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10/03/2024

Babahoum plutôt fade, désormais?

     Je vois depuis quelque temps des dessins aquarellés de Mohamed Babahoum, ce créateur marocain autodidacte que la galerie Escale Nomad avait grandement aidé à faire connaître depuis au moins 15 ans qu'elle s'occupe de lui (voir les trois catalogues qu'elle a édités sur lui, certains étant disponibles à la librairie de la Halle Saint-Pierre) , art brut,mohamed babahoum,ventes aux enchères,affadissement,art du grand âge,art d'essaouira,art populaire marocain,joseph barbiero,jean pous,ahmed gnidila,tessier-sarrou qui viennent se montrer ici et là, dans des atours de plus en plus affadis. Je ne parle pas de ceux qui ont été exposés il y a peu (cela vient de se terminer) à la Halle Saint-Pierre, à Paris, dans l'exposition « Aux Frontières de l’art brut ». Non, je parle d'expos qui sont montées visiblement par le biais de quelque autre médiateur sans rigueur qui va pêcher des œuvres auprès de Babahoum, sans grand discernement à mon humble avis.

       C'est ainsi que s'annonce une vente aux enchères "on line", comme on dit, par la maison de ventes Tessier-Sarrou, vente exclusivement consacrée à Babahoum. C'est gentillet, un peu trop simpliste, pas très développé, comme si on avait fait exprès de sélectionner les auto plagiats de l'auteur, ne se cassant plus trop la tête à construire des œuvres aussi poussées que celles qu'on lui connaissait autrefois. Sans compter qu'on peut même se demander si ne se sont pas glissés des faux dans ces pièces mises à l'encan (j'ai entendu dire qu'autour de lui se sont manifestés divers membres de sa famille désireux de l'imiter ; les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous, exception faite d'un neveu, nommé Ahmed Gnidila - qui, lui, n'imite pas, mais possède un style et un imaginaire propres). Babahoum a-t-il par trop vieilli? Travaille-t-il désormais trop vite?

     Il peut être instructif de mettre sous les yeux de mes lecteurs à titre de comparaison des œuvres d'aujourd'hui et des œuvres des années plus anciennes:

 

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Mohamed Babahoum, sans titre (saynètes avec bédouins et paysans), aquarelle et stylo sur carton gris, 80x56 cm, années 2000, coll. privée, Paris : photo Bruno Montpied.

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Mohamed Babahoum, sans titre, aquarelle et stylo sur papier fort gris,31x38,7 cm, date (récente à mon avis)?, vente Tessier-Sarrou  en ligne du 24 mars 24.

 

        Il me semble que d'une époque à l'autre, il  y a eu déperdition d'intensité, d'application. Un certain flasque s'est installé, peut-être reflet d'une déperdition propre à la vieillesse? Pourtant d'autres vieillards restés créatifs ont su adapter leur expression  à ce ramollissement en en tirant un parti dans leurs œuvres (je pense par exemple à Joseph Barbiero et ses dessins aux lignes tremblantes, ou à Jean Pous aussi avec ses galets de rivière gravés, ou ses peintures à la gouache très stylisées).

13/02/2024

Sur la berge, au bord du gouffre

      Un paysage m'a sauté aux yeux récemment, mais quelle pauvre livrée, il avait - matériellement parlant – avec son méchant support gris en carton, un peu déchiré dans un angle à l'arrière, ses taches de je ne sais quel pigment brun ici et là, aux pourtours de la composition, ses piqures dues à la dégradation de la cellulose de son support, ses traces de griffures légères, son aspect brumeux...

Anonyme américain, ss titre (deux enfants au bord d'une cascade), 35x42,5cm, sd (2).jpg

Anonyme, provenance USA, crayon? Fusain? Rehauts d'aquarelle blanche?, sur papier cartonné, 35x42,5 cm, ph. Bruno Montpied, 2024.

 

     Tout à fait le genre de pièce invendable, en particulier dans une vente aux enchères, où l'on brille assez peu par l'audace des œuvres proposées aux collectionneurs (on y aime assez peu, de plus, les pièces anonymes, car pas de spéculation possible). Et pourtant... En dépit de tous ses stigmates, ses blessures, ses horions, l'œuvre a un charme indéniable.       

   Deux enfants, semble-t-il, se tiennent au bord d'une rivière. Le courant impétueux s'écoule vers une chute d'eau, ceignant la composition sur deux côtés. On devine un frêle esquif à la surface de l'onde, tout près de basculer vers le précipice. Ce petit bateau à la voile carrée blanche a-t-il été mis à l'eau par le garçon (à moins que ce ne soit une fillette: il/elle a les cheveux longs), à droite (se tenant bizarrement comme flottant sur l'eau ; est-ce qu'il/elle aurait déjà mis le pied dans l'eau?), ou par cette petite fille, à gauche, qui lève le bras en direction de son compagnon (sa compagne?), semblant l'exhorter à sauver la coquille de noix? Son bras est-il un appel à l'aide ou un reproche? Le fond du lieu où les deux protagonistes se tiennent est ténébreux, sombre peut-être comme le drame qui se joue dans l'âme de la fillette de gauche...

   La scène est intense, mouvementée, les eaux se précipitant vers la chute contrastant par leur impossible arrêt – tel le destin matérialisé dans son cours inéluctable – avec le débat qui anime les deux personnages qui paraissent impuissants à remédier à la petite catastrophe en cours.

       De quelle époque a surnagé ce dessin? XIXe siècle ou XXe ? Il semble, aux dires du collectionneur qui l'a chiné, je crois, sur internet, que cela provient des USA et qu'il relèverait du "folk art". J'emploierai plutôt, personnellement, le terme d'art naïf américain, plutôt ancien, car je penche pour le XIXe (comme peuvent peut-être le prouver les piqures brunes)... Les accoutrements des deux personnages, le dessin de leurs visages, paraissant loin d'être modernes...

         Par analogie, spontanément, il me fait penser à un autre dessin que je possède dans ma collection (que j'ai reproduit récemment dans un mien article, « Le dessin, école d’art buissonnier », hors-série n°35 d'Artension de décembre 2023, consacré au dessin), et qui représente d'autres enfants (semble-t-il, là aussi) contemplant un des leurs comme roulé au bas de la pente au sommet de laquelle ils se tiennent, qu'on en juge:

Clément, ss titre, sd, crayons et stylo sur papier couché (2).jpg

Clément, sans titre ,sans date, stylo et crayon sur papier couché, 16x18 cm ; ph. et coll. B.M. ; là aussi, on retrouve une bande de terre où se tiennent trois protagonistes (dont l'un tient, dirait-on, comme un ballon au bout d'un fil) contemplant un quatrième bizarrement roulé en boule en bas de la composition, bande de terre qui ressemble à une botte géante, prête à les expédier au diable...

14/01/2024

Exposition Bruno Montpied à l'Atelier Véron à Montmartre, œuvres et collection, en janvier-février prochain

       Ma dernière exposition remonte à l'année 2022, et c'était à la galerie Dettinger-Mayer à Lyon. Cette fois, ce sera à partir du 25 janvier jusqu'au 20 février, au 31 rue Véron, tout près de la rue Lepic, à l'Atelier Véron, à Paris cette fois (23 œuvres personnelles qui viendront se confronter aussi avec 12 œuvres d'autres créateurs en provenance de ma collection). A Lyon, c'était déjà des formats carrés (30x30 cm), format que je pratique assidûment, depuis 2021, parce que je trouve en lui finalement le format idéal pour permettre au mieux l'essor de mon imagination graphique. Je me trouvais bridé en effet par les formats aux largeur et longueur différentes des papiers variés que j'utilisais jusque-là. Avec le carré, j'éprouve l'impression que "ça peut partir dans tous les sens"... Le papier, c'est du 300 g, utilisé pour l'aquarelle, dans des blocs Hahnemühle (dont le nom, âne-mûle, m'enchante...).

        J'en suis rendu actuellement à l'heure où j'écris ces lignes à 134 dessins dans ce format carré. Et ça continue. Au début, ce fut des "carrés simples", des compositions occupant à peu près toute la feuille, comme celle ci-dessous :

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Bruno Montpied, Prisonniers d'une montagne, technique mixte sur papier, 30x30 cm, 2021, photo B.M. (exposée à l'Atelier Véron)

 

     Cela dura un certain temps (65 œuvres) jusqu'à ce que l'idée germe de m'imposer – par contrainte consentie, à la façon des artistes de l'OUPEINPO (Ouvroir de Peinture Potentielle, dérivée de l'OULIPO, Ouvroir de Littérature Potentielle, invention de Raymond Queneau et autres, Georges Pérec par exemple) –, des formes aqueuses initialement posées au pinceau large sur ma feuille. La première de ces formes, et donc d'une nouvelle série,  fut une forme circulaire que j'appelais simplement Cercle dans le carré. Cela dura jusqu'au 73e carré.

 

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Bruno Montpied, Le Prisonnier du cercle, technique mixte sur papier, 30x30 cm, 2023, ph. B.M. (exposée à l'Atelier Véron).

 

       Car, tout à coup, la forme badigeonnée avec une eau plus ou moins trouble suivit un tracé labyrinthique qui laissait en réserve une forme ressemblant un peu à un trèfle à 4 feuilles. La série Trèfle dans le carré était née. Et cela se mit à alterner avec la série précédente en fonction de l'humeur.

 

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Bruno Montpied, La Porteuse de feu, technique mixte sur papier, 30x30 cm, 2023 (exposée à l'Atelier Véron). Ph. B.M.

 

       Ensuite, par amusement, est arrivée une série bouffonne "le carré dans le carré"... Exemple:

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Bruno Montpied, Sauve qui peut!, technique mixte sur papier, 30x30 cm, 2023 ; ph. B.M. (exposée à l'Atelier Véron).

 

     Comme ma ligne d'humeur est souvent sinueuse, bien entendu, d'autres séries sont apparues dans la foulée, comme "l'étoile dans le carré", puis ce fut au tour de Méduses, aux lignes serpentiformes entourant un rond d'eau toujours trouble (fond de mon pot à pinceaux):

 

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Bruno Montpied, Etoile interdite, technique mixte sur papier, 30x30 cm, 2023 (exposée à l'Atelier Véron) ; ph. B.M.

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Bruno Montpied, La Méduse accapareuse, technique mixte sur papier, 30x30 cm, 2023 (NON exposée à l'Atelier Véron), ph.B.M.

 

       Aujourd'hui, une nouvelle série a vu le jour, "Formes flottantes"...

       Bref, à l'Atelier Véron, Aurélie Barthaux qui anime le lieu, avec Anne-Sophie, et sous la haute supervision de Jacques Tenenhaus, m'a proposé de mettre en regard de mes propres dessins (qui sont en vente bien sûr), dans une seconde partie de la galerie, quelques pièces tirées de ma collection (qui, elles, ne sont pas à vendre). Je suis arrivé à douze, l'espace étant plus restreint, avec des œuvres aux dimensions conséquentes que je ne peux généralement pas accrocher chez moi, où l'espace est compté et donc réservé à des œuvres de plus petites tailles. Pour qu'il y ait une tentative de dialogue avec ma propre iconographie, j'ai ajouté deux autres dessins carrés dans cette seconde salle, ce qui porte l'ensemble à 23 œuvres (comme annoncé au début de cette note). J'ai rédigé une présentation de l'exposition de ces onze pièces, intitulée "Morceaux choisis" on peut la lire ici.

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Monleme Gladys (Bénin), Ss titre, technique mixte sur panneau de bois, 84x87 cm, 2010, (exposé à l'Atelier Véron), ph. B.M.

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Gérald Stehr, Le Goule-affre, série des "Homo Rorschachiens", 180 x 72 cm, 2016 (exposée à l'Atelier Véron) ; ph. B.M.

 

Atelier Véron, 31 rue Véron, Paris 18e (M° Pigalle ou Abbesses), près du croisement rue des Abbesses/rue Lepic, tél: 01 55 79 01 58. Expo du 25 janvier au 20 février 2024. Ouv. du lundi au samedi de 11h à 13h et de 14h à 19h.  atelierveron@gmail.com

A signaler en outre, Bruno Montpied est interviewé dans l'émission "MAUVAIS GENRES" sur France Culture. Diffusion dimanche 21 janvier à 15h avec rediffusion à 22h (puis ensuite disponible quelque temps en podcast). Il sera question de l'œuvre graphique et aussi d'autre sujets liés à ses recherches, au cours d'une balade dans son atelier avec François Angelier et Céline du Chéné.

 

26/12/2023

Pour verser au dossier du Père Noël

      Un Père Noël en version loufoque bien dans la manière de Joseph Donadello à Saiguèdes (Haute-Garonne), à verser au dossier iconographique du vieux et éternel barbu ; le visage est traité de façon très originale, il n'est plus, presque, qu'une barbe blanche, en somme une barbe qui s'est faite face... :

Père Noël (2).jpg

Joseph Donadello, Noël, ciment polychrome, (2004?), ph. Bruno Montpied, 2015.

 

      Spéciale dédicace pour mes distingués commentateurs qui font du délire d'interprétation piscicole ci-après, voici les deux personnages qui sont à l'arrière-plan du Père Noël (la mère Molitor devrait se racheter de nouvelles bésicles...), avec leurs noms plus clairs sur une autre photo prise trois ans après la précédente et sur eux plus spécifiquement centrée : "Blennius" et "Maculatom" (d'où Donadello sort ses noms, j'avoue que ça m'a toujours laissé perplexe dans plusieurs cas, d'autant que, quelquefois, il oubliait joyeusement les transcriptions normalisées), et non pas "Blennocoq" et "Inculator", qu'affectent de voir nos commentateurs hantés par leurs turpitudes... (Note du 30 décembre 2023)

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Blennius (et non pas Brennus, qui serait plus usuel en ces terres de rugby) et Maculatom, sorte de poisson-lune? ; photo B.M., 2018.

17/12/2023

A François Monthoux, jeune poète de l'immédiat, toute notre admiration!

