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Du Palais Idéal au Musée de la Poste
Eh bien, moi, je n'aime pas l'affiche qui prévient de l'exposition sur le facteur Cheval au Musée de la Poste. Ce cheval que Rancillac a superposé au portrait du facteur, je ne trouve pas ça du plus subtil. C'est le genre de calembour visuel plutôt téléphoné, à la limite du bêta... Et puis les couleurs criardes de ce tableau, c'est assez vilain. A titre de comparaison, le dessin de Picasso du 6 août 1937, intitulé le facteur Cheval, et que je crois peu connu, reproduit p.54 du catalogue de l'exposition "Avec le facteur Cheval", est bien plus poétique, plus audacieux aussi (on y voit un fier étalon apportant le courrier aux géants du Palais).
L'idée de l'expo est de présenter les rencontres qui se sont effectuées depuis les années 20 jusqu'à aujourd'hui autour du fameux Palais Idéal, architecture de fantaisie particulièrement originale, déjà fort ancienne, et telle qu'on en voit assez peu de cette qualité et de cette taille dans le monde entier. Avec comme idée secondaire, le projet de présenter des artistes dont l'oeuvre pourrait s'inscrire dans une filiation avec l'oeuvre du facteur. Cette dernière idée m'a laissé parfois dubitatif, les artistes choisis ne paraissant pas toujours convaincants, du point de vue de la filiation je veux dire (Paul Amar (ci-dessous à gauche), ou Marie-Rose Lortet sont d'estimables créateurs, mais qu'est-ce qui prouve que le Palais Idéal les a plus inspirés que d'autres références? Paul Amar par exemple a eu l'idée de ses sculptures en assemblage de coquillages en fréquentant les boutiques de souvenirs des Sables-d'Olonne, où la tradition populaire des objets décorés en coquillages est restée longtemps vivace, que l'on se souvienne de la Maison de la Sirène d'Hippolyte Massé par exemple).
Il y a cependant les cas de Lattier, de Di Rosa ou de Sanfourche, ainsi que de Gérard Manset avec son curieux "délire d'interprétation"autour de Cheval. Il y a aussi ACM qui semble effectivement hanté par les structures du Palais Idéal dans les maquettes de concrétions qu'il érige. Et aussi il est vrai un magnifique collage d'Erro en provenance de la collection de Claude et Clovis Prévost (c'est la première fois que j'entendais parler de cette collection...). Mais ici, il s'agit davantage d'un hommage, comme dans le cas de l'étonnante toile de Martine Doytier (de 1977) que l'on découvre avec surprise à un détour de l'exposition.
On n'a pas souvent eu l'occasion de voir des oeuvres de cette peintre insolite et énigmatique, à Paris tout au moins. J'avais remarqué son affiche du centième carnaval de Nice lors d'un passage dans cette ville (j'avais fait une note sur elle dans mon ancienne revuette La Chambre Rouge n°4/5, en 1985, en signalant qu'elle s'était suicidée "la veille de l'ouverture du carnaval dont elle avait fait l'affiche", soit en 1984 ; le catalogue commet sur ce point une erreur en indiquant "2004" comme date du suicide dans la notice du catalogue, rajoutant ainsi vingt années à l'infortunée ; le catalogue ajoute que cette artiste aurait trouvé le désir de créer en découvrant des oeuvres d'"Ozenda", or il me semble bien me rappeler avoir lu, durant ma visite de l'expo, la mention à côté du tableau de Doytier que cette incitation provenait plutôt du peintre polonais naïf, réellement "visionnaire" lui, Ociepka, référence beaucoup plus plausible que celle d'Ozenda ).
Le Palais Idéal a certainement eu aussi des influences sur quelques créateurs d'autres environnements spontanés, bien que cela ne soit pas toujours sûr, les créateurs en question étant par nature tellement autarciques dans leur production qu'ils n'aiment pas qu'on leur attribue des ancêtres. Je n'ai rencontré d'influencé avéré parmi ces créateurs que Charles Billy dans son environnement de maquettes en pierres dorées du Beaujolais à Civrieux-d'Azergues (j'ai mentionné ce fait dans les articles que je lui ai consacrés dans les revues Artension et Raw Vision à la fin des années 80, en me basant sur les confidences de Charles Billy lui-même). Une photo dans le catalogue montre un détail de l'environnement de Billy. Je propose ici une de mes propres photos, plus ancienne, que je fis en 1990 (Charles Billy est au premier plan à droite).
