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26/12/2023

Pour verser au dossier du Père Noël

      Un Père Noël en version loufoque bien dans la manière de Joseph Donadello à Saiguèdes (Haute-Garonne), à verser au dossier iconographique du vieux et éternel barbu ; le visage est traité de façon très originale, il n'est plus, presque, qu'une barbe blanche, en somme une barbe qui s'est faite face... :

Père Noël (2).jpg

Joseph Donadello, Noël, ciment polychrome, (2004?), ph. Bruno Montpied, 2015.

 

      Spéciale dédicace pour mes distingués commentateurs qui font du délire d'interprétation piscicole ci-après, voici les deux personnages qui sont à l'arrière-plan du Père Noël (la mère Molitor devrait se racheter de nouvelles bésicles...), avec leurs noms plus clairs sur une autre photo prise trois ans après la précédente et sur eux plus spécifiquement centrée : "Blennius" et "Maculatom" (d'où Donadello sort ses noms, j'avoue que ça m'a toujours laissé perplexe dans plusieurs cas, d'autant que, quelquefois, il oubliait joyeusement les transcriptions normalisées), et non pas "Blennocoq" et "Inculator", qu'affectent de voir nos commentateurs hantés par leurs turpitudes... (Note du 30 décembre 2023)

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Blennius (et non pas Brennus, qui serait plus usuel en ces terres de rugby) et Maculatom, sorte de poisson-lune? ; photo B.M., 2018.

19/09/2022

Une idée pour un autre Salon...

       Je ne suis qu'un écrivain et un artiste, et j'en ai marre de cette Outsider Art Fair qui nous revient depuis dix ans, avec son prix d'entrée pour élite friquée, et sa conception étriquée, parce que strictement mercantile, de la communication autour des arts spontanés et alternatifs.

    En fait, cette Foire disparaîtrait corps et biens, que je n'en souffrirai pas le moins du monde.

  Un Forum basé sur des principes différents, organisé et monté par des Français qui plus est, à un coût moins élevé, pas seulement axé sur le marché de l'art, mais où on inviterait, dans une conception infiniment plus large, des musées, des associations, des ateliers collectifs pour handicapés, des photographes, des architectes alternatifs, des libraires, etc. serait beaucoup plus intéressant à monter.

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Halle Saint-Pierre, 2e étage, exposition "Sous le Vent de l'Art Brut 2", 2014 ; à gauche des oeuvres à moi... ; photo Bruno Montpied.

 

   Quel local faudrait-il proposer pour un tel Forum? Eh bien, la Halle Saint-Pierre serait toute indiquée. Qu'elle soit installée au pied de Montmartre, aux lisières de quartiers populaires (la Goutte d'Or notamment), et de quartiers plus chics (la Butte Montmartre), me paraît tout à fait adapté aux substrats culturels des différentes formes d'expression que ce Forum réunirait et présenterait. Disposant d'un auditorium et d'un cafétaria permettant les échanges informels, elle autoriserait dans une seule unité de lieu toutes sortes d'animations, conférences, débats, présentations de films. Le forum pourrait durer une grosse semaine (dix jours), plutôt que les quatre malheureux jours de la Foire d'Art Ousider actuelle. Les prix de location pour les galeries et autres musées et associations concernés (qui tourneraient au fil des éditions) ne seraient pas trop élevés, ce qui éviterait que les prix des oeuvres en vente soient trop élevés, les participants craignant de ne pas rentrer dans leurs frais à la fin du Forum (ce qui est le cas actuellement pour les galeristes qui participent à l'OAF). Les musées, librairies, associations de défense des arts indigènes (entre autres), ateliers pour handicapés, collectionneurs, organisation pour l'auto-construction, etc., qui participeraient pour faire connaître  leurs passions et leurs activités, vendant au passage des catalogues d'expositions, procédant à des échanges divers et variés.

    On aurait davantage affaire en l'occurrence à une réunion ayant pour but la communication et l'échange autour de passions communes ou à découvrir qu'à une vulgaire foire de mercantis, qualification dans laquelle l'OAF est en train de se couler (à tous les sens du terme "couler")...

04/10/2021

Info-Miettes (38)

Bientôt un livre consacré à Pierre Albasser

Les emballements de PA, Le TqF.jpeg      Quelle chance a Pierre Albasser. Un éditeur de talent a décidé de consacrer une monographie à sa ludique production artistique, toute d'expérimentations diverses – j'ai nommé les Editions Le Temps qu'il Fait, de Georges Monti, déjà connues pour avoir publié divers livres en rapport avec la création spontanée de divers autodidactes (les livres de Charles Soubeyran – Les Révoltés du Merveilleux –, de Patrick Cloux, de Denis Montebello, la correspondance de Gaston Chaissac avec l'abbé Coutant...). C'est prévu pour novembre prochain, avec des contributions, de votre serviteur, mais aussi de GEHA (son "archiviste et impresaria" comme dit l'éditeur), de Pascal Rigeade, Dino Menozzi, Denis Montebello, etc - voir le lien que j'ai mis ci-dessus renvoyant au site du Temps Qu'il Fait. Le livre est actuellement en souscription (jusqu'au 19 novembre, notamment pour le tirage de tête – 50 ex. numérotés, accompagnés d'un dessin original sur carton d’emballage, signé par l’artiste). Ah... Je suis jaloux!

6 peintures de PA, pour son livre.JPG

Six peintures de Pierre Albasser.

 

"Dans un pli du temps", une exposition chez Art et marges, à Bruxelles, avec, entre autres, Serge Paillard

dessin pour Ds le pli du temps AetM, 2021.JPG

Serge Paillard

      Du 7 octobre 2021 au 13 mars 2022, "Profitez d’une expérience contemplative hors du temps ! La brèche ouverte par l’exposition "Dans un pli du temps" invite à une réappropriation de la lenteur. Découvrez des œuvres réalisées dans une infinie patience, qui évoluent au fil de l’exposition ou convoquent d’autres temporalités." Parmi les artistes ou créateurs exposés, je relève notamment les noms de Serge Paillard, souvent évoqué et défendu sur ce blog, mais aussi de Augustin Lesage, Fanny Viollet, Joseph Crépin, Juliette Zanon, Kunizo Matsumoto,  Lionel Vinche, Raphaël Lonné, ou encore des travaux anonymes venus d'un HP belge... Cet éloge de la lenteur, ceci dit, j'ai l'impression d'en avoir déjà entendu parler ailleurs (ne serait-ce pas à la galerie d'ABCD à Montreuil, à côté de Paris, il y a quelques années? Mais oui, cela eut lieu en 2013, et cela s'appelait "De la lenteur avant toute chose", et le commissariat en avait été confié à Marion Alluchon, Emilie Bouvard, Camille Paulhan, Sonia Recasens et Septembre Tiberghien... ; on trouvait déjà dans cette dernière exposition au moins un exposant en commun - Kunizo Matsumoto). Pour lire le dossier de presse, c'est par ici.

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Une peinture sans titre de Juliette Zanon, 30 x 40 cm, vers 2016 (?), photo et collection Bruno Montpied.

 

Une autre exposition de Pape Diop

     On se souviendra  peut-être que j'ai déjà signalé ce créateur, actif dans un quartier déshérité de Dakar, nommé Pape Diop. Je l'avais découvert dans une première expo qui avait été montée par Sophie Bourbonnais dans sa galerie parisienne de la Fabuloserie. Voici qu'il est à nouveau présenté, cette fois à la Galerie du Moineau Ecarlate d'Eric Gauthier, au 82 rue des Cascades dans le 20e ardt. La galerie du moineau écarlate et Yaatal Art présentent:
Pape « Médina » Diop
Du 7 octobre au 20 novembre 2021.

Un petit film tourné par Modboye, la personne qui suit Pape Diop, dans un montage d'Eric Gauthier, est disponible sur Viméo (il y en a un autre après):

Musique (à signaler, pour Darnish, entre autres): Lee Scratch Perry, qui vient de nous quitter, un vrai créateur musical proche de l'art brut, et initiateur de la musique reggae)

 

J'aime beaucoup l'oeuvre de Frank Lundangi

     Nouvelle exposition de Lundangi dans la galerie qui l'expose régulièrement à Paris, la Galerie Anne de Villepoix. Là c'est déjà commencé depuis le 30 septembre, et c'est prévu pour durer jusqu'au 30 octobre. Titre de l'expo "Eclosion". C'est aussi le titre d'une des oeuvres délicates de l'artiste (qui vit en France, sur les bords de Loire).

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Franck Lundangi, Eclosions, Aquarelle et encre sur papier, 102 x 67 cm, 2020, ph. Galerie Anne de Villepoix. 

Galerie Anne de Villepoix, 18 rue du Moulin Joly 75011 Paris. Tél: +33 1 42 78 32 24 et +33 9 80 53 23 47 info@annedevillepoix.com . Ouverture Du Mardi au Samedi, de 9h30  à 18h30.
 
 
 
"Bruts et Raffinés II" à la galerie d'Hervé Courtaigne, rue de Seine (Paris 6e)
 

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      "A cette occasion, vous pourrez découvrir l'œuvre majeure de l'artiste spirite Victor Simon (1903-1976), à savoir le panneau droit, récemment retrouvé, du triptyque "Cosmogonie" de 1955. Le pendant gauche de cette oeuvre est conservé au  LaM en tant que dépôt de l'Union spiritualiste Phocéenne. Quant à son panneau central, il a été présenté lors de l'exposition "Reviendra-t-il ?" à la galerie Hervé Courtaigne en automne 2020."
 
