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01/10/2020

De la sculpture automatique, un masque du facteur Georges Maillard

     Georges Maillard et ses Rocamberlus, j'en parle ailleurs que sur ce blog, en fait dans le numéro 163 d'Artension, actuellement dans les kiosques, puisque couvrant la période de septembre-octobre. Cet ancien facteur, au départ dans sa jeunesse ouvrier agricole et bûcheron, s'est mis, après avoir pratiqué la photographie en autodidacte, via un club photo organisé à l'intérieur de la Poste (il a une prédilection pour la photo réaliste populiste, assez proche de la photographie dite "humaniste"), dans  les années 1980, à assembler des pierres aux formes suggestives qu'il avait accumulées depuis des années, à toutes fins utiles. Il allait aux expositions de l'Atelier Jacob entre 1972 et 1982, et il connaissait un peu les sculptures de silex assemblés de Marcel Landreau qui les dressait à Mantes-la-Ville. Cela – il le reconnaît humblement, sans rien dissimuler, car le bonhomme reste modeste – a pu le guider vers ses personnages particulièrement grotesques, tour à tour tourmentés ou cocasses.

Le théâtre de la 1ère terrasse (de 3 quart) (2).jpg

Georges Maillard, le théâtre des statuettes sur la 1ère terrasse, photo Bruno Montpied, juin 2020.

Figures fantastique 2e terrasse côté droit (vu de la rue) (2).jpg

Georges Maillard, figure fantastique en ciment-colle sur la 2e terrasse ; ph. B.M., juin 2020.

 

     Mais ici, dans cette note, je ne veux évoquer qu'un petit à côté de sa production. Il ne se contentait pas d'ériger des assemblages de pierres toutes en circonvolutions, il les confrontait à des façonnages en ciment-colle qu'il a mêlés aux pierres sur les terrasses de son terrain pentu (voir la figure fantastique ci-dessus). Cela a donné de grandes figures comme l'ensemble dit des "Chimériques" dont j'ai publié une photo dans Artension. Parfois, il mariait les figures en ciment aux pierres au sein d'une statue, ne dédaignant pas des incrustations d'accessoires, pour souligner les contours des yeux par exemple. Ou bien il se servait du ciment pour réaliser des socles.

Au-dessus du garage, la figure centrale (2).jpg

Georges Maillard, Rocamberlu installé sur la 1ere terrasse, au-dessus de son garage, associant pierres, ciment, et accessoires incrustés ; ph. B.M., juin 2020.

 

      En maniant le ciment pour ces pièces principales, il lui en restait des chutes qu'il ne se résignait pas à jeter. Alors, d'une main et d'une truelle plus primesautières encore que lors de ses façonnages de figures chimériques, il faisait des masques, parfois des bonshommes, dans une sorte de régression vers les graphismes sommaires de son époque enfantine. Et les abandonnait entre ses Rocamberlus, à leurs pieds, ou bien appliqués contre un parpaing de sa clôture. On en voit dans la photo ci-dessous, placées dans les interstices de ses créatures, modestes œuvrettes auxquelles on ne prête pas attention de prime abord, et pourtant...

Restes de ciment dans les interstices des Rocamberlus (2).jpg

Georges Maillard, dans l'escalier vers une de ses terrasses, des figures en restes de ciment semées dans les interstices des Rocamberlus, ph. B.M., juin 2020.

Bonhomme en reste de ciment sur un mur de parpaings (2).jpg

Georges Maillard, bonhomme réalisé en chute de ciment, sur un mur de parpaings, ph.B.M., juin 2020.

 

      A ma dernière visite, Georges Maillard me proposa d'emporter quelque chose, et ma main, comme téléguidée par l'Ange qui me suit et me conseille, se porta sans hésiter vers l'une de ses humbles et pourtant expressives, figurations, un masque grumeleux et souriant, comme d'un être qui aurait beaucoup bourlingué, portant sur sa face les stigmates de quelques excès... Un nouveau compagnon...

 

Georges Maillard, masque ss titre, ciment, vers 2019, alt (2).jpg

Georges Maillard, masque en chute de ciment, 15 x 11 cm, vers 2019 ; ph. et coll. B.M. ; selon l'éclairage, le masque prend des expressions variées: ce jour-là, il paraissait soucieux et son sourire était comme épais, lourd...

 

*

 

Les Rocamberlus de Georges Maillard sont visibles depuis la rue, au 16 rue de Marines, Osny (communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise, dans le 95, Val d'Oise).

 

 

 

10/05/2020

De l'art involontaire à la poésie naturelle

     Voici un art qui n'a pas besoin de ministre de la culture auprès de qui aller pleurer pour défendre ses subventions. Car il est dans nos yeux, notre regard. Cela a à voir avec les ready made de Marcel Duchamp, l'artiste détesté de Mme Esterolle. Cet art, c'est par exemple un dispositif insolite dû à des dépôts de hasard sur un trottoir...

Installation involontaire_2020 02 27, 9h43.jpg

Photo José Guirao, février 2020 ; une installation involontaire, comme un matelas amoureux d'une bouteille et qui fait tout pour la protéger...

 

... Un mannequin sanguinolent, trucidé par un surréaliste de passage...

Le mannequin sanglant, 2020 03 16, 10h52.jpg

Photo José Guirao, mars 2020.

 

      Ou encore une bouche d'incendie tentaculaire, prête à saisir quelque proie au passage, ou à partir en quête, à défaut...

Bouche d'incendie 2019 11 23.jpg

Photo José Guirao, novembre 2019.

 

      La poésie involontaire (pour emprunter ce terme à Eluard), ce peut être aussi ce que l'on a appelé la poésie naturelle, dont Camille Bryen et Alain Gheerbrant firent une anthologie en 1949. Ce peut être des dessins de lézardes dans les murs ou sur le bitume (je songe à mon petit film en Super 8 Sur les trottoirs de nos villes, de 1982), ou des contours signifiants dans des vitres trouées.

 

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Photogramme d'après Bruno Montpied, Sur les trottoirs de nos villes (6 min.), 1982.

 

     On se reportera avec fruit à la catégorie listée à droite de mon blog : Art involontaire. On y retrouvera plusieurs notes parues à ce sujet les années précédentes sur ce blog. Celle ici présente s'y ajoutera.

 

Sieste-de-sorcière,-Vue-rap.jpg

La sorcière assise ; photo Bruno Montpied, Cannes, vers 1988 ou 1989.

 

      Une catégorie connexe, c'est la poésie du hasard naturel, et ce que l'on appelle les paréidolies, ces projections, ou ces reconnaissances, de notre mémoire durant la contemplation de formes significatives dans le spectacle du monde extérieur. J'en ai  déjà parlé, la dernière fois, c'était il y a un an. C'est un domaine assez vaste là aussi, qui débouche bien souvent sur des personnes fortement tentées d'interpréter, de jouer des formes trouvées dans la nature, pierres, bois flottés et tutti quanti (il y en a un certain nombre dans les arts populaires spontanés, qu'on se reporte entre autres à mon Gazouillis des éléphants)...

    Les arbres extraordinaires aussi sont un sous-ensemble des formes naturelles qui parlent à l'imagination.

Les deux troncs (2).jpg

Ancien tronc de tilleul à Lafauche (Vosges) ; ph. B.M., 2016.

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If millénaire, La Lande-Patry (Orne) ; ph. B.M., 2010 ; signalé par Remy Ricordeau.

 

       Mais revenons à notre art involontaire, expression parfois d'une autre nature, celle qui est inscrite dans l'homme, et qui pousse par exemple certains individus à triturer de la corde et obtenir de façon automatique, germinative, un dessin et une matière aussi singulières qu'inutiles...

Cordelette tressée  (sans doute machinalement par Bertand Massénat) (2).jpg

Cordelette triturée machinalement par M. Bernard Massénat, anc. coll. Alice Massénat.

 

      ... Ou à ces dessins d'animaux obtenus par le hasard de décollage de silhouettes publicitaires ou décoratives peut-être, en tout cas, sûrement involontaires.

Mur d'animaux en ombres, Nivolas-Vermelle (2).jpg

Traces de silhouettes animales Nivolas-Vermelle (2).jpg

Dessins laissés par de la colle, après décollage de silhouettes découpées en bois peint? ; aperçus en compagnie de Fatimazara Khoubba et Alain Dettinger, à Nivolas-Vermelle (Isère) ; ph. B.M., 2016.

 

     Enfin, évoquons en conclusion provisoire, ces petites compositions, du hasard toujours, fragments de couleurs encadrés dans un but non artistique, plutôt avec une finalité professionnelle...

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Anciennes couches de peinture, dégagées par des peintres en bâtiment probablement, peut-être pour des restaurations à venir : le "pas toucher!" prend un sens ambivalent assez drôle, plutôt sacralisant ; Galerie Vivienne, à Paris ; ph. B.M., 2018 (merci à Régis Gayraud avec qui je découvris ces petites œuvres du hasard).

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24/07/2019

Pareidolies, comme s'il en pleuvait

     Les pareidolies, ces projections de la mémoire qui reconnaît des visages, des corps, des objets, des expressions dans le spectacle du monde autour de soi, ne sont pas toujours aussi subjectives qu'on veut bien le dire. Car si d'autres que nous reconnaissent les mêmes identifications dans les accidents des formes naturelles ou manufacturées, c'est qu'elles ont tout de même une part de caractère concret, objectif. Et donc qu'elles ne relèvent pas tant de l'hallucination, mais plutôt d'une mémoire collective propre à une communauté de gens, qui gardent leur œil aux aguets... Sans compter qu'il existe parfois des figurations tout à fait patentes pour l'ensemble de la population mondiale sur les écorces, les surfaces des volcans, dans les nuages, sur les murs lépreux, les concrétions des grottes, le mobilier urbain, les bouches de métro, les pignons des maisons, les taches des bandes piétonnières, etc., dont Internet fait en permanence son miel, comme cette "tête à Toto" qui se dessina un jour à la surface de la lave d'un volcan...

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Grimace volcanique dans un cratère de l'archipel d'Hawaï, juillet 2016.

 

    L'ami Darnish a retrouvé des photos de 2011 prises à Rennes sur des troncs d'arbres. C'est mon prétexte pour enfiler des perles sur un collier, en en proposant quelques autres (comme je l'ai déjà fait, de-ci de-là, sur ce blog) pour leur faire cortège... D'autres photos : de moi, d'autres amis, ou venues du Net...

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Photos Darnish, à Rennes, 2011.

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Ceci dit, cette excroissance invraisemblable, mais authentique, captée dans le Bois de Vincennes en 2013 par Myriam Peignist, est nettement plus extraordinaire... Comme si l'arbre s'était mis à cauchemarder, possédé par un singe s'incarnant dans son écorce.

     

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Apparition d'un colérique (marc de café au fond d'une casserole), photo Bruno Montpied, 2015.

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Un livre pour la jeunesse des éditions Grandir, d'auteurs japonais qui traquent les apparitions de figures dans des bourgeons.

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Photo Tadao Tominari et Toru Mogi.

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Photo Tadao Tominari et Toru Mogi.

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Photo Bruno Montpied, 2010, Paris 18e ardt.

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Là, c'est peut-être trop beau pour être vrai, ce torse féminin "découvert" dans une cuillère de yaourt un matin... photo non référencée trouvée sur le net...

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L'idole de Port-la-Nouvelle, à la jupe vorace... ph. B.M., 2014.

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Transmission de pensée (algues séchées et criblées de sable), plage près de Concarneau, ph. B.M., 2014.

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Visage dans un imperméable accroché à un portemanteau, Lyon, 2016, ph B.M.

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Elevage d'hallucinations, plage de Saint-Malo, 2010, ph. B.M ; voilà bien un lieu idéal pour les amateurs de bord de mer et chasseurs de pareidolies, on élève avec ces brise-lames rognés par le sel et le temps des apparitions fantastiques de tous ordres, voir ci-après... : Les totems de St-Malo...

