Rechercher : la maison sous les paupières
C.A.P.U.T., Kézaco?
Ils m'ont contacté récemment via l'adresse de ce blog et je trouve leur blog assez proche cousin du mien. La C.A.P.U.T., ce sigle cache une Collection de l'Art Populaire et de l'Underground Tacite. Commencée vers décembre 2008 (voir à cette date sur le blog de Cynthia 3000, l'éditeur du blog (c'est une petite maison d'édition littéraire par ailleurs semble-t-il, responsable d'une réédition de Laurent Tailhade entre autres) la déclaration éditoriale qui explicite le concept), cette collection paraît se consacrer, en se cherchant au fur et à mesure de son développement et des trouvailles en brocante, terrain de chasse de prédilection des animateurs du blog, Céline Brun-Picard et Grégory Haleux, aux peintres modestes essentiellement. Les deux chercheurs leur trouvent cependant du charme, décelant dans les oeuvres hétéroclites qu'ils chinent une inquiétante étrangeté parfois. Certaines des oeuvrettes acquises (pour moins de 4€, c'est presque une condition d'acquisition) frôlent la naïveté, mais dans l'ensemble, nous touchons là plutôt à une forme d'art modeste que ne renierait pas le peintre Di Rosa dans son Musée international des Arts Modestes à Sète. L'art banal... Contenant en creux une insidieuse poésie, peut-être toute entière dans l'oeil de ceux qui le collectionnent?
En tout cas, un blog à suivre, car on est curieux de voir ce qui va advenir, des découvertes futures. Dès aujourd'hui, je le joins à ma liste de "Doux liens" (colonne de droite). Et puis, ils aiment les ondines, les sirènes, les naïades, ils ne peuvent être complètement mauvais...
18/07/2009 | Lien permanent
Le jardin d'Emile Taugourdeau danse encore dans les ronces
Qu'est-ce que ça devient chez Emile Taugourdeau, le maçon disparu en 1989, qui avait laissé derrière lui dans son jardin des dizaines et des dizaines de statues naïves, brutes, immédiates, ce qui constituait un des environnements de statues naïves ou brutes parmi les plus importants de France? Vingt ans qu'il est décédé, et pas de commémoration pour lui (il n'aura pas eu la chance d'un Chomo par exemple, plus artiste sans doute et reconnu comme tel par ses pairs).
Il était en concurrence, au point de vue strictement quantitatif bien entendu, avec le jardin de Gabriel Albert à Nantillé en Charente-Maritime (on y a dénombré environ 400 statues, chez Taugourdeau, cela devait être approchant), lui aussi désormais en grand péril. On a parlé de lui autrefois (et abondamment, ce qui me justifie de venir en reparler aujourd'hui: Francis David le tout premier dans Les Bricoleurs de l'imaginaire, Jean-Louis Lanoux dans Plein Chant n°45, Taugourdeau étant alors encore de ce monde, puis après sa mort, dans ce fatras qu'était le Guide de la France Insolite de Claude Arz, etc.).
Un article dans un journal spécialisé dans la brocante, longtemps aprés la mort de l'auteur, eut paraît-il une influence néfaste, car à la suite de cette publication qui aurait fait trop de bruit, on vola certaines statues qui étaient sans surveillance (les statues que M. Taugourdeau exposait de l'autre côté de la route, en face de sa maison, les laissant avec confiance pour la récréation de tout un chacun qui passait sur ces petites routes charmantes de la Sarthe).
Le silence retomba. Certains familiers du site, continuant de lui rendre visite secrètement (à noter un article du modeste Zon'Art, vers 2003, si je me rappelle bien), familiers qui récupéraient au passage certaines pièces qui étaient à vendre (et ils faisaient bien, faute de mieux)... Personnellement, j'y étais passé en 1991, en compagnie de la photographe et artiste Marie-José Drogou, afin de fixer sur pellicule le plus possible d'oeuvres. J'y suis revenu longtemps après, en 2003, puis récemment donc en juillet 2009.
