08/07/2010
Michel Godin des Mers
Je cherchais à le photographier depuis longtemps ce "Monsieuye X", ainsi nommé dans le livre "Les Jardins de l'art brut" par Marc Décimo, avec son attelage incroyable, fait de vélos accouplés réagencés de façon à pouvoir porter entre autres une voile rectangulaire où l'on peut lire toutes sortes de proclamations dans des lettrages de taille différente.
Place de la Nation, juin 2010, ph. Bruno Montpied des Routes
Je me plaignais à tout un chacun de mon manque de chance, je le rencontrai (deux fois), une fois sans mon appareil photo, rue de Rivoli, et la seconde, sans le reconnaître, son attelage s'étant semble-t-il métamorphosé (replié?), le temps d'une aubade jouée à la flûte (une de ses occupations quand il ne donne pas le spectacle vociférant de sa révolte). Enfin Myriam Peignist vint et me donna le renseignement parfait. L'homme se tenait tous les 14 du mois place de la Nation (sur le terre-plein central) à Paris, ainsi que tous les vendredi soir de 20h à 24h sur le pont reliant l'île de la Cité à l'île St-Louis (pour des concerts de flûte).
Il était bien place de la Nation au rendez-vous fixé, bien en vue devant la statue de la Marianne républicaine, et ce jour-là sans le moindre chaland venu l'écouter ou seulement examiner son étonnant attelage. Ce dernier se compose d'un premier véhicule à quatre roues de vélo, remorquant à sa suite une sorte de berceau lui aussi sur roues, contenant je ne sais quel objet arborescent aux allures cancéreuses, et faisant peut-être office de parabole de l'enfance aux yeux de l'auteur. Celui-ci, qui a pour nom en réalité Michel Godin des Mers (le complément de nom maritime est de son cru, joliment trouvé non?) - ce qui balaie l'insuffisant "Monsieuye X" - se fait en effet une idée plutôt peu ragoûtante de l'enfance, témoin cette pancarte accrochée en tête de son attelage vélocipédique:
Et bizarrement, ses parents, pourtant "traîtres à l'enfant", ce jour-là l'assistaient en silence, se tenant à l'écart comme deux vestales muettes, comme venus veiller sur lui malgré tout... L'allusion au "vol des jardins d'enfant" pouvait être en rapport avec le berceau contenant une espèce de flore pétrifiée proliférante à l'aspect inquiétant en un tel endroit.
Michel Godin des Mers, qui se proclame "acteur, novateur, artisan" et intermittent du spectacle (à prendre aussi dans son sens littéral), en veut à cette société "esclavagiste" qui ne permet pas à tout un chacun de bénéficier d'un logement gratuit. N'a-t-il pas raison? Ce serait évidemment bien mieux si l'on pouvait se loger où bon nous semble sans bourse délier, dans la masure d'un pauvre un matin, dans le palais d'un prince le soir. Il porte ainsi deux casquettes semble-t-il, à la fois bateleur et revendicatif, appelant à une "révolution civile", interpellant les puissants du jour pour leur crier que la démocratie n'existe pas.
Sa "voile", qui est en fait plutôt une série de panneaux montés les uns à côté des autres par-dessus un système de supports comprenant entre autres des lattes, sa voile contient ses principaux thèmes de réclamation, mais il distribue aussi des tracts en agitateur conséquent comme celui ci-dessous où l'on trouve une autre Marseillaise datée de 2006, nous montrant bien chez lui à travers ce détournement une certaine culture de la subversion. Cela peut aussi le ranger parmi les "fous" littéraires contemporains.
Michel Godin des Mers n'est pas loin de se constituer en république autonome par défi peut-être à la république officielle qu'il accuse d'esclavagisme, elle qui a permis qu'il soit "expulsé une dizaine de fois avec destruction d'ouvrages...Grrr" (le "Grrr" est très bien je trouve). Il s'est ainsi créé un logo qui flotte au centre du drapeau qui couronne son attelage, une pomme au centre d'une étoile ceinte de rayons, à traduire nécessairement par "Ma pomme"...
Cet environnement ambulant est un petit pays créatif et revendicatif follement original que j'admire particulièrement. Il faut souhaiter que la maréchaussée et les bien pensants lui flanquent la paix, car ce genre de véhicule totalement à rebours de la vogue m'as-tu-vu de notre époque est bien fait pour soulever l'irritation.
