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25/04/2008

Hilma Af Klint?

    C'est un prénom et un nom, Hilma Af Klint, ce n'est pas une incantation barbare. Il s'agit d'une femme, née en 1862 et disparue en 1944. Elle faisait de l'art, de la peinture, et c'était une cachottière. Avant de mourir, elle fit promettre à son neveu (Erik Af Klint comme de juste), de ne pas montrer ses oeuvres (environ un millier) tant que vingt années ne se seraient pas écoulées. En fait, les oeuvres ont attendu vingt années de plus, puisque ce n'est qu'en 1986 que ses toiles furent révélées au public, au Los Angeles County Museum, à l'occasion de l'exposition "The Spiritual in Art: Abstract Painting 1890-1985" (où, à côté de Mondrian, Kandinsky et de Malevitch, elle fut présentée comme une pionnière de l'art abstrait).

The Message, catalogue de l'exposition sur l'art et l'occultisme à Bochum en Allemagne, 2008.jpg

     Il y a quelque temps, ayant acquis le catalogue de l'exposition "The Message, Kunst und Okkultismus (Art and Occultism)" qui vient de se terminer au musée des Beaux-Arts de Bochum en Allemagne (16-02 au 13-04-2008), qui contient d'intéressants textes de divers auteurs réputés (Claudia Dichter, Barbara Safarova, Peter Gorsen, etc.), ainsi qu'une traduction du texte de référence d'André Breton, "Le Message Automatique" (traduit partiellement en allemand, et par Guy Ducornet intégralement en anglais), l'ayant parcouru comme d'habitude en diagonale, au hasard, dans tous les sens, mon oeil s'était arrêté à ce nom et cette oeuvre inconnus de moi. Hilma Af Klint... De précieuses, délicates géométries qui paraissaient dater de l'époque de l'Art nouveau ou de l'Art déco... Comme des plans de rosaces destinées à des verrières... Je glanais dans ce catalogue grâce aux traductions en anglais qu'il contient quelques renseignements sur l'artiste.

      Après des études très sérieuses dans les écoles artistiques suédoises, et avoir pratiqué une peinture de genre qui ne la distingue sans doute pas notablement de l'ensemble des peintres de son temps, elle se tourna vers des cercles spirites, apparemment à dominante féminine, où ses talents de médium l'avaient orientée. Elle produisit une centaines d'images entre 1906 et 1908, fortes compositions colorées où se rencontrent des motifs ornementaux floraux ou géométriques, des lettres ainsi que quelquefois des visages d'êtres humains (ainsi que des évocations symboliques de la fusion des corps qui provoqueront de l'émoi autour de l'artiste...qui décida par la suite de se vouer à la chasteté tout en se sacrifiant éperdument à l'art, ce qui fait penser à Séraphine "de Senlis", la misère matérielle en moins...).

Hima Af Klint, peinture de 1907, extraite du catalogue de son exposition de 2008 au Centre Culturel Suédois.jpg
Hilma Af Klint, tableau présenté au Centre Culturel Suédois, série WU (La rose), groupe I, Les grandes peintures de figures, n°8, 148x164cm, 1907  

     Il semble qu'après sa rencontre avec la théosophie de Rudolf Steiner et sa passion pour cet enseignement, elle ait décidé de ne plus placer sa peinture sous le guide des "entités surnaturelles" et de peindre plus en conscience et en contrôle. Elle resta active artistiquement parlant jusqu'à son grand âge, mais ne montra plus ses oeuvres de l'époque occultiste.

      Une exposition est actuellement montée à Paris, au Centre Culturel Suédois, du 11 avril au 27 juillet. Un petit catalogue est édité à cette occasion, sous une jaquette noire où l'on peut lire ce titre imprimé en argent: "Hilma Af Klint, Une Modernité Révélée"...

