11/09/2009
Chomo, l'art pré-ludien sort de sa forêt
Le mardi 10 septembre s'est ouverte l'exposition Chomo à la Halle Saint-Pierre (en même temps qu'une exposition Marie Morel), prévue pour durer... jusqu'au 7 mars 2010! Les expos de la Halle battent toujours les records de longévité.
Chomo, on n'en entendait plus parler depuis belle lurette. Lorsque j'ai découvert l'art brut au début des années 1980 (oui, c'est l'heure des souvenirs de Papy Bruno), j'ai commencé par lui. Je suis allé frapper sur le gong-couvercle de poubelle qui lui signalait l'arrivée de visiteurs, les bras dûment chargés de bouteilles de Porto, ce breuvage étant l'analogue avec lui des verroteries que les voyageurs occidentaux échangeaient avec les "sauvages" dans les contrées exotiques de l'autre bout de la terre. Et c'est vrai qu'arriver jusqu'à lui, après le franchissement d'une zone intermédiaire semée de pancartes en langage phonétique, ça donnait, au moins la première fois, un peu les chocottes. Alors que l'homme était en réalité plutôt du genre urbain, à la fois courtois et provocateur.
Ses oeuvres étaient le pur produit d'une attitude expérimentatrice que j'ai toujours respectée, même si tout ce qu'il produisait n'était pas forcément de même qualité. J'avais admiré, conservés dans un abri couvert, surtout ses Bois Brûlés que j'espère voir à la Halle (je n'ai pas encore vu l'expo, le vernissage c'est le mardi 15), sortes de totems de bois carbonisé par places qu'André Breton, selon les propres dires de Chomo, aurait admirés au début des années 60, dans la galerie Jean Camion où Chomo exposa de façon éphémère avant d'aller se cacher au fond des bois en ermite vitupérateur.
Chomo, c'était un artiste, et non pas un créateur de l'art brut. Il avait une culture artistique affirmée, même si elle était personnelle. On n'a jamais trop cherché à la mettre en lumière. Mais l'entretien que je fis avec lui, assez décousu, me permet encore aujourd'hui de me dire qu'il parlait d'égal à égal à ses interlocuteurs instruits comme lui de l'histoire des avant-gardes et des novations en art. On sait notamment qu'il fréquenta un autre amateur de jargons et de poésie signiste nommé Altagor (le bulletin éphémère Zon'Art qui entra en contact avec Marc Vernier, le fils d'Altagor, a publié la correspondance Chomo-Altagor, voir le lien ci-dessus). Le mot "signiste" fut employé, histoire de ne pas indisposer le mouvement lettriste qui leur était parfaitement contemporain. J'ai montré aussi un jour (dans Gazogène n° 7-8 en 1993, et suite à la réaction ulcérée d'un disciple absolu de Chomo, Jean-Pierre Nadau, dans le Bulletin de l'Association des amis de François Ozenda n°52 ou sous forme de tract, je ne sais plus, voir ci-dessous...) qu'il y avait de troublantes ressemblances entre les graphologies de Dubuffet et de Chomo. Tous deux en réalité partageaient probablement le même engouement pour les tentations d'après-guerre en direction de la création de nouvelles formes de langage qui seraient débarrassées de l'intellectualisme, mot que proférait sans cesse Chomo du reste.
Il se voyait précurseur, un peu situationniste sans le savoir clairement, d'une société où le jeu régnerait en maître contre l'accumulation des richesses concentrées entre les mains d'une caste (il fait du reste une fugitive apparition dans un film de William Klein sur mai 68, apparition un peu ringarde et réactionnaire...) Exposer Chomo loin de sa forêt dans un espace culturel, alors qu'il est avant tout connu, et limité à cela bien souvent à tort, pour son "village d'art pré-ludien", c'est une bonne idée. On découvrira alors peut-être qu'il était au fond un grand artiste moderne, défenseur d'un art total fondu avec la vie quotidienne, qui eut besoin du grand écart loin de la société de son époque parce qu'elle ne pouvait lui permettre de s'exprimer et de vivre comme il l'entendait. Précurseur de plusieurs autres créateurs de l'art singulier qui vinrent après lui, et cousin conceptuel (un grand mot en ce qui les concerne) de tant de créateurs populaires d'environnements spontanés, type facteur Cheval et autres Picassiette.