L'expo dure jusqu'au 16 octobre, notez-le... Et soulignons aussi qu'à cette occasion, la galerie expose des œuvres de notre vieil ami Gaston Mouly (1922-1997). Peu fréquent depuis sa disparition...  
 
 
 
Lucienne Peiry sort un livre sur Armand Schulthess chez Allia
 
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A noter: Lucienne Peiry sera à la Halle Saint Pierre, à Paris, le samedi 20 novembre de 15h à 17h pour une présentation de ses dernières publications sur l’Art Brut (Nanetti, Ecrits Bruts...).
 
 
 

01/10/2020

De la sculpture automatique, un masque du facteur Georges Maillard

     Georges Maillard et ses Rocamberlus, j'en parle ailleurs que sur ce blog, en fait dans le numéro 163 d'Artension, actuellement dans les kiosques, puisque couvrant la période de septembre-octobre. Cet ancien facteur, au départ dans sa jeunesse ouvrier agricole et bûcheron, s'est mis, après avoir pratiqué la photographie en autodidacte, via un club photo organisé à l'intérieur de la Poste (il a une prédilection pour la photo réaliste populiste, assez proche de la photographie dite "humaniste"), dans  les années 1980, à assembler des pierres aux formes suggestives qu'il avait accumulées depuis des années, à toutes fins utiles. Il allait aux expositions de l'Atelier Jacob entre 1972 et 1982, et il connaissait un peu les sculptures de silex assemblés de Marcel Landreau qui les dressait à Mantes-la-Ville. Cela – il le reconnaît humblement, sans rien dissimuler, car le bonhomme reste modeste – a pu le guider vers ses personnages particulièrement grotesques, tour à tour tourmentés ou cocasses.

Le théâtre de la 1ère terrasse (de 3 quart) (2).jpg

Georges Maillard, le théâtre des statuettes sur la 1ère terrasse, photo Bruno Montpied, juin 2020.

Figures fantastique 2e terrasse côté droit (vu de la rue) (2).jpg

Georges Maillard, figure fantastique en ciment-colle sur la 2e terrasse ; ph. B.M., juin 2020.

 

     Mais ici, dans cette note, je ne veux évoquer qu'un petit à côté de sa production. Il ne se contentait pas d'ériger des assemblages de pierres toutes en circonvolutions, il les confrontait à des façonnages en ciment-colle qu'il a mêlés aux pierres sur les terrasses de son terrain pentu (voir la figure fantastique ci-dessus). Cela a donné de grandes figures comme l'ensemble dit des "Chimériques" dont j'ai publié une photo dans Artension. Parfois, il mariait les figures en ciment aux pierres au sein d'une statue, ne dédaignant pas des incrustations d'accessoires, pour souligner les contours des yeux par exemple. Ou bien il se servait du ciment pour réaliser des socles.

Au-dessus du garage, la figure centrale (2).jpg

Georges Maillard, Rocamberlu installé sur la 1ere terrasse, au-dessus de son garage, associant pierres, ciment, et accessoires incrustés ; ph. B.M., juin 2020.

 

      En maniant le ciment pour ces pièces principales, il lui en restait des chutes qu'il ne se résignait pas à jeter. Alors, d'une main et d'une truelle plus primesautières encore que lors de ses façonnages de figures chimériques, il faisait des masques, parfois des bonshommes, dans une sorte de régression vers les graphismes sommaires de son époque enfantine. Et les abandonnait entre ses Rocamberlus, à leurs pieds, ou bien appliqués contre un parpaing de sa clôture. On en voit dans la photo ci-dessous, placées dans les interstices de ses créatures, modestes œuvrettes auxquelles on ne prête pas attention de prime abord, et pourtant...

Restes de ciment dans les interstices des Rocamberlus (2).jpg

Georges Maillard, dans l'escalier vers une de ses terrasses, des figures en restes de ciment semées dans les interstices des Rocamberlus, ph. B.M., juin 2020.

Bonhomme en reste de ciment sur un mur de parpaings (2).jpg

Georges Maillard, bonhomme réalisé en chute de ciment, sur un mur de parpaings, ph.B.M., juin 2020.

 

      A ma dernière visite, Georges Maillard me proposa d'emporter quelque chose, et ma main, comme téléguidée par l'Ange qui me suit et me conseille, se porta sans hésiter vers l'une de ses humbles et pourtant expressives, figurations, un masque grumeleux et souriant, comme d'un être qui aurait beaucoup bourlingué, portant sur sa face les stigmates de quelques excès... Un nouveau compagnon...

 

Georges Maillard, masque ss titre, ciment, vers 2019, alt (2).jpg

Georges Maillard, masque en chute de ciment, 15 x 11 cm, vers 2019 ; ph. et coll. B.M. ; selon l'éclairage, le masque prend des expressions variées: ce jour-là, il paraissait soucieux et son sourire était comme épais, lourd...

 

*

 

Les Rocamberlus de Georges Maillard sont visibles depuis la rue, au 16 rue de Marines, Osny (communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise, dans le 95, Val d'Oise).

 

 

 

14/06/2020

François Jauvion et son panthéon singulier

      L'imagier singulier de François Jauvion, graphiste, "maquettiste pour l'industrie à l'origine", dixit Françoise Monnin qui signe l'introduction du livre – après une préface de Michel Thévoz –, est une sorte de Panthéon des admirations de l'auteur pour des auteurs d'art brut, des artistes d'art singulier ou moderne, ainsi que de quelques auteurs de bande dessinée (Gotlib), édité par Le Livre d'Art (également propriétaire du magazine Artension) et la galerie Hervé Courtaigne. Pas d'art naïf dans ce choix (on ne trouvera pas le Douanier Rousseau, pas plus que Bauchant, Vivin, Peyronnet, Séraphine, ou encore Bombois), si ce n'est Germain Van der Steen (mais ce dernier est parfois plutôt rangé du côté de l'art brut).

L'imagier singulier de FJ.jpg

Sur la couverture du livre, l'auteur s'est auto-portraituré, entouré de ses outils de graphiste, plus quelques éléments de son atelier suppose-t-on...

 

     Son titre, où je remarque surtout le mot d'"imagier", fait référence, de manière lointaine, aux imagiers pour enfants (qui servent à l'apprentissage du vocabulaire). Au centre de chaque planche, du reste, distribués autour de la figure centrale du créateur, présenté nu (sans être ressemblant particulièrement au véritable auteur traité : les voyeurs en seront pour leurs frais, on ne voit pas les anatomies d'Aloïse Corbaz, de l'abbé Fouré ou de la charmante Caroline Dayot, entre autres...), sont étalés les accessoires caractéristiques des vedettes de ce panthéon.

Carton de présentation du livre.JPG

Les planches originales du livre de François Jauvion seront exposées à la Galerie Courtaigne, rue de Seine dans le VIe ardt à partir du mardi 16 juin jusqu'au 19 juin ; une signature de l'artiste y sera possible durant cette période ; le 20 juin, le samedi, à partir de 14h, l'artiste sera ensuite à la Halle Saint-Pierre, qui inaugurera ainsi son premier événement post-confinement.

 

      Pour André Pailloux, dont j'ai signé dans ce livre la présentation, par un court texte placé en vis-à-vis de la planche à lui consacrée, rare auteur d'environnement populaire spontané présent dans cette sélection (on compte aussi l'abbé Fouré, le Facteur Cheval, Stan Ion Patras et ses stèles sculptées du cimetière roumain de Sapinta dans le Maramures, Petit Pierre – à ne pas confondre avec Pierre Petit, également présent dans ce livre), est ainsi entouré par les moulinets colorés, hypnotiques, dont il a hérissé son bout de jardin en Vendée et dont mes livres, Eloge des Jardins Anarchiques et le Gazouillis des Eléphants, ont déjà parlé ; il apparaît également dans une séquence de Bricoleurs de paradis, le documentaire que j'avais co-écrit avec Remi Ricordeau).

Mosaïque du panthéon Jauvion.JPG

 

     Le livre de Jauvion se situe dans un art hésitant entre la bande dessinée et le roman graphique, rempli de déférence à l'égard de l'art brut (en revanche, les personnalités choisies pour illustrer l'art singulier me paraissent choisies avec moins d'acuité ; il paraît y avoir prime à ceux qui font avant tout acte de présence sur les tréteaux, mais leurs oeuvres sont-elles si intrinsèquement valables que semble le croire François Jauvion?). 

18/09/2019

Visions et Créations "dissidentes", le cru 2019

VCD 2019 avec Joseph Donadello.jpeg

     Dans trois jours, commence la nouvelle édition de l'exposition automnale du Musée de la Création Franche à Bègles (huit créateurs: le Hollandais Jos van den Eertwegh, les Cubains Carlos Huergo et "Chucho" : Luis de Jesus Sotorrios Fabregas (tous les deux en provenance du Riera Studio), le Suisse Pascal Vonlanthen et les Français Christine Achard, Joseph Donadello, Thibaut Seigneur et Ghislaine Tessier, dite communément "Ghislaine"). Elle se déploie pour le trentième anniversaire du musée, ouvert en 1989, alors appelé Site de la Création franche, appellation qui succédait à la Galerie Imago, lieu d'exposition séparé de l'actuel bâtiment (c'était une petite échoppe – une maison simple – située presque en face de la mairie de Bègles), le tout créé par l'artiste singulier Gérard Sendrey.

