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15/10/2008

Pour servir à l'histoire de Marie-Louise et Fernand Chatelain (3): la poésie envolée

   

Fernand Châtelain,personnage à double tête, photo Clovis Prévost, années 70 (Les bâtisseurs de l'imaginaire.jpg
Fernand Chatelain, personnage à deux têtes, années 70, ph.Clovis Prévost

    Pour conclure le feuilleton Chatelain, j'ai envie de mettre en parallèle une ou deux images d’œuvres d'avant et d'après restauration. En tentant de comparer ce qui peut l'être. Je devine que la manière de poser les couleurs notamment, chez Chatelain, constitue une grande différence avec celle des restaurateurs du site actuel, nettement plus lourde, sans nuances. Un peu comme des peintres en bâtiment sont ces "restaurateurs"...

Fernand Châtelain,le personnage à deux têtes (après restauration), ph Rémy Ricordeau, sept 08.jpg
Après le passage de la patrouille de restauration, 2008 ; photo Rémy Ricordeau
Fernand Châtelain, personnage à deux têtes, 1983, photogramme Les jardins de l'art immédiat, Bruno Montpied.jpg
Le personnage aux jambes en tire-bouchon en 1983, il est placé de l'autre côté de la barrière de la propriété, les couleurs, les lignes, rien n'est fermement appliqué, une impression de fragilité se dégage... ; photogramme Les Jardins de l'art immédiat, B.Montpied

    Le personnage à double tête, sorte de Martien, aux nez emmêlés, aux bouches en zig-zag, aux jambes vrillées pathétiquement, peint sans uniformité et sans lissage particulier dans les années 70, se retrouve en 2008 particulièrement bien peinturluré, au point de ressembler à un décor d'aire de jeux pour enfants. Comme si on avait cherché à masquer une vérité qui dérange (et comme on a refait l'intérieur des statues en enlevant les matériaux anciens, jugés de mauvaise qualité, du grillage et du bourrage de vieux papiers de journaux, pensez donc... Là, on a voulu bâtir pour la durée, 150 000€, c'est pas donné...).

Fernand Châtelain,le lièvre fantastique, en ruine, 2002, ph.B.Montpied.jpg
Bugs Bunny, en ruine,  2002, photo B. Montpied
Châtelain, ph Rousseau, 1969, extrait du blog Animula Vagula.jpg
Le même en 1969, photo Rousseau, voir le blog Animula Vagula ; cette photo est en effet précieuse car elle est prise très prés des débuts de la création du site de Chatelain ; si l'on constate que Chatelain, finalement, pouvait bien lisser quelque peu ses matières, il utilisait les couleurs sans lourdeur, le résultat ressemblant au coloriage d'un crayon de couleur, d'une craie, d'un pastel ; les formes sont délicatement modelées de même

     Celui qui est appelé Bugs Bunny, personnage particulièrement impressionnant avec sa gueule découvrant des incisives carnassières, ses bras partis encore en vrille, ses yeux exorbités, ses immenses oreilles de lièvre, a été passablement "arrangé" lui aussi en 2008.

Fernand Châtelain, Le lièvre en 2008, ph.Rémy Ricordeau.jpg
On notera au jeu des 7 erreurs les couleurs changées et en plus moche, le mouchetis des animaux sur les jambes beaucoup plus grossièrement appliqué, l'air abruti du lapin, la forme moins large de sa tête, le nez planté différemment, les oreilles plus molles, les spires plus ratatinées... ; photo Rémy Ricordeau, 2008

     Une autre saynète achèvera peut-être de convaincre tout un chacun de la main lourde des restaurateurs, c'est le char de "Pégase" avec le chien au chapeau conique (et comique) qui tient les rénes.

Fernand Châtelain (1983) photogramme Jardins de l'Art immédiat Bruno Montpied.JPG
Fernand Chatelain, Pégase, en 1983, photogramme extrait de Les Jardins de l'art immédiat, B.Montpied ; le chien apparaît loufoque, le cheval est gentil et de bonne volonté... De plus il vole...
Fernand Châtelain,Pégase,ph.Rémy Ricordeau, 2008.jpg
Le même ? Il paraît poser par terre, inerte à présent, Pégase se dresse mollement, le conducteur, au chapeau trop régulier ressemble désormais à Pif le chien, et, comme le lièvre, arbore une expression de parfait simplet, pour ne pas dire plus... La scène est complètement figée