Chez Taugourdeau, il y a (il y avait) beaucoup d'animaux, des cervidés, mais aussi des crocodiles, des dinosaures, des serpents, des chiens, des chevaux, et énormément de volatiles. Et aussi des footballeurs lilliputiens (les équipes, les buts, rien n'était oublié, ça grouillait, il fallait faire attention de ne pas buter sur eux). Un Bernard Hinault (il est tombé par terre, c'est pas la faute à Voltaire, mais plutôt la tempête dernière). Une voiture ancienne avec passager et chauffeur (plus de poussière soulevée par ses roues, mais du lierre à la place qui grimpe vaillamment à l'assaut).
Des carrioles conduites par des hommes paraissant porter sombreros (la forêt, les ronces les ont-elles mangés? Je ne les ai pas revues à mon dernier passage en juillet dernier).
Taugourdeau paraissait aimer les personnages, principalement couverts de chapeaux. Les sombreros revenaient souvent, semblant indiquer une fascination du créateur pour les Mexicains (il avait représenté deux Mariachis, les guitares absentes de leurs mains à mon passage en 1991). Il y avait aussi, récurrents, des petits couples gentils, des couples de danseurs certes immobiles mais paraissant tourner sur eux-mêmes simultanément, des grenouilles cachées comme des larves dans des jardinières carrées montées sur pieds.
Des arbres de ciment - toujours le ciment - aux branches couvertes d'oiseaux. Des pêcheurs à la ligne, oui aussi en ciment, qui cherchaient à prendre des poissons eux-mêmes en ciment (c'était les premiers sujets que commença Taugourdeau après s'être essayé à un canard). Des mariés qui dansaient galamment sous les arbres. Des cigognes aux longs cous. Un phacochère. Une déesse Kali (du moins l'ai-je identifiée ainsi, on l'a appelée aussi "la magicienne") plutôt du genre souriante, des serpents sur les bras (elle est toujours là, à mon passage en juillet dernier, je lui ai remis sur les bras les serpents qu'un antiquaire indélicat avait jetés par terre, à ce que me confia Mme Taugourdeau). Un moulin avec son petit meunier (il avait le bras fendu, on l'a acheté, puis emmené à l'abri ailleurs, loin de cette jungle). Il y avait (oui, toujours l'imparfait) deux cavaliers sur deux chevaux qui avaient l'air de fendre les airs pour aller où? On en a vu filer un récemment encore, du côté de L'Isle-sur-la-Sorgue sur une brocante, à l'évidence échappé du jardin de M. Taugourdeau (voir ci-dessous le cavalier encore en place en 2003). Il est resté le second, une variante, avec de subtiles différences, de l'ordre de quelques centimètres de plus ou de moins (j'ai vérifié, il a les jambes plus longues, des étriers plus dégagés de la masse de ciment...)
Il y avait, surtout, plus oubliés encore que les statues, d'étonnants tableaux de ciment teint dans la masse, d'une très belle facture naïve. Dans le jardin, exposés à la merci des intempéries, leurs couleurs ravivées à chaque pluie.
Qu'ils étaient beaux, ces tableaux... Et que le coeur me fend de les imaginer perdus, brisés, cassés? Ici ou là, tassés parfois à plusieurs contre un mur de parpaings, petit à petit couverts de terres, de mousses, enserrés par des racines accrocheuses, on en redécouvre, en les feuilletant d'un bras qui les retient de tomber pendant que l'autre prend la photo.
D'autres disparaissent sous la couleur uniformément verdâtre qui glace l'ensemble de l'oeuvre encore en place (les statues ne sont pas fendues, résistant encore bien malgré vingt ans sans entretien à l'air libre depuis la mort de leur créateur).
Peut-être que certains ont été tout simplement vendus? Car c'est ce qui arrive, la famille laisse partir par petits bouts les oeuvres du jardin, tantôt chez des amateurs désireux de sauvegarder ces chefs-d'oeuvre naïfs, tantôt à des brocanteurs peu scrupuleux qui acquièrent à bon compte des jardinières en mosaïque, en renversant au passage les statues qui ne les intéressent pas, et qu'ils ne songent pas une minute à relever, l'affaire étant faite. C'est ainsi, il ne semble pas qu'aucune autre possibilité de sauver ce qui resterait encore à sauver puisse se mettre en place désormais. Il reste des écrits, des photos, peut-être des films, et quelques statues échappées chez les uns et les autres pour garder la mémoire de cette magnifique création.