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L'affligé, St-Malo, 2010, ph. B.M.

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L'ébaubi, St-Malo, 2010, ph. B.M.

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Le soupeseur, St-Malo, 2010, ph. B.M.

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Un nez, que dis-je un nez, un roc, une péninsule..., St-Malo, 2010, ph. B.M.

 

   Et, pour clore provisoirement cette série, cette cuvette de W-C abandonnée, humiliée, dans la rue Francœur, dans le 18e ardt parisien, 2019, ph.B.M....

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11/11/2018

La femme dans la graine guettée par un poignard

     Une œuvre d'art? Ce n'est pas toujours ce que l'on croit usuellement. Ce peut être, plutôt qu'une œuvre peinte ou sculptée, une histoire que l'on raconte à son propos. Il faut cependant un objet, un point de fixation pour cette histoire. Et si une aventure s'attache à cet objet et à son histoire première, cela enrichit l'œuvre.

    Je vais vous narrer un de ces objets que j'ai acquis récemment, pourvu d'une de ces histoires.

    Une statuette, venue d'une graine d'un centimètre à peu près au départ - paraît-il  (je crains qu'il y ait beaucoup de "paraît-il" dans cette note -, me fut présentée par un marchand dont je visitais la galerie avec curiosité. Sa boutique exhibait à la fois de l'art d'Extrême-Orient, et des objets aux formes naturelles insolites, des ready-made de hasard, pierres et bois trouvés mis en valeur grâce à un soclage adroit. On voyait aussi par places des statues rongées, ruinées, auxquelles l'usure, la dissolution conférait une beauté composée de tout ce que l'on imaginait à partir de leurs manques sans doute.

Anonyme, statuette chamanique (Birmanie) taillée dans une graine en prévision de sa germination, 15 cm (2).jpg

Photo et coll. Bruno Montpied.

     La statuette, une femme nue, se tenant raidie sur son socle, était constituée d'une matière végétale de couleur jaune, et brun clair par endroits. Elle provenait, aux dires du cartel que le marchand avait placé à ses pieds, d'un chaman birman qui avait ainsi  représenté son épouse symbolique. Le plus extraordinaire tenait en ceci, qui faisait tout son prix, qu'elle aurait été conçue en germe à partir de sa graine (dont le marchand ne parvenait pas à se rappeler du nom...), mesurant donc un centimètre. Elle aurait été ainsi "orientée" (par des retouches minuscules!) à même la branche de l'arbre où cette graine était née (il fallait croire aussi au fruit d'un arbre, par conséquent). Le chaman, connaissant fort bien la forme étirée que prendrait cette graine en poussant, avait prévu d'intervenir sur l'embryon du fruit de manière à figurer les jambes, les pieds aux doigts nettement dessinés, les bras le long du corps, la taille marquée, le mont de Vénus, le ventre légèrement renflé, les seins, les fesses au verso, la tête et sa chevelure, les yeux, le nez, la bouche, les épaules... C'était à n'y pas croire, mais c'était fascinant, et j'avais envie de l'admettre.

     J'achetais la statuette (de 15 cm environ) et la rapportais chez moi.

     Le lendemain matin, mal réveillé, d'un geste malencontreux, je la fis tomber au sol où elle se brisa net au niveau des jambes au milieu, à peu près, des cuisses. Vite, je me précipitai sans réfléchir, catastrophé par ma maladresse, sur de la colle du genre super glu que je m'empressai d'étendre à la jointure des jambes cassées... Hélas! Qu'avais-je fait là? Une tache apparut immédiatement se répandant dans la rainure des jambes et en suivant la ligne de fracture des jambes...

Anonyme, statuette chamanique (Birmanie), détail de la tache-poignard.jpg

     Mais c'est là qu'intervient le paradoxal enrichissement généré par ma double maladresse : éberlué, je constatai bientôt que la tache sombre créée par la colle se diffusant par capillarité dans le végétal jaune affectait à s'y méprendre un poignard, que je pouvais interpréter comme subtil...! Et il était pointé vers le sexe de la femme symbolique du chaman birman. Comme acte manqué, si c'en était un, on ne pouvait guère faire plus complexe...

01/08/2018

Photo(s) de vacances

     Cela faisait quelque temps que je ne vous avais pas glissé sous les yeux une petite pareidolie (c'est-à-dire une projection de la mémoire sur un objet extérieur, concrétisée par une photo, cet objet y incitant fortement...). L'occasion m'en est donnée grâce à l'ami José Guirao, photographe et dessinateur dont j'ai déjà maintes fois parlé. Il a photographié récemment un monstre "bomarzien", un voisin d'un séjour dans le Midi.

Anse des Bouchons, Carry le Rouet, ph José Guirao.jpg

© Photo José Guirao, Anse des Bouchons, Carry-le-Rouet, 2018.

 

     Et en prime, puisque vous êtes sages, allez, une autre "pareidolie", vue dans le même lieu, comme une sorte de père Ubu, toujours par le même José Guirao:

Le borgne, Anse des Bouchons, Le Carry du Rouet, ph JG.jpg

Le Borgne (titre de José), Anse des Bouchons, Carry-le-Rouet, 2018.

22/01/2017

Création Franche, la revue, n° 44 et n° 45

     Si, régulièrement, je me fais l'écho de la seule revue que nous ayons réussi à pondre en France au sujet de l'actualité des arts spontanés (la création, dite franchepar Gérard Sendrey,  fondateur du musée du même nom), j'avoue avoir pris du retard vis-à-vis du n°44, sorti en juin 2016. Pourtant, il contenait d'intéressants articles, dont un en particulier de Brigitte Gilardet, une chercheuse en histoire de l'art contemporain, travaillant au CNRS, auteur récent d'un (probablement) fort intéressant ouvrage,  Réinventer le musée, François Mathey, un précurseur méconnu (1953-1985), qui est paru aux Presses du Réel en 2014.Lucienne Peiry, ph. Chris Blaser.jpg Dans ce n°44, elle se préoccupe de braquer la lumière sur Lucienne Peiry (voir son portrait ci-contre par le photographe Chris Blaser) et, en particulier, sur l'ouverture de l'art brut vers les mondes extra-européens qu'opéra celle-ci, le temps où elle fut aux commandes de la Collection de l'Art Brut (une dizaine d'années de 2002 à 2012).

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Création Franche n°44, avec une œuvre de Dimitri Pietquin en couverture, juin 2016.

 

     Par ailleurs, la création franche, ayant le courage de ne pas laisser retomber les peintres naïfs, victimes de l'aura grandissante de l'art brut – et, il faut bien le dire, des oukases de Dubuffet et de ses partisans, qui avaient beau jeu de vouer aux gémonies l'art naïf si l'on se référe à ce que l'on a mis en avant dans cet art des années 1960 à aujourd'hui , une sorte d'art cu-cul, comme dit Yankel... –, rend hommage de temps à autre à certains d'entre eux, comme dans ce même n°44 de la revue, à Simone Le Moigne (article de Jean-Pierre Nuaud).

Gisèle Grun-Rousseau, portrait d'un marin nommé Forbin, Coll perm du M de la Création Franche, ph 2008.jpg

Gisèle Grun-Rousseau, sans titre (portrait d'un marin appelé Forbin), coll. permanente du musée de la Création franche, exemple d'art naïf contemporain de belle venue, ph. B.Montpied en 2008.

 

     Gérard Sendrey dans  le même numéro, comme Gilardet avec Lucienne Peiry, veut rendre hommage à un autre critique d'art, Dino Menozzi, qui anima très longtemps en Italie la revue Arte naïve qui s'ouvrit dans la dernière partie de son existence  aux arts singuliers. Par ailleurs, on trouve aussi un article d'archive (de 1991), de Jacques Karamanoukian, trop tôt disparu, s'étant fait l'écho de sa rencontre avec le créateur brut noir américain Sam Mackey à Detroit.

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Quelques numéros d'une valeureuse revue italienne sur l'art naïf et l'art singulier (marginal), Arte naïve... 

 

     Il y a bien sûr d'autres articles dans ce numéro, je ne vais pas tous les citer, il suffit de s'abonner. En ce qui me concerne, je signe un article, d'hommage là aussi, consacré à l'autodidacte Lino Sartori, mari de cette Andrée Acézat (à qui j'ai consacré un ouvrage dans ma collection La Petite Brute), influencé par la liberté de cette femme qui sut, à plus de 70 ans passé, abandonner tout ce qu'elle avait peint jusque-là pour se lancer dans une production de caricatures enfantines singulières. Lino Sartori, quant à lui, s'il peignit aussi sur divers supports en deux dimensions, choisit de préférence les souches de bois qu'il interprétait à la peinture, dans une démarche inconsciemment proche d'un Gaston Chaissac qui, on le sait, adorait peindre sur tout ce qui se présentait à lui, vieux bidons, planches de rebut, parpaings, marmites cabossées... Des œuvres de Sartori sont récemment entrées dans la collection permanente du musée de la Création franche.

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Lino Sartori, sans titre, tronc d'arbre évidé peint, coll. privée, région bordelaise, ph. B.M.

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Lino Sartori, sans titre (dialogue entre marionnettes?), 2007, coll. privée bordelaise, ph.B.M.

 

     Par ailleurs, est également sorti, en ce mois de janvier 2017, traditionnellement décalé par rapport à son mois annoncé en couverture (décembre 2016 ; la revue publie deux numéros par an), le n° 45 de Création Franche.

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Création Franche n°45, décembre 2016 ; en couverture, une œuvre d'une récente découverte de Pascal Rigeade : Léonie Pointis.

 

    Au sommaire, j'ai particulièrement retenu l'annonce par le directeur du musée, Pascal Rigeade, de la requalification du musée en "équipement d'intérêt métropolitain" depuis le 1er janvier dernier. Ce qui paraît signifier que les locaux deviennent propriété de Bordeaux métropole, alors que ce qui s'y expose et s'y anime reste de l'initiative de la ville de Bègles. Pascal Rigeade, dans son éditorial, délivre l'idée que cela pourrait induire des possibilités d'agrandissement et de modernisation pour le bâtiment actuel du musée. Ainsi qu'une communication accrue autour de ses manifestations. On sait qu'a été abandonné le projet de déménager le musée vers la Cité Numérique qui se trouve géographiquement plus près de Bordeaux. Il faut donc imaginer que les responsables de la Création franche rêvent maintenant plutôt de repousser les murs. Cependant, il faut noter parallèlement que le maire actuel de Bègles, Noël Mamère, qui a œuvré grandement à l'épanouissement du musée, ne se représentera pas aux élections en 2020. Il faut espérer que cela n'aura pas de conséquences sur l'avenir du musée, en place et actif depuis 1989 tout de même, et donc bien inscrit dans le paysage des arts spontanés à la fois régionalement, nationalement et internationalement.

      Par ailleurs, dans ce numéro on retrouve quelques contributeurs habituels : Paul Duchein (qui me paraît en petite forme), Dino Menozzi (sur une exposition d'"Irréguliers" à Cles, province de Trente, qui pose la question de "l'authenticité" préalable à toute création par ailleurs taxée d'"outsider" ; je dois dire que son texte, reposant les sempiternelles questions de délimitation terminologique m'a paru quelque peu embrouillé ; en particulier, qui  aurait l'idée – à part en Italie?– de reléguer encore  les "outsiders" et les "irréguliers" dans un quelconque ghetto?), Gérard Sendrey, Bernard Chevassu (qui revient sur les rochers de Rothéneuf de l'abbé Fouré sans véritablement apporter du neuf sur la question, et en véhiculant même une approximation à propos du gisant de la pointe du Christ – ce dernier n'est pas "Judicaël", comme avait cru bon de l'affirmer Frédéric Altmann, que l'on se rapporte à ce que j'ai révélé sur ce blog même, on se demande à quoi ça sert que je me décarcasse?), Jo Farb Hernandez (qui signale ses travaux de recherche sur les environnements spontanés en Espagne, ce que j'avais moi-même déjà relevé dans le n°43 de cette même revue en la citant, ainsi que d'autres ayant travaillé sur le même sujet (ce qu'elle bien entendu se passe bien de faire... ; le rédacteur en chef de la revue aurait pu – je le signale au passage – le rappeler en note)...

