02/11/2013
Monsieur X quelque part à la fin des terres
A Benoît et Darnish qui m'accompagnèrent joyeusement en ce bout des terres
Ce créateur, se définissant volontiers comme « asocial », et non pas « anarchiste », ne veut pas qu’on le nomme ni qu’on le situe sur la carte, même si certains, ayant voulu parler de lui, n’ont pas respecté cette demande (et que donc son nom traîne ici et là).
Monsieur X., ce qui dépasse de la haie côté route... ph. Bruno Montpied, 2013
Ancien marin ayant passablement bourlingué sur les mers (il habite à quelques encablures de falaises surplombant vertigineusement l’océan), ayant également tâté des Beaux-Arts, et parcouru la France dans sa jeunesse pour parfaire son éducation d’artisan tel un compagnon, possédant quelques connaissances en architecture et dans la construction des voiliers, « monsieur X » a créé depuis trente-cinq ans autour de sa petite maison traditionnelle bretonne un ensemble harmonieux et mystérieux de sculptures aux formes recherchées et oniriques, tenant tantôt de l'os, tantôt de l'épine ou bien encore de l'algue.
Original belvédère comme gluant, adhérant à la maison d'habitation, et faisant une transition de l'architecture traditionnelle bretonne à l'inventivité offerte dans le jardin dont il garde un passage, ph. BM, 2013
Monsieur X., vue de la maison en arrière-plan, flanquée d'un belvédère en angle, d'un monument avec une femme nue étendue de tout son long sur une arche, ph. BM, 2013
"Onirique" n’est pas une épithète trop éculée en ce qui le concerne, puisqu’il se revendique d’un certain surréalisme, même si comme il le confie, après être allé rencontrer certains surréalistes historiques à Paris dans les années 50-60, il trouva ce milieu passablement « embourgeoisé ». Il paraît avoir assisté, quelque peu intimidé semble-t-il, à la cérémonie, organisée par Jean Benoît entre autres et immortalisée par les photographies de Gilles Ehrmann, visant à exécuter le testament du Marquis de Sade. S’y sentit-il déplacé ? Il ne le précise pas. Cependant, il se sent proche de ce mouvement. Ses peintures, louchant du côté d’un certain fantastique aux codes surréalistes peut-être un peu trop voyants, en attestent, de même que, peut-être aussi, des écrits qu’il évoqua à mots couverts durant notre bref entretien (on trouve de temps à autre sur les sculptures diverses inscriptions manifestant son goût pour la poésie ; voir ci-dessous la légende "Parfaite en beauté hautaine").
Ph. BM, 2013
Mais ce sont surtout ses sculptures, arachnéennes, effilochées, étonnantes dans leur apparent déséquilibre, comme influencées par un nouvel Art Nouveau n’osant pas dire son nom, qui retiennent l’attention par leur évidente originalité. Les bras de ses statues s’effilent et se transforment en racines comme bouturés directement dans la terre. Un avorton grimpe sur une sphère éclairée la nuit comme un étrange quinquet, enseigne de poète de la fin du monde. Un étrange petit belvédère juché sur une tourelle à l’angle de sa maison comme perpétuellement sur le point de vaciller donne au site un caractère de décor de rêve improbable au milieu de la lande. Une arche supportant une immense femme renversée porte en son extrémité des soufflets qui peuvent jouer des notes de musique si on tire correctement leurs ficelles (voir ci-contre avec Darnish chef d'orchestre), composant une sorte de nouvel orgue d’un autre Capitaine Nemo réfugié dans les terres, survivant, toujours résolument à l’écart d’une société qu’il vomit avec ses valeurs indexées sur le profit, la vanité et la gloire. Le style Art Nouveau de ses œuvres en plein vent faisant penser au décor du Nautilus dont des fragments se seraient perdus dans la lande.
La "sainte" vue par monsieur X., accueillant le mort, ph. BM, 2013
Certes, monsieur X par le style cultivé de ses sculptures tranche avec les environnements populaires que je préfère usuellement. C’est sans compter avec la naïveté de certains de ses personnages, et l’aspect débridé profondément original de l’ensemble, le goût très fort de l'analogie appliquée à la conception de ses sculptures, la grande poésie de l'ensemble. Autodidacte surréalisant, cet ancien marin breton, réfractaire à l’ordre établi, est à la croisée des créateurs purement naïfs ou bruts¹ et des créateurs de décors excentriques primitivistes (comme celui de Robert Tatin par exemple dans la Mayenne, dont on pourrait facilement rapprocher sociologiquement monsieur X).
Monogramme de Monsieur X. sur le mur de sa maison, ph. BM, 2013
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¹ A noter que monsieur X, durant notre entretien avec lui, tint à se distinguer nettement de l'art brut auquel il ne pense pas devoir être rattaché.
Merci à Benoît Jaïn, à Alain Nempont et enfin à Thérèse Barbier qui tous successivement, à différentes époques, m'ont envoyé des photos pour me signaler ce site qui se veut pourtant discret...
12:05 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : finistère, art nouveau, capitaine nemo, nautilus, autodidacte surréaliste, poésie, bretagne insolite, benoît jaïn, darnish | Imprimer
Commentaires
Une révélation. On aimerait voir d'autres photos de ce site d'un onirisme architectural époustouflant, dû à un créateur d'une remarquable inventivité, où s'exprime une totale liberté des formes. Qu'il ne se réclame pas de l'art brut est marque d'honnêteté, une honnêteté à opposer aux pseudo-bruts qui semblent proliférer en ce moment un peu partout dans les marigots d'un art contemporain soucieux de recharger ses batteries depuis longtemps à plat. Cela montre aussi que l'origine socio-culturelle des artistes importe peu, et que ce qui compte, en dernière instance, c'est toujours la puissance poétique de l'œuvre accomplie, avec passion et ténacité, dans le silence et le retrait, à l'écart des modes et des médias.
Écrit par : L'aigre de mots | 02/11/2013
Répondre à ce commentaireJe ne suis pas sûr que l'origine socio-culturelle ne compte pas, comme vous le pensez, car elle conditionne à mon avis (surtout la formation culturelle), pour une bonne partie, le style et les contenus. Par contre, je pense que dans les meilleures des réalisations plus cultivées, comme dans les œuvres plus "immédiates" et ingénues, directes, on rencontre de la poésie en doses aussi fortes. Le chemin pour y parvenir est varié voilà tout.
Par goût, j'ai privilégié -j'en suis même en définitive complètement intoxiqué (mais c'est un bon stupéfiant)- l'expression naïve et brute au fil des années. Le site de monsieur X. est un cas-limite, à la croisée des chemins, intéressant en cela aussi. Il pourrait figurer dans un inventaire des sites populaires comme cas-limite, chargé d'éprouver les frontières du corpus...
Écrit par : Le Sciapode | 30/05/2014
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