qui s'intéressait à l'art populaire

Bande-annonce du film de Remy Ricordeau Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret, poète, c'est-à-dire révolutionnaire
 
      Un vent salubre souffle en ce moment du côté de certaines aiguilles qu'il faut ré-aimanter, eu égard à l'actualité encombrée par l'évocation des fanatiques d'obédience musulmane. La figure de Benjamin Péret revient du passé pour nous rappeler aux ordres du merveilleux et de la liberté qui ne souffrent aucun compromis avec les curés et imams de tous ordres. Remy Ricordeau, dont les lecteurs de ce blog ont souvent entendu parler, notamment pour son film Bricoleurs de Paradis, sur des environnements populaires spontanés, que j'avais co-écrit avec lui, a récemment sorti un film documentaire sur Benjamin Péret dans la collection Phares produit par Seven Doc qu'animent Aube Elléouët-Breton et Oona Elléouët.

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Le coffret avec le film de Ricordeau sur Benjamin Péret, coll.Phares, prod. Seven Doc

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Robert Benayoun, inversage sur un portrait de Benjamin Péret, paru dans l'Anthologie du Nonsense du même Benayoun

 
    Il va faire l'objet de plusieurs projections en public, d'abord à Rochefort-en-Terre puis à Nantes:
    Le film sera projeté au Café de la Pente, lieu associatif de Rochefort-en-Terre (dans le Morbihan) le jeudi 28 janvier à 20h, une rencontre avec le réalisateur étant prévue à la suite. 
    On pourra aussi se rendre à Nantes le samedi 30 janvier à 15h, à la Médiathèque Jacques Demy, salle Jules Vallés, où sera présenté le manuscrit des Couilles enragées par Dominique Rabourdin (le livre fait en ce moment l'objet d'une réédition aux éditions Prairialbenjamin péret,seven doc,collection phares,poète révolutionnaire,art populaire et surréalisme,remy ricordeau ; ajoutons au passage que personnellement je regrette l'ancien titre faisant contrepèterie qui avait été choisi paraît-il pour déjouer la vigilance de la censure: les Rouilles Encagées). Cela sera suivi de la présentation des cahiers Benjamin Péret par des membres de l'association des amis de ce dernier. A 21h, ce même jour, au Cinématographe, rue des Carmes, on projettera de nouveau le film de Rémy Ricordeau, Je ne mange pas de  ce pain-là, Benjamin Péret, poète, c'est à dire révolutionnaire. La projection sera suivie d'une rencontre avec le réalisateur. Avis donc à nos lecteurs nantais.benjamin péret,seven doc,collection phares,poète révolutionnaire,art populaire et surréalisme,remy ricordeau
    
    A Paris,  notez une autre projection qui sera organisée par la librairie Quilombo le mercredi 9 mars à 19h45 au CICP, 21 rue Voltaire 75011 Paris (M° Rue des Boulets): http://www.librairie-quilombo.org/Benjamin-Peret,6317
 
   Pour être encore plus complet signalons que le coffret du film est disponible à Paris entre autres à la librairie Publico, à la librairie Quilombo (ces deux librairies vendant également par correspondance sur leur site internet) ainsi qu'à la librairie du Centre Beaubourg (Georges Pompidou), et à la librairie de la Halle Saint-Pierre (où l'on peut trouver d'autres DVD de la même collection Phares, tous consacrés à des figures du surréalisme, en majorité des plasticiens). A Lyon,  on trouvera le DVD sur Péret à la librairie Descours, qui dans sa partie galerie, on s'en souvient, a récemment organisé une expo intitulée "Surréalistes, certes".
 
 
 
Extrait du film Je ne mange pas de ce pain-là, et diffusé entre autres sur le site Arcane 17 de Fabrice Pascaud ; à regarder et à écouter dedans surtout le fragment d'émission de télévision où Max-Pol Fouchet rend un extraordinaire hommage à Péret
 
       L'édition de livres n'est pas en reste pour Péret. Dominique Rabourdin a récemment réuni aux éditions URDLA la Légende des minutes, une étonnante gerbe d'envois et dédicaces diverses et  variées que Benjamin Péret apposait sur ses livres destinés à plusieurs amis et connaissances. Cela pourrait paraître pour de l'écume mais c'est mal connaître Péret qui dans cet exercice atteint parfois à l'haïku surréaliste. A Kurt Seligmann,/La rivière, dans la brume, jouit/des prochaines collisionsà Toyen/ A quoi bon baisser la tête si le ciel est haut?A André Pieyre de Mandiargues/ la grande statue de sel brillant/ au soleil.

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La Légende des minutes

 

        Deux autres ouvrages sortent également bientôt, une réédition du Déshonneur des poètes – ce brûlot contre les ex-poètes surréalistes, devenus communistes staliniens et épris de nationalisme qu'étaient Aragon et Eluard pendant l'Occupation – accompagné d'une réédition de Les syndicats contre la révolution (écrit avec Grandizo Munis) aux éditions Acratie, et une édition d'un récit de Péret peu connu Dans la zone torride du Brésil, visite aux Indiens, sorte de journal de son voyage en forêt amazonienne en 1955. Là, c'est publié aux éditions du Chemin de Fer.