Commentaires
Bruno,
Très sympa cet article! J'espère aussi le rencontrer au hazard de mes balades sur le bitume de Paname. Sinon pour info je te fais un peu de pub sur foutraque.com, c'est en news: http://www.foutraque.com/
Écrit par : pascal julou | 08/07/2010
Répondre à ce commentaireCoucou au Julou du dessus !
Bruno, merci pour cet article, je le croise aussi parfois à Nation quand je sors du RER.
Moi, il m'évoquait aussi Moondog (pour le look d'ermite et la flûte).
As-tu fait un entretien ou un film avec lui ?
Je croise parfois aussi à La Défense (oui, je subis le RER A au quotidien) un homme dans les 70 ans avec des cheveux blancs longs habillé souvent comme une sorte de Cosmonaute Argenté, il a aussi toutes sortes de pancartes à slogans avec lui, parfois en rapport avec l'actualité.
Il ne semble pas faire la manche mais juste "s'exposer" aux voyageurs pour faire passer ses messages.
En as-tu entendu parler ?
Écrit par : Cosmo | 09/07/2010
Répondre à ce commentaireJe ne sais pas si c'est le même gars, mais j'ai vu à deux reprises, sans avoir d'appareil pour le fixer, dans le métro parisien un type qui était couvert de panonceaux qui paraît ressembler à ta description. Si tu le revois, prend-le en photo, envoie-la moi, et nous pourrons relayer sans problèmes les messages du Cosmonaute Argenté (très bon surnom).
Oui, pour Moondog, que je ne connais pas trop bien...
Écrit par : Le sciapode | 10/07/2010
Répondre à ce commentairejoli article, déroutant aussi. Merci pour ton oeil en éveil.
Écrit par : dahyot | 12/07/2010
Répondre à ce commentaireSalut et merci, Pascal de Foutraque (j'aime cet adjectif!), pour ce coup de pub qui me va droit au coeur. En espérant que cela remonte les stats particulièrment déprimées de cet été préférablement passé par mes lecteurs habituels sur les plages et loin des claviers (et cela se comprend certes, autant que mes obsessions!)... Mais quel que soit le nombre des poules, rien ne m'empêche de leur donner du grain (à moudre) tant que l'information est là...
Écrit par : Le sciapode | 19/07/2010
Répondre à ce commentaireOh ! C'est prétentieux. Sauf erreur les photos sont clairement datées dans le livre de Décimo. Et le nom est en fait donné aussi, par 2 fois même, dans le texte, pour qui sait lire. Voilà une drôle de posture de votre part.
Écrit par : Pasteur | 07/04/2011
Répondre à ce commentairePoint de "posture" ici, tout simplement de la désinvolture de ma part. Je n'avais pas relu le texte entier de Décimo quand j'ai fait cette note... Merci de me l'avoir signalé. Effectivement les photos étaient clairement datées de 1998 (je ne le remettais pas en doute du reste). Je ne comprenais pas que le nom n'ait pas été donné nettement (en l'appelant "Monsieuye X") dans le texte de Décimo, c'est tout, puisque le personnage n'en faisait pas mystère, même en 1998.
Écrit par : Le sciapode | 08/04/2011
Répondre à ce commentairePortrait vidéo sur Michel Godin des Mers: l'artisan poète de Paris !
Acteur, ancien mannequin, novateur, bricoleur, autodidacte
Michel veut créer une "place publique" afin d'échanger des idées, des opinions et lancer des discussions parmi le "peuple souverain".
Michel vous donne rendez-vous tous les vendredis de 20h à minuit sur la passerelle Saint-Louis derrière Notre-Dame, et tous les 14 du mois place de la Nation de 16h à 20h.
Voici le lien YOUTUBE: http://www.youtube.com/watch?v=0HXZaJqXHno
Une réalisation de Cédric Barbier
http://www.cedricbarbier.com
http://www.videaste-barbier.com
http://bibix.free.fr
Écrit par : barbier | 22/05/2011
Répondre à ce commentaireMagnifique !
Écrit par : anne-laure | 13/12/2014
Répondre à ce commentaireÉcrire un commentaire