Rechercher : la maison sous les paupières
Nous en étions au 37e confinement.... (Une vision de Pierre Chevrier)
"Nous en étions au 37è confinement…Onze ans !...Depuis onze ans périodiquement l’Etat imposait des temps plus ou moins longs où on ne devait pas quitter le domicile, et les conditions devenaient de plus en plus contraignantes à chaque fois ; car, après chaque dé-confinement, l’épidémie reprenait de plus belle et se renforçait, avec son lot de victimes ; le traitement était devenu une course à l’échalote, car le virus mutait très rapidement, rendant obsolète tous les vaccins qui avaient été mis en œuvre. L’application du dernier confinement datait de plus de deux ans, et cette fois, tout le monde était convaincu que la vie sociale ne reprendrait plus ; les gens s’étaient résignés à fonctionner en autonomie dans les villages.
Chez nous, au début, on avait relié les maisons entre elles par des tunnels de fortune, un peu par amusement, juste histoire de braver les directives en allant chez les voisins porter quelques boissons ou échanger quelques plats ; ou jouer au tarot. Avec le temps, le système s’était perfectionné et on avait consolidé les passages, qui devinrent partie intégrante de nos habitations. De confinement en confinement, comme il nous semblait acquis que la situation mondiale ne pourrait
pas s’améliorer, on avait donc fini par construire des passages en dur ; et même, en creusant le sol (ce qui est particulièrement difficile par ici) des boyaux de communication qui nous mettaient hors de vue des brigades de surveillance, qui d’ailleurs arrêtèrent vite de circuler..."
Pour lire la suite, on peut cliquer là dessus... : Pierre Chevrier VENTILATION 3.pdf
Bruno Montpied, Ecroulement du masque, 31 x 23 cm, 2020.
13/04/2021 | Lien permanent
La photo surréaliste en 2020
Photo de Pierre-André Sauvageot (René Magritte, sors de ce corps!).
Guy Girard, membre du Groupe surréaliste de Paris (groupe contemporain), remet ça à la Galerie associative Amarrage rue des Rosiers à Saint-Ouen. Après "le Collage surréaliste en 2018", "le Dessin surréaliste en 2019", voici donc "la Photo surréaliste en 2020". Si les participants du côté français semblent devoir pour le moment se porter timidement vers Ouen-Ouen (terrifiés par la Covid?), les exposants internationaux paraissent avoir davantage répondu présents. Personnellement, je prêterai trois photos (voir l'une d'entre elles ci-dessous).
Il est intéressant de voir comment chaque participant s'investit dans l'idée d'une photo surréaliste actuelle. Non? A noter que certains exposants n'appartiennent pas formellement à un groupe surréaliste (José Guirao par exemple, ou mézigue), cela ne les empêche pas de pratiquer une photo qu'ils pensent correspondre, en partie ou totalement, à la notion surréaliste. La pratique de fixation des paréidolies diverses que l'on rencontre dans la vie quotidienne – et que ce blog recense régulièrement (cela dit, internet en est rempli) – en participe par exemple, je trouve.
Réponse à ces questions à partir du 16 octobre à partir de 18h30, jusqu'au 15 novembre. Attention! La galerie n'est ouverte que les après-midi de week-end, au même moment en fait que les Puces de St-Ouen dans le voisinage desquelles elle se trouve.
Bruno Montpied, Naissance du visage de la rose, 30 x 30 cm (tirage papier), 2017 ; exposé à la galerie Amarrage; cette photo fut prise dans le jardin d'une maison à... Rauzan (Gironde), village où les roses ont des visages, donc.
14/10/2020 | Lien permanent
Caroline Dahyot au café-galerie La Potinière, Dieppe
Expo Dahyot, photo et affiche Darnish, La Potinière, 18 rue du 19 août, Dieppe.
L'ami Darnish m'assure que la nouvelle expo de Caroline, la femme peintre de la Villa Verveine à Ault-Onival (pas loin de Dieppe), dans un café-galerie qui lui est cher dans le centre de Dieppe, La Potinière, vaut le détour. Faisons-lui confiance. Caroline a investi le lieu au point de faire oublier, paraît-il, la destination initiale du lieu d'exposition qui lui est offert temporairement, en y projetant ainsi un pan de son univers d'Ault, où l'on baigne, une fois entré dans sa maison, décorée du sol au plafond, dans son graphisme, son imaginaire, ses obsessions affectives.
Caroline Dahyot envahit les murs et grimpe au plafond... Ph. Darnish, 2018.
Caroline Dahyot, le plafond est conquis, les portes aussi, ph. Darnish, 2018.
Caroline aime à s'essayer à des formes d'art total, à de multiples formes d'expression. Elle a logiquement tendance, dans ses accrochages, à se répandre, à ruisseler, à occuper le terrain. Donc, en matière d'introduction à son univers, un petit tour à la Potinière s'impose...
Expo Dahyot, Café-Galerie La Potinière, 18 rue du 19 août, Dieppe, du 13 novembre au 14 décembre 2018.
17/11/2018 | Lien permanent | Commentaires (14)
Le LaM et sa cartographie des ”habitants-paysagistes”, un début d'inventaire numérisé des inspirés
Fondée sur plusieurs fonds iconographiques et archives (pêle-mêle, les archives de l'Aracine, le fonds de photographies de Francis David, les fiches d'André Escard, le fonds Claude et Clovis Prévost – pour l'instant 10 documents en ligne, à l'heure où j'écris ces mots –, les archives audio-visuelles de l'INA, le fonds Louise Tournay – qui, s'il est intéressant, ne relève pas pour autant des habitants-paysagistes à proprement parler...), a été mise en ligne depuis mars dernier une esquisse de cartographie de ce que le LaM a choisi d'appeler "les habitants-paysagistes", reprenant ainsi un terme quelque peu "scientifique"– quoique pas très exact – inventé par l'architecte-paysagiste Bernard Lassus, qui avait publié un livre sur la question, Les Jardins imaginaires, en 1977 aux Presses de la Connaissance. Il avait forgé cette appellation par projection de son propre métier. Il cherchait à se documenter sur les habitats d'ouvriers, en particulier de la région Nord-Pas-de-Calais, leurs façons d'orner leurs jardins, et d'y parler un langage par le truchement de ces agencements. Ce n'était pas l'affaire de Bernard Lassus d'y repérer une poésie, de chercher l'insolite, un possible surréalisme inconscient. Il rabattait sur eux son métier d'architecte, tirant d'eux de la matière, des questionnements, de solutions venus d'en bas, du terrain des habitants, sans leur demander véritablement leur avis... Cela se voulait probablement démocratique comme démarche. Au service de projets paysagistes que Lassus serait amené dans les annnées suivantes à créer.