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       Devrait également sortir sous peu une nouvelle édition de L'art populaire au Brésil, autre étude peu connue, qui sera accompagnée de photos inédites de Benjamin Péret, à qui on ne connaissait pas ce talent.

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Une des photos de Benjamin Péret à paraître aux éditions du Sandre

Ce sera publié par les éditions du Sandre, sur lesquelles je reviendrai bientôt à propos d'autres prochaines parutions nous concernant encore plus directement sur ce blog.

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Benjamin Péret face à Gaston Chaissac en 1959, photo de Gilles Ehrmann ; il l'appela le "dandy rustique", appelation qui plut à Chaissac

    On apprendra ainsi peut-être davantage l'intérêt que portait le poète à différents types d'art populaire, aux contes et légendes d'Amérique du Sud, et peu avant sa mort à Gaston Chaissac. S'il avait vécu plus longtemps (il est mort en 1959), qui sait s'il ne se serait pas tourné davantage vers l'art brut? 
 

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Une des citations qui émaillent Je ne mange pas de ce pain là, Benjamin Péret, poète, c'est à dire révolutionnaire
de Rémy Ricordeau, éditions Sevendoc

11/01/2013

Une orgie de colloques et de séminaires

     Et c'est reparti pour les conférences, colloques et autres séminaires où l'on veut tourner et retourner la question de l'art brut avec conséquence –imprévue?– de le cuire et recuire à l'infini. Cela risque de devenir immangeable à la longue, comme on s'en doute.beefsteack.jpg

     Cependant, on en apprend toujours au tournant de quelques phrases, devant telle ou telle image montrée par le conférencier, ou bien dans la friction de tels ou tels intervenants amenés à relativiser le côté trop péremptoire de certaines affirmations. C'est pourquoi il ne faut pas bouder son plaisir d'aller de temps en temps faire un tour dans ces parlotes. En ce qui me concerne, il m'arrive régulièrement d'y opérer des mises à jour grâce aux recherches des jeunes (têtes) chercheuses (car il semble qu'il y ait plus de filles que de garçons dans ces colloques) qui sont repassées sur des chemins que je croyais connus, or, bernique, il y avait une information que je n'avais pas relevée. Cela va peut-être arriver samedi 12 janvier, demain matin donc, à l'initiative du CrAB, salle Walter Benjamin, au rez-de-chaussée de l'INHA, dans la Galerie Colbert (c'est un passage parisien que je crois avoir déjà évoqué sur la colonne sans fin de ce blog). Elle relie la rue Vivienne à la rue des Petits-Champs (près des métros Bourse ou –non, pas la vie– Pyramides). C'est une galerie couverte très cholie, peut-être un peu aseptisée, qui longe à côté la plus célèbre Galerie Vivienne. Le thème de la matinée est "le Brut et le Naïf", car le CrAB veut documenter les rapports entre les deux, et la question de savoir si on doit vraiment les opposer. Et sur ce blog, la question m'intéresse grandement, il suffit de regarder la catégorie "art naïf" dans ma colonne de catégories pour se rendre compte du nombre de fois où j'évoque le sujet.

 

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Morris Hirschfield, cornac et jeune éléphant (prêts à gazouiller sans nul doute...), taille approximative 32x44 cm, 1943 

     De 9h30 à 13h, il y aura deux jeunes femmes  qui viendront s'étendre, pour l'une, sur la réception et la reconnaissance de l'art naïf américain dans les années 30 aux USA, et pour l'autre sur les rapports Chaissac/Jakovsky. Dans ce dernier cas, ce sera aussi l'occasion d'évoquer la gué-guerre entre Jakovsky et Dubuffet à propos des délimitations entre art brut et art naïf, et peut-être de ce fait adventice que Chaissac, de son côté, aurait préféré qu'on s'en tienne, pour qualifier son art, au label forgé par lui, avec ingéniosité, de "peinture rustique moderne".

 « Du folk art au self-taught : la reconnaissance de l’art naïf aux États-Unis (1932-1942) » par Marion Alluchon, doctorante en histoire de l'art à Paris I.

« Dans l’orbite de Gaston Chaissac, l’homme orchestre (1952) : Gaston Chaissac et Anatole Jakovsky au regard de l’art brut et de l’art naïf » par Vanessa Noizet, étudiante en M2 d'histoire de l'art à Paris IV.

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15/10/2012

Peinture rustique moderne

      "Mes préférences vont d'emblée à la peinture rustique moderne. Peintre de village, je lui reste fidèle, trop sûr de faire fausse route si je cherchais à peindre à la façon des artistes peintres des capitales et sous-préfectures.

