30/12/2024
Des Zoulous et de la céramique, une rencontre inattendue
Les découvertes prennent place au hasard des balades dans les rues. Cette fois, cela s'est passé un jour de haute solitude comme j'en ai le secret. Je baguenaudais autour de la rue de Richelieu, et venais de rejoindre la rue Sainte-Anne, aux restaurants japonais et coréens que j'ai toujours envie d'essayer les uns après les autres, tant ils sont promesses de délices gustatifs. Et, je tombai plutôt ce jour-là sur des céramiques qui s'exhibaient derrière la vitrine d'une boutique d'orfèvrerie et d'argenterie, s'intitulant "Galerie" (...Isabelle Turquin), et qui avait été autrefois, apparemment, une pharmacie, puisque l'enseigne en lettres dorées existait toujours. Une affiche subsistait sur la porte d'entrée, annonçant une exposition qui s'était achevée début novembre, de "céramiques zouloues", en provenance d'un Atelier Ardmore sur lequel on ne pouvait recueillir la moindre précision supplémentaire (pour en savoir un peu plus, il faut aller sur le site web de ladite galerie).
Photo Bruno Montpied, 2024.
Les deux zèbres aux étranges couvre-chefs, ressemblant à des crabes, me frappèrent tout de suite. Et mes yeux éberlués dérivèrent alors, comme sujets à une aimantation, vers de non moins étranges pièces de vaisselle, brocs et vases, plats et pots, théières et soupières, saladier... aux rutilantes couleurs, et surtout "criblées", surmontées, d'animaux fort réalistement sculptés et peints, gambadant à leurs pourtours, en cabrioles parfois, recroquevillés en anses, tels les animaux de Barnard Palissy à la Renaissance qui, dans ses très rares plats de terre vernissée retrouvés, dont se sont inspirés nombre de suiveurs du XVIIe au XIXe siècle (tels qu'on en voit par exemple au Musée Dupuy-Mestreau, à Saintes, ville où vécut Palissy ; voir ci-contre un plat photographié par moi audit Musée), n'hésitait pas à en faire surgir plantes et animaux en relief.
On appela ces créations de céramique des "rustiques figulines".
Un broc en céramique zouloue derrière la vitrine de la galerie Isabelle Turquin, dont l'anse est formée d'un singe ; ph. B.M.., 2024.
Une soupière chevauchée par des éléphants que l'on imagine facilement en train de gazouiller... ; ph.B.M., 2024.
Il y a quelque chose des prémices de l'Art Nouveau dans ce baroquisme-là. Les céramiques zouloues, venues d'un atelier d'Afrique du Sud, participent à mon sens de cette "rusticité"-là. Il y a quelque chose aussi du surréalisme et de son rapport aux objets devenus "à fonctionnement symbolique" durant les années 1930, dans cette utilisation d'effigies d'animaux africains, acrobatiquement assemblés et fusionnant comme autant d'éléments esthétiques libérés de leurs représentations habituelles, manipulés avec une grande souplesse, loin de tout réalisme en dépit de leur apparence de détail. On peut détailler le catalogue de cette exposition passée de la galerie de la rue Sainte-Anne (qui doit pouvoir montrer encore sur rendez-vous diverses pièces de cette céramique fort originale) en cliquant sur le lien des céramiques zouloues que j'ai placé plus haut dans cette note. Il mène directement au catalogue en pdf. Allez, je suis pas chien, je vous le remets ici aussi.
Soupière aux panthères et théière avec gazelles; ph. B.M., 2024
Saladier cerné de singes ; ph. B.M., 2024.
22:43 Publié dans Art immédiat, Art insolite, Art visionnaire, L'oeil du Sciapode, Paris populaire ou insolite, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : céramiques zouloues, atelier ardmore, céramique en afrique du sud, galerie isabelle turquin, rue sainte-anne, bernard palissy, art nouveau, rustiques figulines, surréalisme, objets détournés | Imprimer
02/11/2013
Monsieur X quelque part à la fin des terres
A Benoît et Darnish qui m'accompagnèrent joyeusement en ce bout des terres
Ce créateur, se définissant volontiers comme « asocial », et non pas « anarchiste », ne veut pas qu’on le nomme ni qu’on le situe sur la carte, même si certains, ayant voulu parler de lui, n’ont pas respecté cette demande (et que donc son nom traîne ici et là).