Personnellement, je me suis résolu à utiliser le terme d'"environnements spontanés" qui me paraît plus précis, si tant est qu'on puisse arriver à trouver des mots suffisamment satisfaisants pour qualifier ces travaux visant à embellir, recréer, divertir, bâtir une poésie discrète dans l'espace. "Environnements", parce que cela désigne la zone où l'action a lieu, à savoir, majoritairement, entre habitat et route. Et "spontanés" parce que cela indique un phénomène d'expression empirique, bricolé avec les moyens du bord, sans formation artistique, surgi très souvent inopinément, une chose entraînant l'autre, quelquefois inspiré par des rêves, chez des gens qui ne sont pas des professionnels de l'art. Car j'ai centré mes enquêtes surtout sur des gens du peuple, ouvriers, artisans, paysans (voir mon livre Le Gazouillis des éléphants, pour les internautes qui n'auraient pas encore repéré cet ouvrage)...
La carte que l'on trouve sur le site des habitants-paysagistes du LaM ; Elle indique trois sortes d'informations quant à la pérennité ou non de ces créations: "site existant" en bleu, "site disparu" en rouge, et "site indéterminé" en orange. Cette carte est appelée à se couvrir de pastilles dans l'avenir, et l'on espère y voir davantage de bleu... Il faut dire que ces environnements sont très souvent éphémères, souvent sur le point de disparaître après être apparus brièvement dans les media.
Mais revenons à cette cartographie du LaM. Elle n'est pour le moment qu'une esquisse, puisqu'on peut y trouver une quarantaine de sites indiqués sur la carte que l'on trouve dès l'accueil du site (voir ci-dessus). Alors qu'il en existe beaucoup plus. En ne se limitant qu'aux créateurs d'origine populaire, j'en ai inventorié dans mon Gazouillis jusqu'à 305 (du passé et du présent). Mais ce chiffre s'élève en réalité bien au delà... Atteignant vraisemblablement, au moins, les 400.
Déjà, en parcourant cette cartographie en ligne, je suis tombé sur deux sites dont je n'avais jamais entendu parler – deux que je retiens parmi les plus inventifs, les plus "artistes", les plus naïfs (primesautiers), en refoulant les faiseurs de maquettes, les accumulateurs de déchets, etc. Car ce qui m'intéresse avant tout, c'est de mettre en valeur la créativité chez les autodidactes non artistes professionnels. Ce sont des environnements qui ont été comme de juste découverts, dans les années 1980, par cet incroyable fureteur qu'est le photographe émérite Francis David. Il avait, dans ces années là, probablement déjà fait un premier tour de la France de ces modestes excentriques, adeptes du ciment armé, de la mosaïque, de la racine interprétée en plein air. Il aurait pu en dresser l'inventaire, daté de l'époque, si le public avait répondu présent après la publication d'un premier volume de son Guide de l'Art insolite, consacré aux régions (elles n'étaient pas encore réunies dans les "Hauts de France") Nord-Pas-de-Calais et Picardie (Herscher, 1984). Hélas, ce fut un échec, et l'éditeur ne poursuivit pas la publication d'autres volumes. L'auteur, que je croisai brièvement un jour de vernissage dans les locaux de Neuilly-sur-Marne à l'Aracine, paraissait quelque peu désabusé. Personne depuis cette date ne voulut s'atteler à nouveau à l'entreprise risquée d'inventorier les sites français d'art brut ou naïf en plein air. Je fus finalement le premier à y arriver... Grâce aux audacieuses éditions du Sandre et à son animateur, Guillaume Zorgbibe.
David, Francis, "Le jardin de Marcel Mazière. [Marcel Maziere dans son jardin],” HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, 1989.
Deux sites, disais-je, des années 1980, dont on peut se demander s'ils existent encore... : celui de Marcel Mazière à St-Astier en Dordogne (le site du LaM donne à chaque site son emplacement exact sur un plan) et celui de Raoul Justet à Allègre-les-Fumades dans le Gard.
Marcel Mazière, que la notice du LaM indique dans un état "indéterminé" (ce qui laisse un espoir à tous ceux qui voudraient aller voir sur place s'il en est resté quelque chose), fut rencontré par David en 1989. Peu de photos furent prises, quatre, nous dit la notice, peut-être parce que l'auteur n'avait que peu sculpté? Mais les statues animalières et humaine que l'on aperçoit sont d'une très belle facture naïve. Je n'avais personnellement jamais entendu parler de ce site.
David, Francis, “La maison de Raoul Justet. [Détail d'une fresque 2]”, HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, 1985.
Idem avec celui – encore plus extraordinairement séduisant, c'était un créateur naïvo-brut de première force! – de Raoul Justet dans le Gard. Là aussi, on aimerait savoir de toute urgence si ces travaux ont pu être sauvegardés depuis 1985, date des clichés pris par Francis David. Sa façon de tracer ses personnages me paraît du genre à s'être complètement perdue aujourd'hui, hélas...
David, Francis, “La maison de Raoul Justet. [Détail d'une fresque 1]”, HABITANTS PAYSAGISTES : cartographie des maisons et jardins singuliers, LaM, ph.1985.
Le LaM sur ce site consacré au habitants-paysagistes se veut interactif avec les internautes et tous ceux que la question des environnements d'autodidactes passionne. Il est fait appel aux bonnes volontés, par des formulaires de contact, voire des appels à contribuer même, si l'on a idée de faire découvrir des sites non répertoriés, ou de compléter telle ou telle information, par exemple sur l'état actualisé des sites indiqués sur la carte, ou le destin des œuvres postérieurement aux dates des clichés ou des informations données dans les notices (les sites "indéterminés" devraient à terme tous se trouver renseignés exactement sur leur durée réelle...). A chacun de voir donc...
Nota bene : "Les habitants-paysagistes, une cartographie du LaM" figure également (sous ce libellé) dans mes "doux liens", dans la colonne de droite de ce blog.