     Le chien était encore drôle en 1983 lorsque je le filmai en Super 8, suspendu plus en hauteur grâce à des cageots et des étais plus longs, ce qui lui donnait l'air de voler (logique puisqu'il était tracté par le cheval ailé Pégase). En 2008, décidément la poésie s'est envolée. Ferlaure Chatevanne est passé par là. Et pourtant, on a essayé de se documenter un peu (contrairement à ce qui a pu être affirmé). Mais il faut croire qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve... Ou bien, que tout dépend de la sensibilité de celui qui tient le pinceau et de sa plus ou moins grande empathie avec le créateur d'origine. La documentation n'est pas tout, la philosophie de la conduite de vie d'un Fernand et d'une Marie-Louise Chatelain doit être aussi comprise. Un film comme Séraphine, de Martin Provost, sorti sur nos écrans ces jours-ci, est là pour nous prouver que l'empathie avec une créatrice, pourtant aussi rare que Séraphine Louis, même à tant d'années de distance, est possible. Chatelain a eu moins de chance, voilà tout. Peut-être alors, comme l'avait laissé entendre Clovis Prévost, à la journée d'études de Villeneuve-d'Ascq sur les habitants-paysagistes le samedi 10 décembre2005, faudra-t-il se résoudre un jour à songer dérestaurer une si calamiteuse"intervention"...

06/10/2008

Pour servir à l'histoire de Marie-Louise et Fernand Chatelain, à Fyé dans la Sarthe (1)

      Des photos qu'un camarade m'a transmises récemment m'ont ces jours-ci poussé à me préoccuper à nouveau des Chatelain, Fernand et Marie-Louise, qui vivaient à Fyé dans la Sarthe.

Fernand Châtelain 1983 photogramme extrait des Jardins de l'Art immédiat, Bruno Montpied.JPG
Fernand Chatelain, une de ses oeuvres, telle qu'on la voit dans Les Jardins de l'art immédiat, films Super 8 sur les environnements de Bruno Montpied ; photogramme 1983 ; sur les reportages montrant les statues restaurées actuellement, nous n'avons pas vu ce cavalier et sa monture 

     Fernand, boulanger, puis agriculteur à la retraite, auteur de dizaines de sculptures qu'il avait placées le long de leur terrain en bordure de la route du Mans à Alençon, était le maître d’œuvres, mais sa femme le secondait de ses conseils et surtout le soutenait dans sa marotte, ce qui n'a pas toujours été le cas chez d'autres créateurs de leur acabit (je songerai toujours à la femme de Virgili qui m'engueula, moi et un copain, en me traitant de "bougnoul" et autres noms d'oiseau, en m'engageant sans plus de manières à quitter le jardin où Virgili pourtant nous avait reçus avec amabilité - au Kremlin-Bicêtre - et continuait d'ailleurs de nous parler, en chuchotant: "ne faites pas attention, elle n'a pas toute sa tête, vous savez...").

    Les Chatelain ont été connus d'abord bien sûr grâce à des articles dans la presse régionale, puis grâce aux ouvrages de Claude et Clovis Prévost, notamment le catalogue des "Singuliers de l'Art", l'exposition du musée d'art moderne de la ville de Paris, organisée en 1978. A cette époque, Chatelain avait confié aux Prévost qu'il avait commencé son environnement une douzaine d'années auparavant, donc au milieu des années 60. Né en 1899, il est mort en 1988. Les photos de Clovis Prévost semblent dater des années 70 (les dates sont importantes à propos des environnements!), et donc, paraissent pouvoir être prises comme base d'appréciation pour juger des couleurs, des techniques qu'employait Châtelain pour ses statues étonnantes.

      Car cette œuvre (oui, n'en déplaise aux esthètes, on peut parler d'une œuvre) et cet environnement surprenaient par sa facture et son inspiration.Fernand Châtelain,sujets dans son jardin humoristique à Fyé en 1983 (restaurés aujourd'hui? Ce n'est pas sûr), photogramme Bruno Montpied, les Jardins de l'Art Immédiat, .jpg Ils sont très différents des autres sites où se dressent  des statues, plus naïves, ou relevant davantage d'un réalisme poétique (comme chez Gabriel Albert en Charente-Maritime, par exemple, ou chez Emile Taugourdeau dans la Sarthe lui aussi).Emile Taugourdeau,un petit couple de danseurs, coll.Michel Leroux, photo B.Montpied, expo Zon'Art à la Halle Saint-Pierre, oct 2008.jpg Parmi les statufieurs, Chatelain était à part. Ses centaures, ses anges, ses bêtes fantastiques, parfois sans tête et siamoises (voir les deux animaux placés en 1983 sous les centaures dans notre photo en noir et blanc), ses diables,  ses animaux et personnages toujours invariablement drolatiques, ses saynètes cocasses et infantiles, je n'en ai guère vu de pareils dans le corpus des environnements populaires.

