13/11/2007
Un endroit où vivre (suite)
J'ai donc vu Somewhere to live, film de Jacques Brunius qui paraît à l'évidence un film de commande. Il fait partie d'un ensemble de films sur les travaux de reconstruction de l'Europe des années 50 (plan Marshall), avec le dernier film d'Humphrey Jennings The good life, tourné en Grèce où cet auteur trouva la mort.
Le film de Brunius a en gros deux parties, la première qui montre dans des images aux couleurs passées qui vont bien aujourd'hui à l'évocation de ces époques les ruines de Caen juste après la guerre, et qui font un peu penser aux images du Montmartre lépreux que l'on aperçoit dans le film d'un autre ami des frères Prévert, Roger Pigaut, Le Cerf-volant du bout du monde (film pour la jeunesse ayant gardé aujourd'hui toute sa fraîcheur, encore vivement apprécié des enfants contemporains), et une deuxième partie où l'on doit dire que l'on ne retrouve plus du tout le Brunius de Violons d'Ingres, amateur de bizarreries et de singularités. Le film se termine en effet dans un vibrant hommage aux cités et aux barres que l'on édifiait en masse pour résoudre au plus vite la crise du logement dans ces années d'après-guerre, dressant en même temps sous le ciel un autre décor de misère, plus morale celle-là (que dénoncèrent assez vite situationnistes et libertaires de tous poils dans les années 60 et 70).
Cette deuxième partie a un côté "lendemains radieux qui chantent". Brunius était-il partie prenante de ce lyrisme? Peut-être n'y voyait-il qu'un inconvénient mineur, si l'on songe au documentaire de ses amis Prévert, comme le magnifique Aubervilliers, qui dénonçait l'insalubrité et la misère des logements ouvriers de la banlieue nord...Ce que Brunius approuvait certainement, lui qui avait fait partie du mouvement d'agit'prop à la française qu'était le Groupe Octobre... Mais peut-être en définitive, était-il avant tout bridé par ses commanditaires...
On le retrouve davantage dans la première partie du film, plus primesautière, plus poétique malgré le ton sérieux de la bande-son et du commentaire. Brunius prête sa voix, de façon fugace, à ce commentaire qui prend dès lors un rythme plus gouailleur et plus humoristique (hélas, l'intervention est courte). Sous prétexte de nous montrer les ruines de Caen (impressionnantes images historiques et je gage assez rares de cette époque ; on voit aussi à un moment les ruines de St-Malo...), la caméra se promène vers d'étranges modes de logement alternatifs mis en oeuvre par les habitants en attente de logements plus confortables (et architecturalement plus normés aussi). On voit une baraque improbable construite sur des moignons de château, cabane que son habitant baptise du coup "château" avec dérision, et esprit de détournement sûrement aussi. On découvre des maisons venues en kit de plusieurs pays d'Europe qui dotaient alors la France de toits bigarrés et d'architectures hétéroclites, reflétant différents styles nationaux.
La musique du film prend un tour excentrique à un moment. Brunius fait intervenir la mélodie du Troisième Homme de Carol Reed, avec son air fameux à la cithare, et souligne que c'est un peu, après-guerre, l'hymne de l'Europe en train de se reconstruire. Pour illustrer le propos le cinéaste fait jouer le fameux air à un sonneur de biniou en costume traditionnel breton sur fond de ruines, la musique célèbre se déforme alors étrangement... Court -et fort rare!- moment de surréalisme musical pour le coup (on sait que la musique et le surréalisme ont rarement fait bon ménage)... Certes, le film ne fait pas l'éloge de ces habitats éphémères, puisque le propos de ses commanditaires insiste avant tout sur l'appel à une reconstruction plus massive, et à une justification de la demande de subventions américaines dans le cadre du plan Marshall, mais en filigrane, il est possible de deviner un propos autre de Brunius, favorable par dessous à ces habitats originaux nés de l'adversité.