      Nous autres les ruraux de 1946, nous n'avons plus les préjugés d'hier, nous avons évolué et pouvons sans crainte faire des créations à notre idée, insouciants de ce qu'en penseront les bourgeois et d'autres. Dans nos campagnes désertes, rien n'interrompt la méditation si nécessaire avant toute création artistique, et nous ne recevons que de bien faibles échos de ce qu'on peint dans les cités prestigieuses. Quant à la vie moins intellectuelle et plus saine qui est la nôtre, elle favorise l'éclosion de nos créations. N'ayant nul besoin du dessin et de la palette des autres, oubliant l'univers et travaillant sans autre souci que de progresser d'une façon continue jusqu'à notre mort, des nouveautés nous appartiennent, il n'y a qu'à ramasser.

      Sur divers sentiers suivis au cours de mes recherches, j'ai trouvé les bouquets, masques, portraits, etc. que je peux dire miens. Demain s'ajouteront à ma collection d'autres choses autant miennes.

      Sans gestes théâtraux, ni mise en scène phénoménale, il n'y a qu'à parcourir certaines pistes qu'on reconnaît bien vite quoiqu'à peine visibles et on en revient avec des richesses pour son pays, pour la terre entière. Ma peinture rustique moderne est encore assez pauvre, mais dans une vingtaine d'années, j'espère qu'elle sera riche, presque autant que la terre."

       Gaston Chaissac, texte paru dans la revue Centres, 1946.

 

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Graffito de Gaston Chaissac dans les latrines de l'ancienne école publique de Ste-Florence-de-L'Oie, ph. Bruno Montpied, 2012

 

29/06/2012

Les latrines de Chaissac monuments historiques

     Il me semble que ce sont les premiers urinoirs classés monuments historiques. Il y avait bien eu le précédent de la "fontaine" de Richard Mutt, alias Marcel Duchamp en 1917 à New York, urinoir décrété objet d'art parce que signé, et refusé à la Société des Artistes Indépendants. Mais depuis... Sans doute quelques excentricités de l'art contemporain singeant ce geste dadaïste duchampien?  Duchamp, 3e réplique Fontaine MNAM.jpg

Fontaine, R.Mutt (Marcel Duchamp), 1917 ; ici c'est la troisème réplique datant de 1964, figure au MNAM du Centre Georges Pompidou

         En tout cas, y avait-il eu classement par les Monuments Historiques de latrines champêtres comme celles que Gaston Chaissac graffita à l'époque où, habitant avec sa femme dans l'école publique de Ste-Florence de l'Oie en Vendée dans les années 50, il s'exerçait à toutes sortes d'expérimentations, avec des enfants du patelin, avec des jets de serpillière mouillée dont il observait et reportait ensuite les empreintes, des interprétations de planches aux contours irréguliers qui devinrent des totems, des collages de morceaux de papier peint, etc.? Je ne crois pas. Mais c'est chose faite désormais. Le losange des Monuments Historiques trône imparablement sur le ciment grisâtre des chiottes sacrées. Je ne sais trop pourquoi j'ai trouvé que les bonshommes dessinés par Chaissac (j'aime surtout le personnage ventripotent ci-dessous) avaient l'air, à mon passage, de vouloir s'excuser devant une telle labélisation.

 

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Les fameux gogues divinisés... Ph. Bruno Montpied, mai 2012

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Ce personnage ventripotent m'a tout l'air d'une représentation caricaturale de prêtre (voyez le chapeau), si bien qu'on peut facilement en déduire que placé ainsi sur le mur des latrines, il était destiné par Chaissac à ce que les enfants le souillent sans cesse en effigie... Manière de se venger des avanies infligées par les grenouilles de bénitier du patelin? Ph.BM

       Sans compter que l'école de l'autre côté de la petite cour a été métamorphosée dans le même souffle, on y a créé un espace Gaston Chaissac où l'on a scénographié la vie et l'œuvre du grand homme que la mairie, sous l'influence d'une nouvelle génération d'hommes et de femmes plus respectueuse de Chaissac que celle des années 50-60, a reconnu in fine opportunément, oubliant les persécutions et les moqueries des bigots et des péquenauds de Ste-Florence du vivant de Chaissac et de sa femme Camille, institutrice de l'école laïque dans une région où l'on envoyait les gosses en majorité dans les écoles dites "libres". On ne pourra s'empêcher de se dire qu'il est toujours, hélas, plus facile de reconnaître les artistes quand ils sont morts que lorsqu'ils vivent parmi nous.

 

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"L'Espace Gaston Chaissac"... Ph. BM

          Si l'on veut retrouver les autres créations de Chaissac, sortant de là, on aura tout intérêt à pousser jusqu'aux Sables d'Olonne où le Musée de l'Abbaye Sainte-Croix a eu la bonne idée de nous sortir pour l'été des pastels de Gaston, technique peu repérée il me semble dans l'œuvre du "Morvandiau en blouse bocquine". Ce musée conserve par ailleurs une documentation (des correspondances) et des oeuvres de l'artiste qui sont de première importance.

Musée de l'Abbaye Sainte-Croix, exposition Gaston Chaissac - Pastels, du 29 avril au 10 novembre 2012.