08/08/2015
Lutte pour une dague subtile, une nuit de sabbat?
F.Picot, sans titre, 1887
Dans une brocante récemment fréquentée je suis tombé sur cette peinture intrigante, comme une jeune sorcière en transe s'évaporant vers la nuit qui la cernait de toutes parts... Etrange scène, non? Où cela se passait-il? Dans quel caveau, dans quelle geôle, car l'on voyait des dalles au bas de la composition... Ou une nuit de sabbat? Et cette seconde femme (ou homme?) au visage déterminé, presque inquiétant (cheveux longs, habillée d'une robe brune immense, comme trop grande pour elle, traînant à terre), derrière la silhouette sur le point de s'évanouir, oubliant tout ce qui se passe autour d'elle, appuyée sur un immense balai (d'où l'hypothèse d'une sorcière...)? Cette seconde femme brune (homme?) surgit en catimini, la main gauche descendant vers la dague cachée sous le bas de la jambe gauche, ou dévoilant ce poignard seulement en finissant de relever la robe de la jeune sorcière au poitrail déjà dénudé (est-ce la même femme brune qui l'aura dépoitraillée à la minute précédente?), d'un geste qui veut dénoncer le perfide coutelas... Mais dénoncer à qui? Au public peut-être qui regarde la scène au théâtre? Car on pense à un épisode de pièce de théâtre, une histoire un peu érotico-frénétique, traitée ici par un quelconque peintre du XXe siècle imitant un peintre pompier fin XIXe (le panneau cartonné, peut-être entoilé, de facture trop récente pour être du XIXe, est signé "F.Picot, 1887"), pourquoi pas un illustrateur féru de "fantasy" type Frazetta, comme me l'a suggéré un ami peintre, Guy Girard (on aurait ainsi affaire à une fausse peinture XIXe -le sujet, la licence qu'elle manifeste, la technique trahissent un peintre du XXe siècle selon Guy- créée par un illustrateur amateur de supercherie...)?
J'ai parlé de la main gauche de la femme (ou de l'homme) placée derrière la "sorcière" en extase, et qui relève la jupe pour dévoiler le coutelas, mais que dire de sa main droite qui, de l'autre côté du corps de la femme nue, juste sous le téton discrètement caché derrière l'immense manche à balai (dessiné maladroitement, il fait un coude au niveau du sol comme si son axe avait été subitement déplacé ; d'autres maladresses se laissent voir, la longueur du buste de la femme nue par exemple), entre sous la jupe retroussée pour aller probablement dans le giron de cette femme dénudée, comme pour une caresse intime et intrusive....? C'est cette dimension leste de l'image qui fait penser à une conception très contemporaine proche de l'illustration fantastique, il semble bien qu'on doive donner à Guy Girard quitus pour son hypothèse.
Si cela vous dit quelque chose, ne vous gênez pas, donnez-nous quelques éclaircissements, ou obscurcissements, à votre préférence...
00:45 Publié dans Art insolite, Délires d'interprétation, Lecture d'images | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : f.picot, art magique, sorcière, dague, théâtre élisabétain, transe, dénudation, érotisme, sabbat, peinture fin xixe siècle, frénétiques | Imprimer
Commentaires
Je le reconnais : j’aime volontiers à me passer des hommes. Mes semblables – mes seules, mes uniques semblables, celles que l’on dit appartenir au sexe faible – ont mes préférences à l’heure des flamboiements de la chair. Je tolère néanmoins la compagnie des fils d’Adam lorsqu’ils sont susceptibles de m’aider à pénétrer la réalité de mon destin. Attachés pieds et poings liés à une chaise ou à une souche d’arbre, la bouche fermement close par un bâillon afin de ne pas souiller mes actes des vomissures de leur esprit, ils peuvent en quelque sorte magnifier, de par leur présence muette, l’éclat de mes pérégrinations fantasques.
Un soir de mai 18**, j’avais choisi pour mes frasques le décor d’un ancien théâtre oublié de tous - une petite salle située dans un hôtel de l’île Saint-Louis. Une scène à peine plus grande que le cabinet d’un écrivain public, une vingtaine de sièges passablement fatigués ; le Prince de ***, jeune carcasse sans âme, était soudé à son fauteuil par une multitude de faveurs vieux rose et blanc d’ivoire. Ses yeux s’écarquillaient devant mes évolutions savantes.
Je suis entrée à demi nue, chevauchant un balai, vêtue d’un carré de velours qui ne cachait pas grand chose et d’une paire de bas que j’avais choisis salis et lâches ; à ma cuisse gauche j’avais accroché la dague qui me servirait plus tard à trancher les liens de ce misérable, à moins que ce ne fût sa gorge ; et je caracolai joyeusement sur mon destrier rigide et luisant.