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Michel Maurice, sans titre, Musée des mille et une racines de Cornimont, ph. (inédite) B.M., 2016.

 

       En ce qui me concerne, j'ai offert à ce numéro un article qui dévoile pour la première fois dans une publication liée aux arts spontanés un petit musée pratiquement - je gage - inconnu du public des amateurs de ces arts, le Musée des mille et une racines de Michel Maurice (1937-2014) situé à Cornimont (Vosges ; il est dommage que la revue n'ait pas jugé utile de garder les coordonnées de ce musée que j'avais pourtant pris soin d'insérer à la fin de mon article, je les remets donc ici à la fin de cette note). Encore un créateur qui a collecté durant des décennies (50 ans) des formes naturelles en bois tantôt laissées telles quelles, tantôt réinterprétées, teintées, sculptées, etc. Cela avec beaucoup de goût. Après son décès, il est à noter que la municipalité de Cornimont, avec l'appui de ses proches, notamment sa fille Corinne, lui a bâti un musée tout exprès dédié.

Musée des Mille et Une Racines, 23, route de Lansauchamp, Cornimont (près de Gérardmer) . Ouvert tous les jours de 10h à 12 h et de 14h à 18h sauf les mardis ; fermeture du 14 au 30 novembre. Tél : 03 29 23 95 74.

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Michel Maurice, sans titre, (deux promeneuses?), musée des Mille et une racines de Cornimont, ph. B.M., 2016 ; photo non retenue par la rédaction de Création Franche.

Du côté de la Création Franche, à signaler dans les expositions à venir plus particulièrement une expo consacrée à l'art brut en Finlande du 14 avril au 11 juin 2017 qui promet d'être intrigante, tout autant que celle qui fut récemment consacrée à l'art brut indonésien.

16/04/2016

Benoît Jaïn et les galets

     Bon sang ne saurait mentir, faut croire... Benoît Jaïn est le petit-neveu du sculpteur Pierre Jaïn, connu dans l'art brut pour ses sculptures sur os et sur bois qui ont fait l'objet de plusieurs expositions. Actuellement, dans le nouvel espace consacré à Jean Dubuffet, à la Collection de l'art brut de Lausanne, quelques pièces ont été sorties des réserves.

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Os sculpté par Pierre Jaïn, dans la main de Benoît, son petit-neveu, ph. Bruno Montpied, 2013

     Benoît, depuis pas mal d'années, travaille à la mémoire de ce grand-oncle autodidacte passionné de théories mystiques, de folklore breton, et de sculpture d'après des matières parlantes comme les souches de bois où il voyait, par exemple la procession de la Grande Troménie du Locronan tout proche de son domicile (il habitait Kerlaz dans le Finistère), ou un Diable près d'une femme... Il sculptait aussi le granit et jouait d'une batterie bricolée dans son jardin. Il recourait à une culture grandement reconstruite par lui à partir d'éléments glanés dans son environnement. En Bretagne, les nuées, les roches, les arbres, tout parle avec force. On ne compte plus les poètes, savants ou non, qui glanent le long des grèves, algues, galets, bois flottés, épaves en tous genres. C'est un genre à lui tout seul, cet art sur épaves, il y a même eu il y a quelques années une biennale qui s'était spécialisée dans les arts de la récup' sur plages, "brut de pinsé", cela s'appelait. Aller au pinsé, c'est glaner sur l'estran, l'espace de plage d'où la mer s'est retirée.

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Os du stock de Pierre Jaïn, interprété par Bruno Montpied, titre: Os osé, ph. B.M., 2013

 

      Benoît, faut croire que ça le travaillait, cette méditation de son aïeul, et plus généralement, cette passion bretonne (ou non) pour les matériaux de rivage, cela a dû infuser en lui. Et puis, on s'est aussi rencontré, on est devenu amis, et moi aussi je dessine sur galets, plus rarement sur bois. Dernièrement, il m'a montré un stock d'os que son grand-oncle avait stockés, sans avoir eu le temps ou l'inspiration pour les interpréter, et il m'en a donné un, que j'ai interprété à mon tour et que je lui ai renvoyé en cadeau. Des galets, il n'a qu'à se baisser pour en ramasser, même si, comme il ne doit pas être seul à le faire, il y a maintenant de plus en plus d'arrêtés de pris pour interdire ce glanage. Et voici que Benoît a cédé lui aussi au démon de la peinture sur galets, marqueurs Posca en main, avec ce plaisir supplémentaire qu'il n'a pas hésité à se donner, celui de trouver des titres qui excitent l'imagination. Cela donne les résultats suivants :

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Benoît Jaïn, Yaniig an naod (Petit Jean du rivage), 2016

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Benoît Jaïn, Paré pour danser, 2016

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Benoît Jaïn, Monocorne de Lorette, 2016

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Benoît Jaïn, Crooner crâneur, 2016

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Benoît Jaïn, Inquiétude fardée, 2016

14/02/2016

Création Franche n°43 où les inspirés du bord des routes sont de retour

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Le n°43 d'une revue fondée en 1989

 

    Voici le nouveau numéro de Création Franche, revue bi-annuelle, un numéro au printemps, un numéro en hiver... Disponible sur abonnement, ou directement au Musée de la création franche à Bègles, et de temps à autre à la librairie de la Halle St-Pierre, Paris 18e ardt...

   Au sommaire − en dehors de l'édito du directeur, Pascal Rigeade, qui, cette fois-ci, nous présente le nouveau rendez-vous du musée, appelé de façon très branché "le Lab" (qui, d'après ce que j'en ai compris, souhaite révéler le dialogue que noueraient telle ou telle œuvre de la collection avec le contexte social, économique, culturel, etc, de sa production... Ambitieux programme...), et de l'article de Gérard Sendrey, l'ancien directeur, et fondateur du musée − on trouve cinq chroniqueurs extérieurs : Paul Duchein, Dino Menozzi, Denis Lavaud, Bernard Chevassu et moi-même. Les deux créateurs évoqués par Duchein et  Menozzi ne m'ont, je dois dire, pas beaucoup retenu. Non, je me suis plutôt attardé sur l'article de Bernard Chevassu qui propose une balade du côté des "racines et des rêves", autrement dit, de créateurs qui ont ce point commun de s'intéresser fortement aux formes suggestives de la nature, notamment arboricole. On y retrouve, au hasard des pages, quelques images des œuvres de Félix Gresset, personnage dont je n'avais plus entendu parler depuis une éternité, je crois bien que c'était dans une ancienne brochure de l'Aracine la dernière fois...

     En cherchant un peu dans ma documentation, j'ai finalement retrouvé une notice sur lui, illustrée de deux reproductions, dans le catalogue Art Brut, collection de l'Aracine, édité par le LaM, musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq en 1997. Il y est dit que Gresset, ouvrier forestier dans le Jura, avait installé des personnages constitués de branches, de racines, ou bien encore de souches interprétées, devant sa maison, dans un village joliment appelé Chantegrue (un nom de lieu prédestinant là encore, sûrement). Ce qui me permet de le ranger parmi les créateurs populaires d'environnements chers à mon cœur. L'article de Chevassu vagabonde avec raison de façon agréable chez les assembleurs et interprètes amateurs (ou non : plusieurs de ceux qu'il cite paraissent plus "artistes") de poésie naturelle. On sait que, rien que dans la catégorie des créateurs autodidactes populaires, ils sont légion. On aime à ramasser du bois mort, ou des galets aux formes tourmentées, qui représentent d'étranges formes interprétables. C'est la manière que les fées et les trolls ont trouvée pour se perpétuer jusqu'à notre époque trop raisonnante. 

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Le jardin de Félix Gresset, photo parue dans Art brut, collection de l'Aracine (1997)

    Ce numéro de Création franche s'attarde plus que d'habitude chez les inspirés du bord de routes. C'est ainsi que l'on lit avec plaisir l'entretien que Francis David, l'émérite photographe du Guide de l'Art insolite dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie (Herscher, 1984), a donné avec bonne grâce à Denis Lavaud. Le dialogue revient sur le parcours de ce pionnier en matière de recherche d'inspirés, en nous révélant que c'est, entre autres, à la suite des expositions de Claude et Clovis Prévost que dès 1977 à Chartres, Francis David décida de s'intéresser de plus près aux habitants-paysagistes. Il y a en effet une chaîne de quêteurs d'inspirés du quotidien qui va, ininterrompue, depuis le début du XXe siècle (si l'on pense aux photographes anonymes qui nous ont gardé la trace par la carte postale de tant de sites du passé) jusqu'à aujourd'hui.

     Francis David, en plus de son travail photographique des années 1980, aurait très bien pu développer l'écriture, de façon tout aussi originale que dans sa photographie. Il s'est en effet rapproché des écrivains-voyageurs, si l'on se réfère aux quelques rares notes de balade (des vers en réalité) qu'il fit paraître dans le catalogue de l'exposition Les Bricoleurs de l'Imaginaire (Musées de Laval et de La Roche-sur-Yon, 1984). Ces dernières se terminaient par ces mots:

     "rouler jusqu'à la nuit / avec l'ivresse de ces courses et de ces rencontres / avec le vertige / d'avoir à délimiter / les fondations d'une tour de Babel / que des rêveurs s'acharnent / à bricoler pour nous / tous."

    Un Gabriele Mina, en Italie, s'est souvenu de cette tour de Babel dans le titre de ses livre et site web (Costruttori di Babele...). De même qu'un certain Bruno Montpied ne rougit pas de reconnaître qu'il a dû se souvenir des "bricoleurs de l'imaginaire" (cf. le titre du catalogue et de l'exposition initiés par Francis David), pour le film qu'il a écrit avec le réalisateur Remy Ricordeau, Bricoleurs de paradis...

Les Bricoleurs de l'imaginaire, F.David.jpg

    B.M., dans ce même numéro 43 de CF, a rapporté un petit reportage sur un environnement étourdissant, très atypique, qu'il est allé voir en Espagne, en compagnie de deux camarades, l'été dernier. Ce site incroyable, créé par un certain Julio Basanta, pour commémorer le meurtre de son frère, puis de son fils, par la police, à vingt ans d'intervalle, est imprégné d'un mysticisme légèrement délirant qu'il paraît fréquent de rencontrer chez nos voisins ibères. L'article aurait pu faire partie de la série de notes que j'ai commencée sur ce blog (intitulée − bien présomptueusement puisqu'il n'y a eu jusqu'ici, je m'en avise avec confusion, qu'un seul épisode s'y rapportant − "Journal de voyage en Espagne"), évoquant en pointillé cette dérive automobile en Espagne. Je ne me laisserai pas aller à évoquer cette création architecturale et sculpturale, car cela nous emmènerait trop loin. Publions juste une photo supplémentaire et renvoyons nos lecteurs qui voudraient en savoir plus vers la revue. Car la fin du papier par la lecture sur internet n'entre pas dans mes vues... 

vue générale 2, le site proprement dit (2).jpg

La "Casa de Dios" de Julio Basanta, ph. Bruno Montpied, 2015

  

 

27/02/2015

Corbeau roux

     Apparu tout à coup dans la déchirure d'un papier peint dans un atelier d'arts plastiques, sans qu'il y ait eu volonté de créer une figure apparemment (et après vérification auprès d'une animatrice de l'atelier), voici un drôle d'oiseau au long bec qui me regardait dans le couloir où j'étais tombé nez à nez avec lui. Personne n'y faisait attention. Il fallut le photographier et ainsi le recadrer pour que les autres personnes présentes ce jour-là admettent de le voir..

