24/08/2016
Youen Durand et ses tableaux de coquillages à Lesconil, plus que quelques jours...
Le temps file, c'est terrible, plus que quelques jours, cela s'arrête le 4 septembre au Temple des Arts à Lesconil-Plobannalec, près de Concarneau.
Ils ont monté là-bas une grande exposition sur un des héros de la région, qui créa de magnifiques tableaux en mosaïque de coquillages (pesant parfois plus de 20 kg) dont le rendu n'a rien à voir avec la recherche de clinquant d'un Paul Amar, autre spécialiste de l'assemblage (plus arcimboldesque) de coquillages, puisque Youen Durand cherchait avant tout à conserver aux coquillages leurs couleurs naturelles (il se limitait à passer un vernis incolore qui visait à valoriser ces couleurs ; le problème de ces vernis étant par contre parfois de recouvrir avec le temps l'ensemble des compositions d'un glacis jaune).
Seul manuscrit retrouvé de Youen Durand, où il décrit sa technique ; extrait du livre de M-C. Durand, Yves Durand, l'art des coquillages, Calune éditeur, Kereun, 2015
Youen Durand (ou Yves Durand), souvenez-vous, je l'ai déjà évoqué lorsque j'ai parlé de l'exposition récente du musée de Laval "De bric, de broc", où trois de ses tableaux étaient exposés. Né en 1922, avec une jambe handicapées, d'abord tailleur puis directeur de la criée de Lesconil, d'opinion communiste, il est disparu en 2005, trois avant que son exégète, Marie-Christine Durand, au nom homonyme, sans lien de parenté avec lui, elle-même artiste (spécialisée, semble-t-il, dans l'assemblage d'épaves) se passionne pour son œuvre qui jusque là végétait dans un débarras de la mairie.
Elle en a fait un livre-album où elle donne beaucoup de renseignements sur la vie et l'œuvre de ce créateur autodidacte qui s'était constitué une solide culture en lisant et en visitant des expositions, comme par exemple du côté de Pont-Aven (cela aura été un des mérites de Paul Gauguin et de ses amis d'avoir pris fait et cause pour la culture populaire bretonne, et d'avoir dans un retour inattendu suscité aussi des intérêts artistiques chez des hommes du peuple).
Yves Durand, Ballet aquatique, 67x78 cm, 1988, coll. privée ; extrait du livre de M-C. Durand
A partir des albums de photos d'œuvres (datées et titrées) que Youen Durand avait pris soin de laisser derrière lui, le livre recèle un inventaire en photos et en fiches descriptives de ces tableaux aux thématiques diverses (maquettes de bateaux, ports, scènes mythologiques ou allégoriques, la musique, les animaux, les travailleurs de la mer, le cinéma, la famille, les enfants). On y trouve également une photo du grand tableau didactique où le collecteur de coquillages (apportés par les marins qui le connaissaient) donne toutes sortes d'explications au sujet des mollusques utilisés. Notons aussi que Youen Durand laissa derrière lui un certain nombre de tableaux naïfs que le livre présente en annexe. François Caradec, dans son livre Entre miens (Flammarion, 2010), au chapitre "Naïfs", consacre une notice (datée de 1997) à ce créateur., où il souligne à quel point pour Durand son œuvre était en rapport avec la recherche de record (de poids, d'heures passées, etc.). On a déjà rencontré cette caractéristique chez de nombreux auteurs d'art brut ou d'environnements (Cheval, Charles Billy, Marcel Vinsard, etc.). Il est à rapprocher de Paul Amar (avec la différence que je pointe au début de cette note), et peut-être surtout d'un autre Breton, Pierre Darcel, que j'ai évoqué dans Eloge des jardins anarchiques et qui apparaît dans le film Bricoleurs de paradis, au milieu de ses statues et bas-reliefs en mosaïque de coquilles St-Jacques, palourdes et moules.
Yves Durand, Le berceau, 100x80 cm, 1998, coll. municipale ; extrait du livre de M-C. Durand
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Pour se procurer le livre de Marie-Christine Durand : "Les Amis de Youen Durand", Kereun, 29740, Plobannalec-Lesconil. Tél: 02 98 82 22 25, et lesamisdeyouendurand@orange.fr/. Voir aussi le blog http://latelierkereun.blogspot.fr, rubrique Yves Durand.
12:59 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : youen durand, lesconil, temple des arts, mosaïque de coquillages, art modeste, marie-christine durand, paul amar, pierre darcel, callune éditeur | Imprimer
Commentaires
Youen? Sur le papier, il signe Yves. Sans doute estime-t-on que Youen est plus exotique...La coiffe, le chapeau rond et le chouchen ont de beaux jours devant eux...A lire à ce propos "Le monde comme si" de Françoise Morvan où il est question des dérives identitaires et nationalistes dans l'histoire du mouvement bretonnant et le folklore de pacotille créé pour des raisons commerciales.