21/05/2018 | Lien permanent
Asger Jorn le tellurique (avec un addendum)
On me pardonnera peut-être d'aborder la question Asger Jorn de façon très personnelle, si l'on n'oublie pas que le narcissisme est un trait qui fait le propre des blogs...
J'aime profondément la peinture d'Asger Jorn depuis que je l'ai découverte vers 1977 grâce à mon vieil ami Joël Gayraud. Je dois à la rencontre avec cette peinture (et celle du groupe Cobra aussi, bien entendu) le coup de fouet décisif qui stimula mon désir, alors balbutiant et se cherchant des motifs d'encouragement, de peindre et d'expérimenter dans l'art. Notamment, je me souviens d'une peinture que conserve de lui le Musée National d'Art Moderne au Centre Beaubourg (quand est-ce que ce MNAM sortira de ce bâtiment insupportable, où ses réserves cachent tant de trésors occultés par manque de place (entre autres motifs)?), tableau qui était exposé dans une salle à part au début des années 80, d'un dynamisme abstrait et d'une vitalité colorée extraordinaire, titrée du genre "Kyotorama", ou quelque chose d'approchant... Avec les Gayraud, nous avions envie de venir avec table et chaises pliantes manger et boire dans cette salle, devant le tableau et d'autres du groupe Cobra, où nous aurions porté toasts sur toasts en son honneur. C'était pour nous alors la huitième merveille du monde.
Une exposition est prévue pour février au centre Beaubourg. Des dessins semble-t-il avant toute chose. Une rétrospective de l'ensemble de son oeuvre protéiforme -la sculpture, la céramique, les décollages d'affiches, les peintures modifiées par exemple- n'aurait pourtant pas détoné à Beaubourg.
Le grand public connaît mal la peinture de Jorn dont le prénom et le nom ne sont guère familiers aux francophones. Quand on nous présente ici ou là certains de ses tableaux, le choix est rarement de qualité. Récemment, j'ai eu l'occasion de tomber sur un d'entre eux au musée des Beaux-Arts de Lyon dans le cadre de l'expo "Repartir à zéro" (la peinture après la Seconde Guerre Mondiale, vue comme une période de rupture généralisée avec l'art qui avait précédé, postulat séduisant mais truqué en même temps). Les commissaires avaient choisi comme par hasard une oeuvre secondaire (il suffit de tomber sur une oeuvre lorsque l'artiste se cherchait ou bien travaillait vite), on passait sans s'arrêter. Les organisateurs de l'exposition n'avaient pas misé sur cette avant-garde-là, venue d'un Nord qu'ils sous-estiment fréquemment (bien à tort selon moi, c'est le résultat d'une certaine suffisance française). Or, les nombreux ouvrages à lui consacrés le prouvent assez, la peinture de cet artiste est d'une richesse insoupçonnée (toujours du point de vue du grand public) que je mets bien au-dessus de celle d'un Dubuffet par exemple -avec qui Jorn dans les dix dernières années de sa vie fut cependant en relations cordiales.
Il est aussi vrai que même lorsqu'on a connu de près les oeuvres de Jorn dans les années 80 (je fis en 1979 le voyage du Danemark à Copenhague -où ma compagne Christine et moi rencontrâmes Henry Heerup, le plus autodidacte des peintres du groupe Cobra- puis à Aarhus pour voir la grande fresque murale de Jorn installée dans le hall du lycée de la ville -une des plus belles fresques murales que j'ai jamais vues, ensuite à Silkeborg, à Louisiana, au musée de Carl-Henning Pedersen aussi, au musée d'art moderne de Alborg aussi ; le but étant de voir le plus possible d'oeuvres que nous ne pouvions voir en France - à part une petite rétrospective Jorn au musée d'art moderne de la Ville de Paris en 1978, c'était plutôt difficile de voir de nombreuses oeuvres de Cobra en France dans les musées à cette époque), il est vrai que, passées les années, quand je revois des peintures de Jorn, je ne suis plus dans le même éblouissement initial, la surprise -et le surinvestissement intellectuel- s'étant un peu décolorés, inévitablement...
J'égrène entre ces lignes quelques images piquées ça et là dans les catalogues que je possède, pour donner des exemples de ce que je préfère dans cette oeuvre. Mais il reste après tant de regards jetés sur cette peinture de matière profondément labourée, saturée d'imagination de la matière (Jorn a fait un portrait de Gaston Bachelard justement), mon affection profonde, intacte. Un peintre qui ne lasse pas après tant d'années d'admiration, il n'y en a pas tant (personnellement, je garde Max Ernst, Slavko Kopac...).
Je reste toujours étonné devant cette peinture où jaillit un torrent tourmenté de couleurs et d'où émergent des figures ultra archaïques, simplifiées à l'extrême comme repêchées de retour d'une plongée régressive dans le puits obscur de l'enfance. Jorn attache en outre une grande importance au fait de les titrer. C'est comme un parachèvement de l'oeuvre qui n'a plus rien à voir dès lors avec une manifestation d'art pour l'art seulement préoccupée de rythmes plastiques et de pure esthétique désincarnée, comme indicible et voulant déjouer toute narrativité. Il déléguait parfois à d'autres, visiteurs de passage au moment de la fin du tableau, le soin de trouver ces titres. Cela rejoignait chez lui son désir de création collective. On sait qu'il a du reste participé à toutes sortes d'expérience de création en commun, comme durant les journées de Bregneröd au Danemark en 1949 où avec d'autres membres de Cobra (Pedersen par exemple) il recouvrit entièrement les murs intérieurs d'une maison. Ou lorsqu'en 1968, à La Havane, il peignit les murs d'une banque nationalisée. Dans la maison et le jardin qu'il possédait sur les hauteurs d'Albisola sur la Riviera italienne, il créa également des décors en collaboration avec le gardien de la villa Umberto Gambetta, à qui il laissa l'usufruit de la maison après sa mort survenue en 1973. Il fit des livres mémorables avec Guy Debord (Fin de Copenhague, Mémoires), etc, etc.