       Merci à Darnish pour m'avoir fait découvrir ce jeune poète inspiré et quelque peu naïf qui vit en Suisse, en pays vaudois (où l'accent est si joli), tel un bienheureux avec son chien, ses parents charmants et compréhensifs (il ne gagne pas sa vie, il n'a jamais aimé l'école...): François Monthoux :

Film "Nietszche, la glaise et les fourmis" de Marie-Emilie Catier

22/11/2023

On ne se gêne pas, et on présente aux enchères n'importe quoi sous l'étiquette "Barbus Müller"

       Le 2 décembre aura lieu à Sées, dans l'Orne, une vente aux enchères caritative où, parmi des lots très hétéroclites, figure une tête en pierre abusivement associée à Antoine Rabany et aux Barbus Müller (merci à Michel L'Egaré de me l'avoir signalée). Qu'on en juge ci-dessous:

Vente à Sées (61), lot 107, soit-disant Rabany.png

Et de trois quart:

Vente à Sées (61), lot 107, soit-disant Rabany de trois quart.jpeg

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Pour comparer: un véritable Barbu Müller, à double face, attribuable (sans certitude, car sans preuve définitive) à Antoine Rabany, actuellement chez un collectionneur français (vente à Art Paris en 2018) ; les deux manières de faire les yeux par le sculpteur des "Barbus" figurent sur cette pièce double.

 

     Ainsi, on ne s'embête plus. N'importe quel amateur ou collectionneur peu au fait de ce à quoi ressemblent réellement les sculptures du corpus "Barbus Müller", peu au courant de mes publications diverses et variées sur le sujet, peut se permettre de qualifier de rabaniesco-barbu n'importe quel caillou sculpté représentant une tête stylisée. Ici, pourtant, pour ceux qui ont fréquenté le sujet un tant soit peu, on ne reconnaît aucun indice du style caractéristique des Barbus (aucune traçabilité non plus n'est donnée dans la fiche d'information hyper sommaire). Le nez n'est pas en goutte, au contraire sa pointe est ici triangulaire avec esquisse de narines, ce que l'on ne voit jamais chez les "Barbus". Les yeux de la tête de Sées paraissent avoir les paupières closes, ou bien ils sont seulement vides, alors que chez les "Barbus", ils sont soit proéminents, cernés de creux, soit troués. La bouche de Sées est ouverte, montrant des dents, dirait-on, sous des lèvres finement modelées, alors que chez les "Barbus" les lèvres sont beaucoup plus frustes, soit sommairement formées, soit épaisses... Bref, on n'est absolument pas en terrain "Barbus Müller", ici (auxquels, par surcroît, il faut toujours faire attention de ne pas systématiquement associer le nom d'Antoine Rabany, comme je l'ai déjà dit sur ce blog). Et le commissaire-priseur de cette vente – au profit d'œuvres catholiques semble-t-il (par la maison Orne Enchères SARL) –, s'il était un tant soit peu rigoureux, se devrait de retirer cette attribution plus que désinvolte. L'estimation donnée de "100-200€" est, en revanche, tout à fait adaptée à cette tête de pierre, qui devrait simplement être qualifiée de "sculpture populaire anonyme" (ce qui est peut-être moins vendeur, mais infiniment plus adapté à ce qui est su de son origine). D'ailleurs, si le commissaire-priseur qui a donné cette estimation croyait vraiment à sa billevesée sur l'attribution aux Barbus Müller, il n'aurait pas donné une estimation aussi ridicule.

13/11/2023

A l'Atelier Véron, Sylvia Katuszewski, dès le 16 novembre

       Du 16 Novembre au 31 Décembre 2023, "Nos yeux reçoivent la lumière d’étoiles mortes" est le titre de la nouvelle expo de Sylvia Katuszewski, qui présente une trentaine de céramiques, de pastels et de gouaches à cette occasion à l'Atelier Véron, rue Véron à Montmartre. Sur le site web de cette dernière galerie, on trouvera les renseignements essentiels sur cette artiste dont j'apprécie, par pure préférence personnelle, les travaux en deux dimensions surtout (comme je crois l'avoir déjà dit il y a une douzaine d'années, à l'occasion d'une précédente exposition). Plusieurs œuvres sont affichées dans la rubrique qui est consacrée à Sylvia sur ce site web.

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L'artiste chez elle à côté d'une de ses céramiques et d'un de ses grands dessins, photo Bruno Montpied, mars 2023.

 

          Les étoiles mortes que cite le titre de l'exposition renvoient entre autres à ces figures qui paraissent hanter l'artiste, anges (parfois comme divinisés), êtres nimbés de mémoire floue, potentialités anéanties, qui continuent de pousser leur existence non développée à travers ses mains, jusqu'à revenir par la grâce de l'art du fond des fours, à céramique s'entend.

11/11/2023

Cagnotte à faire grossir pour que se réalise un film sur Picassiette

      https://www.proarti.fr/collect/project/le-grand-reve-disi...

    Ci-dessus donc le lien et le teaser (la bande annonce, en bon français...) pour aller voir si les lecteurs de ce blog veulent ajouter leur morceau de vaisselle cassée au projet de faire un film sur Raymond Isidore, dit Picassiette. Personnellement, je me retiens, cherchant moi-même des sous pour financer mon prochain livre aux éditions du Sandre (qui sera un prolongement/variante au précédent livre, le Gazouillis des éléphants, qui fut édité à une époque où les subventions (mécènes, régions, état) existaient encore...). 

    A signaler, en regardant la bande-annonce, que l'on y rencontre une "animation" de Raymond Isidore, qui m'intrigue. Est-elle basée sur des photographies, a-t-on engagé un sosie? On le fait parler aussi... tout cela rend perplexe.

09/11/2023

Alain Nahum, "pour tout levier, un mouchoir"

      Alain Nahum, les passants qui croisent par cette colonne déroulée depuis 2007 dans le secret de l'océan Internet, l'ont peut-être déjà repéré. Je l'avais déjà évoqué pour un recueil de photos sur les images trouvées (Paris, passages piétonniers) dans les bandes de passages piétonniers paru aux éditions Travioles en 2002. Alain-Nahum-passages-piéton.jpg L'évocation se cachait au sein d'une note sur la poésie de hasard. C'est que cette catégorie me mobilise depuis fort longtemps. J'aime à recueillir mes propres découvertes photographiques (j'ai, je le reconnais, moins de métier que M. Nahum, mais le regard est semblable) quant aux paréidolies en tous genres que nous fournit le hasard des rues ou celui de la nature. J'aime aussi à héberger les paréidolies recueillies par d'autres amateurs.

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Couverture du nouveau livre d'Alain Nahum, paru aux éditions l'Œil de la Femme à Barbe.

 

    "Photographe urbain, Alain Nahum s'intéresse aux bribes d'histoires humaines et saisit les traces et vestiges qui racontent notre monde, souvent à notre insu: affiches arrachées sur les murs, restes de petites annonces collées sur les gouttières, passages piétonniers marqués par l'usure des roues et des chaussures, reflets des passants sur les trottoirs et mouchoirs en papier abandonnés..." (Extrait de la présentation de l'artiste dans le livre Lien rouge. Akai Ito, 2023).

     L'album paru récemment à l'enseigne de l'Œil de la Femme à Barbe (Ghislaine Verdier) part cette fois de mouchoirs en papier abandonnés sur les trottoirs de la nuit parisienne (pour alimenter l'œil du photographe, il paraît moins interdit de les jeter sur le bitume, par conséquent...!). Détrempés, ramollis, piétinés avec l'empreinte des semelles dessus, déchirés, triturés au petit bonheur des divers avatars de la circulation, contrastant par leurs blancheurs douteuses avec le noir asphalté et nocturne, ils représentent en effet, pour celui qui sait voir au-delà des apparences, un petit trésor esthétique involontaire.

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Mouchoir écrasé sur un trottoir, dans la partie du livre intitulé "Papiers de nuit", photo Alain Nahum, extrait de Lien Rouge. Akai Ito.

 

       Alain Nahum en a recueilli, et parfois retravaillé plusieurs (ce qu'il ne faut pas trop recommander, la trouvaille brute paraissant souvent, au final, plus forte que ce que la main de l'artiste pourra orienter ; ce n'est pas Georges-Charles Waintraub, qui collectait des objets de hasard, dans les années 1980, en les collant sur des cartes pliantes, en refusant d'y adjoindre la moindre retouche, en véritable puriste (voire intégriste!) du ready-made de hasard, qui m'aurait dit le contraire...). Le livre à l'Œil de la Femme à Barbe en publie plusieurs tels quels.

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De bien curieux fantômes...

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Un lien rouge est ici figuré en dessous des "fantômes" pour évoquer la relation qui unit ces êtres.

 

         Mais Nahum a voulu aller plus loin que cette seule captation de la poésie du hasard. Il a organisé certains de ses "fantômes" trouvés sur bitume en faisant écho à une tradition japonaise du lien, le "en ga aru", qui explique les "liens familiaux, amoureux, amicaux" entretenus dans la vie présente par de "précédentes rencontres lors d'existences passées". "Si le hasard nous ballotte au gré d'un destin qui nous échappe, le "en" nous ancre dans les lieux et auprès des êtres qui de tout temps sont faits pour nous" (cité par Corinne Atlan dans Le Pont flottant des rêves, éditons de la Contre Allée, 2022). Pourquoi pas, même si la philosophie fataliste qui s'y exprime me laisse, je dois dire, un peu, beaucoup, perplexe?

        Par ailleurs, je vois dans cette orientation du ciné-photographe (car la profession de cinéaste de Nahum a certainement une responsabilité dans le fait de l'avoir poussé à imaginer un jeu de relations entre des figures collectées sur les trottoirs), un autre avatar du choix de retravailler certaines images trouvées (en rajoutant peut-être des yeux, des bouches par un simple trait, mince, mais tout de même rajouté?) que je signalais ci-dessus. De plus, je trouve que dans l'édition du livre, la façon de représenter le lien, par un rouge un peu trop vif, contraste par trop avec la matière de hasard des mouchoirs. Un blanc, voir un gris contrasté, n'auraient-ils pas été plus adaptés? Toujours est-il que l'on perd avec ce fil rouge (un peu trop cousu de fil blanc...), un peu, beaucoup, de la poésie brute du mouchoir trouvé initialement. C'est Georges-Charles Waintraub qui ne serait pas content, s'il revenait parmi nous...

Pour se procurer le livre, on se connecte avec la maison d'édition L'Œil de la Femme à Barbe: https://loeildelafemmeabarbe.fr, ou bien le site Librairies.com. On peut également écrire à l'éditeur : lafemme@loeilabarbe.fr, ou téléphoner au +33(0)681 221 687. Il est possible sans doute aussi de trouver le livre à la librairie de la Halle Saint-Pierre, rue Ronsard dans le 18e arrondissement parisien. D'autre part, on peut aussi prendre connaissance des trois haïkus vidéographiques qu'Alain Nahum a insérés sur Vimeo :

Lien rouge from Nahum Alain on Vimeo.

 

29/10/2023

D'Anglefort en force

       Yves D'Anglefort (majuscules, à la particule comme au patronyme, il y tient), ne dirait-on pas le nom d'un aristocrate peut-être breton (?), à la personnalité bien trempée, vivant au secret d'un quelconque ténébreux manoir où il s'adonne à des jeux aux règles de lui seul connues ? 

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Yves D'Anglefort, photo Matthieu Chandelier, extrait du livre de Sylvie Gallin, "Yves D'Anglefort, Un aperçu de son œuvre" ("Einblick in sein Werk"), 2017.

 

      Ce grand seigneur, de fait, aime à jeter sur le papier, et parfois sur d'autres supports, ses armées de figurines (pas très loin de quelques Playmobil ultra schématisés), auxquelles il trace des plans d'action, en fin stratège que trop d'amateurs continuent d'ignorer (par manque de liberté d'esprit, je crois). Ce qui, il faut bien l'avouer, ne l'incline pas à leur pardonner. Il veut en effet à toute force qu'on lui prête attention. Il a tant de choses à dire, et avec tant de manières de le dire (et de l'écrire, souvent au verso de ses compositions ébouriffantes).

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Yves D'Anglefort fecit: Semi-remorque de vin avec sa citerne remplie, c. 2023 ; exposition "Cash", Galerie Dettinger-Mayer, 2023 ; ph. Bruno Montpied.

 

         Il aime en effet se renouveler, n'appréciant guère ceux qui se complaisent dans les redites, prisonniers d'un système. C'est l'un des aspects de la dignité qu'il guigne. Ces derniers temps, on voit donc une nouvelle évolution de son œuvre. La galerie lyonnaise (place du Docteur Gailleton, 2e arrondissement) d'Alain Dettinger nous en administre la preuve depuis le 14 octobre (cela se termine le 4 novembre, pressez-vous donc). Dans ses deux salles, ont surgi, en parfait contraste : pour celle sur rue, de petits formats, certains en simple noir et blanc auquel notre artiste brut (un des rares pour qui j'accepte d'accoler les deux termes) ne nous avait jusqu'ici pas habitués, et pour celle en retrait, deux grandes compositions fort ambitieuses.

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Yves D'Anglefort, Mont de piété, voilà... (ce n'est pas forcément le titre, car généralement, auparavant, YDA professait ne pas aimer mettre de titre, mais plutôt des numéros d'ordre qu'il apposait au verso ; lorsque j'ai pris la photo, je n'avais pas accès à ces versos), date : aux alentours de 2022-2023 ? ; exposé chez Dettinger ; ph. B.M.

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Yves D'Anglefort, autre composition sans titre, date? : vers 2022-2023?, exposition chez Dettinger ; ph B.M.

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Yves D'Anglefort, sans titre, 2022 ; expo chez Dettinger ; ph. B.M.

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Yves D'Anglefort, sans titre (AAAAA), date: 2022-2023? ; exposé chez Dettinger; ph. B.M.

 

       A ces dernières, je dois avouer préférer, dans la première salle sur rue, lorsqu'Yves D'Anglefort pratique la couleur, comme dans le fort charmant paysage ci-dessous, à la composition délicate, absolument pas claironnante (comme c'est le cas dans les deux grandes œuvres de la deuxième salle ; ouh... je sens qu'Yves ne va pas me pardonner ce jugement ; mais, comme le titre qu'il a donné à son expo chez Dettinger ("Cash"¹), il m'arrive d'être, plus souvent qu'à mon tour, moi aussi, "cash"...).