 

Corbeau dans une déchirure de papier peint, rue sambre et meuse Xe ardt, fév 15.jpg

Dans le Xe arrondissement, Paris, photo Bruno Montpied, février 2015 

24/11/2014

"L'autre de l'art": bref, l'art de l'immédiat

      Se tient actuellement au LaM une exposition, "L'autre de l'art"  (sous-titré "art involontaire, art intentionnel en Europe, 1850-1974", allusion transparente à un célèbre titre de recueil de Paul Eluard), qui, parallèlement à un des objectifs affichés dans le texte introductif du catalogue (dû à Savine Faupin, la commissaire principale de l'exposition), "brouiller les frontières entre art populaire et art savant", apporte du nouveau sur divers plans, du moins si l'on s'en rapporte au catalogue publié à cette occasion (mais l'expo qui s'y rapporte doit être bien belle et riche si l'on s'en rapporte à ce ramage). Apporte du nouveau et me confirme personnellement dans mes choix, tels que défendus sur ce blog entre autres. Que ce genre d'exposition, qui a retenu plusieurs découvertes accomplies au cours de l'histoire du mouvement surréaliste, puisse aujourd'hui se monter a de quoi nous rassurer.

     On pourrait croire ainsi, lorsqu'on lit le catalogue dans l'ordre, "traumatisé" qu'on est par les expos d'art brut parisiennes de ces temps-ci (à la Maison Rouge, galerie Christian Berst, galerie Agnès B....) où un méli-mélo art brut/art contemporain s'esquisse, qu'on cherche aussi à Villeneuve-d'Ascq, de prime abord, à conduire l'amateur d'art brut et autres langages hors-normes dans des contrées singulièrement embrouillées, où art brut et art contemporain, c'est kif-kif —histoire au fond de régénérer le marché de l'art tout simplement (car quelle autre tactique en définitive se cache derrière de tels discours, le capitalisme cherchant perpétuellement de nouveaux profits?). Au LaM de Villeneuve-d'Ascq, dont je me demande toujours s'ils ne sont pas trop embarrassés d'avoir à gérer trois collections aussi différentes que celles d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut, l'on parle volontiers de transdisciplinarité, de passerelles, de transversalités. C'est un peu obligatoire, étant donné une collection à trois visages. Mais je me demande si ce ne sont pas que des mots, et si cela ne débouchera pas à la longue sur un grand magma, un grand foutoir où une chatte ne retrouvera plus ses petits. Je parle au futur, mais j'ai bien l'impression que c'est déjà en place ailleurs, on a atterri dans un nouveau paysage de l'art qui ressemble furieusement aux banquises actuellement en pleine débâcle, des pans entiers se mettant  à dériver ici et là...

 

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     Mais passons les préfaces, les introductions et les intentions (peut-être exprimées de façon seulement stratégique) et regardons de plus prés certains chapitres, en s'intéressant moins aux tentatives d'annexion de "l'autre" par l'art qu'à cet art de "l'autre", un art qui ne se pare pas toujours du nom d'art, et qui se manifeste en dehors des systèmes artistiques conventionnels, au cœur de nos vies quotidiennes. En fait, à suivre petit à petit le catalogue, on s'aperçoit progressivement qu'on nous emmène du côté de ce que j'appelle depuis le début des années 90 l'art de l'immédiat. Et cela, ce n'est pas du tout la même tisane que celle qu'on tente de nous vendre à Paris!

 

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Dessin d'Auguste Forestier exposé aux "Chemins de l'Art Brut VI" à St-Alban-sur-Limagnole en 2007 

 

     Savine Faupin nous parle de ses recherches sur des psychiatres d'avant-garde tels que Maxime Dubuisson à l'asile de Braqueville (le bien nommé...) à Toulouse (grand-père de Lucien Bonnafé, qui conserva les albums de dessins des pensionnaires des hôpitaux où son aïeul avait travaillé, dont les splendides dessins d'Auguste Forestier, avec leurs personnages aux chapeaux extravagants), ou le docteur Benjamin Pailhas dans son asile du Bon Sauveur d'Albi. On avait peu d'informations au sujet de ces deux-là jusqu'à présent.

Sns titre (la Vierge à moitié cuite, GC), 23x16cm.jpg     Claire Margat publie dans ce même catalogue une savante étude sur la collection de Georges Courteline, son "musée des horreurs" rebaptisé à la fin de sa vie - par une sorte de repentir? - "musée du labeur ingénu", collection d'œuvres naïves (dont un tableau du Douanier Rousseau, ou ci-contre un anonyme, auteur, selon la légende rédigée stupidement par Courteline, d'une "Vierge à moitié cuite"...) construite par lui à la fin du XIXe siècle  tout à la fois par fascination et dérision envers les réalisations de ces peintres autodidactes (j'y reviendrai dans une note ultérieure). Curieuse attitude de l'humoriste en question qui achetait trois fois rien, pour s'en moquer, secrètement intrigué par ailleurs, des tableaux aux perspectives étranges, aux objets rendus ambigus par des peintres amateurs qui s'attachaient peut-être plus au retentissement psychologique de ces objets sur leur esprit qu'à leur représentation photographique, ce que Georges-Henri Luquet appela intelligemment un "réalisme intellectuel", terminologie plus précise qui aurait dû supplanter le terme "d'art naïf", mais rebuta finalement car peut-être pas assez "vendeuse"... Claire Margat s'attache avant tout à ce paradoxe du collectionneur qui collectionne des œuvres pour marquer sa distance vis-à-vis d'elles. Elle trace dans son étude de savantes arabesques autour de cette ambivalence, qui se résume plutôt, en ce qui me concerne, à la position bien sotte d'un humoriste bourgeois ne comprenant rien à une tendance de la représentation qui commença au XIXe siècle à se faire remarquer, débordant les vieilles lunes de l'art académique. Comme l'art brut aujourd'hui peut-être se fait remarquer de même, dépassant un art contemporain à bout de souffle. A noter que l'étude en question réussit l'exploit de ne nous montrer que très peu de reproductions des peintures de la collection Courteline, alors qu'il en existe, certes cachées dans les bibliothèques et les archives , et au moins dans le catalogue de la vente finale de la collection à la galerie Bernheim en 1927, ainsi que dans un numéro plus  ancien de la revue Cocorico (le n°39 du 15 août 1900, numéro entièrement consacré à la collection de l'humoriste), où Courteline avait déjà publié les mêmes commentaires goguenards et pince-sans-rire que ceux qu'il inséra dans le catalogue de la vente chez Bernheim (ce qui doit nous montrer qu'en dépit du nouveau terme dont il baptisa sa collection à la fin de sa vie, il n'avait pas changé d'un iota en ce qui concerne le jugement à son propos).

 

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Peintre non identifié, sans titre (une baleine émergeant sous des anges et toutes sortes d'engins volants), 27 x 36 cm, ancienne collection de Georges Courteline, reproduction d'après une méchante photocopie en noir et blanc...

 

     Le catalogue nous parle des graffiti, et aussi du griffonnage, des dessins dits de "téléphone", tous ces croquis spontanés que tout un chacun exécute machinalement  en marge de réunions de travail, ou de cours d'étudiants. Roger Lenglet donne dans le catalogue un article fort stimulant sur ce domaine (où il ne se cantonne pas à vanter le griffonnage mais attire notre attention sur la valeur esthétique des mâchouillements, triturations nerveuses, chantonnements machinaux, tout un patrimoine qui s'efface à chaque instant...). On sait qu'il fut l'auteur d'un ouvrage sur Le Griffonnage, esthétique des gestes machinaux aux éditions François Bourin en 1992, où il donnait nombre d'exemples iconographiques de ces fameux griffonnages.l'autre de l'art,lam,savine faupin,art populaire et art savant,art naïf,art immédiat,musée du labeur ingénu,musée des horreurs,graffiti,poésie naturelle,pierre dhainaut,tristan tzara,poésie activité de l'esprit,auguste forestier,maxime dubuisson,benjamin pailhas,dessins d'enfants Ce genre de regard empathique avec ces dessins compulsifs est aujourd'hui possible en grande partie grâce aux surréalistes qui dès les années 20, dans leurs revues, attiraient l'attention sur les griffonnages des buvards de conseils de ministres... On sait aussi que des collectionneurs engrangent parfois au milieu de leurs collections d'œuvres dûment estampillées œuvres d'art des figurations cahotiques sur cartons, voire des planches de pupitres zébrées de graffiti poignants, qui sont autant de palimpsestes de générations d'élèves griffonneurs, autant d'automatistes qui s'ignorent...

 

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Trois sous-main en bois griffonnés par des élèves en marge de leurs cours, coll. privée, région parisienne, ph. Bruno Montpied 

 

 

      Pierre Dhainaut signe pour sa part dans le catalogue deux articles, l'un sur Tristan Tzara et sa défense de la poésie qui n'est pas seulement "expression écrite" mais aussi et avant tout "activité de l'esprit", ce qui permit au poète dadaïste d'accueillir à bras ouverts à la fois la poésie phonétique —notamment celle qu'il trouvait dans la poésie africaine— et l'art produit à l'occasion d'une rupture mentale comme ce fut le cas lorsqu'il écrivit un texte sur le peintre suédois Ernst Josephson. Ce dernier bouleversa de fond en comble son esthétique jusque là classique  en renouveau visionnaire à la faveur d'une période de folie.

 

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Monographie sur Josephson avec texte de Tzara (assez court), éd. Pierre-Jean Oswald, 1976

 

      Le second article de Dhainaut —dont il faudra bien un jour songer à réunir tous les textes extrêmement éclairants qu'il a donné sur les créateurs d'environnements, l'art naïf, les écrits bruts, les arts spontanés en général (on en trouve dès les années 70 à ma connaissance ; il rappelle que c'est André Breton qui lui apprit à voir l'art naïf)— son second article a trait à l'Anthologie de la poésie naturelle, cet excellent livre de 1949 que Camille Bryen et Alain Gheerbrant consacrèrent à la poésie involontaire telle que l'avait cernée en 1942 Paul Eluard (qu'il mettait en parallèle avec la poésie dite intentionnelle des écrivains patentés). Il s'agissait de la poésie des graffitis, trous dans les vitres, lézardes des murs, inventions loufoques d'autodidactes visionnaires comme il s'en était déjà rencontré dans les années 30 dans le film de Jacques Brunius, Violons d'Ingres ou dans la revue Minotaure.l'autre de l'art,lam,savine faupin,art populaire et art savant,art naïf,art immédiat,musée du labeur ingénu,musée des horreurs,graffiti,poésie naturelle,pierre dhainaut,tristan tzara,poésie activité de l'esprit,auguste forestier,maxime dubuisson,benjamin pailhas,dessins d'enfants

     L'enfance et ses dessins sont également convoqués dans le catalogue, et notamment dans leur rapport avec le groupe Cobra qui n'hésitait pas à se laisser influencer, comme Gaston Chaissac isolé dans sa Vendée de bigots, par les tracés bruts de décoffrage des enfants tout entiers à ce qu'ils tentent de représenter et producteurs de tracés simples et sobres, aux raccourcis saisissants.

 

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Œuvres éphémères en pâte à modeler créées par des enfants de 6 ans, ph. BM, 2008

 

    Bien d'autres sujets (j'oublie par manque de place de citer plusieurs autres références, comme par exemple le chapitre dû à Béatrice Chemama-Steiner sur des pierres sculptées sauvées de justesse, vestiges d'un mur taillé  par un pensionnaire de l'asile de Sotteville-lès-Rouen, Adrien Martias, entre 1932 et 1943 -date où il meurt parmi les 40 000 malades mentaux français morts de malnutrition pendant l'Occupation suite à un abandon programmé de leurs rations par les autorités vichystes), bien d'autres sujets sont évoqués dans cette expo qui s'avère décidément très excitante, et laisse à penser finalement qu'au LaM, on parvient avec maestria à gérer de front collections d'art moderne et collections d'art brut, puisqu'on le fait dans le respect de chaque corpus.