Il collabora également avec Dubuffet lorsque ce dernier reconstitua la compagnie de l'Art Brut au début des années 60 rue de Sèvres. Il paraît, à suivre l'ouvrage de Lucienne Peiry, qu'il signala à Dubuffet des cas de créateurs pouvant l'intéresser pour sa collection. Parallèlement, il menait des recherches érudites sur l'art populaire scandinave, les graffiti, l'art roman, le héros Didrek (qui fut sa dernière étude avant de mourir). Ses écrits ne sont pas toujours faciles à lire, soit du fait de mauvaises traductions soit du fait de leur cérébralité. Mais l'homme a tout d'un puissant visionnaire survolté désirant plus que tout l'émancipation des hommes dans une libre création de situations imaginatives. Il était, par delà l'esthétisme (l'art naissant avant tout selon lui d'un besoin moral avant d'être esthétique), à la recherche d'un alphabet et d'un vocabulaire de signes qui permettrait de créer un langage universellement compréhensible de l'ensemble de l'humanité par delà les religions, les cultures et les nations (comme l'explique de façon fort éclairante Laurent Gervereau dans le catalogue de l'exposition La Planète Jorn à Strasbourg en 2002). C'était pour ces raisons qu'il partait en quête des arts du peuple, notamment nordiques, ou des graffiti, parallèlement à un Dubuffet qui cherchait davantage pour sa part du côté des individualistes populaires, car chacun agit en fonction de ses inclinations...
Cette exposition (du 11 février au 11 mai 2009, Centre Georges Pompidou, Paris) paraît plutôt une sélection d'une centaine de dessins prêtés par le musée Asger Jorn de Silkeborg au Danemark (qui conserve des oeuvres de Jorn, mais aussi un choix d'oeuvres, notamment graphiques, des artistes qu'il admirait ; c'est ainsi qu'on peut y trouver l'ensemble de l'oeuvre gravée et lithographiée d'un Dubuffet par exemple). A signaler que la Maison du Danemark a monté une rétrospective Asger Jorn l'année dernière à Paris. Le CNACGP a beau jeu de présenter cette exposition 2009 comme la "première faite dans un musée parisien depuis 1978". Oui... dans un "musée", c'est peut-être vrai, mais ce genre d'homologation joue sur les mots. Musée ou centre culturel, quelle différence cela peut faire... ? Et "Parisien" ou "régional", qu'est-ce que ça change (il y a eu en 2002 au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Strasbourg une expo intitulée La Planète Jorn qui nous a laissé un excellent catalogue que je conseille d'acquérir à tous ceux qui s'intéressent à Jorn)? On a envie de dire, qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse. Ce terme de "première" ne veut en l'occurrence absolument rien dire.
ADDENDUM:
"Puisqu'on en est aux commentaires qui nous renvoient au bon vieux temps à jamais défunt, laissez-moi y aller du mien, même s'il faut pour cela ramasser profond dans la gravière des souvenirs. Albisola, ma plus belle excursion d'adolescent, quand nous gravissions la côte de Località brucciati pour y chercher la maison de Jorn. Les hasards poétiques se succédèrent dès lors. Comme nous expliquions que nous cherchions "la maison d'un artiste", on nous demandait duquel il s'agissait :"il bianco o il nero?", question qui nous jetait dans des abîmes de perplexité. Puis nous fûmes pris sur le bord de la route dans la Fiat 128 d'un Italien qui se révéla l'habitant-gardien-conservateur-scrupuleux du lieu (Umberto Gambetta). Il nous montra par le menu la belle maison de Jorn, mélange d'oeuvre d'art et de poésie quotidienne, puis comme nous lui demandions la raison de cette question "Il bianco o il nero?", il nous expliqua que non loin était la maison de Wifredo Lam. Un coup de téléphone pour prévenir Lam de notre visite, et nous nous retrouvâmes peu de temps après dans une tout autre ambiance, celle des totems, du vaudou, des plumes et des lances, quittant le minéral et la couleur pour toutes les nuances du marron et du brun et le bois, légèrement austère dans une architecture sobre (dois-je confesser que par son côté inattendu, j'ai plus de souvenir de ce moment-là que de la maison de Jorn, au fond) en présence de Lam amusé et heureux de notre jeunesse et de la sienne, à nous désaltérer dans sa salle de cinéma personnelle flanquée de deux gigantesques totems. Oui, ce fut la plus belle bourlingue de mon adolescence, et l'après-midi, elle s'acheva en bas, près du port, dans la cantine où l'on nous avait signalé Ansgar Elde buvant grappa sur grappa, autre artiste cobraïforme, que nous rencontrâmes et avec qui nous bûmes. Et j'y serais bien resté, n'eussé-je été si bicaténeux, comme disait l'amie Catherine Caron, qui, elle, y resta. "
(Ecrit par Régis Gayraud, initialement en commentaire et ajouté ici le 29 janvier 2009 ; une première version de cette note a paru le 17 janvier et s'est retrouvée du coup déplacée au 29 janvier)
29/01/2009 | Lien permanent | Commentaires (10)
Cartes postales exhumées du pays des éternelles vacances
Je joue, entre autres casquettes, au collectionneur voué aux seules cartes postales qui traitent des créations environnementales populaires. Collectionneur n'est pas le terme exact. J'amasse de la documentation variée sur le sujet depuis bientôt vingt-huit ans. Dans cette documentation, les cartes postales montrant des créations populaires insolites ont un charme et une place à part dans mon coeur.
Ces dernières ont commencé à m'intriguer du jour, je crois bien, où je me suis intéressé à l'abbé Fouré et ses rochers sculptés à Rothéneuf en Bretagne (vers 1981). Le facteur Cheval et lui avaient fait éditer de copieux lots de cartes qu'ils vendaient sur leurs sites. Ce petit bout de carton était familier et réputé dans les milieux populaires au début du XXe siècle. Pas cher, facile à employer, à faire circuler, il véhiculait sans peine l'image qu'on souhaitait transmettre de son travail ou de ses moments passés loin de ses proches ou de ses amis. Une forme d'art modeste, dirait-on du côté de Sète. C'était une forme de publicité très populaire, de médiatisation immédiate si l'on peut dire, que les deux créateurs d'environnement, dans la Drôme et en Ille-et-Vilaine, surveillaient jalousement (tous deux eurent maille à partir avec des indélicats qui voulurent vendre leurs clichés sans autorisation des créateurs, est-ce la raison pour laquelle du reste, on trouvait sur le site des rochers à Rothéneuf un buste titré "L'avocat des rochers"? Inscription effacée avec le temps...). Notons au passage que ce genre de publicité modeste organisée autour de leurs environnements contribue à distinguer les créateurs d'environnements, tels Cheval et Fouré (Charles Billy aussi par exemple a édité des cartes sur ses réalisations) des autres auteurs d'art brut, beaucoup moins (si ce n'est pas du tout) préoccupés de faire connaître leurs travaux à l'extérieur de leur cercle intime (ceci pour répondre à une discussion initiée avec Régis Gayraud, par commentaires interposés...). Les environnementalistes spontanés me paraissent les extravertis de l'art brut, si l'on peut dire...