       Il y était question de "création franche", terme forgé par Sendrey, pour cibler tous les artistes et créateurs marginaux, œuvrant dans leur coin, qu'on les range dans l'art brut (Pépé Vignes), l'art populaire individualisé (Jean Dominique), l'art rustique moderne (Gaston Mouly), l'art naïf (Joseph Sagués, Jean-Louis Cerisier), voire le surréalisme contemporain (comme André Bernard ou Guy Girard), et surtout l'art singulier (synonyme de "neuve invention" à la collection de l'Art Brut à Lausanne, ou de "création franche"), dont de nombreux anciens de cette catégorie font partie de l'actuelle collection béglaise (Sanfourche, Lacoste, Goux, Chichorro, Pauzié, Saban, Carles-Tolra, etc.) ainsi que des auteurs de générations suivantes  (comme l'auteur de ces lignes, Montpied, ou Manero, Ruzena, Albasser, etc.).

       L'étiquette de "création franche" avait donc, au départ de l'aventure il y a trente ans, un pouvoir recouvrant bien développé, qui ne se limitait pas au seul art brut.

       Mais, aujourd'hui, on préfère à Bègles mettre en avant davantage ce dernier terme, puisqu'on parle pour l'expo anniversaire, parallèle à celle des "Visions et Créations dissidentes", de "l'Art Brut et apparentés". Pourquoi? Bien sûr, comme il n'y a plus d'autorité centrale à Lausanne qui pourrait interdire l'utilisation de ce terme (comme ce fut longtemps le cas, du temps de Jean Dubuffet, inventeur du terme, et de Michel Thévoz, son fidèle disciple et premier conservateur de la collection lausannoise), tout le monde aujourd'hui se jette sur le mot pour le manipuler à l'envi. Tant et si bien d'ailleurs qu'il est en voie accélérée de galvaudage généralisé. Une chatte n'y retrouverait pas ses petits. On tend par exemple à confondre art brut et art des handicapés. Alors que ces derniers travaillent dans des ateliers dirigés. On oublie que l'art brut n'a pas de directeur de conscience ou de travail... On réclame par ailleurs des droits d'auteur pour les créateurs de l'art brut, comme si ces derniers étaient des artistes comme les autres, et comme si leur production n'avait pas quelque chose à voir avec le dépassement de tout, notamment de l'économie. Bien sûr, ceux et celles qui demandent cela pensent avant tout aux handicapés des ateliers, confondus désormais avec l'art brut...

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Une œuvre de Carlos Huergo, vue sur le site web du Riera Studio, atelier qui promeut un "art brut project" à Cuba, quelque chose qui me paraît ressembler à ce qui se fait en Europe avec les ateliers divers et variés qui défendent l'intégration des créateurs handicapés mentaux parmi les artistes contemporains ; on trouve sur la Toile la photo ci-dessous où l'on voit les responsables de la Collection de l'Art Brut de Lausanne (Sarah Lombardi en tête) fraternisant avec les animateurs de ce Riera Studio...

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      Le mot art brut finira par ne plus rien dire, à force d'être employé à tort et à travers pour des raisons intéressées (l'art brut a une telle réputation que cela fait riche de se parer de ses plumes). Et c'est peut-être le but caché de plusieurs dans le champ de l'art savant, faire rentrer l'art brut dans le rang...

       Je reviens à l'édition 2019 des Visions et Créations "dissidentes". Pourquoi je mets des guillemets à l'adjectif? Parce que je ne suis pas sûr que les auteurs que l'on range sous ce vocable soient volontairement des rebelles, des dissidents. Ils créent, ils s'expriment à leur manière, et, comme ils n'ont pas appris de recettes, il s'inventent des techniques d'expression. Ils font ainsi œuvre originale sans l'avoir voulu. Ce sont les médiateurs, ceux qui les médiatisent – collectionneurs, amateurs passionnés, critiques d'art –, qui voient en eux une "dissidence".

      Dans la présentation de l'exposition sur le site web du musée, deux autres points suscitent en moi des remarques. Je cite : "Quelles que soient leurs origines, ces auteurs proposent un langage artistique résolument personnel et anticonformiste refusant la norme, et tout conditionnement culturel. Leur ignorance de l’académisme et de ses règles esthétiques normées en fait des créateurs affranchis et libres de toutes contraintes."

   "Tout conditionnement culturel": est-ce si vrai ? Personne n’échappe complètement à un conditionnement culturel.

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Joseph Donadello, Le beau Richard, peinture industrielle et collage sur panneau de bois, 4-2-1998, (repeint le 9-7-2011 peut-être), 32 x 44 cm. Donné par Bruno Montpied au Musée de la Création franche en 2017. A-t-on ici échappé au "conditionnement culturel"?  

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Joseph Donadello, Sisi (sic, en réalité Sissi, sans doute l'impératrice d'Autriche), peinture industrielle sur panneau de bois, 10-9-1988, 46 x 35 cm, donné par B.M. au Musée de la Création franche en 2017. Sissi, personnage popularisé par le cinéma grâce au charme de Romy Schneider, participe d'un certain "conditionnement culturel" , non? Et c'est tant mieux, après tout...

 

        Et cette affirmation relative à l'affranchissement et à la liberté vis-à-vis de toutes les contraintes? 

     Ce n’est pas parce qu’un créateur autodidacte échappe sans l’avoir fait exprès aux règles de composition classique qu’il est pour autant totalement « affranchi et libre de toutes contraintes »… Ne risque-t-il pas généralement de retomber sous l’empire d’autres contraintes, qu’il se sera forgées tout seul, à commencer par les limites imposées par ses propres capacités créatrices ? On a remarqué par exemple qu’un dessinateur automatique ne saura pas aller au-delà d’un tracé sinueux, tout en courbes, tant est difficile de dessiner spontanément des lignes droites, des angles droits, des carrés, des rectangles… Le geste dit « libre » engendre des courbes plutôt que des lignes droites. C’est par conséquent un nouvel esclavage, et non pas une liberté.

   Il serait plus juste de reconnaître seulement dans l’activité créatrice d’un autodidacte l’exercice et l’emploi de solutions plastiques et graphiques inusuelles, bricolées en autonomie par des pratiquants de l’art ignorants des procédés et des recettes apprises dans les centres de formation (ce que j'ai déjà dit plus haut). Bien obligés de créer leurs propres techniques, ils inventent de nouvelles formes d’expression. C’est le seul apport de leur activité d’autodidacte de l’art : une fleur nouvelle au bouquet des expressions possibles. Une fleur qui n'est pas pour autant l’emblème d’une nouvelle liberté de langage.

    Cette dernière ne peut naître que de la combinaison d’une technicité très personnelle (et pourquoi pas à la suite d'une éducation artistique) avec un tempérament indépendant de toute attitude mimétique, à l’écoute de ses « visions », de ses rêves, de ce qui le hante… Si l’autodidacte s’enferme dans sa technique bricolée personnellement, il y a fort à parier que sa « liberté » et son « affranchissement » resteront fort bornés .

 

 

20/11/2018

Emile Jouve et René Rigal, deux artistes rustiques modernes de plus

   "La peinture rustique moderne", c'est un terme inventé par Gaston Chaissac dès 1946¹, pour qualifier sa propre peinture, avant de connaître Dubuffet et son Art brut². C'était pas mal trouvé, du point de vue de ce que ça signifiait. Un peu moins du point de vue publicitaire. L'"art brut", certes, cela a une autre allure sur le plan de la "communication" (pour quelque chose, le brut, qui ne se préoccupait pas spécialement de communiquer, comme le soulignait autrefois avec délectation Michel Thévoz). Exactement comme le "réalisme intellectuel" pour l'art naïf, terme inventé par Georges-Henri Luquet et repris par Georges Schmits, très précis dans ce qu'il voulait désigner mais peu aisé à mémoriser. Cette nécessité d'être repérée facilement, immédiatement, du public est souvent cause que telle ou telle invention conceptuelle, désignée de façon trop précise, est négligée et, peu à peu, tombe dans l'oubli.

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Gaston Mouly (1922-1997), peinture sur bois (acrylique ou huile), ph. B.M. 1989 (chez Gaston Mouly), non localisée actuellement (peinture exécutée, donc, avant que l'auteur ne se mette à systématiquement dessiner aux crayons de couleur après une demande de Gérard Sendrey pour sa galerie Imago qui préfigura le Site, puis le Musée, de la Création Franche à Bègles) ; Mouly, ancien entrepreneur en maçonnerie d'origine rurale, marqué par la fréquentation d'artistes modernes qui avaient été ses clients (Bissière, Zadkine), à la retraite, se mit à peindre sur bois et sculpter le ciment, puis par la suite à dessiner ; il était conscient d'être un autodidacte, de culture rurale occitane, mais se piquait de faire "moderne" dans ses œuvres, adoptant une posture indubitablement artistique, se confrontant à d'autres formes d'art( lorsqu'il "montait" de sa région lotoise jusqu'à Paris par exemple ; je peux en témoigner, l'ayant souvent accompagné dans des galeries ou musées de la capitale).

 

     Pour Chaissac – et cela peut s'appliquer à d'autres (Gaston Mouly par exemple, actif entre 1982 et 1997, alors que Chaissac était disparu depuis 1962) – il s'agissait de créer dans le respect d'une certaine tradition populaire, avec des naïvetés, des raccourcis expressifs, des couleurs franches, etc., tout en cherchant à faire nouveau (un sens de la composition encore plus affranchi du réalisme que dans l'art naïf, par exemple). Ce désir de novation s'enracine dans une imitation de l'attitude observée chez les artistes modernes, cherchant à s'affranchir des valeurs établies de leur temps.