F.Châtelain, photogramme B.Montpied, extrait des Jardins de l'art immédiat, 1983.jpg
Fernand Chatelain, photogramme extrait des Jardins de l'art immédiat, B.M., 1983 ; on notera la douceur (en 1983, Châtelain était vivant) des peintures sur des personnages, qui eux aussi ne semblent pas apparaître sur les restaurations actuelles...
F.Châtelain,les centaures,ph.Roland Chelle, 1983.jpg
Fernand Chatelain, le groupe des Centaures, photo en 1983 de Roland Chelle ; on voit deux quadrupèdes placés symétriquement de part et d'autre du masque aux gros yeux en bas... Absents aujourd'hui des statues restaurées
F.Châtelain,les centaures,ph. Rémy Ricordeau, sept 08.jpg
Fernand Chatelain (?), statues restaurées (ou reconstituées), photo Rémy Ricordeau, sept. 2008

     Donc, oui, ce site était pour cette raison attachant, et nombreux étaient les amateurs qui ne se résignaient pas à le voir disparaître. On sait que depuis deux ou trois ans deux associations, en partenariat avec la mairie de Fyé, se sont occupées de restaurer le site gravement endommagé avec l'aide financière de la communauté de communes (on a parlé de 150 000 € débloqués...). J'étais personnellement passé en 2002, et j'avais enregistré ces dégâts sur les statues, qui, je dois aussi le dire, gardaient malgré la mort inscrite partout sur ces ciments fissurés, parfois éclatés, un certain charme, le charme qui s'attache aux ruines, comme on le sait depuis les romantiques et les folies du XVIIIe siècle (pensons au Désert de Retz). Ces restaurateurs, selon le plan de campagne des travaux, devaient normalement achever le chantier de remise en état de la quarantaine de statues répertoriées (mais il a dû y en avoir beaucoup plus, car certaines avaient été cassées, volées, ou données par l'auteur) cette année 2008.

      Ces restaurateurs étaient armés de la meilleure bonne volonté, en apparence, à l'égard de l’œuvre de Fernand Chaâtelain. Effectivement, l'état dégradé de celle-ci faisait mal au cœur. Ils se sont documentés, notamment en regardant les photos de Clovis Prévost (leurs Centaures restaurés se basent à l'évidence sur les Centaures photographiés par Prévost dans les années 70, par exemple, or ces Centaures en 1983, possédaient d'autres sujets à leurs pieds, qui complexifiaient davantage la composition). Il semble qu'on se soit aussi basé sur des clichés de différentes périodes (et les images ne doivent pas manquer sur ces sites, abondamment photographiés par d'innombrables visiteurs et voyageurs). A quelle date doit-on s'arrêter pour choisir ce que l'on va décider de fixer par la restauration? Au début, au milieu, à la fin de l’œuvre? Chez Chatelain, les statues se métamorphosaient, soit du fait de la volonté ou des caprices des auteurs, soit à la suite des actes indélicats et du vandalisme (le sabot géant où est juchée à son sommet une étrange bête qui tient des animaux en laisse comme au bout de cannes à pêche n'eut pas toujours ces occupants ; il fut un temps où un énorme personnage assez grotesque et carnavalesque remplissait ce sabot de sa présence disproportionnée).

F.Châtelain, photogramme B.Montpied, Les Jardins de l'art immédiat, 1983.jpg
F.Chatelain, la bestiole à trois pattes et deux bras tenant des fils, photogramme 1983, Les J de l'AI, B.M.; noter l'espèce de coiffure ou de masque (?) qui surmonte la tête : elle a disparu à la restauration (sans doute basée sur des photos où elle n'existait pas encore? D'une autre époque donc?)
F.Châtelain,stautes au sabot, restauration du site, ph.Rémy Ricordeau, sept 08.jpg
F.C. (et Laure Chavanne et alii), le sabot et ses occupants, restauration actuelle, ph.Rémy Ricordeau, sept. 2008
Fernand Châtelain, le sabot autrement occupé, photo Clovis Prévost, années 70.jpg
Sur cette photo peu connue de Clovis Prévost (extraite du catalogue de l'expo de 1993 au Havre sur les Bâtisseurs de l'Imaginaire), on voit que le sabot n'a pas toujours été occupé de la même façon que celle choisie en définitive par les restaurateurs

     Il semble que les restaurateurs aient choisi sans trop faire attention à la question de l'époque. Les centaures sont restaurés d'après les années 70, et l'homme qui salue ("Bonjour aux promeneurs") au bord de la nationale est restauré tel qu'il était à la fin de l'existence de Chatelain (car le "salueur" lui aussi a eu des variantes). Cela donne donc un jardin avec des statues fixées à des stades correspondant à des époques distinctes. On a désormais affaire en 2008 à un nouvel avatar de ce jardin qui n'appartient plus à Fernand Chatelain à tous les sens du terme (les statues étaient liées à l'habitant, l'habitant n'est plus là, les statues disparaissent aussi, le musée et son inéluctable ossification prennent la place... Seulement, dans le cas de l'art brut, art de l'immédiat par excellence, le contraste est particulièrement choquant - enfin, pour ceux qui perçoivent cette caractéristique de l'art brut...).