Les cartes postales, en outre, sont un conservatoire minuscule mais paradoxalement efficace (il y a un charme) des sites d'art brut disparus, ou modifiés dans la suite des temps. Grâce à elles, nous disposons de la nouvelle objective (effacée souvent partout ailleurs...) de leur passage effectif dans une certaine durée du temps. Pour les plus anciennes, elles sont en noir et blanc. Cela ajoute à leur mystère. Elles ont tout des mirages, illusions pourtant fixées.
Ceux qui ont vu parmi les premiers l'intérêt qu'il y avait à conserver ces cartes qui témoignaient d'oeuvres bien oubliées dans la cascade du temps sont les géniaux animateurs du Musée rural des Arts Populaires de Laduz (dans l'Yonne), Raymond et Jacqueline Humbert et leur collaboratrice, Marie-José Drogou. Dans leur département consacré à la Sculpture Populaire, on pouvait voir, dès le début du musée (à la fin des années 1980), accrochées aux cimaises certaines de ces cartes postales anciennes concernant par exemple Claude Poullaouec, étonnant créateur qui avait peint des lits clos de façon ultra-naïve à Plougonvelin (voir ma note du 7 juillet 2007), ou bien l'étrange maison sans fenêtres de Pierre Dange, à Rogny-les-Sept-Ecluses dans l'Yonne, ou encore les bois et les pierres sculptés de l'abbé Fouré sur les falaises de Rothéneuf.
J'ai donc ramassé des cartes de manière intermittente, au hasard des brocantes et des magasins spécialisés destinés aux monomaniaques adorant tripoter ces petits bouts de papier jauni. Car ça n'est pas très ragoûtant, et ça ne donne pas une grande idée de la dignité humaine que de voir ces obsessionnels traquer la perle rare en triant sempiternellement leurs piles de cartes poussiéreuses classées par département, villes et "sélections". J'y allais un peu à reculons à chaque fois, à dose homéopathique... Ma collection a crû du coup très lentement... J'en utilisais à l'occasion pour illustrer des articles, par exemple sur François Michaud (La "Villa des Fleurs" curieuse villa décorée de sculptures à Montbard), en 1991, ou dans mon fanzine L'Art Immédiat...
Pendant ce temps, les scientifiques, les systématiques, les méthodiques arrivaient... Les marchands qui ne comprenaient jusque là pas trop bien le genre de cartes que je cherchais, puisque ces cartes n'avaient jamais fait l'objet d'aucune collection, commencèrent tout à coup à mieux situer le champ... Une terminologie s'esquissait: "Monsieur cherche des jardins fantastiques populaires sans doute?", ça c'était le marchand pointu, mais j'entendais surtout: "Vous cherchez des facteurs Cheval ?"...
Tout à coup Jean-Michel Chesné fut là! Ayant de plus rencontré la célèbre concierge de l'art brut qui éditait la revue Gazogène du côté de Cahors, cette dernière n'ayant pas souvent d'idées grandioses pour nourrir son teuf-teuf, on se mit à assister à une véritable "déferlante" de numéros consacrés à la collection proprement faramineuse de l'ami Chesné. En tout, on arrive aujourd'hui avec le dernier numéro hors-série de la revue, intitulé "N'oubliez pas l'artiste", paru en avril 2008, à trois numéros entièrement consacrés aux environnements vus à travers la carte postale. Des expositions ont également montré les cartes de la collection Chesné, au musée de la Création Franche à Bègles et à la Halle Saint-Pierre (dans l'espace près de la caféteria) avec l'appoint des animateurs du bulletin Zon'Art. Les XIe Rencontres autour de l'Art singulier, organisées par Hors-Champ à Nice le 7 juin (hier...Voir ma note récente sur le sujet), ont aussi eu la riche idée de faire venir la concierge et le collectionneur pour présenter au public des amateurs le résultat de la pêche miraculeuse.
Je raille la concierge mais je mets mon chapeau bas devant le collectionneur Chesné qui a fait de bien belles découvertes. Plusieurs cartes étaient en effet inconnues dans sa moisson (et je ne parle ici que des cartes en rapport avec des environnements en France, champ de recherche auquel je me limite personnellement, non par chauvinisme mais par besoin de circonscrire): le cul-de-jatte des "petits châteaux" de Sévérac en Loire-Inférieure, le musée en plein air du Castel Maraîchin de l'ancien St-Gilles-Croix-de-Vie en Vendée, le mur d'A.Bouvant à Montreuil, le bateau sculpté dans l'os par un Poilu à St-Vigor-d'Ymonville en Loire-Inférieure (c'est la Loire-Atlantique), le Carrousel Savoyard de bois trouvés dans la nature de Sixt (en Haute-Savoie), ces dernières cartes étant reproduites dans le récent numéro hors-série précédemment cité. Dans les autres numéros de Gazogène, les n°24 et 27 (respectivement Les rocailleurs du rêve -sans date- et L'Internationale des rocailleurs -sans date toujours-), si le deuxième est consacré dans sa totalité à des sites situés hors de France, le n°24 quant à lui révélait des cartes étonnantes comme celles de la "Maison artistique" de Jargeau (dans le Loiret), les "rocailles d'art de la Maison Marais aux Haies" à Laigle, diverses fantaisies médiévales en ciment, les meubles couverts de mosaïque d'un certain Duval à Lisieux, les fausses grottes du Luc près d'Espiet dans la Gironde, oeuvre aujourd'hui encore intacte, mais gardée secrète par son propriétaire, due à un certain Alcide Teynac (très belle découverte de Chesné et de J-F.Maurice, il faut le souligner)...