Monsieur X., ce qui dépasse de la haie côté route... ph. Bruno Montpied, 2013
Ancien marin ayant passablement bourlingué sur les mers (il habite à quelques encablures de falaises surplombant vertigineusement l’océan), ayant également tâté des Beaux-Arts, et parcouru la France dans sa jeunesse pour parfaire son éducation d’artisan tel un compagnon, possédant quelques connaissances en architecture et dans la construction des voiliers, « monsieur X » a créé depuis trente-cinq ans autour de sa petite maison traditionnelle bretonne un ensemble harmonieux et mystérieux de sculptures aux formes recherchées et oniriques, tenant tantôt de l'os, tantôt de l'épine ou bien encore de l'algue.
Original belvédère comme gluant, adhérant à la maison d'habitation, et faisant une transition de l'architecture traditionnelle bretonne à l'inventivité offerte dans le jardin dont il garde un passage, ph. BM, 2013
Monsieur X., vue de la maison en arrière-plan, flanquée d'un belvédère en angle, d'un monument avec une femme nue étendue de tout son long sur une arche, ph. BM, 2013
"Onirique" n’est pas une épithète trop éculée en ce qui le concerne, puisqu’il se revendique d’un certain surréalisme, même si comme il le confie, après être allé rencontrer certains surréalistes historiques à Paris dans les années 50-60, il trouva ce milieu passablement « embourgeoisé ». Il paraît avoir assisté, quelque peu intimidé semble-t-il, à la cérémonie, organisée par Jean Benoît entre autres et immortalisée par les photographies de Gilles Ehrmann, visant à exécuter le testament du Marquis de Sade. S’y sentit-il déplacé ? Il ne le précise pas. Cependant, il se sent proche de ce mouvement. Ses peintures, louchant du côté d’un certain fantastique aux codes surréalistes peut-être un peu trop voyants, en attestent, de même que, peut-être aussi, des écrits qu’il évoqua à mots couverts durant notre bref entretien (on trouve de temps à autre sur les sculptures diverses inscriptions manifestant son goût pour la poésie ; voir ci-dessous la légende "Parfaite en beauté hautaine").
Ph. BM, 2013
Mais ce sont surtout ses sculptures, arachnéennes, effilochées, étonnantes dans leur apparent déséquilibre, comme influencées par un nouvel Art Nouveau n’osant pas dire son nom, qui retiennent l’attention par leur évidente originalité. Les bras de ses statues s’effilent et se transforment en racines comme bouturés directement dans la terre. Un avorton grimpe sur une sphère éclairée la nuit comme un étrange quinquet, enseigne de poète de la fin du monde. Un étrange petit belvédère juché sur une tourelle à l’angle de sa maison comme perpétuellement sur le point de vaciller donne au site un caractère de décor de rêve improbable au milieu de la lande. Une arche supportant une immense femme renversée porte en son extrémité des soufflets qui peuvent jouer des notes de musique si on tire correctement leurs ficelles (voir ci-contre avec Darnish chef d'orchestre), composant une sorte de nouvel orgue d’un autre Capitaine Nemo réfugié dans les terres, survivant, toujours résolument à l’écart d’une société qu’il vomit avec ses valeurs indexées sur le profit, la vanité et la gloire. Le style Art Nouveau de ses œuvres en plein vent faisant penser au décor du Nautilus dont des fragments se seraient perdus dans la lande.
La "sainte" vue par monsieur X., accueillant le mort, ph. BM, 2013
Certes, monsieur X par le style cultivé de ses sculptures tranche avec les environnements populaires que je préfère usuellement. C’est sans compter avec la naïveté de certains de ses personnages, et l’aspect débridé profondément original de l’ensemble, le goût très fort de l'analogie appliquée à la conception de ses sculptures, la grande poésie de l'ensemble. Autodidacte surréalisant, cet ancien marin breton, réfractaire à l’ordre établi, est à la croisée des créateurs purement naïfs ou bruts¹ et des créateurs de décors excentriques primitivistes (comme celui de Robert Tatin par exemple dans la Mayenne, dont on pourrait facilement rapprocher sociologiquement monsieur X).
Monogramme de Monsieur X. sur le mur de sa maison, ph. BM, 2013
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¹ A noter que monsieur X, durant notre entretien avec lui, tint à se distinguer nettement de l'art brut auquel il ne pense pas devoir être rattaché.
Merci à Benoît Jaïn, à Alain Nempont et enfin à Thérèse Barbier qui tous successivement, à différentes époques, m'ont envoyé des photos pour me signaler ce site qui se veut pourtant discret...
12:05 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art singulier, Environnements populaires spontanés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : finistère, art nouveau, capitaine nemo, nautilus, autodidacte surréaliste, poésie, bretagne insolite, benoît jaïn, darnish | Imprimer