Au premier rang des illustres visiteurs (car avant les personnalités, il y avait tout de même eu les visiteurs locaux, comme par exemple le "Barde alpin", Emile Roux-Parassac) -et l'exposition, à la différence du catalogue (par les textes de Josette Rasle et Eric Le Roy), à mon avis ne le souligne pas assez- il y avait eu Jacques-Bernard Brunius qui découvrit le premier le Palais ( de façon enthousiaste), habitant non loin à Charmes, et grand amateur de "violons d'Ingres" excentriques ou non, pratiqués entre autres par des humbles. On connaît son film "Violons d'Ingres" qui date de 1939 et qui est justement consacré à ces nombreux amateurs de hobbies (je renvoie les lecteurs de cette note à VIOLONS D'INGRES, Un film de Jacques-Bernard Brunius, Création franche n°25.doc, fichier qui contient l'article que j'ai consacré au sujet en oct.2005 ; le film n'est présenté dans l'exposition que de façon ponctuelle, mais on peut se le procurer dans les bonus du DVD intitulé Mon frère Jacques de Pierre Prévert et édité par le label Doriane films). Il contient une longue séquence sur le facteur, séquence qui donna envie au cinéaste Ado Kyrou dans les années 50 de faire un autre film sur le Palais un peu plus développé, avec une musique d'André Hodeir, (puis par la suite, ce fut au tour de Clovis Prévost de réaliser un autre excellent film). Mais on sait moins que c'est grâce à de nombreux articles de Brunius, parus dès 1929, que le Palais fut porté à la connaissance des amateurs d'art, des intellectuels en général, et notamment des surréalistes (Brunius en fit des photos dont certaines sont exposées un peu trop à l'écart dans l'expo, en dépit de leur originalité, Brunius y insistant sur les aspects phalliques de nombreux détails du monument ; c'est Brunius également qui poussa sa belle-soeur, l'excellente photographe Denise Bellon, à aller photographier le Palais (Eric Le Roy le rappelle dans le catalogue en signalant aussi les articles de Brunius) ; mais ce n'est pas le reportage de cette dernière qui dut "servir de base", comme l'écrit Eric Le Roy, au film de Brunius de 1939, car ce dernier était déjà suffisamment documenté sur Cheval depuis 1929).
Les surréalistes ont très probablement entendu parler du lieu grâce à ces articles, au bouche à oreille consécutif, plutôt que par une communication directe. Brunius a lui-même signalé dans un entretien de 1967 (l'année de sa mort ; l'entretien a été publié, semble-t-il de façon fragmentaire, par Alain et Odette Virmaux dans leur "André Breton", collection Qui êtes-vous?, aux éditions de la Manufacture en 1987) qu'il n'avait rencontré Breton qu'en 1934... soit après que ce dernier avait déjà visité le Palais ; Josette Rasle dans le catalogue avance que Brunius "recommanda chaudement" le lieu à Breton avant sa visite de 1931, mais elle ne nous dit pas où elle a trouvé la preuve de ce fait...).
Ce que l'on apprend au passage avec cette expo, c'est le défilé incroyablement hétéroclite de personnalités diverses qui sont passées un jour inscrire des mots dans le registre à l'accueil du Palais (précieusement et intelligemment conservé): Josette Rasle en donne ces exemples pour l'après-guerre: Niki de Saint-Phalle, John Ashbery, Etienne-Martin, Philippe Dereux, Raymond Mason, Georges Mathieu, Henri Storck, Jodorowsky, Lawrence Durrell, Julio Cortazar, Marguerite Duras, Pablo Neruda, Anatole Jakovsky, etc... Avant guerre, il y avait eu un défilé de surréalistes, Brunius donc, Breton, André Delons, Max Ernst, Matta, Sadoul, Esteban Francés, Valentine Hugo... Sans compter tous les photographes dont l'exposition nous présente un choix un peu répétitif, Brunius, Bellon, Brassaï, Doisneau, Gilles Ehrmann, Lucien Hervé, Clovis Prévost, etc.
Au total, cela donne une bien excitante exposition qui convaincra les plus réticents que l'aventure de l'art brut, si le terme n'a pas été inventé par eux (il ne date que de 1945), a bien commencé d'abord avec les surréalistes. On doit en remercier Josette Rasle, cheville ouvrière de nombreuses expositions passionnantes montées au Musée de la Poste (l'expo récente sur Chaissac était aussi très bien faite). Elle permettra bien entendu à ceux qui ne connaîtraient pas encore le Palais Idéal de commencer par cette exposition avant d'aller visiter le monument original à Hauterives dans la Drôme.
Et pour vous féliciter d'avoir lu cette note légèrement fleuve jusqu'au bout, voici en prime ci-dessous un portrait du facteur que vous ne verrez pas au Musée de la Poste, mais bien plutôt au Musée d'art naïf de Noyers-sur-Serein dans l'Yonne. L'auteur est resté anonyme, c'est une huile de 54x76cm ayant appartenu à la collection Luce.
