28/02/2019
Kobus? Vous avez dit Kobus?
J'ai récemment acquis deux beaux bas-reliefs au bois luisant, et ressemblant à du caramel, suite au repérage de Philippe Lalane, alias "La Patience". Ils sont visiblement de la même main, ce que me confirma l'antiquaire auprès de qui je les ai obtenus. Mais seul l'un des deux est signé, d'un nom énigmatique, inconnu au bataillon : KOBUS.
Cela ressemble à un patronyme d'allure alsacienne apparemment (je crois qu'Emile Erckmann et Alexandre Chatrian, écrivains alsaciens qui signaient du nom composé d'Erckmann-Chatrian,, ont campé un personnage de ce nom dans un de leurs romans)...
Kobus, Après l'enterrement d'un ami, bois taillé en bas-relief, 32,5 x 54,5 cm, sans date (fin XIXe siècle?), ph. et coll. Bruno Montpied.
Ce tableau à l'évidence caricatural montre une tablée de convives réunis à la suite de l'enterrement d'un "ami". Chacun s'adonne à diverses libations, les visages ont des expressions grotesques pas tellement avantageuses pour la plupart. "L'ami" paraît bien vite oublié (les "regrets éternels" inscrits sur la couronne mortuaire en haut du tableau, ne paraissent pas, en effet, destinés à le rester bien longtemps, "éternels"). Cet enterrement paraît une excellente occasion de boire au compte du mort, ou plutôt à celui de ses héritiers, et peut-être, plus précisément, de sa veuve... Car, à droite, n'est-ce pas cette dernière qui est figurée, entreprise par un des anciens compagnons du mort, empressé auprès d'elle, comme s'il trouvait l'occasion bonne, la femme étant revenue "sur le marché", comme on dit familièrement... A gauche, en haut de la composition, comme en arrière-plan, à peine taillé dans le bois et paraissant par conséquent spectral, on peut se demander si ce n'est pas le défunt qui, devenu fantôme, assiste, plus que perplexe, et comme atterré (après avoir été enterré), depuis l'au-delà, à la scène...?
Le bas-relief moraliste me paraît inspiré d'une gravure d'époque stigmatisant cette assemblée d'hypocrites intéressés. Peut-être l'auteur, sculpteur autodidacte, prisait-il les caricaturistes de la fin du XIXe siècle? Cette hypothèse se confirme si l'on examine le second bas-relief ci-dessous, qui paraît de la même main...
Kobus, Aux Bains froids, bois taillé en bas-relief, avec baguettes ciselées en guise de cadre (pour rappeler les décors de piscine de l'époque?), 40 x 55 cm, sans date (fin XIXe siècle?), ph. et coll. Bruno Montpied ; noter la signature à gauche vers le bas.
Si l'on s'attarde sur les divers personnages et saynètes représentés dans ce bas-relief, on repère assez vite le personnage à droite, tout habillé, sans doute une sorte de maître-nageur chargé d'apprendre la natation à certains clients de ces Bains. Il en tient un en laisse, du reste, mais il ne remarque pas, suprêmement indifférent, que celle-ci se rompt, entraînant peut-être la noyade du client... Il est bien trop préoccupé par la lecture du journal Le Tam-Tam.
Ce dernier fut un journal satirique qui eut trois séries entre 1872 et 1918. C'est un indice important pour expliquer le projet du sculpteur. Pas placé au hasard dans la composition, il se veut peut-être discret hommage à la revue satirique qui inspirait l'auteur...
Plusieurs autres saynètes attirent l'œil. Le baigneur sur le bord de la piscine à droite semble pétrifié d'appréhension à l'idée de se jeter à l'eau, plus par peur de couler (voyez les nombreuses bouées en forme de ballons qui ceinturent son ventre) que par crainte de la basse température. Cette dernière est mesurée en bas à gauche par un autre baigneur qui tient un thermomètre. Un couple d'hommes, un maigre, un gros, paraissent destinés à faire rire par leur contraste physique. Juste à côté, un individu vient d'en précipiter un autre dans le bain (oh, la bonne farce...). Vers la gauche, un personnage déjà plongé dans l'eau contemple, consterné, un plongeur qui ne prend aucunement garde à qui se trouve en dessous... Plus loin, encore, à gauche, un élégant, en costume et gibus – une sorte de directeur des thermes ? – paraît faire remarquer, d'un doigt accusateur, à un baigneur bossu que sa bosse n'est peut-être pas la bienvenue dans ces lieux... Ce que l'intéressé ne paraît guère apprécier. Dans le bain, des pieds heurtent des mentons, la place paraissant comptée...
J'ai bien sûr un peu cherché à retrouver des gravures satiriques qui auraient brodé sur le thème des bains froids (chargés de redonner tonicité aux muscles, entre autres), je n'ai trouvé que cette gravure de Daumier, pas composée de la même manière, quoiqu'on y retrouve le thème du gros et du maigre, un homme qui plonge, et l'affluence dans le bain.
L'antiquaire qui a découvert ces panneaux sculptés les aurait trouvés à Beauvais, dans une famille de bistrotiers aveyronnais qui descendait de ce Kobus, qui aurait vécu dans les années 1920, en se partageant entre Paris et l'Auvergne. Un Alsacien devenu bistrotier auvergnat monté à la capitale? Une énigme de plus à résoudre, ou pas.