Je ne crois pas en Dieu : c’est le moindre de mes défauts. Je ne crois pas plus à l’existence de ce bouc aviné que l’on nomme le Diable et qui n’en est que la pâle antithèse. Le déguisement de sorcière a néanmoins ceci d’avantageux qu’il peut aider à délier les régions délicates et sensibles qui président à la folie des sens, tout autant que celles qui gouvernent nos idées.
Déjà, je distinguais une aimable saillie obombrer l’entrejambe de ce jeune présomptueux qui m’avait gargarisée, lors d’une interminable promenade en calèche, de ses propos libertins (avez-vous remarqué que ce qu’il leur plaît d’appeler libre pensée n’est le plus souvent que la puérile inversion des croyances qu’ils font mine de rejeter ?). Ce jeune homme aspirait au Mal : en m’abordant quelques heures plus tôt sous les arcades du Palais-Royal, il avait frappé sans le savoir à la bonne porte.
Après avoir abondamment caracolé sur mon balai, je saisis ma dague, m’approchai du petit Marquis et tranchai l’étoffe de son entrejambe, libérant l’animal qui se dressa aussitôt, magnanime, dans toute sa fureur aveugle. Je dégageai adroitement ses deux fidèles compagnons et, du bout de mon bâton, adoubai prestement ce chevalier en heurtant délicatement chacune de ses couilles. Rengainant mon arme, je refis quelques tours de piste en chantant et en crachant (il est si agréable de cracher, en particulier sur les visages que toute tenue a désertés).
C’est à ce moment que j’entendis la porte s’ouvrir : bien que la nuit fût avancée, je distinguai, à la lueur de la lune, une femme assez grasse, aux cheveux plus morts que les crins de mon balai, à la robe d’un brun très sombre. J’appelai mes gens : personne ne vint.
J’avoue que je n’en menais pas large. En trois bonds, cette mégère fut sur scène ; c’est alors que je la reconnus. Il s’agissait d’Albert, mon aide de camp, qui se retournait soudain contre sa maîtresse. Sa perruque glissa ; il suait abondamment (je crois même qu’il sentait le porc) et sa robe n’était autre que la bure d’un moine, mais une bure assombrie de taches. Déjà l’homme m’avait ceinturée et d’une main preste essayait de saisir mon arme.
Sur son siège, le Marquis tressautait, et il m’eût été impossible de dire si l’évolution de la situation l’attristait ou lui donnait de la joie ; il émettait des sortes de grognements qui devaient se mêler de curieuse façon aux halètements de mon assaillant et à mes propres cris. Le plus étrange de l’épisode était sans doute que personne n’avait prononcé une parole : si l’on exceptait nos halètements et autres borborygmes, la scène aurait tout aussi bien pu n’être qu’une toile peinte par je ne sais quel artiste dévoyé dont la production aurait été destinée à l’amusement solitaire d’un amateur vieillissant.
Je croyais ma dernière heure arrivée : mon déguisement me sauva la vie. Je me tordis entre les bras de mon assaillant, telle une flamme vive ; l’étoffe qui ceignait mes reins glissa ; portant ma jambe gauche en avant, je me retournai et heurtai le visage exécré du bout de mon balai, qui s’enfonça sans difficulté dans l’une de ses orbites ; au même moment, je saisissais mon arme et la plongeais à plusieurs reprises dans le corps du misérable.
J’étais nue, arcboutée sur l’homme : au moment où il exhalait son dernier soupir, je reçus une pluie à la fois chaude et subtile – suavement odoriférante - sur le visage : le Marquis de *** venait d’avouer, à son corps défendant, le plaisir qu’il avait eu à dévisager la scène.
Assurément, je venais de trouver l’allié idéal : je libérai le Marquis, qui m’aida à me débarrasser du cadavre et me promit de me fournir d’autres accessoires pour mes prochaines folies. Une période riche en couleurs s’ouvrait devant moi.
("Jeune sorcière assaillie par un homme déguisé en femme", commentaire par Jacques Burtin)
Écrit par : Jacques Burtin | 12/08/2015
Répondre à ce commentaireExcellent, cher Jacques Burtin. Régalez-nous d'autres nouvelles de la même veine, et aussi bellement écrites.
Écrit par : L'aigre de mots | 12/08/2015
Répondre à ce commentaireMerci, cher L'Aigre de Mots. Les encouragements sont toujours précieux.
Écrit par : Jacques Burtin | 13/08/2015
Quelle belle Sauce!! (comprend qui peu).
Écrit par : Isabelle Molitor | 13/08/2015
Répondre à ce commentaireMme Molitor... Vos clins d'oeil à comprend qui peut sont par trop ésotériques. Soyez plus claire ou adressez vos échanges codés directement aux intéressés.
Écrit par : Le sciapode | 13/08/2015
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