Ss titre (paysage), vers 2023.jpg

Yves D'Anglefort, sans titre (paysage avec avion de Vatican Airway...), date : 2022-2023? ; exposé chez Dettinger ; ph.B.M.

 

           Les petits formats de la salle sur rue sont denses, rythmés, bien construits. On a plaisir à les regarder. Parfois un seul personnage se tient frontalement, nous dévisageant dans une "apostrophe muette" (comme l'a écrit Jean-Christophe Bailly dans son livre sur les Portraits du Fayoum que l'on vient de rééditer tout récemment). Et ce personnage bleu, qui sert d'amorce à l'exposition sur le carton d'invitation de la galerie Dettinger, une sorte de ménagère hirsute flanquée de dreadlocks, à la bouche barrée de chiffres, je ne sais pourquoi, me fait quant à elle penser au prince D'Anglefort lui-même, et à son visage carré de John Wayne de l'art brut... Etrange déplacement, n'est-il pas?

Yves D'Anglefort, Lady of now, 2e expo (2023).jpg

Carton d'annonce de l'exposition "Cash" avec une œuvre d'Yves D'Anglefort: Lady of now, technique mixte sur papier, 29,7x21cm, 2023.

________

¹ Yves D'Anglefort aurait-il inventé, au-delà de l'art brut, l'art cash?

18/09/2023

Le Singulier de l'art naïf, collection Bruno Montpied (un extrait choisi), au MANAS de Laval

      Prévue pour débuter le 23 septembre prochain et durer jusqu'au 10 décembre 2023, cette exposition, que la directrice du Musée d'Art Naïf et d'Art Singuliers de Laval, Antoinette Le Falher, m'a fait l'honneur d'accepter dans ses murs, est l'occasion, à travers une sélection choisie au sein de ma collection d'œuvres éclectiques (relevant de l'art naïf, de l'art singulier, de l'art brut, de l'art populaire insolite, voire de quelques surréalistes pas trop chers (!)), de tenter une défense et illustration de ce que j'aime dans l'art naïf, et qui serait de nature à revaloriser et réévaluer ce dernier, que l'on a beaucoup trop associé à la mièvrerie, aux bons sentiments bêlant, à une sorte d'art gentillet, à relents d'encens et de chapelles.

 

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Armand Goupil, sans titre (pioupiou dansant avec une partenaire fantôme), huile sur bois, 38 x 29 cm, sd (années 1960) ; ph. et coll. Bruno Montpied ; à noter qu'il y a quatre peintures d'Armand Goupil présentées dans cette expo.

 

      L'art naïf, en effet, ce ne sont pas les mignons petits chats, les illustrations pour couvercles de boîtes à biscuits, les innombrables scènes de foules au marché rangées en rangs d'oignon, les natures mortes destinées aux loges de concierge, les croûtes en somme, lénifiantes, sucrées, qui font détourner le regard des amateurs d'art les plus exigeants, ceux qui savent que l'art n'est pas parfumé à la fleur d'oranger, et que ce n'est pas une tisane pour digérer, en attendant la mort...

 

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Henri Trouillard, Winston Churchill en dieu Mars, huile sur toile, 1955, dépôt famille Neveu, collection permanente du MANAS de Laval ; ph. B.M. (2020)

 

    Les collections permanentes du MANAS de Laval sont riches d'œuvres figuratives singulières justement (Lucien Le Guern, Trouillard, Bauchant, Rousseau, Claude Prat, Colette Beleys, Karsenty-Schiller, Dominique Lagru, Déchelette, Jean-Jean, Van der Steen, Le Gouaille, etc.), depuis son année de création en 1967, ce qui justifiait ma demande de proposer une exposition en cet écrin (elle se tient dans la salle en rez-de-jardin, à l'entrée du musée). La figuration dite naïve, c'est-à-dire aussi bien surréelle, sur-réaliste, cache de nombreux artistes autodidactes qui ont tenté de représenter des sujets empruntés à la réalité extérieure (c'est la peinture de genre qui caractérise l'art naïf: natures mortes, portraits, nus, paysages, sujets animaliers, scènes historiques...), tout en réinterprétant celle-ci grâce à l'intrusion, volontaire ou le plus souvent involontaire, de l'inconscient, de l'acte manqué, du lapsus, dans le rendu des objets et des êtres. Perspectives fausses, proportions aberrantes, hiérarchisation inhabituelle des dimensions des personnages, tout cela peut faire associer l'art naïf au "réalisme intellectuel", terme inventé par le critique d'art Georges-Henri Luquet qui voyait dans les dessins d'enfant des déformations en lien avec le retentissement psychologique des objets et des êtres dans le psychisme de ces dessinateurs en culotte courte. Leurs tailles étaient fonction de leur importance psychologique et non pas de leur dimension physique.

      On devrait selon moi ranger dans l'art naïf toutes les œuvres d'autodidactes primitivistes ou "bruts" qui comportent une reproduction de sujets empruntés à la réalité extérieure. Ce qui entraîne que plusieurs œuvres que l'on range dans l'art brut peuvent être revendiquées aussi bien par l'art naïf. Le rapt de divers artistes naïfs (Wittlich, Auguste Moindre, Séraphine Louis, Emeric Feješ, Anselme Boix-Vives, and so on) par les thuriféraires de l'art brut peut se retourner dans l'autre sens, par conséquent.

 

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Anselme Boix-Vives, sans titre, gouache ?, peinture industrielle ?, sur papier ou carton, sd, 49 x 66 cm ; ph. et coll. B.M.

 

      "Boix-Vives"?, se récrieront ses partisans... Oui, Boix-Vives aussi, car je rejoins Anatole Jakovsky sur ce point, notamment quand il écrivait, à propos du peintre catalan installé en Savoie, dans son Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier (1976): "Partant du réel, ou du moins tel qu'il le voit, il le transfigure complètement sous une apparence primitive et barbare."

      "Le singulier de l'art naïf", titre proposé par mézigue, regroupe 35 artistes en 40 œuvres.

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          J'ai divisé la présentation en trois sections : 1, le réalisme poétique (l'art naïf "classique"), 2, l'art naïf plus singulier, et 3, l'art naïf visionnaire. Donnons ci-dessous un exemple emprunté à chaque section.

1. 

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Anonyme (J.C.), sans titre (le voleur de melons), huile sur isorel, 33 x 41 cm,1945 ; ph. et coll B.M.

2.

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Carter-Todd, sans titre, crayon graphite et crayons de couleur sur papier, 23 x 29 cm, 3-1-90 ; ph. et coll. B.M.

3.

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Maurice Griffon, dit Maugri, sans titre, stylo sur papier, petits motifs ornementaux sur le cadre, 30 x 42 cm, sd (années 1980) ; ph. et coll. B.M.

 

L'exposition (gratuite, comme l'ensemble de la collection permanente du MANAS, du reste, qu'il ne faut absolument pas oublier de visiter) se tiendra au MANAS de Laval (Musée du Vieux Château, place de la Trémoille) du 23 septembre au 10 décembre 2023. Je ferai une visite commentée de l'expo le 1er octobre à 15h30 (visite gratuite, sans réservation). Un catalogue (7,80€) paraît à l'occasion de l'expo, disponible au musée et à la librairie de la Halle Saint-Pierre (à partir du 21 septembre), reprenant en reproduction la totalité des œuvres exposées, avec un texte de moi détaillant le projet de l'exposition section par section, avec des notices à chaque œuvre, ainsi qu'une préface d'Antoinette Le Falher.

A lire: un article éclairant d'Emma Noyant sur l'expo dans le n°181 d'Artension (septembre-octobre), à la suite d'un mien article sur l'art brut (Artension consacre en effet un intéressant dossier à l'art brut dans ce numéro).

 

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Armand Goupil, sans titre (le clin d'œil), huile sur carton, 30 x 26 cm, datée « 5-XII-60 » ; ph. et coll. B.M. ; cette peinture sert de visuel principal à toute l'expo, et on la retrouve ainsi en affiche dans les rues de Laval, gloire (éphémère) pour cet "inconnu de la Sarthe", comme j'ai pu l'appeler dans le revue 303 il y a quelques années...

 

     Et pour clore, provisoirement, le sujet, ci-dessous un petit poème de Joël Gayraud reçu, suite à l'annonce en privé de l'exposition:

 

Poème pour « Le Singulier de l’Art Naïf »

 

Naïf 

mais pas niais

singulier

mais pas sanglier  

brut 

mais pas brutal

immédiat 

mais pas immédiatiste

instinctif

mais pas extincteur

autodidacte 

mais pas autocuiseur

inspiré

jamais expirant : 

telle est la logique

authentique

poétique

rustique

extatique

voire mystique

mais sans casuistique

du créateur anarchique

 

Joël Gayraud

15/09/2023

Chez Tajan, trois nouveaux "Barbus Müller" dont une merveilleuse Vénus enceinte

        Les Barbus Müller, ça continue de sortir du bois, peut-être encouragé par les différentes expositions récentes (à Genève et à Clermont-Ferrand) où on en a vu plusieurs rassemblés... Et, même, les "femmes à barbe Müller", puisque sur les trois statuettes que Tajan va proposer à la vente, le 10 octobre prochain – avec mon conseil éclairé! –, il y a une très belle effigie de femme, la tête énorme ceinte d'une natte, les deux seins bien ronds où se dessinent les mamelons, le ventre bombé (celui d'une femme enceinte de quelques mois), le pubis frisottant, une fente vulvaire par dessous, non exposée à la vue.

       C'est, à mon goût, la plus belle statue qu'il m'ait été donné de voir parmi toutes celles que l'on a regroupées dans le corpus des "Barbus Müller". Elle est plus belle, notamment, que celles qui figurent dans le fascicule de l'art brut n°1 de 1947 (jamais diffusé par son éditeur, Gallimard), consacré par Dubuffet auxdits "Barbus" (réédité en 1979, puis en 2020 dans le catalogue de l'expo sur les Barbus au Musée Barbier-Muller, à Genève). Quand j'écris "belle", je veux dire par là qu'il y a en elle des proportions évidemment non réalistes, qui lui confèrent une allure d'idole. Il y a du hiératisme en elle, du sacré. Par ailleurs, elle a un air de ressemblance avec certaines autres effigies, féminines, qui furent reproduites dans ce célèbre fascicule.

 

Comme une déesse de la fécondité (2).jpg

Lot n°1 de la vente Tajan, la "Vénus enceinte" (surnom que je lui ai donné), env. 60 cm de haut, granite sculpté ; ph. Bruno Montpied, 2023.

1-3 Comme une déesse de la fécondité (le sexe 2) (2).jpg

La "Vénus" renversée, "impudique"... avec la responsable de la vente, Eva Palazuelos, qui la soutient ; ph. B.M, 2023.

 

     BM Femme au nombril cerclé, fasc 1947, coll Müller (2).jpg                BM Femme aux fruits, fasc 1947 (mus Bar Mueller, anct Ratton).jpg

Deux Barbus Müller du fascicule de 1947 qui présentent un rendu anatomique analogue à celui de la "Vénus enceinte" de la vente Tajan.

 

      Les deux autres sculptures qui passent en vente chez Tajan sont une sorte de petit "marquis" – une tête semblant affublé d'une perruque, le cou pris dans le col d'un vêtement que j'imagine comme un pourpoint –, et une autre tête aux yeux vides, la bouche fendue dans une sorte de large grimace, à l'expression comme catastrophée.

Photo des trois sur Instagram d'Eva Palazuelos.jpg

Photo de chez Tajan, comme un podium... le "Marquis" devant être à la 2e place selon moi, en terme de qualité esthétique...

 

      Les trois sculptures sont taillées dans trois pierres d'origine volcanique différentes (en l'occurrence du granite, roche d'origine magmatique, une sorte de pierre ponce et une roche tirant sur le rouge à la façon des pierres contenant du fer), comme le faisait aussi, très probablement Antoine Rabany (1844-1919), à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme) dont j'ai prouvé (voir mes anciennes notes en particulier, sur ce blog) qu'il fut l'auteur, entre 1907 et 1919 d'une douzaine de ces sculptures qui ont plus tard, après la Deuxième Guerre mondiale, été surnommées "Barbus Müller" par Jean Dubuffet, vers 1946, au moment où il commençait de rassembler des exemples d'artefacts de tous types sous la bannière de ce qu'il appela "l'art brut", appelé à rencontrer un prestige de plus en plus considérable au fil des décennies, jusqu'à aujourd'hui. 

      Un catalogue sort à l'occasion de cette vente, qui sera bientôt disponible, fin septembre, et déjà appréhendable en ligne (ICI), auquel j'ai donné un texte qui revient sur le pourquoi de mon sentiment que l'on a affaire ici à trois nouveaux venus dans le corpus des Barbus Müller, et également sur le rapport qu'ils entretiennent, surtout la "Vénus enceinte", avec (peut-être) Antoine Rabany, à qui sont attribuables beaucoup des Barbus apparus depuis les années 1940 (avant cette date, on parlait de sculpture populaire anonyme, de sculpture primitive, "celtique"', voire de sculpture des pays lointains, Océanie, Antilles...).

 

Tajan, vente le 10 octobre 2023 ; dans leurs locaux, 37 rue des Mathurins, 75009, Paris. A signaler le même jour la vente de la collection Jean-Pierre et Martine Nuaud où l'on trouve nombre d'artistes et de créateurs intéressants, plusieurs relevant de l'art singulier, naïf, brut...

 

16/07/2023

Conserver (on non) les environnements populaires spontanés: 4e et 5e volets du Vidéoguide de la Nouvelle-Aquitaine sur les Inspirés du bord des routes

      Viennent d'être mis en ligne le 4e et le 5e volet de la série éditée par l'Inventaire de la Nouvelle-Aquitaine et pilotée par les conseils scientifiques de Yann Ourry à propos des inspirés du bord des routes en Nouvelle-Aquitaine. Ces petits courts-métrages sont toujours réalisés par Juliette Chalard-Deschamps, avec des prises de vue par Arnaud Deplagne.

