05/07/2016
La vie dans un tonneau
J'aime bien ce conte du tonneau magique que racontait à l'occasion ce grand diseur qu'est Michel Hindenoch. Lorsqu'on laissait tomber quelque objet que ce soit à l'intérieur, cette chose s'y multipliait jusqu'à ras bord pour le bonheur, ou le malheur, de celui qui l'y avait jeté...
Ici, essayons plutôt le bonheur (quoique... Voir Garou plus bas...).
Joseph "Pépé" Vignes, sans titre, crayons de couleur et graphite sur papier, 24 x 32 cm, 1976, coll. et ph. Bruno Montpied
J'ai mis en ligne, je crois, au moins une fois déjà, ce dessin aux crayons de couleur de Pépé Vignes montrant un tonneau figuré à la fois de face et de profil, ressemblant à un chalet suisse. Tonneau (foudre plutôt) qui repose sur un accordéon, comme me l'a signalé autrefois monsieur de Belvert à la suite de ma première note sur ce dessin.
Cette rencontre de piano à bretelles avec un tonneau résume en grande partie la vie de l'auteur du dessin, Pépé Vignes, que l'on n'a pas oublié dans sa bonne ville d'Elne (Catalogne française) puisqu'une rue porte son nom, comme nous l'a signalé naguère un commentateur de la note citée ci-dessus signant "Illibérien" (habitant d'Elne ; voir sa photo ci-contre). Joseph Vignes, fils et frère de tonneliers, lorsqu'il était enfant, dormait, contraint et forcé, dans un des tonneaux de l'entreprise familiale. Et l'accordéon était l'instrument favori de Vignes, dont il jouait pour animer nombre de fêtes et de bals dans sa région, en dépit des imbéciles qui se moquaient de lui en raison de sa simplicité ("Illibérien" - qui signe aussi, dans les courriels que j'ai échangés avec lui, "Jean de la Lune" - dit qu'il était "retardé ; un Espagnol aurait dit qu'il lui manquait un quart d'heure..."). Photo ci-contre: Pépé Vignes par Mario Del Curto (très myope, Vignes dessinait au ras de sa feuille... Peut-on être plus immédiat que cela en matière de dessin?
Voici quelques souvenirs de Jean de la Lune, l'Illibérien qui connut Pépé Vignes en 1960 (Vignes avait alors 40 ans, et notre Illibérien en avait 16):
"Je vais vous dire qui était Pépé. Fils de tonneliers auvergnats installés à Elne, avenue du Général de Gaulle, Jo est le mal-aimé de la famille. Il n'a pas toute sa tête, il ne fait rien, ne sert à rien (c’est un peu un être inutile). Les Vignes, c'est une famille nombreuse. Ils vivent non pas dans une maison, mais dans une sorte de hangar qui fonctionne comme un tout, atelier ou maison. Le papa tient la tonnellerie avec un des fils. Il y aussi deux filles. Jo est l'aîné, il est né en 1920 − lorsque j'ai bien connu Jo, j'étais adolescent − lui avait 40 ans et moi 16 [nous sommes alors, donc, en 1960]. Dans tous les bals où Jo allait, il y avait ces imbéciles qui lui empoisonnaient la vie − lui ne disait jamais rien, il était gentil. Des fois, il venait au bal avec son accordéon et en bon fils d 'Auvergnat, il aimait la bourrée. Les malfaisants lui faisaient jouer de l'accordéon et danser la bourrée à n'en plus finir. Mais comprenez qu'à la fin, ça devenait lassant de se retrouver avec la même bande de lourdauds qui empoisonnaient ce brave garçon. Pour ce qui est du tonneau dans la cour − je revois leur image encore en vous écrivant (c'est le chemin de l'école, je les voyais quatre fois par jour) − il y avait cinq ou six énormes tonneaux −des foudres énormes− et dans l'un d’eux, Jo dormait. C'était sa chambre à coucher ! Hiver comme été ce brave Jo dormait là ! Vous comprendrez maintenant que le dessin de son chalet prenne la forme d'un tonneau." (Jean de la Lune)
Cela m'est revenu lorsque j'ai eu envie de rassembler pour les besoins de la note présente quelques images ayant pour point commun le tonneau vu comme un habitat (si l'on peut dire cela pour le cas qui suit immédiatement).
La seconde occurrence où figure un tonneau, elle aussi a déjà fait l'objet d'une note précédemment. Mais, dans une autre note qui se veut rassemblement et anthologie d'habitats-tonneaux, cela prend un sens élargi.
Tombe de Léonce Chabernaud, Rochechouart, photo (carte postale) Jacques Thibault
Pour ceux qui n'auraient pas lu les commentaires croisés de "l'Aigre de mots" et de "Pierre-Jean", publiés à la suite de la note donnée en lien ci-dessus, cette tombe représente le wagon-foudre d'un négociant en vins, anticlérical au point d'avoir voulu se faire enterrer sous un symbole qui moquerait les bigots de tous poils dans sa région et au-delà. Et il faut dire que cette sépulture de ce point de vue ne manqua pas sa cible... De plus, elle appelle par analogie d'autres coutumes funéraires pratiquées dans des cultures a priori bien éloignées des nôtres, comme cette coutume au Ghana dans l'ethnie Ga qui consiste à fabriquer des cercueils en forme d'objets ou d'animaux ayant eu un rapport avec la vie du défunt. J'en ai également déjà parlé.