Catalogue d'exposition 2008 au Centre Culturel Suédois à Paris: Hilma Af Klint.jpg

     Cette exposition est prévue pour offrir un prolongement à l'évocation de cette artiste qui paraît devoir s'insérer dans l'exposition prochaine au Centre Beaubourg (oui...Pompidou, je sais) intitulée "Traces du Sacré" (titre qui me fait sourire, vilainement narquois comme il m'arrive de l'être, car ces "traces" me laissent rêveur quand je repense à ce que me dit un jour un camarade dans la rue devant des excréments de chien étalés sur un trottoir, "Regarde... La chair de Dieu..."). Peu d'oeuvres de la période 1906-1908 sont en tout cas présentées au centre suédois, et celles qui le sont, le groupe des "Grandes Peintures de figures", sont intriguantes et laissent un peu le spectateur sur sa faim, côté peintures médiumniques. Il semble qu'on ait avant tout présenté au Centre les oeuvres produites sous l'influence de la théosophie, assez lourdement symboliques, semblant vouloir prouver une doctrine préexistant au travail de création de l'artiste. Et signalons au passage dans le catalogue l'affirmation de Pascal Rousseau, très "coup de pied de l'âne", qui juge l'art brut une "catégorie mineure" de l'art: "Il faut (...) cesser de ranger son oeuvre dans la catégorie mineure de l'art brut: un art d'inspirés, de fous ou d'illuminés, un art qui dessaisit l'artiste plutôt qu'il ne consacre la radicalité consciente de son vocabulaire". Difficile de faire mieux dans le renversement réactionnaire méprisant....

     Il faudra sans doute aller chercher à Beaubourg un peu plus d'information (quel effort il me faudra accomplir... Vu les traces en question...). 

Le haut et le bas perçus non contradictoirement, une oeuvre sculptée anonyme en plein chêne

      Après le champ de bataille du rêve, voici un champ de bataille du réel...

    J'ai vu récemment chez un ami collectionneur un panneau de chêne sculpté, incroyablement massif mais en même temps, par une sorte de prouesse mystérieuse, réussissant à donner la sensation du mouvement, de la liquidité. Acquis auprès d'un antiquaire spécialisé en arts populaires, comme d'hab', pas d'indications sur son origine, ni sur son auteur. Je donne les dimensions: 60 sur 70 cm et 5 cm d'épaisseur...

Sculpture populaire anonyme, photo Bruno Montpied, 2007.jpg

     Il s'agit d'une scène de bataille maritime, peut-être une évocation du débarquement de 1944. Les seules indications, les seuls signes dont on dispose pour interpréter dans ce sens sont par exemple le drapeau comportant une croix gammée fottant sur un des bateaux en haut à droite, ou les batteries et bunkers de la côte qui font penser aux défenses construites par les Allemands le long de la Manche et de l'Atlantique. Et puis il y a les avions aux ailes ornées de cocardes qui passent au-dessus ou au-dessous des nuages placés devant le bleu du ciel, cette partie de la scène étant inscrite, notons-le, sur le même plan que le paysage de la mer et de sa côte. La vue vers le haut du ciel et celle qui montre le bas, la mer et la bataille navale, participant pourtant de deux orientations différentes, sont ainsi traitées dans le même espace, disposition que l'on retrouve souvent dans l'imagerie populaire, dans l'art naïf, voire dans l'art brut.

Sculpture populaire anonyme (détail, croix gammée sur un drapeau), ph.B.Montpied, 2007.jpg

     Le sculpteur a rendu le mouvement des vagues grâce à de nombreux coups de gouges chargés d'évoquer les ondulations des ondes. Des panaches de fumée ou d'explosion, des fragments disséminés au milieu de ces fumées, des soldats jetés à la mer faisant des mouvements du bras pour appeler à l'aide ou pour se cramponner aux coques des bateaux retournés, l'action des rameurs sur les barges, les gestes divers des soldats sur les bateaux, les hommes sautant sous les bombes, les bateaux en train de sombrer, barques ou cannonières, tout cela, au delà de leur évident caractère cinétique, rappelle des souvenirs (vécus ou cinématographiques) aux spectateurs et contribuent par ce moyen à donner une sensation de mouvement et d'extrême agitation alors même que la matière du panneau est au contraire paradoxalement statique.

Sculpture populaire anonyme (détail), ph.B.Montpied, 2007.jpg

     André Breton et les surréalistes rêvaient qu'on ne perçoive plus un certain nombre d'antagonismes de façon contradictoire. Le sculpteur anonyme de cet étonnant panneau de chêne, sans certainement connaître cette désormais célèbre revendication du manifeste du surréalisme, pratiquait naturellement, sans gêne d'aucune sorte, cette fameuse perception.