07/07/2014

Une hypothèse inédite que je formule au sujet de certaines sculptures de l'ermite de Rothéneuf

     Voici donc l'été des vacances, l'époque de transhumance (enfin, pour les plus chanceux d'entre nous parce que l'étau du travail se resserre de plus en plus, même sur ceux qui n'en ont pas, en chercher, ou simplement survivre étant une autre forme d'aliénation). Et donc, pour ceux qui partent, si vous allez du côté de Rothéneuf, à côté de St-Malo, allez donc regarder de plus près ce qui subsiste des sculptures de l'abbé Fouré.

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Abbé Fouré en pose sculpteur, vers 1908? Coll. BM

     Le temps passant, on le sait, les roches sculptées il y a plus d'un siècle à présent (de 1894 à 1908) s'estompent toujours plus, certaines ayant disparu depuis longtemps (voir carte ci-dessous).

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Sur cette carte colorisée, on aperçoit de dos des statues de Bretonnes, épouses fouillant du regard l'horizon dans l'attente du retour de leurs maris marins ; les deux femmes représentées en pied et peintes en blanc (l'abbé on le sait peignait ses statues) ont aujourd'hui disparu, sans qu'on sache exactement à quelle époque ; on notera cependant leurs emplacements, en hauteur, disposées qu'elles sont sur des sortes de socles de roches faisant piédestal ; coll. BM

    C'est pourquoi les touristes qui passent ayant de plus en plus de mal à discerner les sculptures, chaque jour qui passe les ayant passablement érodées, et confondu avec le commun des autres roches de la falaise, les touristes se concentrent logiquement sur ce qu'ils peuvent plus facilement voir, certaines têtes restées nettement visibles et comme placées en évidence, trois en particulier, une de forme triangulaire avec son menton en pointe de botte, une avec un bonnet de marin à moins que ce ne soit d'un lutin (nain de mer au lieu de nain de jardin?), et une autre belle tête de vieux loup de mer, barbu.

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Abbé Fouré, tête de profil triangulaire, ph. Bruno Montpied, 2010

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Abbé Fouré, l'homme au bonnet (de marin ou de lutin), ph.BM, 2010

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Abbé Fouré, le barbu les yeux clos (?), ph. BM, 2010

 

    Ces trois-là sont de la belle sculpture savante, taillée avec maestria et inspiration. Justement... Tout à coup, depuis quelque temps, cela me rend perplexe. Si les autres sculptures, correctement déchiffrables sur les anciennes cartes des années 1900 et parfois encore aujourd'hui ici ou là, montrent que l'abbé parvenait dans son art à un certain réalisme puissant, appuyé toujours sur la forme naturelle donnée au départ par la roche brute, ces trois sculptures-là sont d'un style plus affirmé, infiniment moins rognoneux que les autres, plus rondes généralement (il paraît que Raymond Humbert, le fondateur du musée d'art populaire de Laduz, trouvait ces formes assez analogues à des étrons, que l'on me pardonne cette digression peu romantique). Et puis, autre argument qui accentue ma perplexité parce que plus frappant, on ne les voit apparaître sur aucune carte éditée du vivant de l'abbé (et même après, dans les années 20-30)...

     Alors? Qu'est-ce à dire? Ne serait-ce pas qu'elles sont "arrivées" sur le site à une époque bien ultérieure, dans la seconde moitié du XXe siècle, après la seconde guerre, de façon posthume donc, transportées là par l'exploitant des rochers de l'époque qui reprenait l'exploitation des Rochers après l'occupation de Rothéneuf par les Allemands, le fameux Henri Brébion, auteur d'une brochure appelée "la Légende des Rochers Sculptés" où il se livre à des interprétations fantaisistes purement subjectives (reprises ensuite à l'envi par tant de plumitifs peu rigoureux jusqu'à nos jours) sur une histoire de famille de corsaires qu'aurait voulu représenter l'abbé dans ces rochers? Il aurait pu, de même que dans ses "légendes", dans l'agencement des sculptures sur le site originel, se livrer à des modifications en voulant "l'améliorer"...? Si mon hypothèse se révélait fondée, il faudrait alors s'interroger sur celui qui a réellement sculpté ces trois pièces. Est-ce bien l'abbé lui-même qui les aurait stockées à part? Dans ce cas, où étaient cachées ces sculptures que l'on ne voit ni sur les cartes des rochers début 1900 ni sur les cartes montrant l'intérieur du musée de l'ermite dans le bourg? Est-il possible d'imaginer que l'abbé les a sculptées à part et planquées, remisées sans jamais les laisser se faire photographier? Connaissant son goût de la communication via les éditeurs de cartes postales (il en existerait environ 400 paraît-il), cela paraît curieux à tout le moins, d'autant que ces sculptures paraissent les plus belles parmi celles qu'il a faites (trop belles?). On notera enfin qu'elles occupent aujourd'hui une position en hauteur, ou à tout le moins des emplacements situés de façon à bien les voir, comme si elles avaient été destinées à remplacer les statues des femmes bretonnes en train de guetter disparues à un moment donné (vol? Déplacement? Destruction?).

     Peut-on imaginer que ces trois têtes sculptées soient le résultat d'une manipulation restée inaperçue, et qu'elles soient en bref dues au ciseau d'un autre sculpteur? Je lance l'hypothèse...

12/04/2014

Art brut à Taïwan (4): Le jardin en folie d’un aborigène Amei, par Remy Ricordeau

Le jardin en folie d’un aborigène Amei

 

aborigène amei,aborigènes de taïwan,art brut taiwanais,environnements spontanés,poésie naturelle      Après avoir traversé la montagne d’Ouest en Est, je suis arrivé sur la côte pacifique de Taiwan. La région qui s’étend de l’estuaire des gorges de Taroko, un peu au nord de Hualien, jusqu’à la ville de Taidong, plus au sud, est une zone de peuplement aborigène. Jusqu’à sa sinisation plus ou moins forcée à l’époque de la colonisation japonaise (de la fin du XIXe siècle à la fin de la seconde guerre mondiale), la région était essentiellement habitée par les aborigènes Amei. Si à l’époque moderne beaucoup d’entre eux ont dû s’exiler pour chercher du travail en ville (le plus souvent comme manœuvres sur des chantiers de construction), beaucoup ont gardé des attaches avec la terre de leurs ancêtres et reviennent s’y établir à l’âge de la retraite. C’est le cas de Wu Tianlai qui, issu d’une famille de paysans Amei, avait quitté sa région pour gagner sa vie comme jardinier sur les terrains de golf à Taiwan et ultérieurement au Japon avant de revenir s’établir sur sa terre d’origine.

 

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Portrait de Wiu Tianlai par son fils Wu Zhexiong, DR

 

    Empreint de la culture traditionnelle Amei très respectueuse de la terre, dans le sens symbolique communautaire autant qu’écologique du terme, il avait hérité d’un terrain en bordure de mer au lieu-dit de la montagne aux buffles (Niu shan).

 

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Wu Tianlai, Le buffle en matériaux naturels trouvés et assemblés, mis en situation au-dessus de la propriété, photo Remy Ricordeau, 2014

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Wu Tianlai, entrée du site, ph. RR, 2014

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Wu Tianlai, côté plage, l'arbre à tongs, ph. RR, 2014

 

      Il y a plus d’une vingtaine d’années, il entreprit de le mettre en valeur en l’agrémentant de quelques-uns des nombreux bois flottés trouvés sur les plages environnantes. Dans un premier temps, il se contenta de les choisir en fonction de leurs formes suggestives sans autres interventions de sa part. Mais dans un second temps il se prit au jeu de les transformer légèrement en ajoutant quelques traits de peinture ou en effectuant quelques entailles sur le bois pour accentuer les formes qu’il voulait faire apparaître.aborigène amei,aborigènes de taïwan,art brut taiwanais,environnements spontanés,poésie naturelle

     Doué d’un goût certain dans le choix de ses matériaux et d’un sens de l’humour non dénué de provocation, l’âge de la retraite venant,  il décida de diversifier ses activités créatrices. Renouant avec la tradition totémique de ses ancêtres, il réalisa quelques sculptures de grande taille. Mais ce retour à la tradition s’effectua en vérité pour mieux la transgresser car beaucoup de ces sculptures sur bois comportent en effet des connotations grivoises assez peu orthodoxes. Ainsi prenait forme petit à petit un jardin en liberté dont il avait rêvé au cours de sa vie de jardinier salarié. Pour parachever le bestiaire qu’il s’était déjà créé, il s’initia enfin au travail du ciment afin de réaliser des pièces trop volumineuses pour être exécutées en bois.

 

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Wu Tianlai, une partie du bestiaire, ph. RR, 2014

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Wu Tianlai, l'intellectuel..., ph. RR, 2014

 

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Wu Tianlai, I love you, ph. RR, 2014

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Wu Tianlai, le diable en érection, ph. RR, 2014

 

     Fidèle à sa philosophie il sensibilisa son fils, Wu Zhixiong, à la nécessité de respecter le lieu et lui transmit le terrain pour lui permettre d’y vivre en ouvrant un café et un gîte afin d’y recevoir des visiteurs de passage. Lorsque je m’y suis rendu, ceux-ci étaient peu nombreux. Wu Tianlai et son fils étaient en outre absents, partis pour la journée effectuer quelques travaux à l’extérieur. Seule sa belle fille présente pour servir les clients put répondre à quelques-unes de mes questions. Elle m’expliqua que depuis plusieurs années déjà père et fils travaillaient de conserve à l’entretien et à l’embellissement du jardin. Elle me raconta qu’un an auparavant une partie des sculptures en bois avaient été détruites par un incendie consécutif à un court circuit. Depuis, le père et le fils avaient mis les bouchées doubles pour créer de nouvelles sculptures ou, tirant partie des œuvres en partie calcinées, avaient réussi à les intégrer de nouveau au jardin afin de rendre le lieu à sa magie originelle. Aujourd’hui, le fils étant devenu aussi créatif que son père, le jardin pouvait donc être considéré comme une œuvre conjointe.

 

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Wu Tianlai, sculpture calcinée, ph. RR, 2014

 

 

       Dans ce décor grandiose entre mer et montagne, il émane de ce jardin de la montagne aux buffles un souffle magique étonnant empreint d’une grande sérénité. L’originalité du  lieu me semble tenir au fait qu’il relève autant de la poésie naturelle que de la création brute. Mais foin de catégorisation car du fait de l’origine ethnique de ses créateurs, il est également un exemple intéressant de ce que l’on pourrait appeler un art populaire transgressif ; c'est-à-dire d’un art populaire qui s’est émancipé des caractéristiques  traditionnelles dont ses créateurs se sentent par ailleurs héritiers. Ainsi l’avenir de l’art et de la culture Amei passe assurément par le jardin de la montagne aux buffles.

       Remy Ricordeau

26/11/2013

Une étrange roche sculptée en forêt de Fontainebleau

 Cette note contient une mise à jour datée du 28 novembre

Roche-de-la-chouette,-Franc.jpg

Forêt de Fontainebleau, Roche de la Chouette (la Belle-Mère), tamponnée et datée au verso de 1930

 

   Curieuse carte postale, curieuse photographie sans nom d'auteur que voilà... L'intérêt de cette image à mes yeux étant que l'on n'a pas seulement affaire ici à une de ces photos de formes naturelles pittoresques sur lesquelles l'éditeur de la carte aurait plaqué une interprétation plus ou moins reconnaissable. On a en plus une action accomplie par une main anonyme qui à l'aide d'un ciseau de sculpteur a façonné la roche de façon, justement, à caractériser une interprétation de départ. Cette "Roche de la Chouette", ou cette "belle-mère", a été visiblement orientée par le sculpteur resté anonyme. C'est une démarche tout à fait voisine de celle de l'abbé Fouré qui sculpta au tournant des XIXe et XXe siècles les falaises de Rothéneuf près de St-Malo. Dans ce massif de Fontainebleau, ce genre d'interprétation visionnaire est comme on sait très commune (on se reportera au Guide de Fontainebleau Mystérieux de René Alleau publié en 1977 dans la collection des Guides Noirs des éditions Tchou-Princesse, qui entre parenthèses ne mentionne pas cette roche curieuse). Par contre, parmi toutes les roches surnommées en fonction des images que tel ou tel croyait y reconnaître (l'Eléphant, la tortue, etc.), il me semble qu'on en relève fort peu qui aient été accentuées par la sculpture, voire la peinture, et qu'on aurait pu ranger entre land art et art brut.