(La photo de la sculpture de Paul Amar est de Pierre-Emmanuel Rastoi ; elle s'intitule "Le roi imaginaire", fait 120x70cm, date de 2006 et fait partie de la collection de Paul Amar)
29/06/2007 | Lien permanent | Commentaires (19)
Frédéric Séron
Retour vers le passé, ce sera l'incipit pour aujourd'hui.
J'espère que l'INA ne m'en voudra pas de leur faire un peu de publicité en les mettant en lien avec mon modeste blog. Ainsi que de la mise en ligne de quelques photos capturées grâce à l'obligeance du camarade Jean-Jacques que je remercie hautement ici, et d'abord pour le renseignement précieux qu'il m'a fourni: sur le site de l'INA, on trouve depuis quelque temps, dans la rubrique "le journal de votre naissance", à la date du 25 octobre 1961, un reportage intitulé "Poésie pas morte" où l'on nous parle d'une exposition sur des oeuvres d'autodidactes (on reconnaît bien vite des photos de Gilles Ehrmann, qui était à cette date sur le point de publier son livre Les Inspirés et leurs demeures aux éditions du Temps, publié au 4e trimestre 1962 ).
L'exposition n'est pas autrement décrite, ni située. Nous sommes dans un fragment de journal d'actualités (on le trouve à la 5e minute - à peu prés - du journal qui parle aussi d'inondations au Japon, d'affrontements entre Wallons et Flamands, de refoulements par avions de manifestants "musulmans algériens" de la France vers l'Algérie, de Kroutchev et d'autres sujets de l'actualité de l'époque). Je n'ai pour l'instant pas trouvé d'ouvrages - notamment ceux qui ont été faits sur Gilles Ehrmann qui ne situent ses premières expositions qu'à partir de 1965... - qui puissent renseigner sur l'exposition en question. Qui est l'auteur du reportage? On ne nous le dit pas non plus.
Toujours est-il qu'on voit tout à coup, après l'introduction d'usage qui est consacrée à des images de l'exposition, d'autres vues prises cette fois directement sur les sites des divers inspirés évoqués dans l'expo. Autant dire que sur ces créateurs-là les films ne courent pas les rues, et ce dernier reportage pourrait bien être l'un des seuls (1): on découvre ainsi, revenus du passé en pleine forme, leurs oeuvres encore toutes fraîches, Frédéric Séron et ses statues du Pressoir-Prompt (aujourd'hui son jardin et sa maison ont semble-t-il disparu pour cause d'élargissement de la Nationale 7 qui les longeait dans l'Essonne), Raymond Isidore, dit Picassiette, en train de composer une mosaïque sur le sol devant sa petite maison, la paume de la main remplie de fragments d'assiettes, sa femme en train de coudre sur la machine que son mari avait également couverte de mosaïque, ou encore M. Marmin, le pépiniériste des Essarts en Vendée, qui avait taillé des animaux dans des arbustes sur une prairie prés de sa maison (le jeune homme qu'on voit tailler les arbustes est probablement un acteur, car Marmin photographié par Ehrmann n'a pas du tout la même apparence, ni le même âge...).
Frédéric Séron est montré en train de confectionner ses statues, disposant son ciment sur des armatures de fil de fer, badigeonnant une de ses statues dont le commentaire nous apprend fortuitement le nom (Un "Père la victoire" évoquant Georges Clémenceau, à qui l'on attribue la victoire de la Guerre 14-18), enfermant dans ses statues nous dit-on "sa carte de visite et le journal du jour".
On peut continuer à fouiller dans les archives de cette INA ouverte (depuis peu, semble-t-il) à l'art brut du passé, et notamment prolonger la recherche sur Frédéric Séron, sur lequel il existe de rares documents écrits (2), surtout accessibles du grand public. On trouve sur leur site un autre document rare, nettement inconnu des chercheurs jusqu'à présent à ce que je subodore... Une interview de Frédéric Séron par Pierre Dumayet dans Lectures pour tous du 25/03/1954 (production RTF). Après des vues sur les statues du jardin (c'est muet, pas la peine de vous exciter sur votre ordinateur!), au bout d'une minute et des poussières, tous deux causent familièrement assis au jardin en toute cordialité du travail de Séron et de son contenu ("Dites donc M. Séron c'est pas par hasard si on trouve une Porteuse de pain dans votre maison...", "Ben oui, j'ai été trente ans boulanger..."), tandis qu'en fond sonore dialoguent des poules fort glousseuses. Il y révèle qu'il enfermait dans ses statues toutes sortes de journaux, pas seulement dans la perspective comme le signale de son côté Ehrmann, de fabriquer des sortes d'âmes dans des boîtes, mais plutôt avec l'arrière-pensée de mêler sa propre identité à celles des hommes qui faisaient l'Histoire de son temps. Il y avait certainement dans cette démarche un peu d'un rituel magique naïf, écho de rituels païens plus anciens et oubliés. Certains de ses sujets y sont évoqués pour les modèles qui les ont inspirés (la patineuse, la danseuse, "L'Etoile polaire"...). Séron avoue dessiner ses sujets au préalable, il parle un peu de sa technique (des balles de la guerre de 14-18 servaient de crocs au lion de 100 kilos qu'enserrait un serpent et que l'on voyait en premier lorsqu'on découvrait le jardin dans les années 80).