Extrait de Massif Central magazine, années 1990
Revenons à nos tonneaux, cela dit. Non loin de l'Auvergne, dans le Velay, au sein d'une forêt entourant le magique lac du Bouchet, cachant la bouche d'un volcan, vivait autrefois un certain Pierre Brun, dit communément "Garou", homme à tout faire dans cette campagne du Bouchet-Saint-Nicolas. Pauvre d'entre les pauvres, il habitait un tonneau transformé en abri, avec un toit de zinc, une porte et une fenêtre, foudre de "500 hectolitres" que lui avait cédé par troc son marchand de vins favori du Bouchet. Il y survivait tant bien que mal, creusant les trous des morts au cimetière communal, éclusant pas mal de chopines. Il habitait ainsi le logement idoine, étant donné son occupation favorite... Un hasard pathétique voulut qu'en 1971, il termine sa vie en se noyant dans le lac voisin, buvant plus d'eau qu'il n'en avait jamais absorbé sa vie durant. S'il a disparu, il semble bien qu'en revanche son foudre soit toujours debout, abri de fortune pour les promeneurs de passage.
L'abri de Garou, encore debout dans les années 1990... Photo Luc Olivier, Massif Central magazine
L'idée d'un habitat conçu à partir d'un tonneau, même si elle renvoie souvent au mythe du célèbre Diogène, n'a pas eu à ma connaissance (qui reste tout de même fort limitée en ce domaine) d'applications nombreuses à notre époque si l'on excepte des applications d'ordre publicitaire. Voici deux exemples au moins, relevés en France. L'un, repéré en 2010 à Batz-sur-Mer, montre un stand de vente de vins de Bordeaux, logiquement installé dans un foudre.
Batz-sur-Mer, ph. Bruno Montpied, 2010
Le second a été rencontré ces jours-ci par notre correspondant spécial à Clermont-Ferrand, Régis Gayraud, sur la place de Jaude. Là encore, on a affaire à un marchand de vins, mais cette fois son stand est à "roulettes".
Cette camionnette originale est un vestige de la caravane publicitaire du Tour de France 1952, ph. Régis Gayraud, 2016
Voici la camionnette originale parée aux couleurs de Byrrh...
Alors, certes, certains esprits chagrins pourraient nous rétorquer que ce ne sont là que constructions au service du commerce, mais nous pourrons toujours leur répondre qu'en dépit de cela, continue de passer un message poétique, exploité à des fins de négoce bien sûr, mais toujours présent, concrètement prouvé.
08:50 Publié dans Architecture insolite, Art Brut, Art immédiat, Art populaire anti-religieux, Confrontations, Danse macabre, art et coutumes funéraires, Le conte en rapport avec d'autres expressions, Photographie, Véhicules créatifs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : tonneaux, habitats dans des tonneaux, architecture insolite, abris insolites, foudre, tonnellerie, joseph pépé vignes, art brut, rue pépé vignes, accordéon, illibérien, elne, garou, lac du bouchet, pierre brun, régis gayraud, véhicules insolites, habitat alternatif | Imprimer
Commentaires
Le tonneau, mépriser la richesse, rechercher la liberté, un certain refus de l'humanité et de ses conventions sociales.....l'héritage de Diogène le"cynique", se porte parfois bien, souvent mal, souvent avec humour.
Écrit par : Carcaly | 05/07/2016
Répondre à ce commentaireJ'imagine les gendarmes qui pratiquent un contrôle d’alcoolémie et qui voient arriver cette camionnette, le chauffeur l'air digne et innocent...