    Aux Gorges de Franchard, en forêt de Fontainebleau, moi qui connais assez bien le coin pour le visiter depuis des lustres en compagnie de nuées d'enfants des centres de loisirs parisiens, je n'ai jamais vu cette roche. La carte est datée de 1930. Ce n'est pas si éloigné de notre époque, et donc on peut raisonnablement espérer que la roche existe encore aujourd'hui. Mais où se trouve-t-elle exactement? Je pars à sa poursuite...

*

     Inutile de partir en quête, mes lecteurs s'en chargent presque aussi sec, et leur hâte me fait chaud au cœur... Un(e?) certain(e?) Dan me renvoie donc dans les commentaires (voir ci-dessous) à un site qui recense les roches de la forêt, et bien sûr on y apprend que la roche de la Chouette existe toujours, la voici donc:

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Etat 2012, site web sur la Forêt de Fontainebleau

 

     Le profil de "la belle-mère" a disparu, mais pas l’œil qui peut-être, cavité naturelle de forme comme bridée, donna l'idée au sculpteur anonyme des années 20-30 de poursuivre le profil en le taillant plus réalistement. Donc, de deux choses l'une, soit ce profil a disparu par usure, soit ce ne fut qu'un trucage. Et pour faire la part entre ces deux hypothèses, j'ai l'impression que mes lecteurs risquent de s'y casser les dents cette fois...

     Dernières précisions quant à la date de 1930. Elle est apposée au bas du texte en cinq mots de l'expéditeur de la carte au verso, et elle figure sur le tampon également. Mais cela ne suffit pas en effet. La carte a pu faire partie d'un lot qui publié auparavant ne s'était pas encore complètement écoulé en 1930. On sait que les textes en cinq mots ne furent permis qu'à partir de 1909... Et que certaines cartes furent réimprimées plusieurs années après le cliché original, c'était en effet une pratique commune dans les années 30. Cela expliquerait peut-être que l'on ne trouve pas de nom d'éditeur à côté de la légende (on ne voit qu'un logo, un dragon...). Donc la photo peut dater d'avant les années 30.

09/09/2013

Chemin faisant, qu'est devenu ce petit musée des années 70 entre Saint-Chinian et Assignan?

         Jacques Lacarrière évoque avec émotion et sympathie, dans cette bible de la randonnée en France qu’est son livre Chemin Faisant, au détour de quelques pages, "prés du hameau de Tudéry, entre Saint-Chinian et le village d’Assignan", un petit musée voué à la poésie naturelle que lui fit visiter un vieillard d’un autre temps (ce temps des ruraux païens se suffisant presque à eux-mêmes, tels qu’ils sont décrits dans les nombreux ouvrages de Raymond Humbert,  fondateur du musée rural des arts populaires de Laduz dans l’Yonne). Un petit paysan d’autrefois que la chasse aux rouges-gorges, dans son pays, révulsait et qui avait accumulé dans un local toutes sortes de vestiges de la création naturelle. Il était aussi guérisseur à l’occasion.

         Voici ce qu’écrit Lacarrière, entre autres :

         « Devant la maison, sous la treille, je découvre tout un amoncellement de pierres aux formes étranges, de fossiles, un petit reposoir abritant une Vierge faite de calcaires coralliens, portant les empreintes étoilées de polypiers et madrépores fossiles. A côté, une sculpture faite, elle aussi, de ces pierres ouvragées par l’eau, simplement empilées et liées par un léger mortier. Elle représente un homme en marche tenant un chien en laisse. (…) Il y a là des minéraux, (…) des racines aux formes de mandragores, des coquillages, des pierres colorées. Avec certaines, il a construit de petites figurines, dressé des personnages gnomiques ou féeriques, esquissé des scènes rudimentaires, tout un théâtre de bois, de nacre, de coraux, de paysages imaginaires. Le plus curieux, c’est que ce paysan autodidacte n’a rien lu, ne sait rien de précis sur tout ce qu’il possède. Chaque fois que quelqu’un vient, il le questionne, lui demande son avis, l’interroge sur l’origine de tel ou tel objet. Ainsi s’est formé son savoir : en parlant avec des inconnus. »

         Je ne sais s’il reste aujourd’hui, trente-six ans plus tard, quelque vestige de ce musée. Avis aux chercheurs, si vous passez par ici, n'hésitez pas à laisser quelque commentaire…

Bibliographie : Jacques Lacarrière, Chemin Faisant, mille kilomètres à pied à travers la France, éd. Payot, 1992 (Edition originale 1977, éd. Arthème Fayard) ; mille mercis à Cosmo Helectra qui m’a rappelé ce passage de Lacarrière et qui me signalait ces jours-ci que je pourrais en reparler ici, dans le prolongement de ma note évoquant le musée d'art naïf de Flayosc. Dont acte.

06/05/2013

Iles, je jette mes chaussures par-dessus bord, car je voudrais bien aller jusqu'à vous...

Munari, Cailloux.jpg

Photo Giorgio Furla, extraite du livre pour la jeunesse de Bruno Munari, De loin on dirait une île, éditions Delphine Montalant, Gand, 2002

         

     Cailloux roses ou translucides, bijoux d’un soir, de l’heure crépusculaire. La main, tentée tant de fois, cède par moments et cueille… Déception immédiate. Il faut les abandonner à leur écrin dans le sable comme du sucre roux, de même que furent répudiés ces brocs de bistrot dont les lettres désignant une marque d’alcool populaire avaient des caractères peints en bleu et saillant en léger relief. Ils avaient une si éclatante évidence qu’on aurait voulu en emporter un peu chez soi. Hélas, on se convainquait dans la minute suivante que, transplantés dans un autre décor rien n’en serait resté, le charme se serait enfui, comme celui d’une fleur coupée ou d’un insecte capturé.

         Ces petites pierres composent autant d’îles, autant d’œuvres d’art sous la lumière rasante du soleil au déclin, bleuissant les vagues, dorant la plage. Si profondément mariés à leur situation que la vie prend enfin sa valeur poétique, alors que le reste du temps elle serait plutôt cachée. La voici dévoilée, pleine comme fruit juteux, vie mûrie, enceinte de ses gouttes d’instants précieux.

         La plage est un tapis de cendres d’or, pailletée de signes trouvés, adorablement énigmatiques que seule la caméra pourra peut-être installer à tout jamais dans leur beauté vivante et en tant que telle fugace.

(Juillet 1988)

Munari De loin on dirait une île, 2002.jpg

Ce livre publié en 2002, peu connu de Munari, par ailleurs auteur original de la littérature jeunesse, cherche à propager le goût des pierres trouvées en bordure de plage, les comparant à des petites îles, montrant leurs dessins étonnants, révélant le parti qu'on peut en tirer grâce à nos projections imaginatives, en les interprétant, en les peignant, en les assemblant, en les mettant en scène... ; je suis sensible depuis fort longtemps à ce genre de recherche et j'ai donc souhaité aujourd'hui, sous un titre emprunté à un poème de Blaise Cendrars, allier l'évocation de ce livre à un texte que j'avais écrit en 1988 sur une plage du côté de Royan, en marge d'un petit film Super 8 que j'avais intitulé Ecrins de sable, entièrement consacré à la poésie des objets naturels trouvés sur le sable en bord de mer, film resté secret...


05/08/2012

Pierre Sourisseau sculpteur de souvenirs en chemin creux

     J'ai découvert un nouveau site de création en plein air dû à un autodidacte encore en Vendée, dans le même département que celui d'André Pailloux, ce bon Pailloux qui est en passe de devenir célèbre désormais depuis que ses coordonnées ont été jetées  en pâture au public (inconsidérément, je ne le répéterai jamais assez).

 

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Autoportrait du créateur Pierre Sourisseau en chef de chantier, ph. Bruno Montpied, 2012

         Le monsieur qui l'a créé depuis déjà quelque temps, depuis qu'il a pris sa retraite de maçon (encore un), s'appelle Pierre Sourisseau. Ses terrains où il a semé diverses sculptures et peintures, ainsi que des textes,  se situent dans la région des Herbiers, dans les terres donc. On peut donner son nom, car son travail, son œuvre, qui tiennent à la fois du mémorialiste et de l'artiste, tantôt naïf, tantôt réaliste (au point d'en être ici et là presque kitsch), sont assez particuliers pour qu'on tente de leur faire un peu de publicité. De plus, il a déjà fait l'objet d'une courte évocation dans un magazine diffusé à l'intention des retraités "entre Sèvre et Loire", le magazine Racines (article n°221 de juillet 2011 dû à Yvelise Richard).

 

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Vue d'une partie du petit musée de Pierre Sourisseau, 2012, ph. BM

 

         Grosso modo, il y a trois zones d'intervention. La première est en intérieur, il s'agit d'un petit musée où dans deux pièces, situées dans un petit bâtiment en annexe de son habitation principale, on trouve des peintures, des sculptures, et des objets divers, des textes visant à fixer les souvenirs de l'auteur, notamment de sa participation à la guerre d'Algérie durant un an, dans l'Oranais. L'autre grand sujet qui fascine M. Sourisseau étant les guerres de Vendée, ainsi que les filiations qu'il entretient via la lignée de sa femme avec les acteurs vendéens de ces conflits de l'époque révolutionnaire, notamment avec un certain Charles Deslandes. Il a établi l'arbre généalogique de sa famille en lien avec cette histoire (arbre illustré d'un tableau naïf).

 

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Pierre Sourisseau, peinture dans son petit musée, scène de la guerre de Vendée, ph.BM, 2012

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Pierre Sourisseau, souvenir de la guerre d'Algérie

 

      Un parallèle curieux entre ces deux séries d'événements s'est esquissé par la suite en moi lorsque je revisitai les photos que j'ai faites de ces œuvres. C'est étrange comme les soldats républicains venant menacer les paysans vendéens dans certaine peinture de Sourisseau paraissent ressembler aux soldats français face aux Arabes d'Algérie. Il s'agit de semblables affrontements de soldats de l'état républicain face à des populations indigènes qu'il s'agit de mettre au pas. Pourtant, dans l'esprit de M. Sourisseau, ce parallèle est loin d'être patent, m'a-t-il semblé, Quoiqu'il ne m'ait pas donné son opinion à l'égard de la guerre à laquelle il avait participé ("sans tuer personne", ajouta-t-il tout de même, et fréquemment, pendant nos entretiens).

 

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Le jardin de M. Sourisseau, au premier plan Charles Deslandes, l'ancêtre de la famille, le cavalier à l'arrière-plan, le Chevalier du Landreau, autre personnage historique régional et au loin, les bustes de Sarkozy et de sa femme Carla Bruni... Ph BM, 2012

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Pierre Sourisseau, Sarkozy et sa Carla, qui paraît représentée telle un pesant fardeau, ph. BM, 2012

 

     La deuxième zone concerne le jardin qui entoure sa maison et longe la route, d'où l'on peut apercevoir, si l'on ne passe pas trop vite, de la voiture, les quelques statues, point trop nombreuses, qui l'agrémentent avec sobriété.pierre sourisseau,environnements spontanés,archéologie naïve,guerres de vendée,guerre d'algérie

De haut en bas sur l'image ci-contre, Mitterrand, De Gaulle, Chirac, Sarkozy, Giscard, Pompidou, ph. BM, 2012

     La troisième zone s'étire sur près de 500 mètres, tout au long d'un chemin creux d'âge respectable, dont l'histoire fait rêver grandement l'auteur, qui passe devant sa maison et s'enfonce dans le bocage en direction d'une ancienne gare où allaient s'embarquer les appelés militaires, où passèrent aussi, à une époque encore plus ancienne, les Vendéens insurgés. Pierre Sourisseau, qui nous en fit faire la visite, tel un guide de monument historique, paraît toujours peu ou prou entendre les cliquetis des faux, ou des baïonnettes, ou les cris des hommes se pressant sur l'étroit et profond chemin chargé d'une histoire invisible à tout autre oeil que le sien.