Les auteurs de ces compilations mêlent avec raison aux cartes montrant des environnements créatifs des cartes présentant aussi des habitats précaires bricolés à partir d'ingénieux recyclages comme ces cabanes faites à partir de bateaux retournés. Ils ont lu les livres de Michel Racine sur les rocailleurs du XIXe siècle. Tous les habitats imaginatifs, tels qu'on peut en voir dans d'autres ouvrages comme Les Bâtisseurs du rêve de Michaël Schuyt, Joost Elffers et George R. Collins (éd. Chêne/Hachette, 1980), maisons dans les arbres ou insolites édifices publicitaires, les requièrent pour établir des passerelles avec l'art brut environnemental. Pourquoi pas?
Signalons que des cartes de la collection Chesné ont également été récemment publiées par lui dans la revue Raw Vision n°61, hiver 2007 (article Lost in time).
Je reviendrai bien sûr dans les notes à venir sur certains de ces sites connus grâce aux cartes postales.
Pour trouver la revue Gazogène, on peut toujours la demander à la librairie de la Halle St-Pierre à Paris. Autrement, voici son adresse: Gazogène, Le Bourg, 46140 Belaye. Tél: 05 65 35 61 68. (Comme quoi mon honnêteté l'emporte sur la rancune à l'égard de la malhonnêteté intellectuelle de son auteur...).
08/06/2008 | Lien permanent | Commentaires (3)
Frédéric Séron
Retour vers le passé, ce sera l'incipit pour aujourd'hui.
J'espère que l'INA ne m'en voudra pas de leur faire un peu de publicité en les mettant en lien avec mon modeste blog. Ainsi que de la mise en ligne de quelques photos capturées grâce à l'obligeance du camarade Jean-Jacques que je remercie hautement ici, et d'abord pour le renseignement précieux qu'il m'a fourni: sur le site de l'INA, on trouve depuis quelque temps, dans la rubrique "le journal de votre naissance", à la date du 25 octobre 1961, un reportage intitulé "Poésie pas morte" où l'on nous parle d'une exposition sur des oeuvres d'autodidactes (on reconnaît bien vite des photos de Gilles Ehrmann, qui était à cette date sur le point de publier son livre Les Inspirés et leurs demeures aux éditions du Temps, publié au 4e trimestre 1962 ).
L'exposition n'est pas autrement décrite, ni située. Nous sommes dans un fragment de journal d'actualités (on le trouve à la 5e minute - à peu prés - du journal qui parle aussi d'inondations au Japon, d'affrontements entre Wallons et Flamands, de refoulements par avions de manifestants "musulmans algériens" de la France vers l'Algérie, de Kroutchev et d'autres sujets de l'actualité de l'époque). Je n'ai pour l'instant pas trouvé d'ouvrages - notamment ceux qui ont été faits sur Gilles Ehrmann qui ne situent ses premières expositions qu'à partir de 1965... - qui puissent renseigner sur l'exposition en question. Qui est l'auteur du reportage? On ne nous le dit pas non plus.
Toujours est-il qu'on voit tout à coup, après l'introduction d'usage qui est consacrée à des images de l'exposition, d'autres vues prises cette fois directement sur les sites des divers inspirés évoqués dans l'expo. Autant dire que sur ces créateurs-là les films ne courent pas les rues, et ce dernier reportage pourrait bien être l'un des seuls (1): on découvre ainsi, revenus du passé en pleine forme, leurs oeuvres encore toutes fraîches, Frédéric Séron et ses statues du Pressoir-Prompt (aujourd'hui son jardin et sa maison ont semble-t-il disparu pour cause d'élargissement de la Nationale 7 qui les longeait dans l'Essonne), Raymond Isidore, dit Picassiette, en train de composer une mosaïque sur le sol devant sa petite maison, la paume de la main remplie de fragments d'assiettes, sa femme en train de coudre sur la machine que son mari avait également couverte de mosaïque, ou encore M. Marmin, le pépiniériste des Essarts en Vendée, qui avait taillé des animaux dans des arbustes sur une prairie prés de sa maison (le jeune homme qu'on voit tailler les arbustes est probablement un acteur, car Marmin photographié par Ehrmann n'a pas du tout la même apparence, ni le même âge...).
Frédéric Séron est montré en train de confectionner ses statues, disposant son ciment sur des armatures de fil de fer, badigeonnant une de ses statues dont le commentaire nous apprend fortuitement le nom (Un "Père la victoire" évoquant Georges Clémenceau, à qui l'on attribue la victoire de la Guerre 14-18), enfermant dans ses statues nous dit-on "sa carte de visite et le journal du jour".
On peut continuer à fouiller dans les archives de cette INA ouverte (depuis peu, semble-t-il) à l'art brut du passé, et notamment prolonger la recherche sur Frédéric Séron, sur lequel il existe de rares documents écrits (2), surtout accessibles du grand public. On trouve sur leur site un autre document rare, nettement inconnu des chercheurs jusqu'à présent à ce que je subodore... Une interview de Frédéric Séron par Pierre Dumayet dans Lectures pour tous du 25/03/1954 (production RTF). Après des vues sur les statues du jardin (c'est muet, pas la peine de vous exciter sur votre ordinateur!), au bout d'une minute et des poussières, tous deux causent familièrement assis au jardin en toute cordialité du travail de Séron et de son contenu ("Dites donc M. Séron c'est pas par hasard si on trouve une Porteuse de pain dans votre maison...", "Ben oui, j'ai été trente ans boulanger..."), tandis qu'en fond sonore dialoguent des poules fort glousseuses. Il y révèle qu'il enfermait dans ses statues toutes sortes de journaux, pas seulement dans la perspective comme le signale de son côté Ehrmann, de fabriquer des sortes d'âmes dans des boîtes, mais plutôt avec l'arrière-pensée de mêler sa propre identité à celles des hommes qui faisaient l'Histoire de son temps. Il y avait certainement dans cette démarche un peu d'un rituel magique naïf, écho de rituels païens plus anciens et oubliés. Certains de ses sujets y sont évoqués pour les modèles qui les ont inspirés (la patineuse, la danseuse, "L'Etoile polaire"...). Séron avoue dessiner ses sujets au préalable, il parle un peu de sa technique (des balles de la guerre de 14-18 servaient de crocs au lion de 100 kilos qu'enserrait un serpent et que l'on voyait en premier lorsqu'on découvrait le jardin dans les années 80).