Le jardin, encore visible un peu il y a cinq ans, un jour que nous le visitions après un nettoyage saisonnier, se couvre à d'autres moments d'une végétation qui semble partie pour le dévorer complètement. Le redécouvrira-t-on un jour comme on a découvert les temples mayas dans la jungle du Yucatan?
03/12/2009 | Lien permanent | Commentaires (2)
Léon Evangélaire et le Tarzan auquel on n'a pas pensé
J'ai visité pour des raisons professionnelles, et donc sans m'y intéresser plus que ça, l'exposition Tarzan au musée du quai Branly (où ce qui m'a le plus charmé, c'est l'allée sinueuse où l'on aurait bien glissé sur une luge à roulettes avec les moutards, avec Johnny Weismüller projeté sur nos faces hilares au passage).
Expo Tarzan! du 16 juin au 27 septembre 2009
Et je me suis dit, que c'était en définitive regrettable que les orgnisateurs de l'expo n'aient pas connaissance d'un très beau Tarzan en ciment polychrome qui se tient toujours sous le ciel nuageux à l'ombre des terrils, là-bas vers le Pas-de-Calais, à Pont-en-Vendin, sur le minuscule lopin de terre qui s'étend devant la petite maison d'un ancien employé au chemin de fer des Houillères, au milieu d'animaux n'ayant pas toujours quelque chose à voir avec les vrais protagonistes des aventures africaines de Tarzan. Chez le bien nommé Léon Evangélaire, que nous a fait découvrir Francis David dans son Guide de l'art insolite Nord/Pas-de-Calais en 1984.
J'ai tenté de rectifier le tir en l'imprimant sur une photocopie couleur que j'ai montrée aux petits visiteurs de l'expo que j'avais emmenés avec moi ce jour-là. Une goutte d'eau dans l'océan d'ignorance qui affecte les inspirés du bord des routes. Alors, je continue ici même, en me disant que nos gentils commissaires d'exposition vont parfois surfer sur le net de temps en temps eux aussi...
13/08/2009 | Lien permanent | Commentaires (8)
Les ”peintures idiotes” d'Anne Marbrun
Je ne sais que peu de choses d'Anne Marbrun. Des textes d'elle ont été publiés de ci de là en plaquettes et recueils chez divers petits éditeurs secrets (comme L'Oie de Cravan à Montréal, Wigwam Editions à Rennes, L'Escampette à Chauvigny -où, on l'espère, on n'est pas chauvigniste). Autrefois, aux éditions A la Fée Verte, éphémère maison d'édition de Joël Gayraud, je me souviens qu'il y eut aussi un texte d'Anne Marbrun, La Petite (édité en 1983). Qui est désormais disponible à L'Oie de Cravan. Est-ce la même Anne Marbrun qui a également publié un roman sur la Commune, Le sang des cerises? Il semble que oui.
10/01/2009 | Lien permanent | Commentaires (1)
Dictionnaire du Poignard Subtil: Sur cette pierre, je bâtirai...
PIERRE:
"Rien de plus immédiat et de plus autonome dans la plénitude de sa force, rien de plus noble et de plus terrifiant non plus que le majestueux rocher, le bloc de granit audacieusement dressé. Avant tout, la pierre est. Elle reste toujours elle-même et elle subsiste ; et ce qu'il y a de plus important, elle frappe. Avant même de la saisir pour frapper, l'homme se heurte à elle. Pas nécessairement par son corps, mais au moins par son regard. Il constate ainsi sa dureté, sa rudesse, sa puissance. Le rocher lui révèle quelque chose qui transcende la précarité de sa condition humaine: un mode d'être absolu. Sa résistance, son inertie, ses proportions, de même que ses étranges contours ne sont pas humains: ils attestent une présence qui éblouit, terrifie, attire et menace. Dans sa grandeur et sa dureté, dans sa forme ou dans sa couleur, l'homme rencontre une réalité et une force qui appartiennent à un monde autre que le monde profane dont il fait partie."
Mircea Eliade, Traité de l'Histoire des Religions, cité par Gwenc'hlan Le Scouezec et Jean-Robert Masson dans Bretagne Mégalithique, Ed. du Seuil, 1987.