    Dans le 4e "opus", on me retrouve comme dans le premier volet, toujours avec mon superbe pull (!), répondant en quelque sorte à l'interview d'Hélène Ferbos qui, pourtant, eut lieu plusieurs semaines après le mien, et qui figure ici en tête de gondole. Il s'est agi d'évoquer quelque peu le sujet compliqué des mesures conservatoires – ou non – qui peuvent être mises en place pour prolonger autant que faire se peut ces créations de plein vent, réalisées par des auteurs qui ne se souciaient guère de la pérennité de leurs travaux exécutés dans l'immédiat de leur vie. Est-ce humilité de leur part? Sans doute pour certains, mais ce n'est pas assuré dans tous les cas. Plusieurs créaient dans l'immédiat de leurs temps de loisirs, hors vision artistique, hors système des Beaux-Arts, sans se préoccuper de la postérité, qui est un paramètre spécifique aux artistes professionnels plutôt.

       Et, donc, vouloir – ce qui est naturel, on aime à conserver ce que l'on aime – prolonger et conserver ces sites et réalisations naïfs, plus rarement bruts, pose divers problèmes que nos interviews croisées, à Hélène et à moi, effleurent seulement. Problèmes qui ont trouvé des solutions ici et là, assez variées, qu'il m'est arrivé de décrire sur ce blog à l'occasion, et surtout dans mon inventaire (désormais épuisé, trouvable en bibliothèque ?), Le Gazouillis des éléphants, paru en 2017 aux éditions du Sandre.

     Hélène Ferbos indique cependant qu'en tant que conservatrice et directrice du Musée de la Création Franche à Bègles (réouverture prévue en 2025), elle reste favorable à la sauvegarde de parties et d'éléments extraits de divers environnements. Par exemple, le Musée a très récemment acquis  le vélo couvert d'une toile d'araignée de colifichets d'André Pailloux que j'avais révélé et éclairé dans Eloge des Jardins anarchiques en 2011. L'affaire fut réalisée grâce à la médiation d'un autre admirateur de ce vélo, Philippe Lespinasse. Je suis très favorable à ce genre d'extraction, quand il n'y a pas d'autres possibilités de sauvegarder l'intégralité d'un site sur place. Bien sûr, les pièces extraites se doivent d'être alors accompagnées de contextualisations photographiques ou filmées, voire de témoignages écrits ou enregistrés dus aux auteurs et à leurs médiateurs, etc.

 

4e volet du Vidéoguide Nouvelle Aquitaine consacré aux Inspirés du bord des routes et diffusé sur YouTube.

 

     Dans  le film que j'avais co-écrit avec son réalisateur, Bricoleurs de paradis, dans la séquence consacrée à André Pailloux et son vélo, je lâche un peu vite le mot de "patrimonialisation" appliqué à ces créations environnementales éphémères. Il me parut dès l'achèvement du film un peu trop sacralisant, et si j'avais pu assister au montage, ou du moins, voir une première épreuve du montage final, j'aurais plaidé pour qu'on l'enlève. Car utilisé comme cela, isolé, il donne l'impression que je défends cette intégration au patrimoine de façon généralisée pour tous les sites (il y a en effet un effet pervers de la patrimonialisation à tout va ; je me souviens d'un village du Queyras, Saint-Véran, où l'on exhibait deux paysans en train de manger leur soupe au fond d'une masure "à la manière d"autrefois"...). En l'occurrence, j'essayais avant tout de convaincre André Pailloux de songer un jour à léguer son vélo à une musée d'art populaire contemporain.

     Il a fini par se laisser convaincre, plusieurs visiteurs ayant sans doute poussé à la roue (c'est le cas de le dire) entretemps dans ce sens. Et tant mieux, après tout, Mais bonjour le travail des restaurateurs futurs dudit vélo... Tant ses matériaux, du plastique entre autres, pourront se révéler difficiles à maintenir en bon état... Sans compter le changement de statut de cette œuvre, issue de la vie quotidienne au départ, comme le pointe Hélène dans son interview, qui interviendra dans son élection au rang d'œuvre d'art, trônant peut-être sur un futur piédestal mobile, à l'entrée des collections de la Création Franche?

 

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Jardin et ses vire-vent d'André Pailloux à Brem-sur-Mer (Vendée) : le portail défendait l'allée hérissée d'une haie de vire-vent, menant au garage où se cachait le vélo extraordinaire de Pailloux ; photo Bruno Montpied, 2008.

 

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André Pailloux ayant sorti son vélo, devant le portail de son jardin ; ph. B.M., 2010 (durant le tournage de Bricoleurs de paradis)

 

     Le 5e volet du Vidéoguide de Nouvelle-Aquitaine concerne exclusivement le jardin de Gabriel Albert, cas unique d'environnement constitué de statues multiples conservé et restauré grâce aux efforts de la Région à laquelle il appartient désormais, après le legs primitif de l'auteur à sa commune de Nantillé (Charente). On y suit Yann Ourry décrivant d'un ton le plus neutre et avec un aspect le plus inexpressif possibles (par volonté sans doute de s'effacer au maximum derrière le créateur qui est pour Yann le vrai héros du film) le pourquoi et le comment du site qui recelait au départ 420 statues, dont certaines ont disparu à la suite de vols (ce qui n'est pas dit dans le film). Ce 5e volet contient à la fin un tout petit fragment de mon film Super 8 montrant le jardin dans l'état où il se trouvait en 1988, date de ma visite en compagnie de Christine et Jean-Louis Cerisier, ce qui nous avait permis de parler un peu avec Gabriel Albert, qui devait décéder douze ans plus tard.

14/07/2023

Les aventures de Napoléon dans le Tour de France

         Je dois confesser mon amour des retransmissions du Tour de France cycliste, n'en déplaise aux mauvais esprits qui ne voient que le cirque médiatico-commercial qui l'accompagne, il est vrai de manière passablement parasite. La popularité du Tour, qui existe depuis plus de cent ans, est cause de cette exploitation éhontée par les marchands de saucisson et autres journalistes de télévision vendant les temps de cervelle des fans de vélo aux publicitaires en tous genres (cf. les flashs de pub ne cessant d'émailler les retransmissions). Tous les chimistes (on ne parle plus de dopage, mais qu'en est-il au juste? Il es toujours là, plus puissant que les contrôles anti-dopage ; il est instructif de suivre le site web d'Antoine Vayer: cyclisme-dopage.com) et journalistes s'en mêlent, et notamment les cultureux de service de France Télévision, les Franck Ferrand et autres Florent Dabadie qui profitent eux aussi de la fascination pour les forçats de la route (pas trop mal payés, cela dit, lesdits forçats ; c'est pas les salaires mirobolants des footballeurs, mais c'est tout de même conséquent, voir les montants sur le site Top Vélo) pour nous bassiner avec leurs églises et leurs châteaux de grands aristos et autres capitaines d'industrie dont visiblement ils adorent lécher les derrières, quand ce n'est pas l'occasion de nous tartiner les oreilles et les yeux avec leurs clichés relevant d'un insolite de pacotille, et des spécialités régionales incontournables (encore le saucisson).

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Caricature d'Espé, site cyclisme-dopage.com

 

      Il y a les "à côté du Tour", comme ils disent, et quand on parle de culture, il n'y en a que pour les superstitions et les architectures religieuses, l'art ne pouvant sans doute être que d'essence divine. Ferrand, causant avec sa cuillère d'argent dans la bouche, son style "Marie-Chantal" en extase perpétuelle devant les absidioles et autres arcs-boutants, donne une idée de la culture qui est ultra ringarde et scandaleusement unilatérale. Les "à côté du Tour" ne sont jamais pour l'art populaire, les créations véritablement singulières et inventives que le parcours du Tour pourtant relie bien souvent les unes aux autres. A tel point que je me prends à rêver devant mon poste de TV à d'autres chroniqueurs qui nous rafraîchiraient en nous présentant à chaque étape l'auteur d'art brut ou naïf situé dans un des endroits fréquentés par les coureurs durant l'étape.

 

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Le Palais Idéal du Facteur Cheval,à Hauterives (Drôme), carte postale moderne (années 1980).

 

      Cela viendra peut-être un jour, par le retour d'un nouveau Pierre Bonte (qui l'autre jour fut cité du reste parce que le Tour passait par chez lui), qui régala les auditeurs pendant longtemps de ses émissions sur la France dite "profonde", intitulées "Bonjour Monsieur le Maire", qui sait? Il y a deux ou trois ans, on vit ainsi le Palais Idéal du Facteur Cheval surgir vu d'une caméra embarquée sur un drone (Ô, cet œil dronesque qui court au-dessus de la France et de ses magnifiques paysages – là encore, on retrouve une exploitation, à des fins touristiques cette fois –, personnellement, c'est ce qui me retient le plus durant ces retransmissions, surtout lorsque la compétition se révèle morne). Et l'année dernière, je crois, ce fut au tour du LaM de Villeneuve-d'Ascq d'apparaître à l'écran un bref instant, le Ferrand prout-prout s'écorchant la bouche à prononcer le mot d'"art brut" que visiblement il rencontrait pour la première fois. Cette année, à Brantôme, on vit, l'espace d'un bref instant, le splendide bas-relief du Triomphe de la Mort – œuvre insolite et naïve d'un moine semble-t-il – au fond de la grotte qui se situe en marge de l'abbaye, abbaye qui fut bien entendu la seule à bénéficier de l'extase du Ferrand entré quasi en lévitation à ce moment-là. Tout à côté de cette grotte, en outre, se niche également un musée consacré au dessinateur médiumnique Fernand Desmoulin. Le Ferrand rance ignore bien entendu de telles références qui le dépassent.

 

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Napoléon Ier par Jean Molette fils, "sabottier" (1819-1889), au Col des Echarmeaux, photo Bruno Montpied, 1995.

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Pierre Martelanche, un exemple de ses sculptures naïves sauvées de la destruction: "L'exploitation par l'Eglise et les patrons", Musée Déchelette à Roanne.

 

      Chaque fois, que le peloton passe dans telle ou telle ville, j'arrive à citer de mémoire dans mes conversations par sms avec un bon camarade d'exploration des lieux bruts les sites qu'on peut y trouver. Et hier, dans la 13e étape, un autre ami m'avait prévenu: le Tour, parti de Roanne (où l'on aurait pu citer les curieuses sculptures en terre cuite de Pierre Martelanche, récemment entrées dans le Musée Joseph Déchelette de la ville), passait, dans les Monts du Lyonnais, au Col des Echarmeaux, situé sur la commune joliment nommé Poule (-les Echarmeaux), fermant les confins de la vallée de l'Azergues.

 

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Installation "artistique" à base de vélos entassés, dans une composition qui fait penser aux "mâts des élus" ; à gauche dans le fond on voit le Napoléon et sa "jaunisse" ; Col des Echarmeaux, photo Jean Branciard, juillet 2023.

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Le Napoléon sous camisole jaune ; ph. J. Branciard, juillet 2023.

 

     Et voilà-t-y pas que le maire (ça doit être lui, le "coupable") avait eu la brillante idée de vêtir le Napoléon Ier, qui trône sur la place centrale du village, dû au sculpteur-sabotier Jean Molette (cf. mon Gazouillis des éléphants où j'ai parlé tant et plus de lui et de ses sculptures sur pierre ou sur bois, ainsi que sur ce blog du reste), d'un... maillot jaune! Cela lui allait aussi bien qu'une camisole. A laquelle cette vêture ressemblait passablement du reste, puisqu'on n'avait pu la lui faire enfiler par les bras, ceux-ci étant solidaires du tronc. Derrière ce travestissement, se lit aussi la désinvolture qui marque les animateurs de l'endroit. Il y a quelques années, existait encore une maison de Jean Molette, où devaient être conservés diverses œuvres et documents relatifs à cet artiste populaire autodidacte, sabotier bonapartiste naïf. Une dispersion eut lieu à une date non précisée, puisqu'il m'advint de découvrir – et d'acquérir –, à Paris, dans une foire à la brocante, un magnifique panneau sculpté en relief qui provenait probablement de cette maison et de ce village (je l'ai reproduit dans diverses publications, notamment dans mon Gazouillis des éléphants) tout à la gloire de l'empereur Napoléon III, écrasant de sa gloire (de looser de la guerre de 1870 sans doute), tous les rois de France, présents sous forme de médaillons, autour de lui en train de caracoler. Molette sculptait la pierre (il existe d'autres statues de lui sur place, notamment une Madone géante et aussi un Napoléon III, cette fois en pierre, voir ci-dessous) et le bois aussi, sans doute en premier ce dernier, logiquement puisque son métier de sabotier le lui avait rendu familier. 

 

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Jean Molette, Napoléon III, carte postale XXe siècle (merci à Julien Gonzalez (et non pas Rodriguez) qui me l'a signalée), coll. B.M.

 

Le Tour aux Echarmeaux, 13e étape, 13 juillet 23.jpg

Exploit: la capture d'écran du moment où la télévision française a montré – Ô combien subrepticement! – les coureurs échappés passant devant le carrefour au Napoléon naïf et enjaunifié (voir en arrière-plan la statue à côté des panneaux de signalisation)... ; bien entendu, il n'en fut nulle part question dans les commentaires cultureux du jour... : ph. B.M., 2023.

21/06/2023

Un Barbu Müller assez faible, et qui plus est, donné sans preuve à Antoine Rabany

        Voici comment est annoncée, dans le cadre d'une exposition actuelle à la galerie Jean-Pierre Ritsch-Fisch à Strasbourg, la vente d'un Barbu Müller à double visage. On n'y hésite pas à nommer Antoine Rabany comme son auteur. Alors qu'il n'existe aucun indice pour ce faire...!

    S'il s'agit vraiment d'une sculpture rattachable à l'ensemble des pièces surnommées par Dubuffet "Barbus Müller" – ce qui n'est pas déjà évident étant donné le peu d'éléments stylistiques permettant de l'affirmer à coup sûr ; et si ça en fait partie, en tout cas, on conviendra qu'il s'agit là d'une pièce assez faible du point de vue esthétique –, il faudrait apposer en légende "attribué à Antoine Rabany" (parce que, par association avec certaines caractéristiques stylistiques, on a pris l'habitude de mettre ce genre de légende à côté des "Barbus Müller" non immédiatement prouvées par moi comme étant dues à cet auteur, notamment dans le catalogue de l'expo sur les B.M. au Musée Barbier-Mueller à Genève en 2020). Mais ici, à Strasbourg, on ne s'embarrasse pas de scrupules... On s'imagine peut-être qu'avec ce nom devenu un sésame, on vendra bien mieux.