On y voit aussi, chose rarissime, des images des tableaux naïfs que confectionnait Séron. Du reste, Ehrmann a photographié Séron dans son intérieur devant une magnifique fresque naïve peinte sur un des murs de son logis (c'est sans doute par ces tableaux naïfs que le critique de l'art naïf Anatole Jakovsky est venu lui aussi visiter Séron dans les années 50). Dans l'interview de Dumayet, Séron commente en direct deux de ses tableaux, dont une chasse à courre, qui est le support de souvenirs, de récits, notamment liés à la guerre de 14 dont on comprend que Séron, ancien combattant, avait été copieusement marqué. Le second, intitulé "La paix chez les animaux", paraît remarquable.
Rien de mieux pour se faire une idée vivante et réelle du genre de personnage et du type de créateur que ce petit documentaire de 8 minutes... Allez... Tous à l'INA...!
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(1). J'ai fait quelques images en Super 8 sur ce qu'il restait du site de Frédéric Séron au Pressoir-Prompt en 1987, des statues verdâtres, d'autres enfouies sous les ifs qui en croissant les avait recouvertes, la maison fermée et inhabitée ; j'avais rencontré à l'époque un voisin qui nous avait confié, à moi et à Jean-Claude Pinel, qu'il avait conservé quelques sujets, peu importants semblait-il, et qu'il surveillait le devenir de la maison : peut-on espérer qu'au Pressoir-Prompt, on ait songé dès lors à sauvegarder à part quelques oeuvres de Séron? Mon petit film a été incorporé dans l'ensemble plus important qui s'intitule Les Jardins de l'art immédiat.
(2). On peut lire sur Séron outre le livre de Gilles Ehrmann déjà cité, le très bon livre de Charles Soubeyran, Les Révoltés du merveilleux, aux éditions Le Temps qu'il fait (2004), consacré à Ehrmann et à Robert Doisneau. Ces derniers ont tous les deux photographié Séron. Soubeyran donne des pistes bibliographiques par la même occasion, il rappelle l'article que Robert Giraud publia en 1950 (soit dix ans avant Ehrmann), "Etoiles noires de Paris: Frédéric Séron est le bon Dieu du paradis des animaux" dans Paris Presse-L'Intransigeant, article qu'illustraient deux photos de Doisneau. Ce dernier évoque lui-même Séron dans son livre de souvenirs, A l'Imparfait de l'objectif (p. 131, - et non pas p.73, M. Soubeyran... - éd. Belfond, 1989). Anatole Jakovsky a évoqué, quoique vraiment entre les lignes, la figure de Séron dans Les Peintres Naïfs (éd. La Bibliothèque des Arts, 1956). J'ajoute à cette bibliographie deux références que peu de gens ont dû repérer, je gage... Dans un n° spécial de la revue Phantômas, consacré à l'Art naïf (n°7/8, hiver 1956), revue dirigée par Marcel Havrenne, Théodore Koenig et Joseph Noiret à Bruxelles, on trouve quelques photos (voir ci-dessus, ci-dessous, et ci-contre) du site de Frédéric Séron, et notamment une photo du créateur en compagnie du mystérieux pataphysicien J-H. Sainmont que l'on aperçoit - anonymat, et peut-être supercherie, obligent - de dos seulement... Les commentaires des photos sont de Sainmont. Une autre référence encore par rapport à Séron: l'article de Ralph Messac, "Un ancien boulanger a fabriqué un paradis en ciment" dans L'Information n°1504 du 7 septembre 1955 qui dénombre à l'époque (Séron, né en 1878, disparaît en 1959) 90 statues. A Dumayet, passé en 1954, il en signalait 88, dont une en cours... Ces chiffres paraissent donc authentiques. En 1987, lors de mon passage j'en vis nettement moins...
25/10/2009 | Lien permanent | Commentaires (2)
Une découverte stupéfiante de Remy Ricordeau à Taïwan
Je viens de faire une stupéfiante découverte, qui fera efficacement écho au complément que je vous avais adressé et que vous aviez inséré dans votre note du 16 mars 2010 consacrée au peintre taïwanais Hung Tung.
Photo Steve Barringer
Au centre de Taïwan, dans la périphérie de la ville de T. et plus précisément dans un ancien quartier militaire réservé aux soldats qui avaient accompagné Chang Kai Shek lors de sa fuite sur l’île en 1949 (à l’issue de la guerre civile chinoise), on peut voir d’étranges fresques murales pour le moins bariolées représentant dans un joyeux désordre, personnages, animaux et ornements floraux du plus bel effet. Les formes représentées et plus encore les couleurs de cette production baroque font d’abord bien sûr penser à l’œuvre de Hung Tung et comme pour celui-ci, tout au moins en ce qui me concerne, à l’influence de l’art traditionnel aborigène. Pourtant à l’instar de Hung Tung, son créateur n’a aucune origine aborigène. D’autant moins peut être que H. Y-F., ainsi le nommerai-je, est un Chinois originaire du continent, contrairement à Hung Tung qui lui, était natif de l’île.
Ph. SB
Né dans un milieu fort modeste de Koolong, un des quartiers de Hong Kong à la fin des années 20, il se retrouve pris dans la tourmente de la guerre civile enrôlé dans l’armée nationaliste du Kuomingtang. Il échoue donc très jeune à Taïwan où il passera la plus grande partie de sa vie dans divers quartiers militaires réservés. Peut être faut-il préciser que de nombreux quartiers de ce type avaient été construits à la hâte pour héberger dès 45 (année de la restitution de Taïwan à la Chine) les nombreux soldats de l’armée nationaliste. Avec le temps la plupart de ces quartiers ont été détruits et ses résidents relogés. Seuls quelques-uns subsistent, dont celui de T. dans lequel réside H. Y-F.
A la fin de la première décade du siècle, ayant dépassé allègrement ses 80 ans, pour remédier à la grisaille de son environnement autant que pour passer le temps, celui-ci se mit à décorer l’extérieur de sa maison de quelques fresques représentant des personnages de la télévision (acteurs ou présentateurs), des animaux ou des végétaux stylisés. Il se mit également à agrémenter ses dessins de sentences naïves exaltant la paix, le bonheur et le remerciement aux dieux (il semble qu’il soit autant bouddhiste que taoïste, comme la plupart des Taïwanais). Encouragé par ses voisins, ceux-ci l’invitèrent à poursuivre sa création sur les murs de leurs propres maisons pour donner une cohérence à l’ensemble. Il se mit alors à peindre également le sol comme pour occuper totalement l’espace.