 

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Pierre Sourisseau devant sa "hutte gauloise" sur le chemin creux, ph. BM, 2012

 

      Le chemin égrène sur une très grande longueur (originalité unique à ma connaissance) des statues, taillées directement dans le bois des arbres (naïves et visionnaires) ou modelées dans l'argile (très, trop, réalistes), des installations du genre écomusée, bricolées en plein air par cet historien autodidacte, des panneaux explicatifs, des installations plus ludiques aussi à l'intention de ses petis enfants (une fusée qui décolle à la manivelle un peu plus bas dans le chemin). On y évoque pêle-mêle les Gaulois, des saints chrétiens (St-Roch), les guerres vendéennes encore et toujours, des figures politiques (Sarkozy, Ségolène Royal, séquelles de la campagne présidentielle de 2007), certaines plus régionales (des maires locaux). De temps à autre, comme émergeant du fond d'une mémoire ancestrale plus païenne, des figures féériques ou fantastiques, hélas trop rares, poussent vers le spectateur leurs trognes ou leurs corps de racines, ce qui je dois bien l'avouer m'enchante davantage que tout le reste.

 

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Pierre Sourisseau, figure fantastique dans un arbre creux, ph.BM, 2012

 

      Pierre Sourisseau paraît ainsi hésiter, comme bon nombre d'autres autodidactes point trop sûrs de leur langage et déférents envers l'art savant, entre un réalisme de santons et un art naïf qui paraît d'emblée, en ce qui le concerne, correspondre pourtant à son langage naturel. Dans l'épaisse brochure de souvenirs qu'il a laissée derrière lui en 2008, il se recommande, comme pour asseoir une légitimité d'artiste qu'on pourrait lui contester puisqu'il n'a pas fait d'école, de l'enseignement et de l'appui d'un sculpteur local de monument aux morts, Yves Guiberteau. Parler de lui sur ce blog, qui est comme on sait acquis aux langages plus ingénus qui nous touchent davantage que les langages pompiers, pourra peut-être aider ce créateur original à choisir une voie plus en accord avec la langue féérique de la nature qui visiblement l'interpelle et nous enchante comme lui.

 

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Pierre Sourisseau, au bout du chemin creux, avec son "Tractosaure", voiture-arbre... qui fleurit encore, ph.BM, 2012

 

08/05/2012

Deux outre-vélos

     Deux vélos autres se sont manifestés sous mon regard à quelques jours d'intervalle. D'abord celui ci-dessous, une mante qui se prend pour un vélo, ce qui est assez peu banal. Trouvé sur le site d'Etienne Cornevin, Nouvelles Hybrides.

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      Et puis ce deuxième, venu du bord de l'Océan Atlantique, grâce à l'oeil avisé d'André Bernard. Très "surréaliste", si l'on pense à la selle d'abeilles, visible sur une ancienne (?) photo (?) de Meret Oppenheim (?)...

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Vélo d'huîtres, créé naturellement par le temps et la mer, photo André Bernard, 2012

  Il me revient que l'on trouve aussi de temps à autre, parmi les cartes postales sur des sujets insolites, certaines images exhibant ce genre de concrétions sur vélocipède.  Par exemple cette dernière carte extraite de ma collection personnelle.

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Vélo d'huîtres, carte postale sans date (années 70?)

     Le texte de la correspondante qui est au verso de cette carte non datée est d'un pathétique si poignant, en dépit de sa briéveté, que je ne résiste pas à vous le recopier (en modifiant légèrement le patronyme de son auteur):

"Bonjour, je m'appelle Pascal Erronée, j'ai 16 ans. Je ne part [sic] pas en vacances alors j'aimerais jouer à 3 mots pour une chanson. Voici mon numéro de téléphone: 4.... J'habite en Charente-Maritime, Marennes."

   Le jeu mentionné dans le texte de cette jeune fille qui-ne-partait-pas-en-vacances devrait donner la date approximative de cette courte missive qui ressemblait à une bouteille à la mer. Situation, hélas, banale...

    Enfin, pour complaire à RR qui grâce à sa mémoire sans faille (voir commentaire ci-après) se rappelle le vélo que nous vîmes ensemble dans le jardin de l'habitant-paysagiste naïf André Hardy à St-Quentin-des-Chardonnets (Orne), aujourd'hui en voie de démantélement et dispersion, voici le deux-roues que ce dernier avait installé sur sa pelouse. Sa mosaïque de coquillages peints en bleu et disposés assez régulièrement, à la différence des manières de la Nature, a certainement été inspirée peu ou prou par les fameux vélos couverts d'huîtres qu'on trouve exhibés ici et là sur les littoraux.

 

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Chez André Hardy, ph. Bruno Montpied, 2010

17/03/2012

Un saint en dentelle

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Saint Vaast dévaasté

Eglise de St-Vaast-la-Hougue (Manche), 2011, ph. Bruno Montpied

01/03/2012

Face de poutre

   La théorie des trois points suffisant pour faire un visage, cette barre de protection sur une route des Cévennes l'été dernier l'illustre parfaitement je trouve.

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Cévennes, ph. Bruno Montpied, 2011

04/10/2011

Un Monch et un Paillard s'exhibent à Montreuil

    Hasard du calendrier et des événements, deux créateurs fort inventifs vont bientôt pouvoir montrer aux curieux leurs productions que personnellement j'apprécie déjà hautement, sans attendre l'assentiment général. Dans la même ville, le même week-end, c'est-à-dire dans le XXIe arrondissement de Paris à Montreuil-sous-Bois.

 

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    Cela se passera les 15 et 16 octobre après-midi pour Serge Paillard, 12, rue des Sorins (c'est près du métro Croix-de-Chavaux). C'est dans le cadre des portes ouvertes des ateliers d'artistes de cette bonne ville. Serge Paillard expose depuis quelques années les images qu'il confectionne de retour de ses explorations dans un pays imaginaire créé par lui, la Patatonie. On nous promet rue des Sorins que l'on pourra à nouveau observer des "merveilles archéologiques" venues  de cette Patatonie, "objets divers, gravures galactiques, empreintes pariétales, spectres circonspects, autant de fenêtres sur l'infini peaufinées par un vitrier hors circonstance, artiste extravagant, métaphysicien en culotte courte" (Jean-Claude Leroy). Peut-être seront-elles assez semblables aux dessins à l'encre ci-dessous.

 

monch,poésie naturelle,photographie modifiée,serge paillard,art singulier,patatonieSerge Paillard, Pomme de terre dite de la petite lampe, 2007 

SP, Pomme de Terre en Cosmos, 2007monch,poésie naturelle,photographie modifiée,serge paillard,art singulier,patatonie

 

       Ces Portes Ouvertes sont donc également un autre prétexte d'exhibition pour les travaux photographiques de Monch, que j'avais découverts je ne sais plus trop comment, par son intermédiaire direct je crois, par mail, voici déjà quelque temps. J'aime beaucoup le travail de celui-ci, tel qu'on peut le découvrir sur son site web. Surtout parce qu'il travaille sur les formes naturelles, des pierres ou du bois,monch,poésie naturelle,photographie modifiée,serge paillard,art singulier,patatonie faisant des séries de photos non retouchées des formes visionnarisées dans la nature (l'angle de vue, et l'instant où l'éclairage est propice, sont autant de "retouches" apportées au réel, ce qui remet quelque peu en cause l'aspect de "non retouché" absolu, qui est une vue de l'esprit en définitive ; il y a finalement toujours une projection de l'esprit du photographe). Ces visions naturelles, il les appelle des pareidolies, je ne connaissais pas le mot (pour la définition, allez faire un petit tour sur Wikipédia).monch,poésie naturelle,photographie modifiée,serge paillard,art singulier,patatonie Monch, connaissant les limites de l'objectivité humaine en matière de regard, compose aussi  des séries de photos sciemment retouchées (mais si peu). Le photographe joue alors à se mesurer davantage avec l'inconscient naturel dans lequel il avait commencé à se plonger avec innocence (mais y a-t-il un inconscient naturel?).

 

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Monch, Mais où est passée Mère-Grand

 

     Une autre série sur le site de Monch concerne des portraits interprétés, réalisés à partir de photos que lui ont confiées volontairement divers amis ou relations. Je me suis personnellement prêté au jeu. Un des résultats de la métamorphose que m'a fait subir Monch est paru dans la revue L'Or aux 13 îles n°2 dont je parlerai bientôt sur ce blog. Voici l'autoportait de Monch de cette série: 

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Monch, Retour aux racines...

     Comme on le voit, amateurs de poésie naturelle et autres pareidolies, le monsieur a un certain talent qui mérite un petit détour par Montreuil. Monch, 14h-20h, 15-16-17 octobre (vernissage  le 15, à partir de 14h), à l'Usine Chapal, 2, rue Marcellin Berthelot, Esc. D, 4e étage, M° Crois-de-Chavaux, Montreuil.

 

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Annonce expo Monch, "Emoi, émoi, émoi"

 

  

02/05/2011

Coup de fusil

    Tous les jours j'arpente ce trottoir pour descendre au turbin et en revenir. Cela fait déjà un paquet d'années que je l'use, et mes grolles aussi dessus. Je ne l'avais pas remarquée cette lézarde.

Unelézarde, Paris Xe ardt, fév 2011, ph Bruno Montpied.jpg  

    Les fentes sur le goudron, je ne les vois pas toujours, même si autrefois il m'est arrivé de faire un petit film Super 8 à leur sujet (cela s'intitulait Sur les trottoirs de nos villes). Celle-ci, vue en perspective, dans le sens de la marche, cadrée comme je l'ai fait avec mon portable, pourrait faire penser tout au plus à une espèce de profil aux lèvres pincées, pas très folichon. Ce soir-là, je n'ai rien vu pourtant, que des lignes tremblotantes. et puis tout à coup ce fut là, évident.

 

Fusil de hasard, Paris Xe ardt,2011, ph.Bruno Montpied.jpg

      Un fusil, et un immense qui plus est. Tracé avec un réalisme étonnant. Tellement étonnant qu'on en venait à imaginer un signe prophétique.

 

07/04/2011

Gilles Ehrmann une expo rue Monsieur-le-prince pour flâneurs des deux rives

      Vous êtes conviés jeudi 7 avril à partir de 18 heures au vernissage de l'exposition Gilles Ehrmann, Champs de force à la librairie Le Flâneur des deux rives. (Il s'agit apparemment de photographies de reportage, oeuvres moins connues de Gilles Ehrmann, comme ces splendides rochers zoomorphes de Ploumanach qu'il me semble reconnaître sur la photo de l'affiche ci-dessous).

GillesEhrmann Affiche le flâneur des 2 rives.jpg

     Exposition du 5 avril au 14 mai, Librairie-Galerie Le Flâneur des deux rives. 60, rue Monsieur-le-Prince, (6e). RER Luxembourg. M° Odéon. 01.46.33.45.52. Du mardi au samedi de 11h à 19h30. Le dimanche de 15h à 19h. Entrée libre.

20/12/2010

Rothéneuf sous la neige, une sculpture de l'abbé Fouré réapparaît

               Le ciel était incroyablement noir en plein jour, la neige hésitait entre le gel et la déliquescence glacée. Ilot de lumière et de chaleur relative, une salle des fêtes sans fête abritait une exposition consacrée à l'ermite de Rothéneuf qui ne fut jamais vraiment un ermite.