    Signalons que cette pièce provient de l'ancienne collection d'ABCD Bruno Decharme. Si ce dernier l'a revendue et non pas incluse dans la donation de près de mille œuvres qu'il a faite au Musée National d'Art Moderne l'année dernière, contrairement à un autre Barbu Müller un peu plus réussi (voir ci-dessous), c'est qu'il doit y avoir une raison... Mais ce que j'en dis, moi...

 

 

 

 Antoine RABANY • 1844 - 1919

Barbu Müller

Pierre de lave

29 x 20 x 20 cm

 

 

 

 

30 barbu Müller coll ABCD  (en granit ; anct Félix Stassart, vers 1950).jpg

 

Barbu Müller, attribuable à Antoine Rabany par association avec les pièces identifiées comme venant assurément de lui (cf.  les clichés-verre publiés par moi dans le catalogue du Musée Barbier-Mueller de Genève en 2020) ; ancienne collection Félix Stassart, anc. collection ABCD, aujourd'hui au MNAM du Centre Pompidou à Paris (me semble-t-il) 

 

14/06/2023

Appel du 18 juin: "Alcheringa" n°4 est paru et ses animateurs viennent en causer à la Halle Saint-Pierre

      Alcheringa, j'en ai déjà parlé lors de la parution de son n°3. Il continue de se manifester, puisque son n°4 sort à présent, toujours édité (et maquetté) par Venus d'Ailleurs du côté de Nîmes. Il sera présenté dimanche prochain à l'auditorium de la Halle, à 15h, en présence de Joël Gayraud, Guy Girard, Régis Gayraud et mézigue. Je dois y présenter en effet les articles que j'ai donnés à la revue, l'un sur l'art en commun (il y aura quelques images projetées) et l'autre, plus réduit, consacré à une remarque concernant le catalogue de la récente exposition "Chercher l'or du temps", consacrée au surréalisme, l'art magique et l'art brut, au LaM de Villeneuve-d'Ascq. Ce catalogue contient en effet une prodigieuse découverte due à l'une des conservatrices de ce musée, Jeanne Bathilde-Lacourt, découverte qui regarde les prémisses de la collection d'art brut de Jean Dubuffet. Il me paraissait important de la souligner un peu plus, notamment auprès de lecteurs intéressés par le surréalisme.

 

Couv Alcheringa 4 (2).jpg

         Voici le sommaire de la revue:

Numéro 4 - Été 2023
(128 pages ; 22 €)
 

Dans ce numéro:

Guy Girard, Devant le feu

Joël Gayraud, Métamorphoses de l’alkahest

Sylwia Chrostowska, Tout et son contraire

Jacques Brunius, Le jardin n’a pas de porte

Bruno Montpied, L’art en commun, si peu commun…

Laurens Vancrevel, Will Alexander et l’usage surréaliste du langage

Natan Schäfer, Vers le Phalanstère du Saï

Régis Gayraud, Souvenons-nous de Serge Romoff.

Autour d’une lettre inédite d’André Breton

 

      ainsi que d’autres articles, poèmes, récits de rêves, notes critiques et images par :

René Alleau, Aurélie Aura, Jean-Marc Baholet, Anny Bonnin, Massimo Borghese, Anithe de Carvalho, Eugenio Castro, Claude-Lucien Cauët, Juliette Cerisier, Sylwia Chrostowska, Darnish, W. A. Davison, Gabriel Derkevorkian, Kathy Fox, Antonella Gandini, Joël Gayraud, Régis Gayraud, Yoan Armand Gil, Guy Girard, Beatriz Hausner, Jindřich Heisler, Alexis Jallez, S. L. Higgins, Marianne van Hirtum, Richard Humphry, Andrew Lass, Michael Löwy, Albert Marenčin, Alice Massénat, Bruno Montpied, Peculiar Mormyrid, Leeza Pye, Pavel Rezniček, Alain Roussel, Bertrand Schmitt, Carlos Schwabe, Petra Simkova, Dan Stanciu, Wedgwood Steventon, Ludovic Tac, Virginia Tentindo, Marina Vicehelm, Sasha Vlad, Susana Wald, Gabriela Žiaková, Michel Zimbacca.

 

Tableau,-Des-êtres-se-renco.jpg

Bruno Montpied et Petra Simkova, "Des êtres se rencontrent et une douce musique s'élève dans leurs cœurs", hommage à Jens-August Schade,  3 x 4 m, peinture industrielle sur toile PVC, 1999.

 

     Des exemplaires de la revue seront bien sûr ensuite disponibles à la vente dans la librairie de la Halle Saint-Pierre.

     Signalons aussi par la même occasion la parution d'un autre n°4, de la revue L'Or aux 13 îles (qui devient également un foyer éditorial), qui lui de même qu'Alcheringa est disponible à la vente à la librairie de la HSP (accompagnant, c'est à noter, les trois premiers numéros de la revue, qui contiennent trois articles copieux de moi-même: dans le n°1 (2010), un grand dossier sur les bois sculptés de l'abbé Fouré, où j'avais réédité le Guide du Musée de l'ermite, dans le n°2, une prose poétique sur ma collection illustrée de plusieurs reproductions, Le royaume parallèle, et dans le n°3, un article sur les bouteilles peintes de Louis et Céline Beynet, des autodidactes inconnus et inventifs qui vivaient en Limagne, près d'Issoire).

03/05/2023

Et ça continue à sortir, les Barbus Müller....

     Le 16 mai prochain, aura lieu à Drouot une mise aux enchères dans le cadre de la maison de ventes De Baecque et associés. C'est de l'art populaire, envisagé dans sa dimension de curiosité. Plusieurs pièces ont été par le passé présentées aux Rencontres d'art de Montauban qui étaient organisées par le collectionneur, critique d'art et artiste surréalisant Paul Duchein, par ailleurs grand rédacteur de la revue Le Pharmacien de France où il passait de nombreux billets sur des sujets liés à la singularité spontanée présente dans les arts populaires, naïfs ou bruts. Quelque chose me dit – ce n'est absolument pas spécifié par la maison de ventes, je m'empresse de le souligner – que beaucoup des objets proposés en vente, sinon tous, ce 16 mai prochain, pourraient bien venir de la collection de ce monsieur Paul Duchein qui a toujours été très éclectique dans ses admirations et ses passions, créant en parallèle tout un ensemble de boîtes à coloration onirique, dans un style surréaliste un peu trop marqué. Mais ce n'est que mon opinion, le collectionneur qui est derrière la vente restant secret. Cependant, en comparant les pièces du catalogue de la vente avec les pièces que publia Paul Duchein dans son livre La France des Arts populaires chez Privat en 2005, on s'en assure davantage...

 

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      Dans la panoplie des pièces présentées, on retrouve (une fois de plus) une sculpture qui à l'évidence peut faire partie du corpus des Barbus Müller, cette série de sculptures en granit ou en roche volcanique, qui représentent la plupart du temps des têtes aux caractéristiques stylistiques semblables, grosse bouche, nez en goutte, yeux proéminents, un air un peu éberlué, voire halluciné, hypnotique, souvent hiératique.

 

50. BM vente Debaecque 16 mai 23.jpeg

Ce Barbu Müller, en vente à Drouot le 16 mai 2023, figurait dans le livre de Paul Duchein (voir dans l'illustration précédente sa reproduction, ne serait-ce que sur la couverture du livre) ; ce n'est donc pas totalement un inédit.

 

      J'ai démontré dans divers articles et essais que plusieurs des pièces que l'on range dans ce corpus qui est à l'origine de la collection d'art brut de Jean Dubuffet (c'est lui qui a forgé le terme de Barbus Müller, sans rien savoir en 1946 de leur auteur) proviennent d'un paysan auvergnat, ex-soldat, Antoine Rabany, dit "le Zouave" (1844-1919). Actuellement, je dénombre onze sculptures provenant assurément de son jardin ou de son atelier à Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). Ces dernières devraient, sur les cartels des collections ou des musées qui les détiennent, indiquer qu'elles sont d'"Antoine Rabany, dit le Zouave, sculpteur de Barbus Müller". Toutes les autres – non encore certifiées par moi comme provenant du jardin du sieur Rabany – peuvent être marquées "attribuées à Antoine Rabany". C'est l'étiquette qu'a choisie avec raison l'experte de cette vente, Martine Houzé, pour la sculpture de cette vente prochaine chez De Baecque. Donc, ci-dessus on n'a qu'un Barbu Müller, peut-être venant de chez Rabany, mais sans certitude absolue... 

     Cela ne veut pas dire cependant de façon absolue que tous les Barbus Müller, ou prétendus tels, proviennent  bien de chez Rabany... Plusieurs de ceux qui font partie du corpus, ce dernier étant disséminé dans plusieurs collections publiques ou privées, sont parfois fort hétérogènes, comme par exemple celui qui a été exposé l'année dernière chez Ritsch-Fisch à l'OAF. Même s'il provenait de l'ancienne collection de l'Art Brut qui avait été déposée un temps chez Alfonso Ossorio durant une dizaine d'année aux USA (Dubuffet l'aurait laissé à Ossorio quand il a rapatrié vers 1962 sa collection en France en prétendant qu'il s'agissait d'un "Barbu Müller": une sorte de blague, je pense, ou une attribution à la louche plus ou moins mystificatrice de la part de Dubuffet...), il n'a que fort peu de rapports avec les autres Barbus Müller:

BARBUS-MULLER coll ABCD (origine ossorio et Dubuffet).jpg

Deux faces de la même pièce, ex-collection ABCD, en vente à un moment dans la galerie Ritsch-Fisch, un "Barbu" douteux, ressemblant plus à un galet gravé du catalan français Jean Pous, lui aussi classé dans l'art brut.

 

     En tout cas, on constatera que depuis mon élucidation du nom de l'auteur d'une partie des Barbus Müller, diverses pièces sortent régulièrement dans les ventes, les prix qu'elles atteignent (les deux dernières chacune aux environs de 100 000€) n'étant évidemment pas étrangères au désir de les vendre... Petit à petit, les contours du corpus Barbus Müller/Rabany s'acheminent vers la plus complète des résolutions.   

 

30/04/2023

Quand aurons-nous une rétrospective de l'œuvre formidable d'Ovartaci?

          Je dois à Martine Bismuth, via José Guirao, l'information d'un petit sujet vidéo très synthétique diffusé par France 24 sur Youtube à propos de ce créateur danois hors du temps que fut Ovartaci, de son "vrai" nom Louis Marcussen, dont je trouve chaque reproduction de ses œuvres absolument fascinante. Le pseudonyme dont il s'était affublé veut dire "le plus important". Bien trouvé et très juste!

      Il est dit également dans le film ci-dessous (au titre par trop racoleur – "L'Art de la démence"...) que Dubuffet vint le voir dans son hôpital psychiatrique dans les années 1960. Je me demande si ce n'est pas par Asger Jorn – que Dubuffet fréquentait à cette époque et qu'il avait intégré à sa nouvelle Compagnie d'Art Brut siégeant rue de Vaugirard – que l'inventeur de la notion d'art brut était arrivé à la connaissance d'Ovartaci.

      Il serait de toute urgence de pouvoir en découvrir davantage en France à propos de ce personnage et de son œuvre (surtout cette dernière). Qu'attend-on, nom de d'là? Sa fascination et son admiration sans bornes pour les femmes, au point de le pousser à vouloir changer de sexe et à se mutiler, le fait rapprocher d'un Marcel Bascoulard, ce dessinateur hors pair qui vivait comme une sorte de semi clodo à Bourges, se faisant photographier dans des habits de femme, parce qu'il trouvait ces derniers plus seyants. 

 

22/04/2023

Pas si humble le Bic...

       "L'Humble Bic", tel est le titre de l'expo qui a commencé, basée sur des prêts du Musée de la Création Franche (Bègles), actuellement fermé pour travaux mais organisant des expositions hors-les-murs, comme celle qui est actuellement montée dans un chai impressionnant du Château Ferrand, siège d'un cru du vignoble de Saint-Emilion. Il s'agit, du 5 avril au 31 août 2023, de présenter 62 œuvres de 24 créateurs de 9 nationalités différentes (entre autres Albasser, Barocchi, Beaudelère, Braillon, Carlés-Tolra, Ted Gordon, Haas, Montpied, Jakob Morf, Marilena Pelosi, Claudia Sattler...) toutes réalisées à base de stylo à bille, instrument facile d'accès, économique, et permettant, comme l'écrivit le fondateur du musée béglais, Gérard Sendrey, dans un texte de 1994, "de briser le carcan du moyen pour atteindre le résultat".

 

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Entrée de l'exposition, avec en contrebas  le chai où a lieu l'expo ; photo Bruno Montpied, 2023.

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Le chai, lieu d'exposition de 'l'Humble Bic", avec les barriques omniprésentes, les cadres en lisière (peut-être un peu trop?) ; ph. B.M., 2023.

 

            Sur ce blog, où je défends depuis trente ans une poétique de l'immédiat, je ne pouvais qu'être sensible à l'hommage rendu à ce simple outil ultra démocratique. Un de mes dessins anciens, à base de stylo Bic apposé sur des couches d'acrylique bleues par-dessus un exercice de dessin industriel datant de 1934, dû à mon père lorsqu'à 17 ans il était en apprentissage, figure du reste dans l'expo.

 

Balcon de nuages, 40x50cm, 6-1990, M de la CF (2).jpg

Bruno Montpied, Balcon de nuages, acrylique, stylo, modification sur papier d'exercice de dessin industriel de Pierre Montpied en 1934,  40 x 50cm, juin 1990 ; collection Musée de la Création Franche.

 

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Fond du chai avec d'autres œuvres de "l'Humble Bic", notamment à droite un grand dessin de François Burland ; ph. BM., 2023.

 

            Les plus curieux de mes lecteurs se demanderont peut-être pourquoi cette luxueuse demeure du vignoble bordelais a accueilli cette humble exposition à base d'un instrument aussi modeste.... C'est qu'il y a un rapport étroit entre le couple de propriétaires du lieu et le Bic, puisque la femme du couple, Pauline Bich Chandon-Moët, est la fille du producteur industriel du stylo à bille, le célèbre baron Marcel Bich, qui, pour intituler sa marque, fit tomber le H...