Ph SB
La cité était condamnée à la destruction prochaine lorsque des jeunes étudiants de l’université voisine découvrirent ce décor surprenant. L’information circulant et la superstition chinoise faisant le reste, le quartier devint rapidement une destination de prédilection, entre autres pour les jeunes mariés et autres aspirants au bonheur. Une pétition fut lancée pour sauver le lieu des appétits des promoteurs qui semble avoir été entendue puisque le maire de la ville s’est engagé à en assurer la préservation¹. Selon mes informations, à ce jour H. Y-F serait toujours vivant et, encouragé par son succès, continuerait son œuvre. Il semble qu’il se soit également mis à peindre des tableaux. Pourtant cette reconnaissance ne lui a pas apporté la fortune : à côté de sa boîte aux lettres il a pris soin d’installer une tirelire pour solliciter les dons afin de pouvoir continuer à s’acheter la peinture nécessaire.
Ph. Todd Alperovitz
Taïwan et plus généralement l’Asie sont encore en grande partie terra incognita pour ce qui concerne l’art brut. Je suis persuadé que tout reste encore à découvrir. Inutile de dire que suite à cette découverte, je compte bien m’y rendre prochainement...
Remy Ricordeau
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¹ Selon des informations datant de 2010.
27/08/2013 | Lien permanent | Commentaires (5)
Sur la route, François Michaud
10/06/2007 | Lien permanent | Commentaires (1)
L'idiome du village, une exposition proposée par le musicien Jean-François Vrod
"Inauguration en musique de l'exposition 'L'Idiome du village", art brut, populaire,
avec le Trio la Soustraction des Fleurs
Jean-François Vrod, violon, voix - Frédéric Aurier, violon, voix - Sylvain Lemêtre, zarb, voix - Sam Mary, lumières
11 octobre 2012 à 18h30
Maison des arts plastiques Rosa Bonheur - 94550 Chevilly-Larue
renseignements : 01 56 34 08 37"
Tel est le message quelque peu laconique que l'on trouve sur le site web du violoniste à la fois traditionnel et contemporain Jean-François Vrod (en cliquant sur le lien vous trouverez une bio particulièrement synthétique sur son parcours). J'avais déjà entendu parler d'une exposition organisée à partir de sa collection personnelle de créateurs bruts et populaires, expo qui s'était tenue en banlieue parisienne au sud, je ne me souviens plus de la commune (Les Ulis?), il y a quelques années (2004?). Je l'avais loupée, à mon grand dam. D'autant que j'appréciais le musicien jusque là pour certains de ses enregistrements particulièrement poétiques (notamment un disque de 1996, "Voyage" édité chez le label Auvidis, absolument enchanteur, puis un disque solo édité chez Cinq Planètes). Je suis assez amateur de musiques traditionnelles à mes heures. Apprendre donc que ce musicien a tressé des passerelles entre musiques traditionnelles, improvisation et arts populaires est plutôt captivant.
Extrait (les Miroirs) du Cd "Voyage" (1996) de Jean-François Vrod, C. Declercq, et C. Joris
En fait, il a conçu dès 1999 cette exposition comme une sorte de manifestation en perpétuel chantier, au gré de ses découvertes, sous le titre générique de "L'idiome du village". Voici sur son site ce qu'il en dit: "... le musicien de tradition orale y est envisagé comme membre de la grande famille d'artistes en marge de l'histoire de l'art (Bruts, aliénés, enfants, primitifs contemporains...)."
Jean-François Vrod tenant une statuette en bois de style naïf (auteur anonyme), trouvée sur une brocante en Vendée
Je n'ai pas encore eu l'occasion de voir comment s'articule exactement la musique de Jean-François Vrod avec les objets ou les œuvres exposées par lui. L'exposition d'une centaine de pièces qui se monte à partir du 11 octobre, et qui durera jusqu'au 10 décembre, à la Maison des arts plastiques Rosa Bonheur à Chevilly-Larue tombera donc à point nommé pour vérifier ce détail. A priori seront présentés "pêle-mêle" (ce sont les mots de l'artiste) des bruts (Yvonne Robert par exemple), des populaires et des contemporains du genre marginalisé. Voici les noms que j'ai pu obtenir auprès de Jean-François Vrod: "pas de noms vraiment connus: Slimane Houalli, (sculpture animaliére à base de coquilles d'huitres), André Poirson, sculpteur sur bois ; Yvonne Robert, paysanne-peintre de Vendée; Robert Battefort, dessinateur naïf ; Pierre Diet et Philippe Durand, sculpteurs lozériens, Jeanine Suchet-Roux, peintre; Roland Vincent, sculpteur sur pierre creusois; Joseph Bouton sculpteur du Bourbonnais, Denis Simmonet sculpteur sur bois flottés de L'île de Noirmoutier ; Frédéric Le Junter plasticien et musicien... Hormis Roland Vincent, sculpteur sur pierre et poudre de granit, que j'ai déjà évoqué dans ce blog (et que j'ai exposé moi-même dans un Festival d'Art Singulier à Aubagne en 2006), je ne connais pas grand-monde dans cette liste. Le nom de Jeanine Suchet-Roux me dit quelque chose, elle fut exposée au Printemps des Singuliers voici quelques années à Paris, il s'agit d'une artiste dite singulière et non pas populaire ou naïve. Les amateurs d'art populaire devront se rendre sur place pour y retrouver les leurs...
J'ai l'impression que Jean-François Vrod au gré de ses balades et concerts, et autres "conférences musicales" (sur les "êtres fantastiques en Dauphiné" par exemple), glane toutes sortes d'expressions marginales qui l'intriguent, et comme il s'intéresse aussi passablement aux musiques du Massif Central, où il a fait du collectage, peut-être même est-il tombé sur quelques "chapluzaïres" tels que ceux que j'ai évoqués dans cette ancienne note.
Ci-contre, Roland Vincent, sans titre (un tambourinaire?), vers 2005, coll Bruno Montpied
Jean-François Vrod et un petit vélo en bois (à rajouter aux autres vélos populaires mentionnés sur ce blog), lui aussi trouvé sur une brocante en Vendée
23/09/2012 | Lien permanent