Du coup, le film prend un aspect intriguant du fait de ce double niveau de langage. Un autre intérêt se trouve également à rechercher du côté de son montage alerte en courtes images successives, ce qui paraît une marque caractéristique du style cinématographique de Jacques Brunius.
Ce film repasse à la Cinémathèque à Paris samedi 17 novembre à 17h.
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08/11/2007
Un endroit où vivre
Vient de commencer à la Cinémathèque Française à Paris un hommage au peintre surréaliste et poète-reporter (documentariste) anglais Humphrey Jennings (séance inaugurale le 7 novembre, je l'ai déjà manquée, il y avait au programme Spare time que l'on pourrait traduire par Temps libre, film sur les loisirs des ouvriers britanniques de la sidérurgie, du textile et des mines de charbon au début de la Seconde Guerre Mondiale (1939, même date que le film Violons d'Ingres de son ami Brunius), réalisé dans l'esprit du groupe Mass observation qui militait pour une observation anthropologique des occupations du peuple anglais). C'est une réalisation assez brute, très différente du projet de Brunius qui envisageait de préférence les loisirs individualistes de la population française, affichant un certain dédain vis-à-vis des loisirs moins créatifs (comme les jeux de cartes, le sport, la cuisine, la picole...). Jennings se livre à une sorte de revue des loisirs en fonction des métiers, comme une sorte d'état des lieux, sans jugement de valeur, et sans visée apparente ethnologique. Seule une petite phrase placée à la toute fin, du genre "le temps libre est le seul temps qui nous permette d'être nous", donne quelque indice sur la perspective secrète de l'auteur.
Image tirée de Spare time d'Humphrey Jennings, fanfare carnavalesque étonnante...
Ce Spare time repasse samedi 10 à 17h, ce sera la seule autre occasion de le voir, et c'est embêtant car ce jour-là il y a aussi Marc Décimo à la Halle Saint-Pierre à 15h... Il faut également signaler dans le cadre de cette mini rétrospective un autre film, rarement montré, de l'ami Jacques Brunius justement.
Ca s'intitule Somewhere to live. Ce documentaire de 1951 fut réalisé par le créateur de Violons d'Ingres durant la deuxième partie de sa vie qu'il passa en Angleterre où, pendant la guerre, il travaillait à la BBC comme speaker, faisant reconnaître sa voix à travers les ondes aux vieux amis de l'Affaire est dans le sac, ceux de la bande aux frères Prévert qui n'avaient pas oublié l'acteur qui réclamait un bérai-ai-ait, un bééééret français...!
Ce film de Brunius est-il passionnant? Je n'en sais trop rien, son sujet renvoie aux problèmes énormes de logement auxquels devait faire face l'Europe dévastée par la guerre, et la cité prise en exemple dans ce court-métrage de vingt minutes est la bonne ville de Caen. Mais tout Bruniusophile qui se respecte se devrait d'aller y faire un tour, en attendant qu'on accepte de nous passer un autre film encore plus rare du même Brunius, datant lui aussi de sa période angalise, To the rescue (A la rescousse), film pour la jeunesse qui reçut un prix du film de jeunesse (pour les 12-15 ans, c'était très précis...!) au festival de Venise 1953, court-métrage qui doit être, lui, nettement plus joyeux. Qu'attend-on, plus généralement, pour nous concocter un festival des pionniers du cinéma pour la jeunesse comme il y a eu il y a quelques semaines, toujours à la Cinémathèque, une programmation sur les pionniers du cinéma d'animation d'Emile Cohl à Paul Grimault (avec un instructif catalogue à la clé)...?
Somewhere to live, c'est dimanche 11 novembre à 19h30 et samedi 17 novembre à 17h00. Au même programme, il y aura d'autres films d'Humphrey Jennings et un d'Alberto Cavalcanti, cinéastes que respectait beaucoup le protéiforme Jacques Cottance, alias Jacques Brunius.
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