(Inutile d'ajouter qu'à mes yeux, la pierre est bien perceptible ainsi, à l'exception de ces notions "transcendantes" de "mode d'être absolu" et de monde "autre" auxquels appartiendrait la roche et que veut nous refiler subrepticement Eliade . Il me paraîtrait plus exact de dire que l'homme perçoit dans les rochers un mystère qui le dépasse, ce qui n'implique pas qu'on doive en déduire que ce mystère est celui d'une divinité.)
11/11/2007 | Lien permanent
Séraphin Enrico perdu et retrouvé, par Olivier Thiébaut (1995)
Avec plus de dix ans de retard, je publie sur ce blog alors qu'au départ elle était prévue pour le papier de mon bulletin L'Art Immédiat n°3 la contribution d'Olivier Thiébaut (datée de 1995) au sujet de Séraphin Enrico qui avait créé un environnement à St-Calais dans la Sarthe, des statues diverses et variées dont une Vénus portant l'inscription "la luna rossa" sur son fessier dénudé ... Inscription qui finit par être reprise par Thiébaut pour intituler le jardin qu'il a ouvert à Caen où il conserve un certain nombre de fragments d'environnements qu'il a préservés ou exhumés, à l'exemple du site d'Enrico. Ce jardin de la Luna Rossa à Caen est le deuxième exemple en France après la Fabuloserie et son parc d'environnements à Dicy dans l'Yonne de tentative de conservatoire des environnements spontanés, par nature éphémères et terriblements "immédiats".
Notons que le site de Séraphin Enrico avait d'abord été repéré par Francis David dans le catalogue Les Bricoleurs de l'Imaginaire, Inventaire pour une région (Musées de Laval, 1984). Olivier Thiébaut a, en 1996, publié un ensemble de textes sur ses découvertes, Bonjour aux promeneurs! aux éditions Alternatives, où il parle entre autres de Séraphin Enrico (son texte étant une variante, en outre un peu écourtée, de celui qu'il m'avait donné et que j'insère ci-dessous).
"Né le 3 juillet 1898 à Mougrando (Italie), Séraphin Enrico est issu d'un milieu modeste. Cimentier à l'âge de 14 ans, il découvre la rude épreuve du travail. En 1915, il est mobilisé dans les chasseurs alpins italiens.
La Grande Guerre lui fait subir les souffrances du froid: il a les mains gelées par la neige, et perd un doigt. Après la guerre, il décide de partir pour la France qui a besoin de main d'oeuvre dans le bâtiment.
Séraphin Enrico travaille sur plusieurs chantiers, à Grenoble et Chambéry, puis s'installe à Grand-Lucé dans la Sarthe. Il se marie quelque temps plus tard avec Virginie Vineis. En 1925, il déménage à Saint-Calais, et achète un terrain à la sortie du bourg, sur la route de Vibraye. Situé dans une petite vallée, le lieu est idéal pour y construire sa maison et son merveilleux jardin.
A partir de 1959, il entreprend la réalisation d'une propriété qui devient son "grand-oeuvre", une sorte de jardin d'Eden. Sculptures, bassins, fontaines, tonnelles, alcôves et souterrains agrémentent sa maison sur un terrain en espaliers dominant le cours de l'Anille. Pendant une vingtaine d'années, armé d'une simple brouette et de truelles, Séraphin Enrico construit un univers de rêve. Les ciments et mortiers colorés lui servent de matériaux de base. Son goût pour la sculpture et la peinture se traduit dans son travail par la réalisation de personnages et d'animaux peints qu'il installe dans des décors appropriés. La peinture florentine, le sport, la mythologie et les femmes en tenue "sexy" sont ses principales sources d'inspiration. Le caractère placide de Séraphin Enrico semble en contradiction avec ses oeuvres et sa réputation. Considéré souvent comme un farfelu et n'étant pas vraiment reconnu par les habitants de Saint-Calais, il met son imaginaire au service d'un autre public en inventant des aires de jeux pour les enfants. Au milieu des années soixante, le jardin de Séraphin Enrico est un foisonnement de couleurs et de sculptures, c'est l'attraction locale où l'on peut lire "Entrée Libre": des centaines de familles viennent lui rendre visite. M. Mercier, son ancien voisin, se souvient: "L'oeuvre était de