     Dans mon Gazouillis des éléphants, consacré à des créateurs œuvrant essentiellement en plein air, entre leur habitat et la route le bordant, on pouvait ainsi découvrir deux cas de créateurs populaires influencés par l'art moderne, Maurice Guillet à Olonne-sur-Mer (Vendée) – un ferronnier mêlant du démarquage de Calder à de l'imitation de nouveaux réalistes sans oublier une pratique de la sculpture allégorique ou symbolique – et François Llopis, de Céret (en pays catalan français), qui a produit des sculptures et autres bas-reliefs ou mosaïques, influencé par l'exemple des artistes qui fréquentaient autrefois sa ville comme Braque ou Picasso, mais surtout par des exemples artistiques plus lointains (les mosaïques de Ravenne, voire des croix de chemins de sculpteurs régionaux).

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Chez Maurice Guillet, à l'arrière de sa maison, à Olonne sur-Mer, ph. Bruno Montpied, 2008.

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François Llopis, une Vierge inspirée semble-t-il des Madones de croix de chemin du Massif Central, Céret ; ph. B.M., 2014.

 

      Mais on peut également songer à rallier à ce corpus de l'art rustique moderne ("art", parce que cela ne se limite pas à la peinture, mais englobe aussi la sculpture) deux autres cas, d'origines ouvrière ou rurale.

      René Rigal tout d'abord, ancien cheminot originaire de Capdenac, qui arrivé à la retraite se prit d'amour pour les branches choisies parmi les plus filiformes d'entre elles, qu'il écorçait scrupuleusement et interprétait ensuite en leur trouvant à chaque fois une incarnation. C'était une sorte de Giacometti populaire, qui pouvait en sculptant enfin se permettre, loin des trains où il avait bossé toute sa vie, de "dérailler" en toute liberté. C'est du reste ce qu'évoque le titre de l'article que j'ai publié à son sujet dans le n°36 de la revue Création Franche en juin 2012 : « René Rigal, hors des rails ». Certes, on peut lui trouver des ressemblances avec d'autres sculpteurs populaires travaillant comme lui à partir de la forme des arbres et arbustes ( par exemple Michel Maurice à Cornimont, dans les Vosges, voir le "Musée des Mille et une racines" dont j'ai aussi parlé dans le Gazouillis des éléphants et dans Création Franche n°45, en décembre 2016), mais il a un style qui lui est propre, avec ses figures systématiquement longilignes (voir ci-dessous). Cette signature plastique proche d'une certaine forme d'"abstraction" est peut-être la cause de son adoption par les galeries aveyronnaises, comme celle de la Menuiserie, de Jeanne Ferrieu, à Rodez, qui l'ont régulièrement exposé au milieu d'artistes contemporains. Peu d'amateurs d'art populaire ou d'art brut ont su le repérer jusqu'à présent. Personnellement, je le découvris grâce à un film de messieurs Pennet et Macary, "René ne tape pas la belote" (2000),  vu au Festival de cinéma autour des arts singuliers organisé par l'association Hors-Champ à Nice. En projetant ce film dans un contexte de documents autour des arts spontanés, les animateurs de ce festival réintroduisaient malicieusement (et peut-être sans y penser plus que ça?) René Rigal parmi les créateurs spontanés, où est sa véritable place, à mon sens.

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Salle d'exposition dans la maison de feu René Rigal, ph.B.M., 2012.

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Livret de "petites histoires et anecdotes" (des témoignages des uns et des autres qui ont connu René Rigal) paru aux éditions La Menuiserie en juillet 2016, archives B.M.

 

     Cela faisait plusieurs années que, par ailleurs, j'avais entendu parler d'Emile Jouve, sculpteur et peintre autodidacte qui habitait St-Côme d'Olt dans l'Aveyron et qui était né plus haut, en Aubrac, à Laguiole, ville célèbre pour un excellent fromage souvent associé au Cantal même s'il est fabriqué dans l'Aubrac voisin. Jean Estaque, le sculpteur de la Creuse, m'avait évoqué ce Jouve, connaissant mon goût pour ces créateurs de l'ombre venu des milieux populaires, mais sans pouvoir me montrer des images de ses œuvres. Il avait été éleveur de bovins la plus grande partie de sa vie, les bovins qui sont une autre spécialité de Laguiole où un fier taureau trône sur la place du village, spécialité qui ne doit pas faire oublier cependant l'autre produit qui a fait la renommée du lieu, le couteau avec son célèbre design...peinture rustique moderne,art rustique moderne,chaissac,gaston mouly,maurice guillet,françois llopis,rené rigal,emile jouve,galerie la menuiserie,art naïf,art singulier,le gazouillis des éléphants,croix de chemin,poésie naturelle interprétée,association hors-champ

Emile Jouve, coll Alain Christofle_edited(2).jpg

Emile Jouve, sans titre (il me semble), 50x0cm, technique mixte, coll. privée (Aveyron), ph. B.M..

Emile Jouve, ss titre, 40x60cm, technique mixte,, coll Alain Christofle_edited (2).jpg

Autre tableau d'Emile Jouve, sans titre (il me semble), pastel ou craie sur bois, 40x60cm, coll. privée (Aveyron), ph. B.M.

 

    Je finis par tomber sur deux de ses tableaux par hasard, chez un sympathique amateur de bonne chère et de vie au grand air, habitant tout près de Marcillac (Aveyron encore), au secret d'une gorge oubliée...

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    Là encore, cet artiste autodidacte avait été exposé (plusieurs fois, semble-t-il) à la galerie La Menuiserie  de Jeanne Ferrieu. Mais, loin de Rodez, comment le savoir? Il aurait fallu scruter tous les jours la presse régionale du coin, où de rares magazines relayant l'information artistique en province (comme Artension, dont c'est un des principaux mérites). La femme de René Rigal, Micheline Rigal, intervint opportunément en me prêtant le catalogue que là encore la Menuiserie avait édité sur ce créateur d'origine populaire (édition de 2001).

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Catalogue consacré à Emile Jouve par la galerie La Menuiserie, Rodez, 2001.

 

    L'ouvrage contenait, un peu comme dans le cas du livret récemment édité sur Rigal (voir ci-dessus), de nombreux témoignages et surtout plusieurs illustrations en couleur, de peintures mais aussi, ce qui achève de permettre de se faire une opinion favorable sur les talents de ce monsieur Jouve, de sculptures peintes réalisées à partir de bois trouvés et de bois flottés qui sont, à mon goût, ce que Jouve a fait de mieux, dans l'état actuel de mon information. On sent chez cet homme de pleine nature un appétit évident pour les recherches formelles qui l'apparente aux élaborations sophistiquées d'artistes des villes.

Le dragon du Golfe, bois flotté.jpg

Emile Jouve, Le Dragon du Golfe, 30cm de hauteur ; reproduit (en image compressée) d'après le catalogue de la Menuiserie.

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Emile Jouve, Brigitte Bardot et les animaux, 20 cm de hauteur. Extrait du catalogue de la Menuiserie (image compressée).

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¹ Cf. Gaston Chaissac, "Peinture rustique moderne", paru initialement dans le n°3 de la revue Centres, 1946, et réédité dans Je cherche mon éditeur, Rougerie, 1998.

² Dubuffet enrôlera, au début de sa collection, Chaissac dans l'Art Brut avant de l'en retirer, à juste titre si l'on se rapporte à ses critères (art brut = inventivité hors des milieux artistiques), pour le verser dans la collection annexe rebaptisée "Neuve Invention" par la suite. Chaissac lui était apparu au fil du temps trop en contact avec les milieux littéraires et artistiques (avec lesquels cependant Chaissac pratiquait des rapports relativement réservés). Cela n'empêchait pas ce dernier de développer, selon moi, une expérimentation à tout va, et de déployer une grande inventivité plastique et littéraire.

25/05/2018

Les éléphants qui gazouillent, actualités à la Halle St-Pierre et à Nice (Festival du Film d'Art Singulier)

      Cela fait quelque temps que je n'ai pas parlé de ce qui advient autour de mon livre, Le Gazouillis des éléphants, mon inventaire d'environ 300 environnements populaires spontanés français, aux éditions du Sandre. Il est utile peut-être de signaler aux retardataires, qui ne se le seraient pas encore procuré, qu'il est désormais officiellement épuisé, à la fois chez le diffuseur (Harmonia mundi) et chez l'éditeur...

      On peut cependant encore le dénicher chez les quelques libraires qui ont décidé d'en garder des exemplaires en cas de demande de dernière minute. Au premier rang desquels, on peut citer la librairie parisienne de la Halle St-Pierre qui en possède encore une petite vingtaine. Du reste, dans le cadre de la manifestation culturelle "Le Pari des librairies", je serai amené à dédicacer l'ouvrage à la Halle St-Pierre le vendredi 8 juin à 16 heures (ça se passe dans le hall) pour ceux qui voudraient l'acquérir.

      Le livre traîne dans d'autres librairies sans que je sache bien les identifier. On me l'a signalé récemment acheté à Sète, par exemple. J'ai vu un exemplaire qui "résistait" également au bout du rayon "art brut" de la librairie L'Ecume des pages à St-Germain-des-prés. Il est probable que le comptoir de livres de la collection de l'Art Brut à Lausanne en a encore quelques exemplaires...(?) Etc. Si vous en voyez ici ou là, n'hésitez pas à le signaler à mes lecteurs via les commentaires suivant cette note. Cela peut être un agréable jeu de pistes.