Savez-vous par exemple que le drapeau "Gwenn à Du" (qu'on aperçoit à tout va dans les manifs, les festivals de musique, etc...) fut créé, non pas par les dresseurs de mégalithes ou autres hirsutes de la nuit des temps, mais par Maurice Marchal (qui changea son prénom en Morvan histoire de faire plus terroir) dans les années 1920. Ce Maurice fut nationaliste convaincu tout au long de sa vie, antisémite de premier plan et a, dans la logique de son parcours, collaboré activement durant la guerre...
Écrit par : Darnish | 24/08/2016
Répondre à ce commentaireAh, que voilà de la polémique pure et dense comme on les aime... Nul doute que je vais avoir des flopées de commentaires de bretonnant et d'anti-bretonnant, tout ça pour un simple prénom bretonnisé.
Vous croyez pas, Darnish, que vous poussez un peu vite la chanson anti nationaliste breton?
C'est bien joli, Youen, moi, je trouve, et c'est sûr que ça sonne moins plat qu'Yves Durand.
Écrit par : Le sciapode | 24/08/2016
Répondre à ce commentaireOui oui, vous avez raison, je reconnais m’être emporté de manière quelque peu excessive seul devant mon écran...J'ai tendance à me méfier des retours artificiels au breton. Yves, c'est le prénom qu'utilise Marie-Christine Durand et elle m'a l'air de connaître son sujet.
Les œuvres reproduites me paraissent extrêmement minutieuses, et l'idée de ne pas repeindre ses coquillages me plait beaucoup (le jaune, le bleu du Berceau, ça a l'air très beau). C'est un peu comme les peintres qui vont chercher leurs pigments dans la nature, se passant de magasin de fournitures.
Vous rapprochez le travail de Yves Durand de celui du couple Darcel, il y a aussi, à Concarneau, ce mur mettant en scène d'une autre manière des coquillages.
Écrit par : Darnish | 25/08/2016
Répondre à ce commentaireC'est cela, je suis d'accord, l'idée de garder la couleur naturelle des coquillages pour en jouer dans les compositions est un vrai tour de force et une conception fort poétique. Utiliser des éléments naturels en les réorganisant me plaît assez comme démarche.
D'accord aussi bien sûr à l'égard de la méfiance vis-à-vis d'une culture bretonnisante artificielle. La langue bretonne cependant doit être défendue. Personnellement, j'en aime souvent la sonorité. Et puis, plus on maintient le plus grand nombre de langues, plus on maintient les possibilités d'expression les plus variées. C'est du moins ce que j'ai tendance à penser...
Le site que vous avez découvert à Concarneau, je ne l'ai pas oublié, mais faut le temps, j'ai beaucoup d'informations pour ce blog, et je n'ai pas toujours le temps (ni l'énergie) de tout traiter. Ca viendra. Je n'ai pas le souvenir sur le moment que les coquillages y soient autant présents que chez ces mosaïstes, du type Darcel ou Durand...
Écrit par : Le sciapode | 25/08/2016
Répondre à ce commentaireJe ne voudrais pas rajouter de l'eau sur le feu mais savez vous qu'à Rennes, ou la langue parlée était le gallo, la mairie à rebaptisé les rues en breton réunifié (en plus du nom français), c'est à dire une langue qui n'a jamais été parlée et encore moins à Rennes...Ainsi j'habitais straed Sant-Heler (rue Saint Helier).
Écrit par : Darnish | 25/08/2016
Répondre à ce commentaireSi vous rajoutez de l'eau sur le feu, ça l'éteindra... Etes-vous sûr que c'est ce que vous voulez? Ou s'agirait-il plutôt d'huile sur le feu?
C'est sûr qu'à Rennes, c'est un argument touristique probablement qui l'a emporté, non? Plutôt qu'un fantasme bretonnisant?
A Paris on devrait rebaptiser les noms de rue dans le goût de l'époque révolutionnaire en supprimant les références religieuses comme ce qui avait été fait à l'époque, la rue Denis, la rue Jacques.... On pourrait faire passer ça pour un argument touristique.
Écrit par : Le sciapode | 25/08/2016
Répondre à ce commentairePour l’ami Darnish, l’eau, c’est néfaste. Il ne faut surtout pas en boire, notamment.
