08/01/2025
La cabane sauvage de Nicolae (un petit Richard Greaves en plein Paris)
Décidément depuis quelque temps, peut-être du fait de la grande tolérance, de la municipalité et des pouvoirs publics, il paraît normal de voir se multiplier des initiatives architecturées sauvages en plein espace public. J'ai déjà parlé sur ce blog ou sur Instagram d'autres créations dues à des SDF et autres marginaux (je pense notamment à Papillon qui était Gare de l'Est, évoqué sur mon profil Instagram ("Zoufi54") à la date du 4 mai 2022 (voir ci-contre), ou bien encore à Michel Godin des Mers, qui réclamait par le truchement d'une voile hissée entre deux vélos un logement gratuit pour tous). Dès que je peux, je photographie leurs invraisemblables constructions réalisées à même la rue, en l'occurrence ici par-dessus, semble-t-il, un équipement du mobilier urbain qui a servi de fondation en quelque sorte. Boulevard Raspail, entre l'immeuble de verre de Jean Nouvel conçu pour la Fondation Cartier (qui va bientôt déménager), et de l'autre côté du boulevard, deux écoles d'architectures (l'école Camondo et l'Ecole Spéciale d'Architecture), extraordinaire et ironique pied de nez à l'architecture et à la culture savantes en somme, se dresse actuellement la première cabane de bidonville à étage que je connaisse à Paris... Cela représente un saut qualitatif certain dans l'architecture précaire et sauvage en milieu urbain.
La cabane de Nicolae, photos Bruno Montpied, 26 décembre 2024 ; comme il est demandé sur un panonceau rédigé à la demande du constructeur, j'ai laissé un peu de sous dans une corbeille pour remercier d'avoir pris ces photos, sans être bien assuré que cette menue monnaie, exposée au vu et au su de tous les passants, ne soit pas dérobée, car je n'ai vu personne le jour de mon passage...
L'auteur paraît se prénommer Nicolae, diminutif Nico. Prénom qui sonne roumain ou moldave. Il y a des inscriptions à plusieurs endroits de la cabane, assez hétéroclites et désordonnées, un peu comme l'architecture de l'ensemble, fait de bric et de broc, à l'aide de clous et de planchettes, d'accessoires récupérés, tout en paraissant solide. On pense inévitablement aux cabanes, certes infiniment plus développées, de guingois, qu'avaient édifiées au Canada l'artiste Richard Greaves, avant de les abandonner à un sort "aléatoire" (voir ci-contre une photo de Mario Del Curto montrant la "Maison des Trois petits cochons").
La cabane de Nicolae de profil, avec des inscriptions au ras du sol, où le prénom d'Elvis, Presley sans doute, revient une première fois (il est répété ailleurs aussi) ; des boîtiers de DVD sont collés ici et là sur le mur, avec d'autres formes comme placées au petit bonheur ; on voit que la base, peinte en mauve, est une construction déjà présente sur le trottoir, dont l'auteur s'est servi comme base par détournement de fonction ; comme on le voit aussi, il y a un escalier desservant un étage qui éloigne probablement l'occupant de la rue et de ses possibles importuns ; ph. B.M., 2024.
L'aspect hasardeux des montants de l'escalier, qui me font penser plus particulièrement à Richard Greaves ; ph. B.M., 2024.
La cabane proprement dite est précédée d'une installation qui ressemble à une sorte de préambule à trois dimensions, à mi chemin d'un parasol de plage et d'un arbre de Noël. Une inscription, dans un français maladroit, annonce deux fois sous deux orthographes différentes et toutes deux approximatives, "LAGE DE NOIE", et "LARRE.B NOOE", qui, à mon avis, désignent peut-être un "Arbre de Noël" (nous étions le lendemain de Noël). Arbre de Noël qui peut avoir été figuré par le panneau peint en vert qui supporte la deuxième inscription.
ph. B.M., 2024.
Au milieu de cette installation au sein de laquelle trône une grosse peluche rouge, l'auteur a posé un panonceau, signé Nico, s'adressant aux visiteurs, probablement rédigé avec l'aide d'une bonne âme et réclamant un peu d'aide. Un peu plus loin, avant la cabane, on découvre également une table surmontée d'une caisse sur laquelle repose un plateau hérissé de flûtes peintes en blanc : instrument de musique? Œuvre d'art? Difficile de se prononcer...
Ph. B.M., 2024
Merci à Juliette et Jean-Louis Cerisier qui ont attiré mon attention sur ce lieu.