taille! Il y en avait partout, rangées en rangs d'oignon. On n'avait jamais vu ça, ce genre de chose. On se demandait d'où cela pouvait bien lui venir. C'était son pays, son petit coin de paradis où il s'exprimait, car il était plutôt discret, le père Enrico, et pas toujours très commode! Il avait du caractère. Son goût pour la décoration ne le quittait pas. Tous les soirs, il travaillait à faire ses bonnes femmes, quand il s'y mettait, on ne pouvait plus l'arrêter. Même à son travail, ses employeurs lui reprochaient de faire un peu trop de décorations ou de fioritures inutiles dans les chantiers. C'est surtout avec les enfants qu'il s'entendait, c'était spontané avec eux! Certains parents n'aimaient pas trop d'ailleurs laisser traîner leurs enfants, ils le prenaient pour un satyre, en voyant certaines de ses oeuvres. C'était un drôle de bonhomme, le père Enrico, et il avait ses idées à lui! Je me souviens qu'il avait fait une vache et plusieurs bonnes femmes qui avaient un système de rigole dans le dos, ça récupérait l'eau quand il pleuvait et elle sortait par le zizi. Il avait aussi creusé des souterrains dans son jardin qui partaient d'en bas et remontaient jusque sous sa maison, il voulait même traverser la route. Mais on a dû l'arrêter, parce qu'on a retrouvé un jour sa femme qui étendait le linge, enterrée jusqu'à la poitrine. Ca s'était effondré! Il avait fait aussi des choses en hauteur avec des personnages montés les uns sur les autres, mais ça c'était du solide! M.Enrico connaissait bien le ciment. Quand il a dû partir, il a tout abandonné, le pauvre, ça a été certainement très dur pour lui. C'est triste à dire, mais je me souviens qu'ils en ont mis du temps pour tout enlever, c'était du béton armé extrêmement dur!"
Jusqu'en 1972, Séraphin Enrico va travailler inlassablement à son jardin, dépensant toute son énergie et tous ses revenus dans sa réalisation. Sans argent, il va continuer ses travaux en fabriquant alors lui-même son ciment avec les pierres de la rivière qu'il réduit en poudre. A 74 ans, il quitte la région contre son gré, pour aller finir ses jours avec sa famille à Divonne-les-Bains dans l'Ain. C'est dans cette nouvelle maison qu'il a réalisé ses dernières sculptures, décidé à recommencer malgré son âge, encore et encore!
Séraphin Enrico meurt en 1989, laissant derrière lui une oeuvre méconnue.
La méconnaissance de cet ensemble unique et son isolement "culturel" ont certainement contribué à sa disparition. Aujourd'hui [en 1995] la municipalité de Saint-Calais semble n'en avoir gardé aucune trace, malgré le reportage télévisé diffusé en 1973 (un documentaire sur la destruction du jardin malheureusement perdu ou égaré). Depuis cette époque, les oeuvres de Séraphin Enrico dorment sous une épaisse couche de terre.
En mai 1995, grâce au témoignage de M.Justin Stern, et grâce à de vieilles photographies conservées par les voisins, nous retrouvons l'emplacement d'une ancienne mare où quelques sculptures ont été enfouies.
La tentation est trop forte! Une fouille est entreprise pour la découverte du travail de Séraphin Enrico et pour le plaisir des yeux. Pendant une dizaine de jours, nous creusons dans l'ancienne mare. Une multitude de fragments sont mis au jour, et à notre grande surprise, peinture et ciment n'ont pas été altérés: écritures et dessins apparaissent comme un livre ouvert dans le sol.
Certaines de ces sculptures devaient atteindre trois mètres de haut et sont recouvertes de petites phrases ou devises italiennes (Il giro del lago; Pane, pace, Amore, Libertà; Santa Maria; Vénus; La luna rossa; Spectaccolo del natura; la petto materne; Pittura Fiorentino; Sono libera!...). La facture et l'originalité des pièces révèlent la grande inventivité de leur auteur: ciments polis, cheveux en mortier colorés, incrustations d'objets, systèmes hydrauliques. Baigneurs, Vénus, madones et créatures aux profils asiatiques vont pouvoir à nouveau contempler le ciel, sous l'aile tendre des "séraphins".
OLIVIER THIEBAUT, 1995."