Écrit par : Atarte | 29/08/2016
Merci pour cette note, mieux vaut tard que jamais.. quant à la polémique sur la bretonnisation du prénom, laissez moi rire ici on l'appelait comme ça, point !!! Lui même parlait breton mais était habitué à franciser son prénom.... Quant à l'analyse de François Caradec, je ne pense pas qu'elle soit plausible, Yves ne cherchait pas le record, il créait avec ce matériau familier voilà tout et savait ce qu'il voulait rendre et comment faire avec ce qu'il avait sous la main
A Concarneau, il y avait un musée du coquillage avec des tableaux fait par quelq'un qu'on appelait ici le douanier du Guil, il avait contacté Youen pour s'associer avec lui. Mais Youen n'avait pas de visée commerciale. Avec lui, on est dans l'art pour l'art... il en est mort puisque la colle lui a bouffé les poumons ... Il y a sur le Bon Coin en vente un tableau de ce douanier, l'ancien musée est une crêperie et les propriétaires ont trouvé ce tableau avec les meubles. Je l'ai vu. Rien à voir avec la finesse, la délicatesse de Youen.
Écrit par : durand | 25/08/2016
Répondre à ce commentaireMarie-Christine Durand, bonjour,
et merci pour votre commentaire.
Vous réagissez avec la passion des enthousiastes envers les créateurs qu'ils ont découverts, et vous ne vous embarrassez pas de nuances peut-être, par voie de conséquence.
Le "douanier du Guil", qui avait créé un musée du coquillage à Concarneau il y a pas mal d'années, je m'en étais fait l'écho dans ma défunte revuette "L'Art Immédiat" n°2, spécial "l'art immédiat et la mer". Le livre d'or de ce musée (ouvert en 1969 et qui rassemblait près de 200 "compositions-tableaux,, sculptures et vitraux" distribués au gré de cinq minuscules pièces) recélait une dédicace de Max-Pol Fouchet qui en vantait les mérites).
J'avais tenté de le retrouver dans les années 90, mais c'était déjà disparu quand j'étais passé dans la Ville Close en compagnie de Marie-José Drogou, qui avait photographié autrefois certaines des œuvres de ce musée. On trouve deux de ses photos dans le livre excellent de Raymond Humbert, qu'elle a illustré, "La Marine populaire", aux éditions Messidor (maison d'édition liée au PC, je précise).
Ce "douanier" avait des visées commerciales, dites-vous? Cela me surprend, peut-être ne faisait-il que demander un droit d'entrée à son petit musée? Ce m'avait tout l'air d'être un passionné des assemblages de coquillages comme il y en a eu beaucoup en Bretagne, et à différentes époques. Pour s'assurer de la finesse, ou non, de son travail, il faudrait pouvoir juger sur pièces, or il est dur d'en voir en dehors du Bon Coin ou de la référence livresque que j'indique ici. C'est aller un peu vite en besogne que de l'expédier ainsi, au nom de la "sanctification" des œuvres d'Yves-Youen Durand que vous voulez voir comme trop unique en son genre...
Il serait plus judicieux, je pense, de relier ces travaux au sein d'une tradition du coquillage en mosaïque ou en assemblage, comme vous commenciez de le faire vers la fin de votre ouvrage.
A propos de l'indication donnée par Caradec, là aussi, je trouve que vous allez un peu vite. Il n'est pas contradictoire, ni rédhibitoire, de penser les œuvres de Youen Durand comme le terrain d'une recherche d'exploit et de record. Cela se rencontre chez de nombreux créateurs populaires, et cela n'est pas péjoratif que de le dire. On peut faire des œuvres raffinées tout en recherchant l'exploit sportif en même temps (au péril de sa vie, cf les vapeurs de colle).
Écrit par : Le sciapode | 26/08/2016
Répondre à ce commentaireJ'accepte volontiers ces remarques et surtout merci pour les infos sur le douanier du Guil.
Juste une précision: J'AI VU UN TABLEAU DE CE DERNIER DE MES YEUX. Il est en vente à Concarneau et même si je suis fan de Youen, je peux vous assurer que cela n'a rien à voir comme travail.
Quant à la remarque sur Caradec, je me base sur les dires des proches de Youen et me méfie un peu, car il parle de la "veuve" de Youen qui n'a jamais éte marié. Ceci dit, ma plus grande supporter depuis le début est Aline Caradec, la fille de François...
Écrit par : durand | 26/08/2016
A propos, une précision encore sur ce douanier. Vous l'appelez "du Guil", et je n'ai pas voulu vous reprendre dans mon commentaire précédent. Je ne sais en vérité où vous avez entendu ce nom (ou ce sobriquet). Il s'appelait en réalité Alexandre DUIGOU. Vous êtes sûre de n'avoir pas fait une confusion basée sur une sorte d'homophonie approximative...?
