27/12/2014
L'étrange homme aux yeux exorbités et au slip kangourou un peu lâche
Anonyme, sans titre, sans date, environ 60 cm de haut, exposé en décembre à la galerie Dettinger-Mayer, Lyon ; ph. Bruno Montpied, 2014
Avec cet ensemble sculpté en bois naturel, vous devrez chers lecteurs vous déterminer sans la moindre référence préalable. Exercice salubre, n'est-ce pas? Personne ne viendra vous dire ce qu'il faut en penser. Car on a affaire ici à une sorte d'aérolithe, un objet non identifié, une énigme visuelle. En tombant dessus à la galerie Dettinger-Mayer très récemment, où j'étais venu voir l'exposition Solange Knopf, je ne me rendis pas compte tout de suite de son côté atypique. Mon œil la voyait à la périphérie de l'expo et de ma conversation avec les personnes présentes. Et tout d'un coup elle fut là, et m'occupa exclusivement.
D'où sortait ce personnage aux yeux exorbités, la bouche largement ouverte aux lèvres épaisses, les oreilles décollées, pourvu d'une paire de jumelles, coiffé d'un calot comme de certains pensionnaires d'hôpitaux psychiatriques d'autrefois ou de certains soldats, portant on aurait dit un slip kangourou en laine fort lâche, jambes nues, au bout desquelles on voyait cependant des chaussettes (roulées de façon différente l'une de l'autre) et des chaussures?
Anonyme, Galerie Dettinger-Mayer, ph. BM, 2014
Etait-ce une sorte de touriste que l'on voulait ainsi tourner en dérision (les jumelles et les yeux hors de la tête étant deux détails qui paraissaient marquer une intention de la part du sculpteur), touriste qui en outre avait été dépouillé de son pantalon, et peut-être aussi de sa voiture, vu qu'il traînait à côté d'une valise à terre une portière de voiture (assez semblable à celle d'une 2CV)? Mais alors, d'autres éléments, une petite hache à ses pieds, et surtout un très insolite vélo fort étiré, hésitant entre la bicyclette et la barrière, l'entouraient aussi, parfaitement indéchiffrables... Les roues de cette bicyclette garde-fou étant incomplètes, apparemment volontairement, par intention délibérée d'artiste, conféraient à l'engin un côté évanescent, soulignant sa fonction de simple décor d'arrière-plan. Ces roues étaient percées de trous circulaires ce qui paraissait peu usuel pour des roues de vélo...
Anonyme, détail du bas de la statuette, vélo-barrière, portière, valise, hachette... Galerie Dettinger-Mayer, ph. BM, 2014
L'objet, nous confia Alain Dettinger, son découvreur, avait été chiné quelque temps auparavant aux Puces de Lyon. Et comme d'habitude, avec les objets de curiosité ramassés en brocante, il n'y avait aucun élément d'information concernant ses origines.
18:15 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art inclassable, Véhicules créatifs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : sculpture anonyme, art brut anonyme, galerie dettinger-mayer, touriste, slip kangourou | Imprimer
19/10/2007
Un anonyme amateur de nuages, de merveilleux nuages...
Les brocantes, les "foires aux jambons", les puces sont peut-être les plus féconds et simultanément les plus décevants terrains de rencontre des objets ou des oeuvres bruts, naïfs, insolites, poétiques, surréalistes...
Je les fréquente sporadiquement. Car j'ai, paradoxalement, une sainte horreur de l'amas, une lassitude incommensurable devant l'entassement sans limites du bazar hétéroclite des objets rejetés, promis à d'autres mains, objets qu'on se lance d'une collection à l'autre, en attente du doux bercail d'un musée qui les sédentariserait enfin...
Il y a de cela plusieurs années, ce devait être vers la fin des années 80 de l'autre siècle (quel délice de pouvoir écrire cela, avantage de vivre à la charnière de deux siècles, cela nous octroie l'illusion de vivre plus longtemps...), à la braderie de Houilles, que l'on présentait alors comme la deuxième plus grande braderie de France, après Lille (cette dernière devenue aujourd'hui bien décevante), en traînant la savate au long d'une allée, je perçus du coin de l'oeil, dépassant d'un carton à dessin, le tout petit bout d'un dessin à la craie sur papier noir montrant un arrangement de lignes intéressant. Les vendeurs étaient des adolescents qui visiblement n'accordaient que très peu d'intérêt aux dessins. Ils m'extirpèrent du carton un ensemble de dessins format raisin (50x65 cm). C'était tout à fait original quoique légèrement abîmé par la suite de nombreux frottements. La craie n'avait sans doute jamais été fixée et les multiples manipulations avaient étalé les couleurs autrement que ce qu'avait probablement voulu l'auteur primitivement. Mais cela restait prodigieusement attractif, intrigant. Un nom se laissait deviner sur chaque dessin que j'acquérais pour une bouchée de pain, Robert Roseff, crus-je lire...
Les ados me laissèrent entendre qu'il s'agissait d'un parent à eux, mais qu'ils ne savaient pas grand-chose, voire rien du tout à son propos... Je me retrouvais avec trois dessins étranges (un compagnon que j'avais alerté en acquit d'autres aussi). L'un qui montrait visiblement un feu d'artifice "visionnarisé", un autre qui se concentrait sur des visions interprétées d'après des formes nuageuses et végétales, gentiment hallucinatoire, et un troisième qui paraissait plus abstrait et plus directement visionnaire (malgré un rapprochement possible là aussi avec les feux d'artifice), le tout représentant à chaque fois des scènes se déroulant dans le ciel nocturne représenté par le fond du papier Canson noir que l'auteur avait laissé en réserve.
Le hasard a fait jusqu'à présent que je n'ai jamais rencontré d'autre écho au sujet de cet auteur ou d'une autre de ses oeuvres. Créateur à ranger donc du côté des grands secrets enfouis à l'intérieur des vies quotidiennes qui ne se dévoilent que bien longtemps après leur disparition (par suite d'une vente à un brocanteur), comme on en voit dans l'art brut. Ce dernier se déniche de ce fait particulièrement au fond des brocantes, là où finissent la plupart du temps les secrets qu'on n'a pas voulu détruire avant de mourir.
10:20 Publié dans Art Brut | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Art brut anonyme, Robert Roseff, Feux d'artifice, nuagisme, art hallucinatoire | Imprimer