           Je me suis même laissé dire que le château contenait une collection d'œuvres en rapport avec ce stylo Bic (notamment une sculpture en fil de fer épais imitant un gribouillage au stylo). Cette famille ne pouvait qu'être émue en découvrant la collection du Musée de la Création Franche, à Bègles, à deux pas de Saint-Emilion, où tant de créateurs et artistes (1200 œuvres) ont eu recours au fameux stylo d'humble aspect. Amusante enseigne, montrant que les dirigeants de la firme Bic n'ignorent rien des habitudes d'usages de leur célèbre stylo, le château arbore à côté de son entrée un bouchon géant de stylo Bic mordillé...

 

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L'enseigne du Château Ferrand ; ph. B.M., 2023.

06/04/2023

François Michaud (Creuse) et Antoine Paucard (Corrèze), deuxième film du Vidéoguide de l'Inventaire du Patrimoine de Nouvelle-Aquitaine

        Voici que la réalisatrice de la série sur les inspirés du bord de routes produite dans le cadre du Vidéoguide du Patrimoine de Nouvelle Aquitaine, Juliette Chalard-Deschamps, me fait suivre le second volet de cette série (le premier, on s'en souvient, a été mis en lien sur ce blog le 13 mars dernier), cette fois consacré à l'évocation des sculptures de François Michaud à Masgot dans la Creuse, site qui m'est cher, d'autant que je fus des premiers à le défendre et le faire connaître (dans Plein Chant d'abord dans les années 1990, dans un texte intitulé Le Ciment des rêves, puis dans le livre qui lui fut consacré par les éditions Lucien Souny dans ces mêmes années ; le texte que je lui consacrai dans ce dernier ouvrage fut repris ensuite, en 2011, dans mon livre Eloge des Jardins Anarchiques), mais aussi aux sculptures d'Antoine Paucard, présentées dans un abri vitré derrière la mairie de son village de Saint-Salvadour en Corrèze. Les deux hommes étaient tous deux maçons, tailleurs de pierre, ayant vécu chacun dans un siècle différent.

     François Michaud (1810-1890) est présenté dans ce film par le maire de Fransèches, la commune de rattachement de Masgot (qui est un hameau de fort belle allure, aux maisons de pierres probablement taillées par Michaud lui-même, dont les deux qui lui appartinrent et qu'il décora de statues à diverses périodes de sa vie), Daniel Delprato. Antoine Paucard (1886-1980), pour sa part, est également présenté par un maire, celui du village de Saint-Salvadour, Pierre-Marie Capy. Les deux sites bénéficient de vues aériennes prises par le drone piloté par l'excellent caméraman de la série, Arnaud Deplagne. Cette façon de tourner me fait rêver d'un inventaire des environnements de France qui se déroulerait ainsi, vu du ciel, allant d'un point à l'autre de l'Hexagone, comme pendant les retransmissions des étapes des courses cyclistes, telles celles du Tour de France par exemple!

      Dans son commentaire sur les œuvres d'Antoine Paucard, Pierre-Marie Capy donne des éléments d'information nouveaux par rapport à Paucard, en particulier lorsqu'il évoque le gisant que le sculpteur alla tailler dans les bois pour évoquer la tuerie de résistants dans le lieudit de La Servantie par les Allemands pendant la Seconde Guerre. Il nous apprend également que Paucard a laissé des photos derrière lui, montrant l'intérieur du petit musée où il avait disposé de son vivant ses statues aux bustes bardés d'inscriptions (Paucard a laissé 123 carnets remplis de poèmes, et un livre de souvenirs de voyages en URSS en 1933 ; il se voulait donc écrivain aussi bien que sculpteur). Ce musée, nous dit M. Capy, présentait une certaine muséographie, les statues étant orientées les unes par rapport aux autres, et, donc, le maire avance l'idée qu'il faudra en tirer une leçon pour la valorisation future de cet ensemble dans un autre musée.

 

 

       Concernant les sculptures de François Michaud, que je n'avais pas revues depuis quelque temps, il me semble, à voir ce film, qu'elles ont dû être soigneusement nettoyées de leurs mousses et lichens qui souvent après chaque hiver avaient tendance à perturber passablement leur appréhension par les visiteurs du hameau. Mais il m'a semblé qu'elles présentent désormais un aspect quelque peu usé, presque raboté, les détails d'expression ayant tendance à avoir été gommés... J'espère qu'il n'y a pas eu trop de zèle à vouloir les remettre comme à l'état neuf...

         J'ajoute que je n'ai été pour rien dans le commentaire de ce second film.

24/03/2023

Dessiner avec des boucles, le Béninois Victor Amoussou, nouvelle découverte de la Galerie Dettinger

      L'infatigable Alain Dettinger ne s'arrête jamais de butiner du côté des puces de la région lyonnaise, ou de l'Afrique, en particulier dans ce cas au Bénin, à la recherche de nouveaux inspirés. Il vient ainsi de dégoter dans la brousse un dessinateur-sculpteur, fort séduisant par ses graphismes, et également, adepte du fer martelé ou repoussé, puisqu'il fait surgir au fond de vieilles casseroles des visages boursouflés fort expressionnistes. Personnellement, je suis plus fasciné par ses dessins, dont j'ai eu la chance d'acquérir déjà deux exemplaires.

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Victor Amoussou, sans titre, stylo sur papier, 30 x 28 cm, 2022 ; photo et collection Bruno Montpied.

 

      Victor Amoussou a eu l'occasion de faire un petit séjour en Europe dans une période de sa vie antérieure, lorsqu'il s'est marié avec une Finlandaise. Mais la Finlande, tout là-haut au nord, du côté du cercle polaire, gla-gla pour notre enfant des savanes! Ca ne pouvait bien durer longtemps, il est prestement revenu au pays où il a trouvé femme et fondé une famille avec quatre enfants.

 

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Alain Dettinger avec Victor Amoussou, la femme de ce dernier et leurs quatre enfants, ph archives Alain Dettinger, 2022.

victor amoussou, galerie dettinger-mayer, alain dettinger, art brut béninois

Victor Amoussou, exemple de visage obtenu sur l'envers d'une casserole par métal repoussé, 2022 ; archives Galerie Dettinger-Mayer.

 

       Ses sujets d'inspiration dans ses dessins sont étranges, des animaux mixés avec des figurations anthropomorphes, les corps étant noueux, sinueux comme des racines ou des branches. Certains se voient pourvus de jambes humaines, parfois comme revêtues de queues de sirènes faites d'algues. Des bras peuvent se changer en serpents, souvent une tête achevée par un bec peut également surgir, soudé à une sorte de tête féline...

     Le trait m'intrigue, il paraît tracé en faisant des boucles, ce qui donne des contours embrouillés comme ceux de buissons, et un aspect parfois broussailleux aux robes de ses personnages mi animaux, mi autres êtres. Il  y a une grâce poétique dans ces graphismes venus de la brousse béninoise.

 

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Victor Amoussou, sans titre, stylo sur papier, 2022 ; ph. et coll. B.M.

13/03/2023

Les inspirés du bord des routes, premier film du Vidéoguide de l'Inventaire du Patrimoine de Nouvelle-Aquitaine

     Suivez le Vidéoguide de l'Inventaire du Patrimoine en Nouvelle-Aquitaine... Qui vous emmène sur les traces des environnements populaires spontanés de cette immense région sous la forme de courts-métrages disponibles en libre service sur YouTube. Le premier de cette série vient d'être mis en ligne (voir ci-dessous). Cette dernière en comprendra quatre autres : un sur la question de la conservation et de la patrimonialisation, un sur le cas d'André Degorças en Charente, sur lequel je prépare en outre un article à paraître dans le prochain Création Franche, un troisième sur les cas d'Antoine Paucard et François Michaud, bien connus des lecteurs fidèles de ce blog puisque j'en parle, surtout du dernier, depuis 1991, et dans mon inventaire du Gazouillis des éléphants, bien entendu, enfin un quatrième sur le jardin de Gabriel Albert à Nantillé (Charente). Tous ces films courts sont, et seront,  réalisés par Juliette Chalard-Deschamps avec l'aide rédactionnelle de Yann Ourry (connu pour sa défense du jardin de Gabriel Albert ). Dans le premier, on voit Stéphanie Birembaut, la directrice et conservatrice du Musée Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh (Haute-Vienne), interviewée dans le jardin de son musée, en compagnie de votre serviteur, l'animateur de ce blog, tous deux s'évertuant à donner une première présentation du sujet à destination d'un public "non averti" :

 

 

 

25/02/2023

Après le Gazouillis des éléphants (8): Histoire d'un militaire que l'on prenait pour un gendarme

        Dans mon livre (épuisé, en attente de réédition), Le Gazouillis des éléphants (2017), entre autres sites en plein air évoqués, dus à divers autodidactes populaires, à la région Bourgogne, j'ai indiqué deux sites, tous deux relevant de la commune de Rogny-les-Sept-Écluses, dans l'Yonne. Dans l'un, en particulier, j'ai signalé une grosse statue, à l'effigie de ce qui m'apparut sur le moment comme un officier, du fait de son grand couvre-chef, semblable à un shako, qui se tenait – et se tient encore, car elle a été restaurée depuis mon passage en 2014 – sur un mur de clôture en bordure d'un jardin et d'une maison, paraissant surveiller le monde alentour, de manière débonnaire, pourrait-on dire, à l'entrée du village de Rogny, en direction de Chatillon-Coligny. 

 

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Deux photos de "l'officier de Rogny"; ph. Bruno Montpied, 2014.

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       J'en ai appris tout récemment un peu plus sur cette curieuse effigie d'allure truculente (elle ressemble bizarrement à un portrait de Groucho Marx, mais bien sûr de façon toute fortuite). Dans la région, M. Jean-Marie Vernhes, qui prépare une publication érudite sur Rogny, m'a alerté sur une association TMOP (Tradition, Métiers, et Outils en Puisaye), sensible au patrimoine de la localité. Cette dernière a fait des recherches en effet, qu'elle a synthétisées dans un document interne que sa responsable de communication, Mme Claire Targa, m'a aimablement fait suivre. En particulier, on a retrouvé le nom de l'auteur de cette insolite statue (d'à peu près 1,50 m, rien que pour son buste et sa tête coiffée du haut képi qui me fait penser à un shako). En la restaurant récemment, Mme Lise Paquis et un collègue à elle ont mis au jour, en enlevant la saleté et les mousses, une signature : "L. Chauvat", et une date apposée à côté sur l'épaule de l'effigie: "1938". Cette restauration a été commanditée par l'actuelle propriétaire de la propriété où se trouve la statue, l'arrière-petite-nièce d'un certain Paul Guyot, anciennement marchand de peaux de lapins, puis brocanteur, puis menuisier, quand il restaurait des meubles qu'il allait vendre à Paris. C'est lui qui, après avoir acheté la maison en 1946, rapporta un jour la statue qu'il aurait trouvée en salle des ventes à Paris. Légende? Peut-être... La pièce est assez conséquente, et probablement pesante. La trimballa-t-il de la capitale à l'Yonne si facilement que cela? Dans les souvenirs de certains anciens, on pense que la statue fut installée à son emplacement actuel au début des années 1960. 

      Une hypothèse a couru sur place : la statue représenterait le général Faidherbe (1818-1889), connu dans les conquêtes coloniales en Algérie et surtout au Sénégal (de ce fait, il est aujourd'hui une figure controversée). officier ou gendarme, officier de Rogny-les-sept-écluses, association TMOP, L. Chauvat, grocho marx, le gazouillis des éléphants, général faidherbe, shako, képiOn se référera pour en savoir plus sur ce personnage à la fiche Wikipédia qui me paraît assez objectivement rédigée. Si les portraits de Faidherbe nous montrent un visage chaussé de lunettes et pourvu d'une belle moustache, comme sur la statue de l'officier de Rogny, son képi en revanche n'a pas la même taille imposante. Mais ce dernier a pu être une exagération de la part d'un sculpteur prenant visiblement beaucoup de libertés avec la figuration, certains diraient même, exerçant son art de dilettante avec une franche maladresse ? D'autre part, la date de mort de Faidherbe, 1889, reste très éloignée de celle de la confection de cette statue, 1938. Pourquoi ce monsieur L. Chauvat se serait senti dans l'obligation de commémorer ce général (à moins qu'il n'ait été un fieffé colonialiste fasciné par les militaires responsables de la conquête des pays d'Afrique de l'ouest)?

      L'enquête se poursuit donc.

Petit supplément photographique (du 28 février) à destination de Régis Gayraud, (cliché de BM, de 2014): 

officier ou gendarme,officier de rogny-les-sept-écluses,association tmop,l. chauvat,grocho marx,le gazouillis des éléphants,général faidherbe,shako,képi

11/01/2023

Après "le Gazouillis des éléphants" (7): Destinée d'un vélo brut

        Formidable nouvelle que vient de m'apprendre l'ami Philippe Lespinasse,  à savoir l'envol du vélo métamorphosé d'André Pailloux – celui-là même dont j'ai parlé en différentes publications, ici même, mais surtout dans mes deux livres sur les environnements populaires spontanés, Eloge des Jardins Anarchiques (2011) et Le Gazouillis des éléphants (2017), ce qui permit de le faire grandement connaître des amateurs d'art populaire insolite, voire d'art brut – pour d'autres cieux que ceux de la Vendée, où il végétait, enkysté dans le garage de son créateur. Il a atterri en effet au Musée de la Création Franche, suite à une intermission de Philippe Lespinasse, et à l'hospitalité de la nouvelle directrice des lieux, Hélène Ferbos, qui, je dois dire, a eu le nez creux en validant cette transaction (car ce fut un achat, et non pas une donation).

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Le vélo d'André Pailloux, tel qu'il figure en double page dans Bruno Montpied, Eloge des jardins anarchiques (livre épuisé édité en 2011 par les éditions de l'Insomniaque) ; ph. B.M., 2010.

andré pailloux

André Pailloux avec son vélo sorti pour les besoins du tournage de Bricoleurs de paradis, ph. B.M., 2010.