Que ses travaux ne soient pas aussi raffinés que ceux de Durand, eh bien, que nous importe? Cela prouve qu'on peut trouver dans le domaine du coquillage toutes sortes de styles variés... Dans le livre "La Marine populaire", vous trouverez un tableau naïf fait en coquillages, d'un autre créateur, beaucoup plus ancien que Durand, et qui est d'une finesse d'exécution tout à fait étonnante.
Quand j'aurai le temps, je ferai une note sur Duigou, et, plus généralement, sur les travaux en coquillages. Dans le n°2 de la revuette "L'art immédiat" (1995), rendez-vous compte, j'avais écrit un texte intitulé "Coquillage, matériau-muse"... Où je parlais des masques arcimboldesques en coquillages géants de Pascal-Désir Maisonneuve, brocanteur bordelais, mosaïste de formation, qui avait caricaturé les rois et reines européens dans ses masques en les qualifiant de "fourbes". On l'a présenté comme un sympathisant de l'anarchie...
Écrit par : Le sciapode | 27/08/2016
L'aventure continue alors ! Je fais moi aussi des recherches sur ce matériau muse comme vous dites ..
Écrit par : durand | 27/08/2016
Répondre à ce commentaireBien sûr, c'était de la bricole, bien sûr... Mais vous souvenez-vous, cher Sciapode, de ce couple de gens très âgés qui, à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt encore, produisait dans un atelier à demi enterré dans un sous sol, à l'angle du boulevard des Filles du Calvaire et d'une petite rue (la rue Froissard?), de petites saynètes en coquillages? Leur atelier capharnaüm était un vrai petit bout de poésie en plein Paris, comme il n'y en a plus guère). Paris perdu, ô mon désir...
Écrit par : Régis Gayraud | 27/08/2016
Répondre à ce commentaireBien entendu, je m'en rappelle. L'atelier, situé en contrebas de la rue, qui, je crois me rappeler, s'appelle la rue des Arquebusiers (j'allais dans cette rue aux ateliers de typographie de l'ADAC pour imprimer avec des plombs mon poème "Mystères", c'est peut-être comme ça que je suis tombé sur le monsieur en question...), s'ouvrait avec parcimonie aux curieux. Il était dans une sorte de cave, et l'escalier qui y menait avait peut-être été creusé dans un ancien soupirail par lequel on déversait le charbon autrefois...
Ce n'était qu'un seul (vieil) homme qui œuvrait là-dedans, fabriquant des petits personnages en coquillages, et préparant aussi des poissons séchés qu'il vernissait. Je lui en avais acheté, je les ai toujours... Sa femme ne créait pas avec lui. Elle était couturière ou styliste. Sa boutique était au-dessus de la cave-atelier de son mari, avec une devanture qui s'ouvrait sur le boulevard Beaumarchais qui à cet endroit prolonge le boulevard des Filles du Calvaire. Elle accueillait avec hospitalité, ou peut-être avec un peu de tolérance apitoyée, les personnages de son mari qui, selon elle, pouvaient égayer la vitrine, je me souviens de rameurs avec des avirons, le tout en coquillages. J'ai quelque part des photos il me semble. Cela faisait partie des exemples de création insolite en plein Paris, qui représentent pour moi des vestiges d'une activité populaire qui commençait de se faire définitivement la malle, dans cette capitale d'où l'on éjectait progressivement le populo, au profit d'une gentrification généralisée, des bourgeois qui jouent aujourd'hui aux prolos, avec leurs bars à vins décalés, leurs vêtements copiés d'après des photos de Robert Doisneau...
Je me rappelle du décalage existant entre ce mari exerçant ses loisirs de retraité dans ce trou en bord de rue et la boutique de son épouse, plutôt classieuse. C'était improbable, et pourtant cela existait.
Écrit par : Le sciapode | 27/08/2016
Oui, c’est cela, merci pour la précision. On entrait par une petite porte étroite, discrète, échappant à la numérotation, située dans la rue des Arquebusiers à quelque distance de l’angle qu’elle forme avec le boulevard. Cette porte donnait sur quelques marches descendant vers son atelier. Il y avait aussi un ou deux soupiraux grillagés (si je ne me trompe pas) donnant dans la rue au ras du sol derrière lesquels on apercevait ses petites figurines en coquillage. Je me demande s’il n’installait pas parfois une chaise dehors retenant un panneau indiquant son atelier? Et, dites-moi, n’y avait-il pas un peu partout dans l’atelier des petits écriteaux avec les titres et les prix?
Et vous souvenez-vous, boulevard Richard-Lenoir, de la librairie en appartement?
Écrit par : Régis Gayraud | 29/08/2016
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