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     Une autre occasion se présentera plus tôt, dans une semaine exactement, le 1er juin prochain, à Nice, à la librairie Masséna (55 rue Gioffredo), de 19h à 20h30, pour parler de mon livre et pour le dédicacer également auprès des amateurs. La librairie aura une dizaine d'exemplaires à vendre. Je causerai du livre avec le libraire et l'animateur du festival de cinéma autour des arts singuliers, Pierre-Jean Wurst, qui m'invite à la fois pour cette soirée du 1er, et le lendemain matin aussi, le samedi 2 juin donc, dans l'auditorium du musée d'art moderne et d'art contemporain (MAMAC) de Nice, dans le cadre de l'association Hors-Champ. Entre 10h30 et 12h, je présenterai succinctement en effet quelques films sur des créateurs d'environnements que l'on peut retrouver dans mon Gazouillis, comme François Michaud, Jean-Marie Massou (rencontre de 1987), Raymond Guitet, Marcel Landreau, et Roméo Gérolami. Jugez plutôt du programme de ces festivités (je vous le mets aussi en lien vers un fichier pdf plus lisible):

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Programme du 21e Festival du Film d'Art singulier, juin 2018.

 

     Les trois créateurs, Massou, Guitet et Landreau, figurant à cette projection, furent filmés par moi en format Super 8 (du cinéma amateur, donc – ce qui suffit à me faire qualifier parfois du titre ronflant de "cinéaste", surtout après avoir lu la fiche qui a été consacrée au groupe, plus informel et éphémère qu'autre chose, Zoom back Caméra!, sur Wikipédia, auquel son auteur me fait appartenir d'une manière un peu "romancée"¹ ; voir aussi la fiche qui m'a été plus spécifiquement consacrée). Les deux films sur les deux derniers sont trouvables en DVD dans les bonus du film Bricoleurs de paradis qui fut joint à mon livre Eloge des jardins anarchiques, paru aux éditions L'Insomniaque en 2011. Le petit film sur Massou est désormais une rareté. Il fut tourné en effet en 1987, bien longtemps avant le film d'Antoine Boutet (certes infiniment plus professionnel...), à une époque où Massou, encore vigoureux, grimpait à mains nues aux arbres, ou descendait pareillement dans les excavations qu'il creusait comme une taupe humaine un peu partout sur son terrain lotois. Je l'ai assez peu projeté en public. Les dernières fois, ce fut sans doute d'ailleurs déjà dans ce même festival à Nice (voir le petit dictionnaire Hors-Champ de l'art brut au cinéma aux éditions de l'Antre, livre disponible à l'occasion du festival).

      Sinon, autre petite nouvelle concernant le Gazouillis, le livre a été offert par un de mes lecteurs, Laurent Jacquy (voir le blog Les Beaux dimanches), à un créateur présent dedans, José Leitao (voir sa notice du Gazouillis, trouvable à la région Picardie, département de la Somme). Ce dernier, qui s'était un peu arrêté de sculpter est, paraît-il, reparti de plus belle, encouragé, paraît-il par sa présence dans le livre. En tout cas, j'aime à le croire...

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José Leitao avec le Gazouillis des éléphants, mai 2018, ph. Laurent Jacquy.

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José Leitao, ph. Laurent Jacquy, mai 2018.

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¹ Le groupe "Zoom back, caméra!", que l'auteur de la fiche Wikipédia présente comme ayant eu des activités "entre 1974 et 1984", n'a pas réellement existé, en toute rigueur historique. Nous étions trois amis, qui faisions effectivement diverses expérimentations à cette époque, telles que décrites avec justesse dans la notice, mais sans s'être organisés réellement, formellement, en groupe avec un nom. Le nom de "Zoom back, caméra!" (emprunté je crois à une réplique du film de Jodorowsky, La montagne sacrée, qui nous faisait beaucoup rire, Jacques Burtin et moi)  ne fut proposé, en manière de plaisanterie surtout, comme si nous étions vraiment un groupe, qu'à l'occasion de la projection dans le cadre du salon lettriste Ecritures en 1977 au musée du Luxembourg.le gazouillis des éléphants,environnements populaires spontanés,éditions du sandre,halle saint-pierre,habitants-paysagistes naïfs,art immédiat Et jamais à une autre occasion! Nos expérimentations se passaient le plus souvent à deux, tantôt Jacques Burtin et moi, tantôt Jacques avec Vincent Gille. Les expérimentations à trois (une conversation automatique qui échoua lamentablement, des photographies de situations créées, une peinture collective de tableau, le Triangle) furent rares.

17/02/2018

Disparition d'une peintre naïve-brute, Yvonne Robert (1922-2018)

     Je me fais volontiers provocateur avec ce qualificatif de "naïf" mais c'est que ce terme paraît adéquat, sans pour autant être pénalisant à mon humble avis, pour qualifier l'œuvre, riche et multiple, de cette paysanne vendéenne qui plongea dans la peinture, comme on se jette à l'eau pour apprendre à nager. Classée dans l'art brut depuis l'article que son frère, le collectionneur d'art précolombien Guy Joussemet, lui consacra dans le fascicule 14 de la Collection de l'Art Brut (1986), Yvonne Robert y gagna une certaine célébrité dans le monde des amateurs d'art d'autodidactes, sans que cela atteigne nécessairement un développement considérable, peut-être justement en raison de cet aspect résiduel "naïf" de sa peinture, mal vu des partisans orthodoxes de l'art brut, alors que ce n'est que l'autre face d'une même pièce (comme le sentait bien André Breton, à la différence de Jean Dubuffet)...

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Yvonne Robert, Bonjour Sidonie Tiens la vieille est encore là..., 2005, dimensions non renseignées, communiqué par J-L. Faravel ; Le plaisir du spectateur des peintures d'Yvonne Robert se renforce à la lecture de leurs titres qui sont plutôt des récits des chroniques villageoises (pas très éloignées de l'esprit de Chaissac ou de celui de Gérard Lattier), des commentaires, des dialogues, parfois acides... Ce qui donne une double lecture (au moins) de ces œuvres.

 

       Les spéculateurs et collectionneurs en quête de nouvelles viandes fraîches qu'ils espèrent trouver du côté de cet art brut dont on parle beaucoup, tentent de l'insérer de force dans leur connaissance cérébrale. On met au pinacle, chez certaine galerie parisienne, les faiseurs de diagrammes, les adeptes de numérologie lettriste spontanée, les "écrituristes" de tous poils, les gribouilleurs gâteux dont les productions sans la moindre émotion peuvent donner l'impression qu'on est toujours avec elles sur le terrain de la cérébralité adulée par les amateurs d'art contemporain. Avec Yvonne Robert, hélas, pour ces trafiquants d'ennui intellectualisé, il est difficile de retrouver le même genre d'escroquerie. C'est trop frais, trop touchant, trop authentique. On choisit alors de la regarder de haut, de la tenir en lisière, voire de l'ignorer. D'où le peu de développement de sa notoriété dont je parlais plus haut.

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Yvonne Robert, ce sanglier du bois Charto, de 2014, est-ce un peu la peintresse elle-même, cernée par les corolles carnivores de ses détracteurs? Photo et coll. Bruno Montpied.

 

      Guy Joussemet, qui fait partie de sa fratrie (au total sept enfants), a crûment dessiné le contexte familial misérable d'où est issue Yvonne Robert : "Elle est la sixième – et l'unique fille – d'une famille de sept enfants. Ses parents exploitaient une fermette de dix hectares [à Saint-Avaugourd-des-Landes dans le bocage vendéen], dont six en fermage. Querelles multiples, brouilles sans fin, agressions verbales constantes, ivresses prolongées du père, tentative de suicide de la mère, manque permanent d'argent, conditions de vie quasiment médiévales, voilà l'ambiance familiale." Je ne cite pas la suite des avanies que subira toute sa vie Yvonne Robert, dont une agression sexuelle, et des dépressions chroniques consécutives à des problèmes de santé à répétition¹. La peinture fut visiblement sa bouée de secours face au naufrage qui lui était promis. Elle commande en mai 1974, dans un magasin de Luçon, une boîte de couleurs pour aquarelle et du papier au nom d'une enfant de dix ans imaginaire (mais pas si imaginaire que cela, en définitive). Son frère Guy l'encourage vivement à continuer. Elle passe au bout de très peu de temps à la toile et à l'huile. Et elle ne s'arrête plus, créant par là même un double monde, plus accordé à ses espoirs et à son rêve d'une autre société.

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Yvonne Robert, La Garache ne sortait que le soir pour faire peur aux gens, 2001, coll. privée, Gironde, ph. B.M.

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Yvonne Robert, Les deux lotus, 2005, coll. privée, Loire-Atlantique ; exemple de peinture de pure composition non réaliste...

 

     Son frère balaie dans son article la connotation "naïve" de ses compositions, affirmant que cela fut vite dépassé par sa sœur, qui se serait après 1984 davantage dirigée  vers l'art "brut". Conscient du critère sociologique de la notion, il souligne dans cette même notice de 1986 qu'elle ne souhaitait pas se séparer de ses œuvres, n'en ayant laissé partir qu'une dizaine  du côté de la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Et c'est vrai que les sujets peints ne sont pas toujours des paysages, des portraits, des saynètes rurales, mais aussi parfois débouchent sur une forme d'"abstraction" ou sur des compositions d'art informel, où des motifs ornementaux prennent l'essentiel de l'espace.