 

     Ce vélo extraordinaire, dont j'avais dit à André Pailloux qu'il ferait très bien dans un musée consacré aux créations brutes ou naïves, populaires, où il serait protégé des aléas des successions, prêchera désormais d'exemple auprès des visiteurs grands et petits qui le visiteront (dès que le Musée de la Création Franche rouvrira ses portes, après les travaux d'agrandissement actuels). Génial, donc, que la translation se soit opérée, et du vivant d'André, avec son plein accord. Me voici devenu un prophète, du coup... (je fais allusion au passage sur Pailloux, son vélo et son site hérissé de vire-vent stroboscopiques multicolores, dans le film Bricoleurs de paradis, disponible gratuitement en intégralité sur YouTube, où je parle de "patrimonialisation", certes, un grand mot, un peu trop ronflant, à André qui me répond que je voudrais voir des gens admirer son vélo dans un musée en tournant autour ; il dit cela en arborant un haut de survêtement décoré d'une spirale...!).

     Il n'est pas indifférent – même si André Pailloux, que j'ai appelé au téléphone, s'en défend – de remarquer que ce dernier va fêter cette année 2023 son 80e anniversaire... Pour marquer le coup, il fallait bien celui-ci de coup... véritablement fumant, qui va nimber les collections de la Création Franche d'une aura brute encore plus assumée.

30/11/2022

Evocation et hommage à Jean-Marie Massou à la Halle Saint-Pierre le 4 décembre

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      Un livre sort sur Jean-Marie Massou (1950-2020), homme des bois, creuseur de galeries souterraines, chanteur de mélopées au fond de ses souterrains, prophète accessoirement (mais qui ne l'était pas dans les années 1970, 1980?) de la fin du monde et de l'urgence de ne plus faire d'enfants, interpelleur des media sur cette question (et particulièrment Mireille Mathieu, du moins à l'époque où je l'ai rencontré en 1987 ; on me dit que par la suite, il pensa plutôt à Brigitte Bardot et ses bébés phoques comme porte-paroles...), archéologue sauvage (ses trous, c'était parce qu'il était persuadé qu'il trouverait un nouveau Lascaux sous son bois), graveur de pictogrammes sur pierres parce qu'il ne trouvait pas de Lascaux justement, et qu'il avait entendu parler des signes gravés sur les rochers de la Vallée des Merveilles dans les Alpes du Sud... Et depuis quelque temps, depuis que des nouveaux amateurs du personnage se sont intéressés à lui, l'ont aidé, l'ont enregistré, ont reccueilli ses expérimentations graphiques diverses, Massou et devenu aussi un "artiste", selon cette terminologie que personnellement je continue à trouver confusionnelle (s'il était "artiste", tout le monde le serait, et à la fin des fins, le mot n'aurait plus le sens qu'il a aujourd'hui et deviendrait synonyme d'homme ; artiste, ce n'est pas qu'une pratique expressive, c'est aussi une raison sociale, une profession considérée comme un peu à part, de l'ordre d'une caste élitiste, ou maudite, selon les points de  vue, dans tous les cas, à part...).

 

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Des productions (collage, photos, pierre gravée, dessins) de Jen-Marie Massou exposées au cours d'une manifestation temporaire au LaM de Villeneuve-d'Ascq, ph. Bruno Montpied, 2018.

 

     Or, je trouve que les œuvres qui nous sont présentées, en particulier dans le livre de la Belle Brute and co, des gravures, des croquis sur ses enveloppes de cassettes audio, des dessins assez sommaires, des collages sans grande originalité, ses chants eux-mêmes (peut-être le meilleur de sa production), ressemblant à des cantiques détournés, ces artefacts déplacent le sens à tirer de l'existence de Massou. Ce ne sont pas ces pauvres schémas aux limites de l'informe qui font l'intérêt de ce personnage, c'est plutôt la conduite de sa vie, l'amour de sa mère, au point d'être allé chercher son cadavre au cimetière après sa mort, parce qu'il ne pouvait accepter sa chute dans le néant, c'est sa croyance aux extra-terrestres chargés après l'apocalypse qui ne pouvait manquer d'arriver selon lui (avait-il tort sur ce point?) de créer un monde radieux pour les survivants, son amour pour les minéraux, ses fouilles à la poursuite d'un rêve de civilisation préhistorique inconnue...

 

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Jean-Marie Massou et Gaston Mouly, filmés par Bruno Montpied, lors de notre rencontre à trois en 1987 ;  on aperçoit la poulie et la corde qui permettaient à Massou de remonter divers objets ou masses du fonds du puits qu'il avait creusé à mains nues, situé à côté de lui, caché par l'angle de prise de vue ; photogramme extrait de Jean-Marie Massou, un archéolo,gue sauvage, film Super 8 inclus dans B. Montpied,  Les Jardins de l'art immédiat, ensemble de seize petits films  tournés entre 1982 et 1992, disponibles à la bibliothèque Dominique Bozo du LaM à Villeneuve-d'Ascq, ou dans la Documentation de la Collection de l'Art Brut à Lausanne.

 

      Le livre sur Massou est édité par Knock outsider, la Belle Brute, et Art et Marges, et cela accompagne une expo toujours sur Massou dans ce même centre Art et Marges, à Bruxelles (elle se tient du 23 novembre 2022 jusqu'au 19 mars 2023).

          Bon, à Paris, à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, il y a de plus un petit événement pour marquer cette expo et ce livre, avec une conférence de la directrice d'un atelier pour handicapés mentaux (la S grand atelier), Anne-Françoise Rouche, qui aime plaider pour une mixité (encore la confusion...) ou un "décloisonnement" entre l'art brut et l'art contemporain (si l'art brut fut jamais enfermé dans des cloisons, ce fut lorsque Dubuffet tenta de le révéler et qu'on le regarda faire du bout des lèvres, en s'en moquant ; c'est l'establishment qui érigea des cloisons, pas ceux qui défendirent l'art brut avec les pauvres moyens dont il disposait - j'en fais toujours partie). Ce "décloisonnement" colle bien avec les menées des marchands et des galeristes, désireux d'élargir leurs clientèles...

 

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       Ce dimanche 4 décembre, il y aura de surcroît, dit le programme, et c'est le plus intéressant, la projection du très bon documentaire d'Antoine Boutet, le Plein Pays (2015). Voir l'annonce plus haut dans cette note. C'est à partir de 15h30 jusqu'à 17h.

26/11/2022

Dédales, une collection singulière en Limousin au musée Cécile Sabourdy

      Nouvelle exposition au Musée-jardins Cécile Sabourdy à Vicq-sur-Breuilh, au sud de Limoges, la collection de Thierry Coudert, dont un choix est présenté au public à partir du 1er décembre, provient plus précisément de la Corrèze. Brocanteur fureteur, dénicheur de pièces d'art singulier ou populaire, voire brut (Ô le beau dessin en provenance, paraît-il, d'un HP de la région de Metz qui est exposé à Vicq...), souvent énigmatiques, puisque le découvreur n'a pu en recueillir les traces d'origine la plupart du temps, Thierry Coudert a décidé d'offrir aux yeux des curieux l'occasion de développer leur perplexité quant à ces dizaines d'objets orphelins (en apparence).

 

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Anonyme, dessin au crayon, peut-être créé par le pensionnaire d'un hôpital psychiatrique de la  région de Metz, semble-t-il, vers 1940 (on aperçoit parmi d'autres inscriptions une croix gammée), coll. Thierry Coudert, ph. Bruno Montpied, 2018.

 

      Têtes gauloises, souvent d'origine incertaine – qui sont là, avant tout parce que leur style a frappé l'œil de Coudert par leur esthétique immédiate, en amont de toute attribution certifiée –, diable en laiton, plombs de Seine du XVIe siècle (vantés par les surréalistes en leur temps), mascaron perdu de chapiteau d'église, bois sculptés divers, objets dont la conception paraît voisine avec celle d'un Chaissac ou d'un Noël Fillaudeau, peintures de singuliers provinciaux, œuvres retrouvées d'artistes connus comme Roland Roure, silex rehaussé de pigments, faisant beaucoup penser aux silex interprétés du sieur Juva à la Collection de l'Art Brut à Lausanne, mais aussi parfois, tout de même, quelques œuvres d'autodidactes exhumés connus: Emile Taugourdeau, Jean Rosset, ou moins connus: Raymond Picard, quelques chefs-d'oeuvre d'art populaire comme cette "tête de déesse de la vigne" ciselé dans une pièce de bois (voir ci-dessous) ou ces deux petits bonshommes (deux soldats coiffés avec des pots de yaourt détournés) d'allure fragile aux mines dépitées (je trouve), tout cela déboule dans le Musée Cécile Sabourdy, comme réchappés d'un anéantissement mystérieux de leurs corpus d'origine. On dirait les enfants perdus d'auteurs anonymes, censurés, ou simplement relégués, revenant sans leur pedigree et leurs papiers d'identité, par le reflux des marées brocanteuses sur trottoirs et bitumes accueillant à la misère de leurs origines sous X.

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Anonyme, "Déesse de la vigne", selon les mots de Thierry Coudert, bois sculpté, 39x35x18cm, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018.

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Anonyme, deux soldats (?) et un chien, bois et pot de yaourt peint, 36,5,17x5 cm, sd, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018.

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Anonyme, silex peint et interprété en visage, coll. Thierry Coudert, ph. B.M., 2018 ; ce silex peint s'apparente aux silex métamorphosés par Juva, conservés dans les collections d'art brut, mais il est orienté nettement de façon à figurer un visage, ce qui est peu fréquent, me semble-t-il, dans les pierres de Juva ; cela n'en fait pas moins un très joli travail d'interprétation d'une forme naturelle

 

"Dédales, une collection singulière en Limousin", Musée-Jardins Cécile Sabourdy, Vic-sur-Breuilh, du 1er décembre 2022 jusqu'au 30 juin 2023. A signaler une vingtaine d'oeuvres prêtées pour cette exposition par le Musée de la Création Franche de Bègles, actuellement en travaux.

02/11/2022

Quatre personnages de pierre volcanique (enfin... trois seulement)

      Ça y est, se dit le lecteur de ce blog, le sciapode commence à voir des Barbus Müller/Rabany partout? Non, non, rassurez-vous, les quatre personnages ci-dessous, dont un correspondant clermontois (tiens, tiens, en Auvergne, là aussi, comme Antoine Rabany, autrefois (au début du XXe siècle) à Chambon sur Lac), m'a envoyé récemment la photo, n'ont absolument rien à voir avec les fameux Barbus rabanesques. Qu'on s'en avise plutôt:

 

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Quatre sculptures trouvées à Clermont-Ferrand par un antiquaire ; la plus claire ne paraît pas de la même roche que les autres, à l'évidence.

 

      Comment résister aux interprétations qui  se pressent en l'imagination, suscitées par nos mémoires saturées de références, devant de telles œuvres anonymes (aucune marque, sur ou sous ces pierres, à ce qu'il paraît)? On est bien souvent tenté de les croire venues d'un autre âge, l'âge de pierre, l'âge de l'archaïsme, peut-être même de régions de la Terre bien loin de nos contrées, et pourquoi pas l'Extrême-Orient? Ils tirent en tout cas vers un certain réalisme, ils ont des corps quasi complets, des vêtements (jusqu'à des cravates?), des attributs pileux marqués, un air de venir, au final, non loin de chez nous tout de même, et d'époques pas si lointaines.

    Car les collectionneurs n'admettent pas toujours qu'ils puissent avoir affaire à un autodidacte qui habite près de chez eux, un Primitif que nous préférons ignorer, passer sous silence, parce que ce qualificatif se doit de rester applicable à un être exotique, ravalé à un être primaire, pas aussi développé intellectuellement et culturellement parlant que l'individu occidental. Et pourtant, des oeuvres stylisées de ce genre, avec l'art brut et l'art populaire, nous savons qu'il en existe, qu'il en a existé en nombre, les sculptures d'Antoine Rabany, de François Michaud dans la Creuse – de Joseph Barbiero (1901-1992) lui-même qui vivait il n'y a pas si longtemps, durant le dernier siècle, en banlieue de Clermont, et que l'on a classé dans l'art brut – étant là pour nous en fournir des exemples.

 

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Sculptures de Joseph Barbiero prises dans l'escalier de sa maison à Beaumont (Puy-de-Dôme), ph. Bruno Montpied, 1990 ; le style était plus détaché de la perception rétinienne, on dérivait avec lui vers une figuration de plus en plus réinventée, donc bien éloignée de celle à l'œuvre chez l'auteur des quatre personnages en photo au début de cette note.

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François Michaud, mascaron au-dessus d'une fenêtre de sa 1ère maison à Masgot (Creuse), ph. B.M., 2013.

 

     Cela posé, je n'empêche personne de nous adresser des remarques si les quatre sculptures de la première image mise en ligne ci-dessus éveillent quelque écho pouvant faire progresser la connaissance de ces personnages. L'antiquaire qui les possède et moi-même en serions ravis.

19/10/2022

"Des Pays Habitables", six numéros, et "Alcheringa", trois numéros, des revues amies à la Halle Saint-Pierre

      Cette rencontre (au sommet) de deux revues – auxquelles je participe (pour le n° 5 de Des Pays Habitables, et pour les numéros 2 et 3 d'Alcheringa) – aura lieu samedi 22 octobre prochain, à 15h dans l'auditorium de la Halle Saint-Pierre. Il y aura présentation de sa revue par l'animateur de Des Pays Habitables, Joël Cornuault, avec lecture de quelques textes de James Ensor par Nicolas Eprendre, et présentation de la leur – Alcheringa (Le temps du rêve, en langage aborigène d'Australie) – par trois membres du groupe surréaliste de Paris, Guy Girard, Sylwia Chrostowska et Joël Gayraud. Pour clore la réunion, qui devrait durer environ une heure (et plus si affinités), je serai également présent pour ajouter aux traits d'union entre ces revues cousines, en passant quelques images en rapport avec mes contributions dans les deux publications, contributions ayant bien sûr à voir, me connaissant – et connaissant ce blog –, avec les arts spontanés (bruts, naïfs, populaires). En l'occurrence, il s'agira d'oeuvres réalisées par divers autodidactes, certaines (celles d'Emile Posteaux, sculpteur de bouchons de champagne), datant des années 1930, d'autres plus récentes, plus ou moins en rapport avec des tentations infernales...