(Tous les documents ici mis en ligne et confiés à moi en 1995 appartiennent à Olivier Thiébaut)
23/03/2008 | Lien permanent | Commentaires (8)
Bohdan Litnianski revient hanter la Toile
Un monsieur me signale qu'un site internet vient d'ouvrir sur Bohdan Litnianski, disparu en juin 2005 comme on sait, et me demande d'en répercuter l'existence sur ce blog. Très volontiers, cher monsieur. Suivez donc ce lien (je le reproduis aussi dans ma liste en colonne de droite, les "doux liens").
Apparemment ce site émane des éditions Vivement Dimanche, basées à Amiens, qui s'étaient fait connaître en publiant un album de photos sur Litnianski et son environnement de matériaux divers récupérés et agglomérés en murs et en colonnes dans son jardin et pour ses clôtures (il paraît que l'intérieur de sa maison aussi est décoré ; je n'ai pas été invité à la visiter lors de la rencontre que je fis de Litnianski en 1988).
En vagabondant entre ses rubriques, agrémentées essentiellement de photos du site mais aussi d'une biographie fournie, on apprend incidemment que certaines idées seraient "en germe" dans la région et qu'il devrait y avoir bientôt du nouveau. On sait que la propriété est à vendre, son vendeur demandant aux acheteurs qui se présenteraient de respecter le caractère unique du lieu. Et c'est pas les idées qui manquent en matière de désir de sauver les environnements d'autodidactes populaires. Souhaitons donc que ces germes s'enracinent et donnent les plus belles fleurs.
Je renvoie par ailleurs les internautes qui connaîtraient mon blog depuis peu à ce lien qui les ménera aux trois notes où j'ai déjà évoqué le site de Litnianski (selon que l'on écrit son prénomBohdan, Bodhan ou Bodan, on ne tombe pas sur internet sur les mêmes sources d'information). Histoire de souligner à voix basse que les oeuvres de bords de routes sont regardables par tous, et non par un seul (ce que pourrait avoir l'air de suggérer l'établissement d'un site consacré à un environnement d'oeuvres comme celles de Litnianski).
17/01/2010 | Lien permanent | Commentaires (6)
Arthur Vanabelle n'est plus
J'ai appris hier par l'animateur de l'ASMA (association qui voudrait sauvegarder le site) la disparition du faiseur d'avions-girouettes, de tank et de canons anti-aériens de la Base de la Menegatte à Steenwerck dans le Nord le long de l'autoroute Lille-Dunkerque). Des trois frères et soeur (Arthur, César, Agnès) qui gardèrent fidèlement la ferme de la Menegatte après la mort de leurs parents, sans jamais se marier, il ne reste plus désormais que César. Les deux frères étaient récemment partis, fort fatigués, en maison de retraite. La ferme couverte d'avions-girouettes, protégée par des canons faits de matériaux glanés dans la campagne, à la cour envahie par un tank trompe-l'oeil (ce sont des accessoires divers posés à même le sol, pour masquer une fosse à purin, qui font l'illusion d'un vrai char d'assaut), animée par des silhouettes d'officiers de la débâcle de 39-40, qui défila devant la ferme, les Vanabelle étant alors fort jeunes, mais pas oublieux –le souvenir les hanta toute leur vie–, tout cet ensemble va désormais continuer de s'abîmer progressivement, à moins, à moins... Que quoi? Qu'on y crée, comme le voudrait l'ASMA une résidence d'artiste qui permettrait parallèlement de restaurer les artefacts d'Arthur...
Arthur Vanabelle dans sa salle à manger, derrière lui sous le buffet on aperçoit les dessins qu'il produisit durant un bref moment, ph. Bruno Montpied, 2010
La Base de la Menegatte en 1988, au temps de son apogée, dirais-je, ph. BM
Il sera en revanche nettement plus dur de ressusciter le contagieux rire de Vanabelle qui continuait de le secouer jusqu'à ses dernières années. On lui souhaite d'ailleurs d'avoir ainsi fini, dans un grand éclat de rigolade énorme. Je ne peux m'empêcher de penser que ce site d'art brut ou naïf est du reste conçu aux contours de ce rire énorme. Une fois ce dernier disparu, même s'il nous est loisible de l'imaginer encore accroché aux branches des arbres de la Menegatte, tel le sourire du chat de Cheshire de Lewis Carroll, rien ne sera vraiment plus comme avant, et il faudra bien se résoudre à partir chercher la poésie de l'immédiat ailleurs.