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Yvonne Robert, Bonjour Monsieur Vous n'avez pas l'honneur de me connaître Je suis Léo Crépeau et j'habite à La Roche sur Yon, 2007, ph. et coll. B.M.

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Yvonne Robert, Comme font les oiseaux Mélanie s'est cachée derrière son armoire pour mourir Victorien dit à Mélina Je suis sûr que ta mère a ses sous dans l'armoire sous ses chemises Dépêche-toi, les autres vont arriver, 2002, ph. et coll. B.M.

 

     Il reste cependant que jusqu'à ces dernières années, Yvonne Robert, aura alterné les deux types d'expression, n'abandonnant jamais les sujets narratifs, les paysages, les anecdotes régionales, etc. Et qu'apparemment aussi, elle avait bien changé son fusil d'épaule quant à la communication de son œuvre, que l'on pouvait acquérir à un prix raisonnable en divers endroits. Elle représente de ce point de vue un exemple de créateur appartenant à un second marché des arts spontanés, aux prix abordables, n'éloignant pas les œuvres des auteurs primesautiers des amateurs au standing fort modéré certes, mais peut-être plus proches au point de vue social des auteurs d'art naïvo-brut.

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¹ Rien n'est dit dans le témoignage de Guy Joussemet sur la possible bigoterie diffuse dans les milieux vendéens, mais cela a pu également jouer sa part dans cet enfer. 

07/01/2018

Benjamin Péret à la Halle Saint-Pierre, quelques événements pour un riche retour sous la lumière

      Du 8 au 28 janvier, la Halle Saint-Pierre accueille une évocation de Benjamin Péret dans sa "galerie" du rez-de-chaussée, centrée sur les voyages qu'il fit entre 1955  et 1956, fasciné par les arts des Indiens et l'art populaire du Brésil. En effet, les éditions du Sandre, au même moment où elles publiaient mon Gazouillis des Eléphants – qui traite aussi d'art populaire – a sorti en novembre 2017 un beau livre consacré à Benjamin Péret et intitulé Les arts primitifs et populaires du Brésil, photographies inédites, qui illustre une fois de plus le profond intérêt qu'éprouvait le poète surréaliste pour l'art primesautier où qu'il se manifeste dans le monde. Si la galerie de la Halle présente sept vitrines d'exposition de différents documents et objets relatifs à cette période de la quête pérétienne, le tout sous le titre "Du merveilleux, partout, de tous les temps, de tous les instants", il convient de signaler – outre le vernissage (en entrée libre, comme tout ce qui concerne ces événements) autour de Péret qui aura lieu le jeudi 11 janvier prochain de 18h à 21h – également une après-midi consacrée à la présentation du livre, ainsi qu'à celle du dernier numéro  (le n°6) des Cahiers Benjamin Péret dans l'auditorium de la Halle, au sous-sol, le dimanche suivant 14 janvier, à 15h. Cela se fera en présence de Leonor de Abreu et de Jérôme Duwa, co-responsables du livre des éditions du Sandre, ainsi que de Gérard Roche (président de l'Association des amis de BP), celui-là même qui vient de signer la magnifique et vivante édition de la correspondance André Breton-Benjamin Péret chez Gallimard (2017).

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Une correspondance fascinante, pleine de vie, qui restitue les deux poètes avec une spontanéité et une chair que l'on ne rencontre pas de la même manière dans leurs autres écrits (même si Péret écrivait comme il respirait) ; certainement un des meilleurs volumes de la correspondance jusqu'ici parue concernant Breton. A n'en pas douter, ce furent eux les piliers du château étoilé...

 

     Il faut dire que l'actualité éditoriale est richement consacrée au retour de Benjamin Péret dans nos esprits et dans notre mémoire en ce moment. Il ne faut pas oublier de mentionner en effet la très bonne biographie de Barthélémy Schwartz, Benjamin Péret, l'astre noir du surréalisme, parue en 2016 chez Libertalia¹, qui permettra à tous ceux qui apprécient cet enfant terrible de la poésie, de l'amour sublime et de la révolte, s'ils ne savent pas de qui il s'agit exactement, de faire un copieux tour du personnage, documenté de faits, d'analyses et d'anecdotes savoureuses comme celle qui campe Péret, sortant de chez André Masson, et qui, chaque fois qu'il passait devant la loge où les concierges laissaient voir leur repas en famille, lançait : "Alors? Elle est bonne la merde?", ou encore cette autre, racontée par Marcel Duhamel, où, déambulant en voiture avec Tanguy, Prévert et Duhamel, il tirait au revolver en l'air au long des routes, comme un fêtard mexicain...

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Photo de Benjamin Péret extraite du livre aux éditions du Sandre ; Lampião et Maria Bonita, céramique polychrome, Mestre Vitalino, Caruaru, État du Pernambouc, coll. Museu de Arte Popular, Recife.

 

    Benjamin Péret, comme le souligne pertinemment Schwartz dans sa biographie, était un des rares autodidactes du mouvement surréaliste, avec Yves Tanguy, par ailleurs d'origine bretonne comme lui (Péret était nantais). Cela est à mettre en liaison directe avec son goût jamais démenti pour les techniques automatiques surréalistes, lui servant à lâcher les rênes d'une inspiration qui ne mettait jamais longtemps à traîner dans la boue les autorités, le clergé, l'armée, les juges, tout ce qui s'opposait à l'exercice de la liberté et de l'amour. Et cela explique aussi, outre le fait qu'il était de par ses origines prolétaires anti élitiste et anti bourgeois, sa compréhension profonde pour les arts populaires, les mythes et légendes dont il prisait essentiellement l'esprit magique, le merveilleux sous toutes ses formes (voir par exemple cet article qu'il consacra dans Minotaure aux armures délirantes de la Renaissance, ou aux automates) et vers la dernière partie de sa vie, pour deux figures importantes de l'art singulier (aux limites de l'art brut), Robert Tatin et Gaston Chaissac.

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    En effet, si l'on connaît le texte qu'il consacra à Chaissac, daté de 1958, dans l'édition de luxe des Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann, L'homme du point du jour, tel qu'édité dans le livre d'Henri-Claude Cousseau sur l'œuvre graphique de Chaissac chez l'éditeur Jacques Damase en 1982, texte différent (on découvre en effet des paragraphes alternatifs d'une version  à l'autre...) de la version intitulée Sur Chaissac dans Benjamin Péret, Œuvres complètes Tome VI (Association des amis de Benjamin Péret/libraire José Corti, 1992), on connaît bien moins le texte étonnant qu'il écrivit pour présenter Robert Tatin en 1948 (il venait de rentrer du Mexique en France), découvert par hasard semble-t-il, dans une galerie rue du Petit-Musc à Paris. Ce texte – inédit dans ses Œuvres Complètes – avait été proposé à Jean Dubuffet pour le projet d'Almanach de l'Art brut que ce dernier décida finalement de ne pas publier, en raison probablement de son désaccord ultérieur avec Breton. Il vient d'être (enfin) publié (en 2017, là aussi), en reprint d'après les tapuscrits, par la Collection de l'Art Brut, l'Institut Suisse d'Etude de l'Art et 5 Continents. Il nous montre que Péret n'eut de cesse de veiller aux irruptions de poésie sauvage qu'elles proviennent des jungles amazonienne ou mexicaine, ou de zones marginales de la créativité populaire en France. Voici un passage qu'il écrit au sujet de Tatin, alors seulement céramiste et peintre, et n'ayant donc pas commencé son environnement ébouriffant et syncrétique de la Frénouse à Cossé-le-Vivien en Mayenne (il recroisera la route des surréalistes au début des années 1960, ce que Péret n'aura  pas su puisqu'il décédera en 1959) : "Sa peinture a en effet  la force primitive de tous les arts archaïques (...) Robert Tatin revient donc aux origines mêmes de l'art, au point d'intersection qui contient en puissance l'infini des possibilités."  (L'Almanach de l'Art Brut, p. 473). Dans ce même Almanach, on trouve un autre texte sur les peintures populaires des cafés mexicains où l'on buvait de la pulque (alcool d'agave), Enseignes de pulquerias. Il me semble qu'il a été édité dans ses Œuvres complètes, dans le tome VII (à vérifier). A propos de ces Œuvres complètes (sept jusqu'à présent), on notera aussi un texte qu'il consacra à l'architecture délirante de Gaudi à Barcelone.

     Péret aurait vécu plus longtemps, nul doute qu'il aurait fait un tour plus appuyé du côté de tous les inclassables de l'art et autres poètes plastiques de la spontanéité apparus après les années 1960, du côté de l'art brut et dans ses marges. De l'art brut, je n'ai relevé jusqu'à présent qu'une  mention par Péret. Elle figure dans son texte contre l'art abstrait, La soupe déshydratée, paru dans l'almanach surréaliste du demi siècle (réédité par Plasma en 1978). Et il est dit quelque part (un texte d'exégète dans la récente édition de l'Almanach de l'art brut ? J'avoue avoir la flemme d'aller retrouver la source...) qu'il accompagna Breton et Dubuffet aux Puces lorsqu'il s'agit d'aller acquérir des masques en coquillage de Pascal-Désir Maisonneuve vers 1948, à l'époque où tout allait encore bien entre le pape de l'art brut naissant et le chef de file du mouvement surréaliste...