Expo Fouré, nouvelle salle de quartier de Rothéneuf, 18 décembre 2010, ph.Bruno Montpied.jpg

 

 Vue de la nouvelle salle de quartier de Rothéneuf où se tenait (le 18 décembre seulement) une expo sur l'abbé Fouré montée par l'Association des amis de l'oeuvre de l'abbé Fouré, ph. Bruno Montpied, 2010

 

        On essayait de reconstruire l'œuvre, sa signification, ses sujets, comme dans une course après un gibier qui fuirait toujours plus dès qu'on s'en rapproche. Où étaient les visiteurs? Une petite trentaine, des gens âgés surtout, transis, grelottant sous d'épaisses couches de vêtements, qui avaient risqué les routes annoncées glissantes, dangereuses. Pour venir jusque là, du reste, il semblait qu'il ne pût y avoir que les taxis comme moyens de locomotion, ces derniers devant être pourvus de moyens magiques auxquels le conducteur ordinaire ne pouvait avoir accès... L'organisatrice se démenait, bien seule, ses rares aides l'ayant abandonnée, bloqués par les routes enneigées ou en retard. Le spécialiste parisien de l'ermite était là, lui, fidèle au rendez-vous, en dépit de ses éternels problèmes intestinaux. On l'enrôla comme magasinier, factotum, accrocheur de panneaux...

 

Table Montpied et de l'Or aux 13 îles, expo Fouré, Salle de quartier à Rothéneuf, 18 décembre 2010, ph.Bruno Montpied.jpg

Vue de l'expo à l'intérieur.jpg 

  Vue de l'exposition dans la grande salle de quartier, ph.BM

 

         Il y avait aussi un autre spécialiste présent, le régional de l’étape, retenu avant tout par la signature de son dernier livre, car il était là pour le vendre après tout, il ne participait en rien à l’organisation pratique de l’expo qui se montait devant ses yeux, ayant pris du retard.  

         L'organisatrice recevait pendant le même temps coups de téléphone sur coups de téléphone qui paraissaient destinés à lui ruiner le moral.         

        Tout ce travail ne se déployait que pour une journée, l’exposition devant être déménagée plus loin dans un autre local plus petit où l’accrochage s’annonçait moins volumineux. On s'agitait et on bossait comme des perdus pour une esquisse d'exposition permanente dans un lieu en plein hiver où l'on pouvait être assuré que l'on ne rencontrerait pas le moindre touriste en une telle saison. Il flottait un parfum très fort d'inanité sur tout cela...Est-ce pour cette raison que l'hiver et la neige m'apparurent menaçants, mortels? Les problèmes intestinaux y contribuaient aussi probablement...

Oeuvre de l'abbé Fouré, réapparue le 18 déc. 10, datée 1904, signée, offerte à Joséphine Macé, 1910, ph. Bruno Montpied.jpg

Une sculpture inconnue de l'abbé Fouré réapparaît..., photo BM

 

         Au milieu de ce qui aurait pu tourner finalement à la cagade généralisée, survint paradoxalement le petit miracle: apportée par une dame d'un âge avancé, apparut comme par enchantement une sculpture inconnue de l'abbé Fouré! Signée sur son socle, et datée de 1904 avec une autre inscription, "Oeuvres de l'ermite de Rothéneuf". Le pluriel sur "oeuvres" était curieux. L'objet, paraissant représenter un bouquet de roses, provenait de la fille - devenue la dame d'un âge avancé, s'appuyant sur une canne - de la personne à qui avait été offerte originellement la petite sculpture. Le nom de cette dernière se lisait sous le socle: Joséphine Macé, avec une date, 1910. La date même du décès de l'abbé, et de la vente aux enchères de ses meubles et sculptures... De là, à imaginer que cet objet avait été acquis à cette vente aux enchères où plusieurs habitants eurent à coeur d'emporter un souvenir de l'abbé (selon ce qu'en raconte Noguette dans son article "Au gré des enchères", voir mon dossier sur l'abbé Fouré dans L'Or aux 13 îles n°1), il pourrait n'y avoir qu'un pas. 



30/10/2010

Sculpture d'eau

Sculpture-d'eau5,La-gifle.jpg

Photo Bruno Montpied, Paris, octobre 2010

    Sur qui va s'abattre cette main, ce poing, ou cette badine, suspendue par la photographie ? Sur quelle infante en mantille qui tente vainement de se protéger? L'écume n'est cette fois pas seulement montée aux lèvres, elle a envahi les deux protagonistes, elle les a littéralement bâtis de sa colère blanche et grasse. 

02/08/2010

Bruly-Bouabré, Ataa Oko, les films

Ataa Oko et Bruly-Bouabré,jaquette des films à eux consacrés par Philippe Lespinasse et Andress Alvarez-.jpg

     Il y avait l'expo à la Collection de l'Art Brut de Lausanne, il y aura désormais, pour s'en souvenir plus longtemps, les films de Philippe Lespinasse (accompagné d'Andress Alvarez et de Regula Tschumi) sur nos deux compères respectivement ivoirien (en fait, i voit beaucoup) et ghanéen, Frédéric Bruly-Bouabré et Ataa Oko, deux grands voyants venus du continent africain (voir ma note de mars au sujet surtout d'Ataa Oko).

Bruly-Bouabré,dans le film de Philippe Lespinasse, 2010.jpg
Frédéric Bruly-Bouabré dans le film de Philippe Lespinasse et Andress Alvarez, 2010

     Nous avons donc deux courts-métrages sur ces créateurs, produit par Lokomotiv Films et la Collection de l'Art Brut. Le premier, Frédéric Bruly-Bouabré, l'universaliste, fait 32 minutes, et le second, Ataa Oko et les esprits, 16 minutes.

Dessin de taches sur une banane,Frédéric Bruly-Bouabré,film Philippe Lespinasse.jpg

      "Théodore Monod, le savant blanc, m'avait dit, mon fils dans la vie il faut être observateur", nous confie celui qui, à 88 ans (dans le film), devenu un vieux sage et un patriarche respecté, reste plus que jamais un adepte de la divination. Observer les nuages, les peaux de banane, les signes de scarification, la disposition du marc de café, les taches de ciment dans la rue, pour y déceler un message du hasard, les fixer sur des bristols qu'il encadre de commentaires descriptifs, telle fut la tâche de Bruly-Bouabré durant ses soixantes dernières années. Composer un alphabet de 449 pictogrammes associés à des syllabes, afin d'inventer un langage qui réunirait toutes les langues du monde (projet assez voisin de celui de certains fous littéraires chers à André Blavier), a été une autre des grandes préoccupations de cet homme qui fut profondément influencé, paradoxe pour un créateur que l'on range désormais dans l'art brut (censé être un art produit en dehors de toute influence culturelle), par Victor Hugo. Il dit par exemple dans le film de Philippe Lespinasse, "J'étais littéraire au début... J'ai été envoûté par Victor Hugo, puis finalement c'est le dessin qui a dominé...". Le même Hugo qui lui aussi avait été requis par les taches d'encre, et autres accidents du hasard (sait-on bien que le poète à Guernesey, signait, à la façon des pierres de rêve chinoises, des galets trouvés sur la grève?), fut il est vrai enrôlé par Michel Thévoz (voir son livre L'Art Brut de 1975) comme un précurseur de l'art brut... Bruly-Bouabré a été frappé à n'en pas douter par l'idée très hugolienne que le poète est l'instrument de Dieu, qu'il est la main, l'oeil et l'esprit qui témoignent des miracles créés par la divinité. Etonnante postérité du grand Hugo tout de même...

Dessin vu sur une noix de cola,Frédéric Bruly-Bouabré, film de Philippe Lespinasse.jpg
"Divine peinture relevée sur noix de cola ou l'art de déterrer les "os" pour la résurrection", dessin de Frédéric Bruly-Bouabré
Ataa Oko,photogramme film Philippe Lespinasse et Andress Alvarez.jpg
Ataa Oko, son fils (et Régula Tschumi?), décrivant les esprits qui sont représentés dans les dessins sur la table, 2010 

      On voit les créateurs dessiner devant la caméra, et notamment, dans le cas d'Ataa Oko, ce prodigieux créateur de cercueils imagés au début, qui passa sur ses vieux jours au dessin aux crayons de couleurs, sur la demande de l'ethnologue Regula Tschumi (qu'on aperçoit brièvement à un moment du film), on les voit parfois commenter leurs créations, parler des esprits avec lesquels Oko paraît s'entretenir familièrement. Il y a de l'enfantin résiduel chez ce nonagénaire lorsqu'il explique le sens des attitudes de certains esprits par exemple.

Ataa Oko, dessin d'un Cercueil-espadon,film de Philippe Lespinasse.jpg
Un des premiers dessins d'Ataa Oko, au départ sollicité par Régula Tschumi pour redonner une image des cercueils qu'il avait créés autrefois et qui étaient désormais impossibles d'accès puisqu'enterrés

      C'est un des intérêts majeurs de ces films, nous faire sentir le feeling profond d'un Bruly-Bouabré par exemple, la jeunesse et la malice de ces vieillards, à fond dans le seul réel qui vaille, qu'on appelle aussi ailleurs surréel.

L'exposition Bruly-Bouabré se termine le 22 août, tandis que celle des oeuvres d'Ataa Oko, devant le succès rencontré, comme dit le site web de la Collection de l'Art Brut, est prolongée jusqu'au 30 janvier 2011. Le DVD est disponible à la Collection de l'Art Brut.

17/07/2010

Antonio de Pedro

      Au musée des Amoureux d'Angélique à Carla-Bayle cet été, en plus des masques, j'ai oublié de mentionner une autre exposition, celle des sculptures sur formes naturelles en bois étonnamment ouvragées par un monsieur appelé Antonio de Pedro. Les affichettes éditées par le musée en 10 x 15 cm disent à peu prés toute ma science sur le personnage et son oeuvre. Je m'abrite donc trés paresseusement derrière elles.

Affichette Antonio de Pedro, musée des Amoureux d'Angélique .jpg
Affichette Antonio de Pedro au musée des Amoureux d'Angélique.jpg
Affichettes confectionnées par Martine et Pierre-Louis Boudra

13/06/2010

Château de la Loire

 

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Château de Saumur ou Tour de Robert Garcet ? Photo BM, 2009

03/06/2010

Tonton

L'Oncle réincarné, ancre de marine, ph.Bruno Montpied,St-Malo,2010.jpg
L'oncle réincarné, photo Bruno Montpied, Saint-Malo, 2010

16/05/2010

Je vois un pays désertique

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Paysage désertique (image dans une bâche sur le parapet du pont de Sully, Paris 4e ardt), ph BM 2010
     Je vois un pays blanc, désertique, une forte casemate se dessinant à l'horizon de ce monde unicolore, où traînent des ombres sales, et le spectre d'une tête aux orbites creuses, la gueule édentée ouverte pour happer, ou pousser une plainte. Comme de la poussière, soulevée perpétuellement par des bourrasques, trouble le regard de ses grains virevoltant en tous sens. Un cerf-volant inattendu en ces lieux est relié à un fil qui provient de l'ombre sale, tenu par une main que je ne discerne pas, noyée qu'elle est dans l'obscurité de ce qui est peut-être en définitive une caverne. Je devine que dans la bâtisse trapue à l'horizon se tient prostré un roi déchu, la tête tombant sur sa poitrine, les yeux à demi clos, la couronne d'un or ayant perdu tout éclat posée de guingois du fait de l'inclinaison. Je viens de loin pour lui parler.
*
      Suite à l'interprétation "automatique" ci-dessus, Gilles Manero m'a renvoyé le paysage "bâchique" modifié (numériquement?) par ses soins, voici le résultat:
PaysAge[1]GillesManero.JPG
 

09/03/2010

Quel titre lui donneriez-vous?

    Je lui ai donné un titre bien sûr, au dos. Mais vous, qu'auriez-vous écrit?

Bruno Montpied, galet peint à l'encre,2003.jpg
Bruno Montpied, galet peint à l'encre, 2003
      Et spéciale dédicace à Cosmo Hélectra, voici une autre image bien double, plus parfaite que la mienne certes, qui figure en frontispice (sans crédit il me semble) dans le catalogue de l'expo de Düsseldorf "The endless enigma" (2003 ; voir commentaires ci-dessous):
Endless enigma, double image.jpg