On y voit aussi, chose rarissime, des images des tableaux naïfs que confectionnait Séron. Du reste, Ehrmann a photographié Séron dans son intérieur devant une magnifique fresque naïve peinte sur un des murs de son logis (c'est sans doute par ces tableaux naïfs que le critique de l'art naïf Anatole Jakovsky est venu lui aussi visiter Séron dans les années 50). Dans l'interview de Dumayet, Séron commente en direct deux de ses tableaux, dont une chasse à courre, qui est le support de souvenirs, de récits, notamment liés à la guerre de 14 dont on comprend que Séron, ancien combattant, avait été copieusement marqué. Le second, intitulé "La paix chez les animaux", paraît remarquable.
Rien de mieux pour se faire une idée vivante et réelle du genre de personnage et du type de créateur que ce petit documentaire de 8 minutes... Allez... Tous à l'INA...!
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(1). J'ai fait quelques images en Super 8 sur ce qu'il restait du site de Frédéric Séron au Pressoir-Prompt en 1987, des statues verdâtres, d'autres enfouies sous les ifs qui en croissant les avait recouvertes, la maison fermée et inhabitée ; j'avais rencontré à l'époque un voisin qui nous avait confié, à moi et à Jean-Claude Pinel, qu'il avait conservé quelques sujets, peu importants semblait-il, et qu'il surveillait le devenir de la maison : peut-on espérer qu'au Pressoir-Prompt, on ait songé dès lors à sauvegarder à part quelques oeuvres de Séron? Mon petit film a été incorporé dans l'ensemble plus important qui s'intitule Les Jardins de l'art immédiat.
(2). On peut lire sur Séron outre le livre de Gilles Ehrmann déjà cité, le très bon livre de Charles Soubeyran, Les Révoltés du merveilleux, aux éditions Le Temps qu'il fait (2004), consacré à Ehrmann et à Robert Doisneau. Ces derniers ont tous les deux photographié Séron. Soubeyran donne des pistes bibliographiques par la même occasion, il rappelle l'article que Robert Giraud publia en 1950 (soit dix ans avant Ehrmann), "Etoiles noires de Paris: Frédéric Séron est le bon Dieu du paradis des animaux" dans Paris Presse-L'Intransigeant, article qu'illustraient deux photos de Doisneau. Ce dernier évoque lui-même Séron dans son livre de souvenirs, A l'Imparfait de l'objectif (p. 131, - et non pas p.73, M. Soubeyran... - éd. Belfond, 1989). Anatole Jakovsky a évoqué, quoique vraiment entre les lignes, la figure de Séron dans Les Peintres Naïfs (éd. La Bibliothèque des Arts, 1956). J'ajoute à cette bibliographie deux références que peu de gens ont dû repérer, je gage... Dans un n° spécial de la revue Phantômas, consacré à l'Art naïf (n°7/8, hiver 1956), revue dirigée par Marcel Havrenne, Théodore Koenig et Joseph Noiret à Bruxelles, on trouve quelques photos (voir ci-dessus, ci-dessous, et ci-contre) du site de Frédéric Séron, et notamment une photo du créateur en compagnie du mystérieux pataphysicien J-H. Sainmont que l'on aperçoit - anonymat, et peut-être supercherie, obligent - de dos seulement... Les commentaires des photos sont de Sainmont. Une autre référence encore par rapport à Séron: l'article de Ralph Messac, "Un ancien boulanger a fabriqué un paradis en ciment" dans L'Information n°1504 du 7 septembre 1955 qui dénombre à l'époque (Séron, né en 1878, disparaît en 1959) 90 statues. A Dumayet, passé en 1954, il en signalait 88, dont une en cours... Ces chiffres paraissent donc authentiques. En 1987, lors de mon passage j'en vis nettement moins...
25/10/2009 | Lien permanent | Commentaires (2)