14:32 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Architecture insolite, Art Brut, Art immédiat, Environnements populaires spontanés, Fantastique social, Paris populaire ou insolite | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : nicolae, cabane de nicolae, habitats précaires de sdf, habitats sauvages urbains, fondation cartier, école spéciale d'architecture, école camondo, richard greaves, de guingois, détournements architecturaux, noël | Imprimer
Commentaires
Comme je vous l'ai déjà dit, cher Sciapode, je pense que les inscriptions signifient plutôt "L'Arche de Noé", mais c'est bien sûr une simple supposition et de toute façon, ce n'est pas bien important. Cette cabane est absolument stupéfiante et la plus volumineuse des installations précaires de clochards. Est-ce vous qui m'avez appris que la petite ferme de rue du SDF turc de la station de métro Richelieu-Drouot, la première que j'aie repérée, et qui a duré plusieurs années sur palce, avait disparu?
Écrit par : Régis Gayraud | 12/01/2025
Répondre à ce commentaireOui, Arche de Noé, pourquoi pas?
La hutte, plutôt qu'une "ferme", du SDF qui détestait les photographies, près de Richelieu-Drouot, me paraît en effet avoir disparu. Des palissades et cabanes de chantier étaient à sa place encore récemment.
Écrit par : Le sciapode | 12/01/2025
Répondre à ce commentaireJ'ai écrit "ferme", car il avait édifié pendant un temps (en 2022, je pense) une barrière qui délimitait une sorte de cour sur le bitume du trottoir et que dans cet espace il avait placé deux ou trois caisses remplies de terre où il avait fait quelques plantations, notamment des tomates.
Écrit par : Régis Gayraud | 14/01/2025
C’est stupéfiant en effet…tellement stupéfiant qu’on se demande si ce n’est pas une performance d’art contemporain dont le cynisme n’a, malheureusement parfois, pas de limite…La fondation Cartier, Jean Nouvel…des noms qui peuvent nous faire craindre le pire.
Je suis étonné que la police ait laissé quelqu’un accumuler des planches, commencer une base, échafauder des parois, peindre les fondations en violet, etc…qui plus est, sur le boulevard Raspail!
Faire tout ça, ça prend du temps, ça ne peut pas être une installation sauvage installée en deux temps trois mouvements…
De plus, il y a des « estampes à motifs géométriques» qui font très « art contemporain » clouées sur une face qui m’interrogent.
Mais je suis peut être trop méfiant et si j’ai tort, alors bravo à cette personne!
Écrit par : Darnish | 13/01/2025
Répondre à ce commentaireCher Darnish, c'est bien sûr étonnant, mais ce genre de construction (certes jamais aussi imposante) n'est pas si rare. Outre le Turc de Richelieu-Drouot et à Papillon gare de l'Est,qui lui aussi avait peint sur le sol et détourné du mobilier urbain, en incluant des bancs publics, je pense au type qui s'était installé une véritable maison avec coin douche et plusieurs pièces au pied d'échafaudages place Pigalle (il peignait des grands tableaux sur cartons et bâches, son campement a duré presque un an, qu'est-il devenu?), à la maison en forme de nid de guêpes qu'un type s'était fabriquée en utilisant des rouleaux de gros ruban adhésif entre deux potelets en bordure de trottoir rue Compans, etc. Il y en a ou il y en a eu d'autres un peu partout dans Paris, notamment un en plein XVIe arrondissement que j'ai vu l'an dernier (y est-il toujours?). mais c'est vrai qu'en face de la fondation Cartier boulevard Raspail, celui-ci dépasse tout ce que l'on peut imaginer.
Écrit par : Régis Gayraud | 14/01/2025
J'ai donné sur ce blog, il me semble, faudrait aller rechercher..., mention d'un site vidéo qui recensait un certain nombre de ces créations sauvages urbaines à Paris. Peut-être à l'occasion de ma note sur Michel Godin des Mers... (Non, il s'agissait d'un site vidéo, qui paraît stoppé à présent, et qui s'appelait "Brèves de Trottoirs", avec des clips de deux cinéastes inventifs, Lambert et Salva, que l'on peut retrouver archivés sur le web, même si en les visionnant aujourd'hui, je n'ai pas retrouvé le même dispositif qu'autrefois, où les personnages filmés étaient placés sur une carte de Paris avec des emplacements sur lesquels on cliquait).
Sinon, Darnish, vous êtes un peu trop sévère avec la Fondation Cartier, qui a par le passé plusieurs fois proposé des expos sur des créations populaires de pays lointains, Congo, Amérique du Sud... montrant sa considération pour l'art populaire international. Si l'argent des grands argentiers peut servir à nous renseigner sur ce genre de créativité de frères humains éloignés, c'est tant mieux, il n'y a pas à parler de "cynisme" pour l'occasion. C'est toujours mieux que les expos d'art contempopo pleines d'inanité des sieurs Vuitton et Pinault.
Écrit par : Le sciapode | 14/01/2025
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