     Mais il y a d'autres raisons pour ne plus lui attribuer le jardin actuel. Le potager n'existe plus avec sa joyeuse sarabande de statues bizarroïdes, or il mettait une importante touche d'activité productrice à côté de ces œuvres (l'"artiste" avait été aussi agriculteur...), et cela rejaillissait sur ces dernières (voir ci-dessus la photo du sabot et son masque par Prévost). De plus, les statues ont été refaites pour la plupart, l'une des restauratrices, très "interventionniste", a même reconnu qu'elle avait changé les infrastructures, considérant que celles qu'avait mises Chatelain (il n'avait pas 150 OOO euros, certes...) étaient vraiment trop précaires. On n'a pas voulu de ce précaire-là, et on a donc refait les statues en se passant de cette fragilité (en changeant les armatures internes). Pourtant, tout était là, dans cette fragilité. L'esprit de Chatelain résidait là, dans cette légèreté. Ce que l'on a mis à la place n'est donc plus du Chatelain. Il y a eu captation d'héritage... On a tiré Chatelain du côté du cartoon (Laure Chavanne, qui dirigeait la restauration, comme l'avait relevé Pascale Herman sur son blog Les Inspirés du bord des routes, citant un interview de Mme Chavanne publié dans le bulletin Entré Visité Merci n°2, a insisté sur cette référence constitutive à ses yeux du caractère "vivant" de l’œuvre de Chatelain ; elle avoue ainsi l'orientation qu'elle a préféré mettre en avant, sans doute parce que plus en accord avec sa culture personnelle). D'autre part, les statues paraissent vouées à des positionnements dans l'espace qui ne correspondent plus aux emplacements (changeants cela dit) voulus par Chatelain. Enfin, les statues ne sont pas identiques en surface aux statues d'origine: par leur peinture, trop unie et violente, par le lissé des matières, par leur modelé (infiniment moins adroit, bien plus raide, que celui du créateur d'origine), et par toutes sortes de détails que nous signalerons plus en détail dans deux ou trois exemples à venir. Je le répète, Chatelain n'est plus là, on a voulu le continuer en réalité (et pourquoi pas, si rien d'autre ne paraît se présenter? Je m'insurge seulement contre le fait qu'on continue de parler du jardin humoristique de "Fernand Chatelain" alors qu'on devrait plutôt l'appeler de "Laure Chavanne et consorts", ou de "Ferlaure Chatevanne"...), en le cuisinant avec une nouvelle sauce (et on l'a bien "assaisonné"...). 

     OK, OK, on va dire, c'est facile de critiquer... Qu'auriez-vous fait, vous, à la place? Ce que je sais faire, informer, et fournir des éléments au débat. Ceux qui ricaneront sont des malhonnêtes. Ce sont généralement les mêmes qui, sous prétexte de haine à l'égard de toute réflexion, jugée invariablement comme une perte de temps, imposent leurs vues ou leurs actes, la plupart du temps brutaux et réducteurs, de façon dictatoriale. C'est vrai aussi que l'on peut être abusé par l'aspect flambant neuf de ces statues fraîchement repeintes. Laissons passer quelques années, me dit-on, ça redeviendra comme vous l'aviez connu... C'est oublier le maître d’œuvre qui cette fois n'est plus le même. C'est une collectivité cette fois, et plus seulement un petit pépé isolé travaillant à partir d'un vieux dictionnaire, avec les moyens du bord (mais qui avait la flamme poétique, lui...). Cependant, on pourra aussi se référer à la restauration exemplaire qui a été faite sur le Palais Idéal du facteur Cheval à Hauterives...

Fernand et Marie-Louise Châtelain, photo Clovis Prévost, années 70.jpg
Marie-Louise et Fernand Chatelain photographiés par Clovis Prévost dans les années 70 (cf. Les bâtisseurs de l'imaginaire, éd. de l'Est, 1990) ; on voit que les couleurs telles que les posait Fernand Chatelain étaient bien moins vives, moins denses, la peinture était posée sans lourdeur et les matières gardaient une rugosité négligée par la restauration récente ; les sujets étaient présentés assez serrés, dans un pêle-mêle foutraque et impressionnant...

     J'ai dans mes dossiers des tas de coupures de presse bien obsessionnellement entassées au fil des années. Histoire de laisser un peu la parole aux Chatelain cette fois, je ferai la prochaine note en reproduisant les propos qui leur sont attribués dans un ancien numéro de Libé des années 70. Tirés d'un article publié avant l'exposition des Singuliers de l'Art de 1978. Suspense...