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¹ On rappellera aussi le film de Remy Ricordeau, déjà signalé sur ce blog, Je ne mange pas de ce pain-là, Benjamin Péret poète c'est-à-dire révolutionnaire, sorti en DVD, production Seven Doc, sorti en 2015. La première partie de son titre est repris du titre d'un des recueils de Péret, tandis que la deuxième récupère un autre titre, celui  d'une émission de radio de Guy Prévan de 1999, elle-même, comme il est précisé dans les commentaires ci-après par R.R.., reprenant un fragment du Déshonneur des poètes, ce livre de Péret contre la poésie de circonstance qui fit scandale chez les Aragonéluards en 1945, puisqu' y étaient visés les poètes stalino-nationalistes qui à la Libération confisquaient la vie culturelle à Paris.

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Association des amis de Benjamin Péret 
50, rue de la Charité
60009 Lyon

17/09/2016

La Fabuloserie remet un pied à Paris

     La Fabuloserie Paris est le nom de la galerie que vient d'ouvrir Sophie Bourbonnais à St-Germain-des-Prés, renouant avec les origines de la Fabuloserie, origines qui avaient pour nom l'Atelier Jacob, ouvert quant à lui de 1972 à 1982. Cette galerie fut la première à représenter l'art brut à Paris, alors appelé "art hors-les-normes", du fait des interdits de Dubuffet vis-à-vis de l'appellation qu'il se réservait (à un moment, en 1972, où sa collection de la rue de Vaugirard était en train de migrer vers Lausanne, migration qui mit six ans avant qu'on puisse la voir muséographiée au "Château" de Beaulieu).

     Le vernissage de la nouvelle galerie "fabulosante" a lieu aujourd'hui à partir de 15h... Voici les intentions qu'affichent sans ambages ses animateurs :

ouverture de la Fabuloserie Paris 17 9 16.JPGOuverture de la Fabuloserie-Paris, 17 sept 2016 (2).jpg

Œuvre de Michèle Burles

    C'est donc un nouveau souffle que se donne la Fabuloserie dont les rênes ont été reprises récemment, après la disparition de Caroline Bourbonnais en 2014 (le fondateur de l'Atelier Jacob et de la Fabuloserie, Alain Bourbonnais, étant disparu beaucoup trop tôt, en 1988), par ses filles Agnès et Sophie. On pourra commencer par la galerie parisienne pour des expositions centrées sur des créateurs et artistes défendus par la collection de Dicy (Yonne) – en tout premier lieu cette fois Michèle Burles, artiste très inventive mais pas assez remarquée, je trouve –, en s'en servant comme d'un marchepied en quelque sorte pour rebondir ensuite à Dicy, pour visiter la collection princeps. Ou, tout au contraire, venu de Dicy, on viendra à Paris afin d'en apprendre davantage sur l'œuvre de tel ou tel découvert primitivement en Bourgogne. Les animateurs de l'endroit promettent cependant de ne pas s'en tenir aux artistes ou créateurs déjà collectionnés, mais d'ouvrir la nouvelle galerie à d'autres œuvres récemment découvertes.

     Une librairie annoncée sur l'art brut et apparentés, avec événements à la clé (dont des projections de films...), est une initiative supplémentaire heureuse, car les occasions de dénicher de la documentation et de la littérature sur les sujets qui nous occupent restaient rares jusqu'ici, en dépit de l'excellente librairie de la Halle St-Pierre.

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Alain Bourbonnais et ses "Turbulents" à la Fabuloserie, ph. Bruno Montpied, 2016

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18/08/2016

René Rigal à la Maison du Tailleu, chez Michelle et Jean Estaque

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Exposition René Rigal à la Maison du Tailleu du 1er août au 4 septembre 2016 (La Maison du Tailleu : Place de l'Église, 23000 (la Creuse), Savennes, France)

    "Jean et Michelle Estaque seront heureux de vous recevoir pendant la durée de cette exposition tous les week-ends et jours fériés de 15h à 19h et sur rendez-vous au 05 55 80 00 59".

     L'exposition dont il est question dans le petit message ci-dessus concerne l'œuvre de René Rigal, cet ancien cheminot de Capdenac qui sculpta des personnages filiformes dans de longues branches durant des années. Il chercha à les exposer dans des locaux et galeries de sa région, comme par exemple à la galerie La Menuiserie de Rodez, mêlant ainsi son œuvre d'autodidacte rustique – on pourrait aisément le ranger dans l'art rustique moderne avec Gaston Chaissac, qui inventa le terme, ou Gaston Mouly – à celles d'artistes contemporains provinciaux.

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René Rigal, Eve enlacée par le serpent, sans date, coll. privée Capdenac, ph. Bruno Montpied, 2012

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René Rigal, détail d'un bouliste, coll. privée Capdenac, ph.B.M., 2012

    Ses œuvres, dont bien des exemples sont conservés par sa femme au prénom – prédestinant pour un mari cheminot – de Micheline, sont variées et originales, recherchant l'audace dans leur conception.

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René Rigal, groupe de pèlerins de Saint-Jacques, coll. privée, ph. inconnu, archives famille Rigal

 

   Même parmi les nombreux cas de transformateurs de branches en figures fantastiques ou réalistes, il fait figure de novateur. Le plus proche de lui étant peut-être Emile Chaudron qui dans la Haute-Marne, à Prez-sous-Lafauche, sculptait les brindilles, les branchettes d'épines ou de mirabelliers, créant comme une écriture arachnéenne proche des idéogrammes asiatiques. Ce dernier, qui était sculpteur sur meubles à la base, naïf malgré tout, exposa dans des salons parisiens ou régionaux, tout en se constituant un petit musée personnel qu'il ouvrit au public à partir de 1961 dans son village.

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Emile Chaudron (disparu en 2014), autre sculpteur sur bois, rayonnages où sont désormais présentées ses œuvres dûment légendées dans le petit (et nouveau) musée "aux branches" municipal de Lafauche, ph. B.M., 2016

 

27/12/2015

Des goujats de Goujounac

 

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Trois sculptures en médaillon et silhouettes, dont celle de droite qui est la véritable première œuvre de Gaston Mouly (telle qu'il me l'affirma en 1984), ce qui contredit ce qu'affirme (p.7 et p.22) Jean-François Maurice dans le catalogue de l'exposition Mouly au musée Henri Martin de Cahors en 2000 ; photogramme du film en Super 8 de Bruno Montpied sur Gaston Mouly (1987)

 

      Une exposition sur Gaston Mouly se prépare à Goujounac, son village natal du Lot. Ce sera pour juin semble-t-il. Une association nommée Goujoun'Art, animée par des personnes du cru, ont contacté plusieurs personnes qui de près ou de loin ont connu Gaston Mouly.

     Est-ce l'air du temps porté sur la paranoïa et sur la lâcheté? La peur du qu'en-dira-t-on (qui n'effrayait pourtant aucunement un Gaston Mouly comme le proclament parfois les titres de ses œuvres, voir aussi l'inscription au bas de cette note)? La crainte frileuse d'assumer les propos des participants à cette manifestation auxquels ils prêtent d'imaginaires retombées en terme de réputation ? Toujours est-il que le signataire de ces lignes, après avoir avec bienveillance apporté son soutien au projet, donné quelques informations, jugements et conseils qu'il estimait de nature à aider les organisateurs,  avoir écrit un texte de souvenirs sur Gaston Mouly, une première fois remanié pour complaire à Goujoun'Art, aménagé son agenda pour une conférence qu'on lui avait demandée pour la fin avril 2016, discuté avec la responsable de cette association, le signataire de ces lignes s'est fait purement et simplement renvoyer à ses chères études, sans la moindre justification, par un mail en cinq lignes! On ne voulait plus du texte, dans ce qui ressemblait à un caprice, et la conférence elle-même était annulée... A Goujounac apparemment on prend les gens pour des kleenex. Plus goujat, tu meurs!

Dessin de GM à l'école maternelle de Castelnau-Montratier (2).jpg

Dessin inédit de Gaston Mouly, 56x76 cm, du 9 avril 1996, donné à l'école maternelle de Castelnau-Montratier (où il se trouve toujours), selon ce que nous en a dit Mme Claudie Bousquet, ancienne institutrice de cette école, suite à l'appel que je fis sur ce blog pour aider Doriane Mouly à retrouver des œuvres de Gaston

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Gaston Mouly donnant quelques explications à des enfants de l'école maternelle de Castelnau-Montratier lors de sa venue en 1996 (un an avant l'accident qui lui coûta la vie), archives de l'école ; photo inédite

 

     Qu'est-ce qui a déplu dans ma proposition de texte (car c'est celui-ci qui est en cause apparemment)? Je suis inévitablement conduit, en l'absence d'explication, à proposer des hypothèses. Mon but second étant d'alerter tous ceux, dans les milieux d'art brut et d'art singulier, qui auraient affaire à l'avenir à cette association. Et je voudrais souligner aussi une propension de  certains amateurs d'art − beaucoup trop "amateurs", dans le pire sens du terme −  à s'ériger en censeurs. La censure d'Etat, c'est déjà atroce, alors que dire de la censure des gens ordinaires...?

     Voici mon texte ci-dessous proposé dans la version que je considérais comme définitive:

 

Gaston Mouly dans mon rétroviseur

 

          En 1984, alors que l’Aracine venait d’ouvrir les portes du Château-Guérin, à Neuilly-sur-Marne, afin d’y présenter son embryonnaire collection d’art d’autodidactes ‒ à cette époque, elle n’avait pas le droit d’employer le terme « d’art brut », Jean Dubuffet n’autorisant personne à en user en dehors de sa propre collection ‒, je fis la connaissance de Gaston Mouly, et de son inénarrable faconde, de son accent quercynois et surtout de son univers plastique, qui se limitait alors à ses sculptures en ciment polychrome.