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Gabriel Jenny, sans titre (crèche "païenne"), terre cuite vernissée, 43 x 35 cm, années 2000 (?) ; photo et collection Bruno Montpied ; cette photo sera projetée samedi parmi 13 autres ayant un un rapport avec deux de mes articles dans les revues.

 

     Ce sera aussi l'occasion pour les deux revues de proposer à l'achat les derniers numéros parus, le 6 pour Des Pays Habitables et le 3 pour Alcheringa. Les anciens numéros seront églement disponibles bien sûr.

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Des Pays Habitables n°5, couverture et 4e de couv'.

 

     On en saura plus en consultant la newsletter des "événements" à la Halle Saint-Pierre: https://www.hallesaintpierre.org/2022/09/05/lectures/

     Pour se procurer la revue Des Pays Habitables, on peut en savoir plus en allant sur le site web des éditions La Brèche. Ce sera aussi l'occasion de consulter les autres livres toujours séduisants que cette maison édite. A signaler en particulier la réédition par La Brèche du merveilleux Journal de neiges du poète Jean-Pierre Goff (un journal tenu uniquement les jours de neige à Paris) qui n'avait pas été republié depuis 1983 (voir ci-dessous la couverture de l'édition originale de 83 – qui a malheureusement pris un "coup de soleil"–, ainsi que le dessin (fait à la carte à gratter, il me semble) que Jean Benoît avait offert à Le Goff en guise de frontispice).

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La réédition du Journal de neiges de Jean-Pierre Le Goff par La Brèche éditions, 2022.

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L'édition originale aux éditions le Hasard d'être, 1983.

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Dessin en frontispice de l'édition originale de Jean Benoît ; le petit homme moustachu sur le chemin, c'est Le Goff bien sûr.

 

18/10/2022

Après le Gazouillis (6): Louis (et non pas "Pierre") Hodcent, par Darnish

       De passage cet été dans le Perche avec Vanessa, on a fait un petit tour du côté de Beaumont-les-Autels pour jeter un œil au site décoré par Louis Hodcent¹. Sans connaître l’adresse exacte, en traversant ce joli village, c’est finalement sans difficulté qu’on est tombé dessus, puisqu’un ensemble de deux sculptures se montre bien visible depuis la route.

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Jardin de feu Louis Hodcent, vu de la route, ph. Darnish, 14 juillet 2022.

 

    Sur place, une femme était en train d’arroser le jardin, alors que le soleil déclinait en cette fin d’après-midi de juillet. Très accueillante, elle nous a spontanément invités à pénétrer dans le jardin, afin de pouvoir regarder l’ensemble de plus près. C’était la petite-fille de Louis Hodcent, rejointe sans tarder par sa mère, la fille de Louis Hodcent, donc. Dans le jardin, ne subsiste aujourd’hui qu’un groupe de trois personnages, tournés vers la rue, qu’on aperçoit depuis le trottoir, et une femme en robe rouge située au fond du jardin devant un cabanon. Les sculptures, en ciment, sont grandeur nature et repeintes de temps en temps, si bien qu’elles ne paraissent pas si anciennes.

 

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Louis Hodcent, statues entretenues et repeintes (avec sensibilité, je trouve, car pas trop "ripolinées" comme ailleurs), ph. Darnish, 14 juillet 2022.

 

      Autour d’un verre aimablement offert et partagé, nous avons appris que Louis Hodcent est né en 1906, « l’année où Blériot a traversé la Manche », comme il aimait à le rappeler, et mort en 1986. 

    C’était un paysan. On voit son ancienne ferme, aujourd’hui reconvertie en habitation, depuis l’actuel jardin et la maison qu’il a intégrée avec sa famille, à sa retraite. Il y faisait un peu d’élevage, y vendait de la crème, des œufs, du lait... Une vie modeste en somme. D’après sa fille, il aurait fait les deux guerres, le Chemin des Dames, très jeune, et la ligne Maginot ensuite, et, comme c’est souvent le cas, il était avare de commentaires sur ces deux expériences.

    C’est à la retraite, vers 1974/1975, qu’il s’est mis à investir le jardin. Sur quelques photographies argentiques d’époque, que sa fille nous a gentiment montrées, on constate que le jardin était beaucoup plus travaillé, louchant nettement plus du côté de l'"environnement".

 

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Louis Hodcent, son jardin dans les années 1970, archives familiales.

 

   Une profusion de fleurs, mais aussi de petits champignons en ciment multicolores, bordant les allées, donnaient même à l’ensemble un côté psychédélique ! Les petits champignons, se brisant avec le temps, trop difficiles à entretenir, ont aujourd’hui disparu. Le jardin est toujours fleuri, toujours très joli mais plus simple. Les sculptures par contre sont toujours bien présentes et, comme je l’ai déjà dit, entretenues avec soin.

    Elles se composent d’un ensemble de trois personnages de facture naïve : deux paysans attablés tranquillement dans le jardin portant, l’un une casquette et l’autre un chapeau, « comme dans le temps », nous a précisé sa fille, semblent faire une pause, en partageant un verre de vin, du pain et du saucisson. Ils sont tournés vers la rue, comme pour regarder les gens qui passent, et les saluer éventuellement, me rappelant l’attitude qu’on peut avoir, profitant d’un repos bien mérité, à la terrasse d'un bistrot, certains soirs... Ils ont l’air heureux. A leurs côtés, se tient une femme debout, en tenue de paysanne elle aussi, un panier sous le bras. A l’époque, il y avait un canard dans le panier, mais il s’est cassé et a disparu. L’ensemble est fait en ciment, le pain et le saucisson compris. Seuls la bouteille de vin et le verre que les deux personnages tiennent dans leurs mains sont de vrais objets qui, quand ils cassent à cause du gel, sont remplacés. Un petit fil de fer dissimulé dans chaque main favorise leur stabilité.

    Plus au fond du jardin, se trouve un personnage bien différent mais de même facture, sorte de femme fatale aux airs d’Ava Gardner. Elle aussi en ciment, portant une robe rouge voyante, elle se tient debout. A l’époque elle tenait une ombrelle dans sa main, une véritable ombrelle, dont le manche venait se nicher dans un trou aujourd’hui vide. En la regardant de près, on constate que Louis Hodcent a apporté un soin tout particulier à sa poitrine dont le décolleté, vu du dessus est particulièrement plongeant ! De l’aveu de sa fille, Louis Hodcent aurait bien voulu peupler son jardin d’autres femmes de ce style, désirant même en façonner quelques-unes nues... mais ça n’était pas au goût de sa femme, et il s’est abstenu...

 

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Louis Hodcent, le décolleté invitant l'œil à une "plongée", détail de la photo ci-dessus de Darnish, 14 juillet 22.

 

     Voici donc les quelques informations supplémentaires glanées durant cet été caniculaire sur ce site répertorié dans le Gazouillis des Éléphants qui, d'ailleurs, nous a ici servi de guide.

   J’ajoute que la fille et la petite-fille de Louis Hodcent se sont montrées favorables à la rédaction de cette note.

 

       Darnish, septembre 2022.

____

¹ Dans mon Gazouillis, j'avais répercuté ce prénom de "Pierre", accolé à Hodcent, par erreur, abusé par la propre erreur de l'animateur d'un "site-web-qui-ne-voulait-pas-être-cité" où j'avais découvert ce petit environnement populaire. Je rends grâce à Darnish et Vanessa d'être allé vérifier ce qui restait sur place. On a ainsi rendu à César – ou à Louis, en l'occurrence – ce qui lui appartient. (Bruno Montpied)

10/10/2022

Les Barbus Müller (d'Antoine Rabany ou non) continuent de "sortir du bois"...

     Le 14 octobre, à Drouot, das le cadre de la vente de la collection Canavy par la maison de ventes Ferri (sous le contrôle de l'experte Martine Houzé, spécialiste de l'art populaire, notamment de curiosité), intitulée "Curieux, étranges et exotiques, les objets de Monsieur Canavy", sera présenté au feu des enchères un nouveau Barbu Müller peu connu que ce M. Canavy abritait depuis bien longtemps dans sa collection parmi divers objets, plus classiquement populaires (magnifiques cannes, casse-noisette, battoirs à linge, gobelets, tabatières, affiquets, sifflets sculptés, cuillères sculptées, quenouilles, des éléments étonnants de charrettes siciliennes, etc.).

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Barbu Müller d'Antoine Rabany en vente chez Ferri le 14 octobre ; photos Bruno Montpied, 2022.

 

       Les lecteurs fidèles et attentifs de ce blog savent que j'ai identifié avec sûreté, avec l'aide de divers amis et connaissances (dont Régis Gayraud et les enquêtes que je lui avais demandé de mener dans les Archives Départementales du Puy-de-Dôme, où il résidait), l'auteur d'une bonne partie de ces sculptures surnommées par Dubuffet, au début de sa collection d'art brut en 1946-1947, des "Barbus Müller" (Müller, collectionneur suisse qui en possédait un certain nombre, et "barbus" parce que Dubuffet, qui prisait cet attribut pileux – voir son poème "As-tu cueilli la Fleur de Barbe?" –, en avait vu quelques-unes sur les effigies des sculptures). C'est un paysan, ancien soldat (on le surnommait le "Zouave"), Antoine Rabany, né en 1844 et mort en 1919, ayant vécu, et sculpté à partir du début des années 1900 apparemment, dans le village de Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). Pour identifier avec certitude les sculptures dues à ce Rabany, je me suis appuyé sur les photos prises par un photographe anonyme sur place, vraisemblablement dans les années 1910, montrant le jardin utilisé par Rabany pour présenter en rangs d'oignon – comme dans un garden-center! – ses oeuvres en pierre volcanique ou en granit. J'ai publié deux couples de clichés stéréoscopiques en verre, prises à la belle, puis à la morte saison, ainsi que des photos montrant six pièces dues à l'archéologue Albert Lejay vers 1912. Cela a servi de documents fort utiles pour comparer avec les photos de divers Barbus entrés dans diverses collections, publiques ou privées.

     Actuellement, je suis ainsi arrivé à reconnaître d'après les photos anciennes onze Barbus Rabany-Müller, et non plus huit ou neuf comme je l'ai écrit dans le catalogue de l'exposition des Barbus Müller du Musée Barbier-Mueller de Genève en 2020. Et parmi ces onze, il y a le Barbu reproduit ci-dessus de la collection Canavy. C'est Martine Houzé qui l'a reconnu parmi d'autres qui figuraient sur le cliché verre pris à la morte saison dont je viens de parler (cf. le catalogue de l'expo 2020 du Musée Barbier Mueller). Je n'ai pas eu de mal, invité par elle à le découvrir dans ses bureaux, à le lui confirmer. Voir ci-après :

Deux barbus reconnus en juin 22 (avec flèches).jpg

Détail du cliché-verre pris à la morte saison à Chambon-sur-Lac par un anonyme vers les années 1910 ; la flèche de droite indique le Barbu de la collection de Monsieur Canavy qui passe en vente chez Ferri le 14 octobre. ; et la flèche de gauche montre une tête à côté,que, en la regardant de plus près, j'ai reconnu comme étant un Barbu Müller conservé au Museum of Everything, après avoir transité par une autre collection, celle du docteur Léon Fouks ; archive numérique B.M.

 

     Je ne me suis cependant pas arrêté là. En regardant le détail ci-dessus, j'ai été stupéfait de découvrir que je n'avais pas assez regardé la voisine de ce Barbu Canavy moustachu. Or, il m'est apparu que la sculpture est la même que celle qui provint de la collection du psychiatre Léon Fouks (qui eut, entre parenthèses, une correspondance avec Antonin Artaud), Barbu Müller qui passa en vente à Drouot en 2009, et fila, via un galeriste très bien informé, au Museum of Everything... Qu'on en juge plutôt en regardant les images en vis-à-vis ci-dessous (ne pas s'attacher aux différences de netteté, d'éclairage, d'angle de vue qui pourraient faire croire à deux sculptures distinctes) :

                11 Barbu Rabany au long cou reconnu en juin 22, coll M of Ev.jpg      11. BM Rabany, Passé chez R-F 4., vente drouot 2009, puis m of ev.png

Regardez la lèvre supérieure avec cet aspect bizarrement plat, la forme en olive allongée des deux têtes, les pommettes identiques., et le cou allongé similaire aussi...

 

     Ces onze Barbus attribuables de manière sûre à Antoine Rabany sont à distinguer de tous ceux appartenant à des collections diverses, rangées dans le corpus des "Barbus Müller" en raison de leurs caractéristiques stylistiques communes et de leur matériau similaire (des roches volcaniques). Même si j'ai tendance à penser que les Barbus les plus "ronds" proviennent tous du même auteur, ce Zouave Rabany, il n'en reste pas moins que la preuve par la photo n'en a pas encore été administrée.

        Signalons enfin une nouvelle qui m'est venue il y a peu des USA par la conservatrice du département d'art brut du Musée d'Art Folk Américain de New-York, Valérie Rousseau. Elle a repéré deux statues aux poitrines bien pleines dans les collections de la Fondation Barnes de Philadelphie, qu'elle  reconnaît comme des Barbus Müller. Je n'en ai que des reproductions médiocres, voir ci-dessous :

 

49 Barbu à la Fondation Barnes, vu par V Rousseau.jpeg           50 Barbu Fond Barnes (Phlladelphie), vu par V Rousseau.jpeg

 

   Si celui de gauche (sur fond gris) a une allure qui le rapproche en effet du corpus des Barbus Müller/Rabany, celui de droite me paraît plus "africain", plus fétiche (les trois traits blancs au sommet de sa tête, vers l'arrière ressemblent à des nattes ou des scarifications). Mais il faudrait que Valérie Rousseau nous en dise plus, notamment pour nous dire comment ces sculptures sont arrivées à Philadelphie, par quel collectionneur...

 

Vente Canavy chez Ferri, Drouot-Richelieu, 14 octobre, salle 4. Pour voir le catalogue de la vente et les renseignements supplémentaires (les expositions au préalable de la vente) voir ICI.