Écrit par : Darnish | 05/07/2016
Répondre à ce commentaireCher Sciapode,
Enfant, je me souviens bien de ces camions publicitaires qui connaissaient leurs mois de gloire pendant l’été, d’abord au sein de la caravane du Tour de France en juillet, puis s’égayant sur les plages et dans tous les lieux touristiques de France au cours du mois d’août. Entre 1962 et 1964, l’été, à Fort-Mahon-Plage, je me souviens ainsi, furtivement, comme dans un rêve, du camion bouteille de gaz de chez Butagaz-Primagaz, une énorme bouteille de gaz sur roues qui accompagnait les errances de Pierre Bonte, dont l’émission « Bonjour Monsieur le Maire! », chaque matin que faisait le Diable, s’ouvrait par une scie publicitaire répétant à l’envi les noms de ces marques de gaz liquéfiés bien emblématiques d’une époque qui s’équipait dans le précaire. Pendant toute ma scolarité élémentaire au moins, je me suis réveillé chaque matin au son de cette musique provenant de l’autre côté de la cloison d’Isorel qui séparait en deux le bouge familial, et chaque matin, je passais quelques délicieuses minutes à écouter Pierre Bonte rencontrer des édiles de villages perdus présenter quelques personnalités loufoques qui construisaient peu à peu la géographie imaginaire qui présiderait plus tard à mes propres errances. Or, un jour à Fort-Mahon, le merveilleux camion bouteille de gaz passa et imprima un sceau d’un bleu électrique sur le fond de dunes jaunâtres qui, toujours, restera associé pour moi à cette bourgade plate et triste de mes vacances enfantines. Que faisait-il à Fort-Mahon, Pierre Bonte y marqua-t-il une étape? Un autre jour, à Fort-Mahon, li y eut encore le grand équipage des Vins du Postillon, et le postillon lui-même, fouet à la main, chapeau haut-de-forme, chausses et gants blancs, et ses immenses chevaux bais. Cette camionnette-tonneau des vins d’Auvergne Rougeyron est-elle passée par Fort-Mahon? Pourquoi m’a-t-elle parue si familière, quand je l’ai vue, samedi dernier, place de Jaude? D’autres camions tonneaux, carrossés sur base de Renault Voltigeur ou Goélette, sillonnaient bien la France pendant les années cinquante et au début des années soixante. La société Byrrh en exploitait une flotte (si je puis dire) qu’elle déployait dans les campagnes pour écouler son vin doux dont le nom s’étalait en publicités peintes sur les murs de la moindre masure de bord de route. Une photo que je vous envoie par ailleurs montre quelques-uns de ces camions prêts à s’élancer, garés devant les établissements Byrrh.
Il y avait des camions boîte de cirage ; des camions pichets d’eau faisaient la réclame pour l’apéritif Berger; il y avait même le camion-bateau, le plus curieux de tous peut-être pour un enfant de quatre ans. Et dans Paris, il y avait les multiples camionnettes porte-vitres, les porte-tuyaux aux étranges cabines minces et asymétriques, les porte-matelas, les longs fardiers transporteurs de rouleaux de papiers pour la presse, et puis les tracteurs FAR à trois roues du Service national des messageries qui semaient la terreur dans le quartier de la gare de l’Est, et encore le grand camion Citroën d’avant-guerre du livreur de blocs de glace, dégoulinant d’eau, qui livrait sa précieuse cargaison aux épiciers non encore pourvus, en ce temps-là, de réfrigérateurs.
Le tonneau occupe pourtant une place à part. Ce petit camion tonneau attire une indéniable sympathie. Rien d’inquiétant en lui, bien au contraire. Il rappelle le tonnelet salvateur du saint-bernard, cet ami qui nous incite à nous perdre en montagne, et réunit en lui les délices des fontaines de vin (telle cette fontaine-tonneau de Combronde, Puy-de-Dôme, qui dit-on, pissait du vin les jours de fête), la virtualité d’un Diogène errant (comme un rêve de traveller alcoolique), ou bien encore le tour de force du monstrueux tonneau de Durkheim en Allemagne, construit en plusieurs années par un tonnelier excentrique à la gloire du vin de son pays. ô tonneaux, ô cerceaux! Nous tournons dans vos cercles et le feu nous consume, c’est le feu de joie des souvenirs, des jeux d’enfants et des libations des temps passés évanouis.
Écrit par : Régis Gayraud | 05/07/2016
Répondre à ce commentaireEt Yvette Horner assise sur le toit de sa traction Citroën, vous vous en souvenez ? Elle était juste derrière le camion-tonneau Byrrh mais devant le camion pichet d'eau Berger. Certaines années elle défilait sous les couleurs de Suze, la couleur même du vainqueur, mais le plus souvent c'était sous ses propres couleurs: elle était elle-même devenue une marque.
http://www.la-traction-universelle.org/RETROMOBILE_111___3.html
Écrit par : Zebulon | 07/07/2016
Ah, Zébulon, vous allez plus vite que moi, je méditais justement de vous mettre en ligne la photo de la dite Yvette, que j'ai découverte grâce à l'ami Régis qui lui aussi utilise internet comme nous tous ici. Et cette Yvette juchée au sommet de sa voiture pendant les Tours de France, ça m'a fait penser à Marcel Landreau, le caillouteux de Mantes-la-Ville qui l'avait représentée en amalgame de silex, comme toutes les autres statues qu'il avait installées dans son jardin (voir le film en Super 8 de mézigue qui est dans les bonus du film "Bricoleurs de Paradis"), précisément juchée là aussi au sommet d'un manège. Cette situation "couronnante", il est probable que nombre d'aficionados de la rouquine (?) accordéoniste se la représentait dès sa première évocation, à cause du, ou grâce au, Tour de France...
Écrit par : Le sciapode | 07/07/2016
BoNjOuR !
Sauf erreur, le camion tonneau, rouge vif, arborait la marque Byrrh, célèbre Vermouth vranzais (gogorigo).
ArRoUaRe !
Karl-Groucho D.
Écrit par : Karl-Groucho D. | 06/07/2016
Répondre à ce commentaireSi Karl-Groucho D. , que nous pensions mort, lisait les commentaires, il verrait qu’on parle de ces camions Byrrh juste au-dessus.
Écrit par : Atarte | 06/07/2016
Répondre à ce commentaireÉcrire un commentaire