05/09/2014 | Lien permanent | Commentaires (5)
Le site de Picassiette vandalisé!
Est-ce un signe des temps obscurs qui approchent, je ne sais, mais comment expliquer cet incroyable fait-divers rapporté par l'Echo Républicain (merci à M. Bézelin qui me l'a communiqué), selon lequel l'œuvre de Raymond Isidore, dit Picassiette, à Chartres, a été vandalisée par un individu qui a sauté les grilles de clôture du site dimanche 26 février, entre 17h et 18h (il a été filmé par des caméras de surveillance). Il s'en serait pris essentiellement – l'article n'est pas très disert sur l'étendue du saccage – à la maquette de la cathédrale de Chartres qui est scellée sur le tombeau dans la Cour Noire, juste après la maison, si je me souviens bien de la disposition des lieux. Il l'aurait brisée en une quarantaine de fragments...
La maquette de la cathédrale de Chartres au-dessus du tombeau, ph. Jérémie Fulleringer, parue dans l'Echo républicain.
Bien sûr, on peut imaginer que le vandale, probablement passablement déséquilibré, qui a commis cet acte aberrant sera retrouvé, puisqu'il a été filmé, et l'on en saura peut-être alors davantage sur ses motivations. S'il ne s'en est pris qu'à la cathédrale en miniature, c'est peut-être déjà une indication.. L'acte a en tout cas quelque chose de particulièrement révoltant lorsqu'on veut bien se rappeler tout ce qu'a pu endurer déjà de son vivant Picassiette lui-même, en butte aux moqueries de toutes sortes de la part de gens à l'entendement limité (pour ne pas dire plus). Et cela nous prouve aussi que le fait de bâtir ou de créer en plein vent des œuvres ou des monuments d'art anticonformiste n'a pas tant que cela le vent en poupe. II y a toujours quelques (?) crétins qui rôdent. Et certains partis politiques aux conceptions culturelles bornées ont peut-être plus d'influence qu'on ne le croit généralement sur ce genre d'excités.
Extrait de Poésie pas morte, 1961.
Les internautes qui en sauraient plus à Chartres même sont priés de nous faire savoir les développements de l'affaire...
03/03/2017 | Lien permanent | Commentaires (3)
Aventures de lignes (4): Caroline Dahyot
Caroline Dahyot
Caroline Dahyot est une charmante artiste qui a créé une maison mirage sur les falaises d’Ault dans la Somme : la Villa Verveine. Elle l’a peinturlurée de haut en bas, dans tous les sens, au point de se mettre un jour à dos la municipalité que ses outrances picturales en plein air révulsaient. A une époque précédente, elle a même été traitée de « sorcière » par des femmes jalouses de sa liberté. Elle peint, elle brode des « tapisseries », elle crée des assemblages de tissus, fils, morceaux de poupée, et autres matériaux, elle dessine sur des draps, elle joue de la musique de temps à autre (elle a participé à un groupe intitulé « Duo des falaises »). On ne devrait pas la pousser beaucoup pour lui faire avouer qu’elle aussi est intéressée par l’art total (c’est pourquoi je lui ai proposé, un jour, de réaliser un dessin en commun sur drap). Lorsqu’elle expose (comme dans les festivals d’Art et Déchirure à Rouen), elle aime constituer des installations regroupant les différentes facettes de son goût pour la création.
Ses œuvres reflètent un besoin vital de construire une sorte de « sagesse » qu’elle bâtit au fil de sa vie et qui a souvent trait à ses rapports amoureux ou familiaux.
(Voir sur Caroline Dahyot, B.M., note du 24-05-2010 dans le Poignard Subtil ; exposée dans "Aventures de lignes", du 22 octobre au 4 décembre à la galerie Amarrage, 88 rue des Rosiers, St-Ouen)
Caroline Dahyot et Bruno Montpied, peinture en commun, Vers la sorcière et l'oiseau-guerrier, acrylique, et broderie, 2011 (ph. B.M. ; exposé à la galerie Amarrage)
L'auteur se cache sous un masque de poupée éclaté... ph.B.M., 2016
26/10/2016 | Lien permanent | Commentaires (6)