          Il avait débuté dans ce domaine depuis trois ou quatre ans, et c’était une future romancière, Myriam Anissimov, qui, en faisant sa connaissance (via une commande à son entreprise de maçonnerie je pense), l’avait recommandé à Madeleine Lommel et à Michel Nedjar. Ces derniers étaient en effet à l’affût de nouveaux créateurs afin d’étoffer la collection qu’ils rêvaient de construire en suivant l’exemple de la collection d’art brut princeps, celle de Dubuffet, qui venait d’être donnée à la ville de Lausanne (et ouverte en 1976), en ayant quitté la France où l’art brut avait été pourtant inventé (dès 1945). Notre pays attendit jusqu’en 1999 pour qu’une collection d’art brut entre officiellement dans un musée d’art moderne, au LaM de Villeneuve-d’Ascq dans le Nord. Cette collection étant justement celle que s’ingénièrent à constituer les animateurs de l’Aracine durant une quinzaine d’années.

            Je suivais l’aventure de l’Aracine depuis sa première exposition à Aulnay-sous-Bois en 1982. Ce qui m’y intéressait, c’était précisément cette recherche de nouveaux créateurs, et je dois dire que je suis resté fidèle toute ma vie à ce genre d’attitude. Tomber sur des auteurs sauvages, en dehors de tout système des beaux-arts, et de tout marché de l’art, est une aventure passionnante, stimulante en retour pour notre propre démarche créative. Je fus d’autant plus surpris de constater qu’au fil des mois, les animateurs du Château-Guérin paraissaient mettre de côté Mouly, peut-être parce que, entre autres raisons, cherchant avec fièvre de nouvelles œuvres, il leur arrivait de remiser leurs précédentes trouvailles.

            Je trouvais dommage qu’on puisse avoir envie de mettre entre parenthèses l’art d’un Mouly, son dévoilement venant tout juste d’être opéré. Je fis plus amplement connaissance avec lui, me rendant à plusieurs reprises dans son village de Lherm, et lui venant souvent à Paris, pour se confronter à son rêve naïf de vie artistique à la capitale (il descendait dans un hôtel de St-Germain-des-Prés, d’où il nous arrivait d’aller nous exhiber aux Deux Magots pour faire plaisir à Gaston).

           Je décidai donc quelques années plus tard de le recommander à mon tour à Gérard Sendrey du Site de la Création Franche (nom primitif du musée de Bègles), en 1988-89. Gaston avait déjà, depuis quelques années, fait de la peinture (plusieurs tableaux en attestent). Il m’avait même donné des dessins pour mon fanzine, La Chambre rouge en 1985.

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Couverture de La Chambre rouge n°4/5, 1985 ; la première occurrence où apparaissent des dessins de Gaston Mouly

 

          Sendrey, ne disposant pas de beaucoup d’espace dans sa minuscule galerie Imago (espace qu’il avait ouvert avant de récupérer un local plus grand où se trouve toujours aujourd’hui le musée de la Création Franche), voulait des œuvres de petit format. Il repoussait en conséquence les sculptures de Gaston, qu’il jugeait trop difficiles à manœuvrer pour des accrochages. Il lui demanda s’il ne faisait  pas des dessins. Gaston sauta sur l’occasion pour développer un secteur de sa création qui ne demandait qu’à prendre plus d’ampleur¹. Une magnifique floraison de dessins en couleur surgit alors, qui devait lui ouvrir les portes d’autres collections prestigieuses, comme celles de la Fabuloserie et de la Neuve Invention dans la collection de l’Art brut à Lausanne² (« Neuve Invention » étant un terme inventé par Dubuffet pour classer les cas-limites situés entre l’art savant et l’art brut au sens strict).

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Carton d'exposition en 4 pages de Gaston Mouly à la galerie Imago de Gérard Sendrey en 1989, avec un texte d'introduction de Bruno Montpied

Carton d'expo G Mouly à Imago Texte BM.jpg       Carton d'expo Mouly Imago Images des dessins  Gaston Mouly002.jpg

            L’originalité du dessin de Gaston Mouly provient de son désir profond de faire moderne. Parallèlement, il restait fier de sa culture de base, intimement liée à son goût du patois. Il m’a souvent dit que la langue française lui paraissait peu imagée, alors que l’occitan rendait mieux de ce point de vue. On trouve aussi ce genre d’opinion chez un Gaston Chaissac. Ce dernier qualifiait sa propre œuvre « d’art rustique moderne », terme que l’on pourrait aussi appliquer à l’art de de Gaston Mouly.

           Ses diverses œuvres portent la marque d’une inspiration à nulle autre pareille, certes sommaire, eu égard au tracé de ses figures par exemple, mais porteuse d’un goût inné de l’architecture qui éclate partout dans l’articulation, la structuration des images. Je pense même que le sujet n’a que peu d’importance fondamentalement. C’est d’abord le plaisir d’architecturer qui mène Mouly, qui ne fut pas maçon par hasard. Le sujet doit se plier à cette loi, de gré ou de force. Procédant par intuition, il se créait ses solutions figuratives dans la conscience pleine d’agir ainsi en inventeur solitaire, s’appuyant sur l’exemple d’artistes modernes pour qui il avait travaillé dans sa région (Zadkine, Bissière, Nicolas Wacker). Mais il ne faut pas oublier que l’on trouvait aussi, accrochés au-dessus de ses sculptures, au mur de son atelier d’été, divers objets et outils caractéristiques de la culture rurale, attestant de son goût pour les formes générées dans le cadre de cette dernière. Dans son dessin, dans sa sculpture, il tentait de marier influences formelles venues de l’art moderne et influences stylisatrices provenant de l’art populaire. Ce dernier aime les raccourcis,  les associations d’images, les jeux de mots, et se passe fort bien de l’imitation de la réalité photographique. Comme Gaston Mouly.

            Alors, « singulier », Gaston Mouly ? Ce dernier terme ‒ qui désigne aujourd’hui de plus en plus des artistes semi professionnels inspirés par l’art brut, et plutôt liés à une culture urbaine ‒ ne lui correspond pas exactement. Certes, ses opinions politiques étaient nettement droitières, comme celles de tant de gens qui appartiennent au peuple des paysans et des artisans, choisissant à l’occasion, par facilité, un individualisme égocentrique teinté de populisme. En dépit de cela, il est loisible de reconnaître à travers son imaginaire graphique et plastique toute une culture à coloration païenne mettant en avant l’esprit de fête, de danse, de jouissance, où la ligne est virevoltante, sinueuse et sensuelle. Ses sculptures font parfois penser aux figures populaires en pain sculpté que l’on trouve dans plusieurs pays d’Europe. Artiste populaire contemporain, prisant le plaisir sous toutes ses formes, bon vivant, c’est ainsi que je préfère revoir Gaston Mouly, quand il m’arrive de contempler nos rencontres dans mon rétroviseur…

            Bruno Montpied, décembre 2015.

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[1] Voir le dessin qu’il avait fait en 1983 sur une porte de sa maison, que j’ai reproduit dans le catalogue Des jardins imaginaires au jardin habité, Hommage à Caroline Bourbonnais, édité par la Fabuloserie en mai 2015.
[2] Gaston Mouly et moi, en 1987, bien avant qu’il expose à Bègles, avions du reste conçu un projet d’aller montrer ses sculptures à Michel Thévoz, que j’avais contacté par téléphone. Ce dernier, dès cet entretien, m’avait confié que, si ces sculptures pouvaient intéresser leur collection, elles ne pourraient être intégrées au mieux que dans la Neuve Invention. Selon lui, en effet, Mouly ne relevait pas complétement de la définition de l’art brut. Malheureusement, notre projet de voyage en camionnette avec les sculptures capota, à mon grand regret.

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    Après avoir lu ce texte, que comprendre de ce qui a pu déplaire à nos goujats de Goujounac? Est-ce le dernier paragraphe qui les chiffonne où il est fait allusion aux opinions droitières de Gaston? Doit-on donner une image lisse du créateur, émasculée de tout ce qui pourrait rompre avec une évocation de Bisounours, strictement axée sur la question esthétique (le créateur vu uniquement au ras des pâquerettes, en ne prenant en considération que ses outils et ses tubes de peinture comme s'il n'y avait rien d'autre autour de lui)?

     Serait-ce une considération de respect exagéré vis-à-vis de je ne sais quelle peur de déplaire à la famille sur une question de détail (en particulier le rappel du rôle d'intercesseur de Myriam Anissimov, que j'avais pourtant signalé dès la plaquette Imago de 1989?) ? Je me perds en conjectures... Et je finis par conclure à la décision absurde d'une belle bande de neuneus doublés de jésuites qui vont nous pondre une expo ruisselante de bons sentiments. A oublier bien vite.

inscription sur la porte atelier d'été.jpg

Inscription qui était apposée sur la porte de l'atelier d'été de Gaston Mouly à Lherm, archives BM ; en dépit de sa syntaxe bizarre, on décrypte aisément le propos: "bien qu'ici mes œuvres puissent emmerder les raseurs, leurs fruits parlent, tâchez donc d'en faire autant...." ; lisse, Gaston Mouly? Allons donc...