10/03/2024
Babahoum plutôt fade, désormais?
Je vois depuis quelque temps des dessins aquarellés de Mohamed Babahoum, ce créateur marocain autodidacte que la galerie Escale Nomad avait grandement aidé à faire connaître depuis au moins 15 ans qu'elle s'occupe de lui (voir les trois catalogues qu'elle a édités sur lui, certains étant disponibles à la librairie de la Halle Saint-Pierre) , qui viennent se montrer ici et là, dans des atours de plus en plus affadis. Je ne parle pas de ceux qui ont été exposés il y a peu (cela vient de se terminer) à la Halle Saint-Pierre, à Paris, dans l'exposition « Aux Frontières de l’art brut ». Non, je parle d'expos qui sont montées visiblement par le biais de quelque autre médiateur sans rigueur qui va pêcher des œuvres auprès de Babahoum, sans grand discernement à mon humble avis.
C'est ainsi que s'annonce une vente aux enchères "on line", comme on dit, par la maison de ventes Tessier-Sarrou, vente exclusivement consacrée à Babahoum. C'est gentillet, un peu trop simpliste, pas très développé, comme si on avait fait exprès de sélectionner les auto plagiats de l'auteur, ne se cassant plus trop la tête à construire des œuvres aussi poussées que celles qu'on lui connaissait autrefois. Sans compter qu'on peut même se demander si ne se sont pas glissés des faux dans ces pièces mises à l'encan (j'ai entendu dire qu'autour de lui se sont manifestés divers membres de sa famille désireux de l'imiter ; les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous, exception faite d'un neveu, nommé Ahmed Gnidila - qui, lui, n'imite pas, mais possède un style et un imaginaire propres). Babahoum a-t-il par trop vieilli? Travaille-t-il désormais trop vite?
Il peut être instructif de mettre sous les yeux de mes lecteurs à titre de comparaison des œuvres d'aujourd'hui et des œuvres des années plus anciennes:
Mohamed Babahoum, sans titre (saynètes avec bédouins et paysans), aquarelle et stylo sur carton gris, 80x56 cm, années 2000, coll. privée, Paris : photo Bruno Montpied.
Mohamed Babahoum, sans titre, aquarelle et stylo sur papier fort gris,31x38,7 cm, date (récente à mon avis)?, vente Tessier-Sarrou en ligne du 24 mars 24.
Il me semble que d'une époque à l'autre, il y a eu déperdition d'intensité, d'application. Un certain flasque s'est installé, peut-être reflet d'une déperdition propre à la vieillesse? Pourtant d'autres vieillards restés créatifs ont su adapter leur expression à ce ramollissement en en tirant un parti dans leurs œuvres (je pense par exemple à Joseph Barbiero et ses dessins aux lignes tremblantes, ou à Jean Pous aussi avec ses galets de rivière gravés, ou ses peintures à la gouache très stylisées).
12:55 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : art brut, mohamed babahoum, ventes aux enchères, affadissement, art du grand âge, art d'essaouira, art populaire marocain, joseph barbiero, jean pous, ahmed gnidila, tessier-sarrou | Imprimer
Commentaires
Effectivement, les œuvres en vente sont beaucoup plus simples, 2 ou trois figures tout au plus contrairement à ces œuvres plus anciennes où il y avait souvent foule. Il utilise du fluo aussi, j'imagine des feutres surligneurs qui étaient absents auparavant. Tout ça est peut être lié à son grand âge, une évolution vers plus de simplicité? On ne ressent plus le rythme qu'il y avait dans ses grands formats, comme si dorénavant un détail d'avant faisait l'œuvre aujourd'hui. Ca reste pas mal quand même.
Écrit par : Darnish | 15/03/2024
Répondre à ce commentaireBoudi, ce que vous pouvez être positif... joli euphémisme, la "simplicité"... que j'appelle, moi, affadissement. Il n'y a plus la même âpreté la même détermination que dans les œuvres plus anciennes. Et ce n'est pas lui rendre les honneurs que d'avoir sorti ces pièces-là. Son entrée récente au MNAM, via la donation d'ABCD/Decharme, est ce qui a alléché celui qui est allé pêcher ces œuvrettes. Et pour fourguer tout cela, rien de mieux que des maisons de vente comme Tessier-Sarrou qui vendent de l'art singulier de pacotille, où c'est en majorité le règne de la Tête à Toto, affublée de l'étiquette ronflante d'"art contemporain".
Écrit par : Le sciapode | 15/03/2024
Répondre à ce commentaireJe suis plutôt d'accord avec vous, si j'avais découvert Babahoum avec cette série en vente il ne m'aurait pas tant sauté aux yeux. Mais ça reste quand même pas mal, certains mieux que les autres. J'imagine que de son coté, la vieillesse d'un coté et le moyen d'écouler des dessins facilement de l'autre le pousse à simplifier, à produire plus vite...N'oublions pas d'où il vient! Ses marchands par contre...eux n'ont pas ma sympathie...Babahoum a fait des choses formidables, tant pis si sur la fin, c'est moins bien...C'est assez classique comme chemin...
Écrit par : Darnish | 16/03/2024
Répondre à ce commentaireJe ne sais pas d'où il vient, personnellement.
Et un marchand au moins a toute ma sympathie, celui qui l'a fait connaître dans nos contrées (et en particulier à un certain collectionneur qui l'a fait entrer au MNAM), en lui consacrant trois livres à ses frais, en le défendant pendant 15 ans, en lui achetant une bonne part de sa production: j'ai nommé Philippe Saada, animateur de la galerie Escale Nomad qui accomplit un excellent travail de diffusion. C'est le travail de ce marchand - marchand mais tout à la fois médiateur - dont profite la personne qui cherche à "tirer les marrons du feu" en ce moment en diffusant ces sous-Babahoum qui nuisent à son image, et, peut-être à terme, lui nuiront économiquement parlant
Écrit par : Le sciapode | 16/03/2024
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