00:05 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : kobus, caricatures, bas-reliefs, le tam-tam, journal satirique, art naïf insolite, bistrotiers aveyronnais, auvergnats de paris, daumier, beauvais | Imprimer
Commentaires
Superbes bas-reliefs, une belle trouvaille, cher Sciapode. Fritz Kobus est en effet le nom du héros de L'Ami Fritz d'Erckmann-Chatrian, publié en 1864, ce qui pourrait donner une indication sur la date de ces compositions, si l'on admet que le nom de Kobus est un pseudonyme inspiré par le roman alsacien. A propos de l'œuvre intitulée « Aux bains froids », n'avez-vous pas été intrigué par les chiffres (100, 6, 7 8 9, 10, 11) qui figurent en haut des colonnes qui divisent le tableau? Quelle signification pouvaient-ils avoir ? J'ai pensé d'abord à un jeu, mais je penche plutôt pour les numéros des cabines où les baigneurs ont rangé leurs vêtements. Mais c'est surtout le numéro 100 qui m'intrigue, et le fait qu'il précède le 6. Une deuxième énigme laissée à votre désormais proverbiale perspicacité holmesienne...
Écrit par : L'aigre de mots | 28/02/2019
Répondre à ce commentaireOui, j'avais bien entendu remarqué les numéros, qui m'ont paru des numéros de cabine. Le numéro 100 n'est peut-être pas un numéro de cabine, comme les autres à droite. Il est sur une porte percée d'un trou en forme de carreau, ce qui indique peut-être un autre genre de porte. Peut-être est-ce le numéro de l'adresse de ces "Bains froids"?
Tout cela est bien prosaïque, mais je ne peux faire mieux...
Écrit par : Le sciapode | 05/03/2019
Répondre à ce commentaireVous m'étonnez, les amis! Le n°100, traditionnellement, était (et reste encore dans les établissements les plus… traditionnalistes, si l'on veut), le numéro attribué à la porte des WC dans les lieux, et particulièrement les hôtels, mais sans doute aussi les établissements de bains, où il y avait des WC communs pour tous les clients. J'ai pu encore le voir il y a quelques années dans un hôtel un peu vétuste dont je ne citerai pas ici le nom, sis rue de Montparnasse dans le VIe arrondissement. Il y avait dans cet hôtel nombre de détails charmants qui nous ramenaient loin dans le passé, dont une salle à manger pour le petit-déjeuner qui était en fait l'ancienne salle du bar autrefois ouvert au public extérieur, où les affiches indiquaient des prix en francs, et si modérés qu'ils nous renvoyaient dans les années soixante-dix au moins. Le terme de N°100 était jadis si familier pour désigner les WC que dans mon vieux dictionnaire des synonymes de chez Larousse, il figure comme synonyme de "cabinet d'aisances" parmi d'autres glorieux vocables qu'il n'est peut-être pas la peine de rappeler ici. La porte arborant ce fier numéro possède aussi une petite lucarne en losange, celle-ci sans doute munie d'un verre opalisé à travers lequel on pouvait apercevoir, si une bougie était allumée à l'intérieur, que les lieux abritaient un baigneur occupé à se soulager de déjections solides ou liquides. C'est donc bien la porte des gogues.
Écrit par : Régis Gayraud | 05/03/2019
Répondre à ce commentaireMerci, Régis. Je suis loin de partager votre culture des gogues.
C'est bien la première fois que j'entends parler d'un numéro attribué à ces lieux, dits d'aisance. Mais encore merci de nous faire partager vos connaissances.
Nous direz-vous aussi pourquoi on a choisi - et qui? - ce nombre-là?
Écrit par : Le sciapode | 06/03/2019
Répondre à ce commentaireEh beh! M. Gaywaud, vous m'en bouchez une surface, dites donc ! J'savions vraiment pas que le n° 100 désignait autrefois les ouatères, ou autres goguenots. Quant à l'origine du mot, par contre, rien de plus facile à deviner : 100 parce que ça sent, pardine!
Écrit par : Félicie Corvisart | 06/03/2019
Répondre à ce commentaireBen oui, rien de plus facile, comme vous dites, rien de plus facile. Ils sont vraiment nuls, ce M. le Sciapode et ce M. Gayraud. Je reconnais bien, chère Félicie, votre ardeur à les moucher (et leur moucher le nez avant d'entrer dans ce n°100, c'est nécessaire pour bien dégager les voies respiratoires et en profiter un maximum).
Écrit par : Isabelle Molitor | 06/03/2019
Eh, dites donc, la mère Molitor, quand cesserez-vous de considérer l'échange de savoirs comme une partie de catch où l'un doive nécessairement prendre le dessus sur l'autre? C'est assez débile et rance comme posture. Même dissimulée sous une sorte d'humour provocateur...
Écrit par : Le sciapode | 06/03/2019
Menfin, comme disait Gaston, ce numéro olfactif (hypothèse réjouissante) a disparu depuis longtemps des toilettes d'hôtel et autres piscines, me dis-je...?
Écrit par : Le sciapode | 06/03/2019
Répondre à ce commentaireAu sujet du "Tam-Tam", Gallica, le site de la BNF, m'apprend qu'il existait à Paris une feuille de ce nom dès 1835, sous-titrée "magasin hebdomadaire de littérature, d'arts, de sciences et d'industrie". En mars 1848, elle devint "Le Tam-Tam républicain", "organe des clubs" puis "Le Tam-Tam de 1848" en juillet de la même année, avant de cesser sa publication. Le titre fut en effet repris en 1872 pour la publication satirique dont vous parlez.
Mais une autre publication peut aussi attirer notre attention : "Le Tam-tam", "journal officieux et officiel du café-concert", rédigé et dessiné par A. Noetinger. Six numéros en parurent en 1868... à Strasbourg. (J'ai regardé sur Galica l'ensemble de la collection; il n'y a aucune caricature correspondant aux deux bas-reliefs de Kobus, même si l'esprit des dessins en est assez voisin).
Écrit par : Régis Gayraud | 09/03/2019
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