Il faut annoncer qu'à l'occasion de cette exposition une émission de radio lui sera consacrée, dans "Songs of praise", lundi 14 septembre à 19h15, sur Aligre FM (93.1 Mhz). Son animateur, Cyril ("Cosmo Helectra") devrait recevoir l'un des deux commissaires de l'exposition, Laurent Danchin, ainsi que le photographe et cinéaste Clovis Prévost, qui projettera son film sur Chomo, fait avec Chomo, "le Débarquement spirituel" dans le cadre de l'exposition de la Halle. Divers documents sonores devraient être diffusés dont des expériences de création musicale de Chomo - musique et poésie étaient presque synonymes pour lui - et des fragments d'entretien, dont certains seront des extraits de l'interview et repiquage de poèmes lus à voix haute que j'avais réalisés en 1982, fragments que j'ai prêtés pour les besoins de l'émission. Sera également présent un grand ingénieur du son en la personne de Michel Geiss qui aida à de nombreuses reprises Chomo.
A signaler enfin du 10 au 30 septembre, parallèlement, une exposition d'Adam Nidzgorski dans l'espace "Galerie" de la Halle. Pour une "iconologie de l'être humain", paraît-il... On connaît le goût de Nidzgorski pour le dépouillement des représentations humaines, avec ses personnages dessinés avec une simplification qui va presque jusqu'à l'os. Un art souvent pathétique.
20:13 Publié dans Art singulier | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : chomo, art pré-ludien, art singulier, clovis prévost, laurent danchin | Imprimer
Commentaires
Je reviens de l'expo, quelle claque ! Il y a vraiment un monde entre les photos d'oeuvres et les oeuvres réelles, j'imagine que ça devait etre encore plus magique dans le cadre de la forêt de Chomo.
Je repasserai mettre le lien pour télécharger l'émission quand elle sera en ligne.
Écrit par : Cosmo | 12/09/2009
Répondre à ce commentaireJ'y ai été dans cette forêt, et je ne parviens plus à me rappeler si oui ou non j'ai ressenti la découverte de la création chomesque comme une "claque". Comme je ne suis pas tout à fait du genre à tendre l'autre joue, j'aurais probablement répondu...
Non, ce qui surnage de cette visite (j'ai dû y aller deux fois, dont une par un froid de chien), c'est un sentiment de confusion. Tout ce qui se montrait, difficilement séparable d'ailleurs des commentaires omniprésents de Chomo qui jouait un peu trop au gourou (moi, ça me fatigue les gourous), et sans doute à cause de cela, je n'arrivais pas à bien le voir, si j'excepte les Bois brûlés exposés dans un "Sanctuaire" aux murs de staff où l'artiste avait incrusté des bouteilles. Ces Bois brûlés dont mon souvenir garde une impression de spectacle fugitif comme si, à peine la porte entrebâillée dessus par Chomo, celui-ci l'avait prestement refermée, parce qu'il voulait nous entraîner plus loin, car pour lui, ces Bois, c'était du passé, et il insistait beaucoup sur la création au présent. Il ne se voulait pas son propre archiviste.
Non, relisez ma note ci-dessus, je pense que les oeuvres de Chomo, pour être appréciées pleinement de façon esthétique, sont à mettre dans un espace d'exposition, galerie ou musée. De ce point de vue, je suppose que l'expo doit être effectivement une révélation. C'est comme ça qu'on peut voir les oeuvres au mieux, mieux que dans la forêt où elles étaient.
Sur le site, on appréhendait l'oeuvre avec le personnage, l'espace dont il était indissociable, une vie voulue création permanente qui se donnait à voir et à vivre en tant que telle. C'est pas la même chose qu'une expérience purement esthétique (et je prise cette dernière autant que l'autre, croyez-le bien).
Au fond, Chomo, c'était un situationniste au petit pied. Parfois machiste, misogyne, mystico, même passablement réac sur certains aspects des moeurs, tout en étant tout de même un peu situationniste inconscient...
Écrit par : Le sciapode | 12/09/2009
Répondre à ce commentaireJe n'ai jamais été voir Chomo, mais je garde un grand souvenir de la lecture du livre "CHOMO". par L. DANCHIN (Jean-Claude Simoën éditions). C'est pas si simple que ça d'envoyer tout balader, femme, enfants, et d'aller s'installer au milieu de la forêt ...y'a des hivers où il a fait froid...si je me souviens bien.
Un rêve d'artiste, mais lui l'a fait !.
En tout cas bonne info, je ne le savais pas pour cette expo.
Écrit par : lolmede | 13/09/2009
Répondre à ce commentairel'émission est en téléchargement sur cette page :
http://songsofpraise.hautetfort.com/archive/2009/09/15/playlist-14-09-09.html
Écrit par : Cosmo | 16/09/2009
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