02/08/2009
La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils (1)
On a tendance à croire, possédé que l'on est par le dogme de l'art brut, que les créateurs d'environnements populaires sont le plus souvent des individualistes forcenés. Cela n'est pas toujours vrai. Et même, lorsqu'il s'agit des inspirés du bord des routes spécialement, cela se révèle souvent faux. Mais peut-être aussi ne faut-il pas toujours associer l'art brut aux environnements spontanés.
Il y a ainsi le cas des deux Montégudet, le père et le fils, dans la Creuse, département qui s'enorgueillit de posséder par ailleurs le plus ancien environnement spontané qui soit parvenu jusqu'à nous, à savoir le village sculpté de Masgot du tailleur de pierre François Michaud (commune de Fransèches).
J'ai évoqué en titre une "dynastie", et d'accord c'est un peu exagéré, sauf à penser que nos créateurs retraités, issus pour leur majorité des classes populaires, lorsqu'ils créent, se fabriquent une nouvelle souveraineté, comme s'ils étaient devenus ce que j'ai appelé ailleurs "les rois d'eux-mêmes".
Il y eut d'abord le père, Ludovic, qui entre 1967 et 1981 créa autour d'un étang une sorte de parc de loisirs bricolé avec les moyens du bord. Il sema sur ses rives une multitude de petites saynètes représentant, entre autres, les Fables de La Fontaine, la Chèvre de Picasso, Barbe-Bleue, Roland à Roncevaux (ce dernier sujet peu banal chez nos autodidactes, en même temps en accord avec les souvenirs d'école!)... Ancien maire du bourg de Lépinas, retraité, c'était l'idée qu'il avait eu pour maintenir du lien social à la fois dans sa commune et pour lui-même aussi, parce que la retraite l'avait retranché de ses concitoyens. Il sculptait le bois et avait installé ses sculptures en plein air, à côté d'une buvette, ne dédaignant pas les galéjades parfois à la limite de la gaudriole.
Les couples d'amoureux venaient parfois se cacher au bord de "l'étang fleuri" et l'ancien maire en était fier. Le photographe François-Xavier Bouchart vint chez lui prendre des clichés, ainsi que Pierre Bonte, le spécialiste des gens-ordinaires-qui-ont-tous-un-grain-de-génie... Cela le fit connaître des amateurs de création populaire autodidacte (deux pages lui sont consacrées dans le catalogue de l'exposition Les Singuliers de l'Art au musée d'art moderne de la Ville de Paris, 1978 ; à quand la prochaine exposition sur le même thème pour faire le point et la mise à jour?).
Ludovic se faisait parfois aider dans ses sculptures par son fils René, qui outre quelques statues (de personnages), s'occupait surtout de mettre en couleur les statues de son père, ainsi que de les réparer l'hiver (car, comme René et son épouse le soulignent, les statues étant en bois souffraient terriblement d'être à l'air libre).
Fin de partie en 1981. Ludovic décède. René et Yvette, sa femme, constatant la détérioration accrue et le vandalisme qui affectent les oeuvres, décident de les retirer des rives de l'étang et de les mettre à l'abri dans une grange.
C'est une dizaine d'années après que, curieux de savoir s'il restait quelque chose des statues insolites de Ludovic Montégudet à Lépinas, je viens en Creuse où, avec l'aide du sculpteur Jean Estaque, grand amateur d'art et de culture populaires par ailleurs (nous nous étions rencontrés via Michelle Estaque et le projet de livre sur Michaud), nous partons visiter les héritiers de Ludovic, à savoir donc René et son épouse...
13:12 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Environnements populaires spontanés, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ludovic montégudet, rené montégudet, environnements spontanés, habitants-paysagistes, sculpture naïve, creuse insolite | Imprimer
La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils (2)
... Nous sommes en 1991. Les statues de Ludovic sont toujours gardées en vrac dans la même grange. Je fais quelques photos à l'époque, assez peu. Le couple ne veut pas qu'on les déplace trop car elles sont devenues fragiles (je prendrais alors cette réticence pour un respect limité à l'égard des oeuvres du père de René, ce qui était tout le contraire...!). Ce sont de fort jolies statues naïves, que je sors dans la cour pour tenter de les photographier avec une meilleure lumière. Jean Estaque, à peu de temps de là, obtiendra du couple qu'il prête leurs statues pour l'exposition intitulée "Noblesse du bois" qu'il montera au Moutier d'Ahun en 1992 (deux autres expos furent également montées entre temps en Creuse avec des oeuvres de Ludovic Montégudet, dont une à Guéret). Je rédigerai à cette occasion un petit texte, en guise de minuscule catalogue, Le Luna-Park du pauvre, ou l'Etang Fleuri de Lépinas.
Vers 1995, René paraît évoluer dans sa relation avec les statues de son père. Il décide de construire, à l'intérieur de sa propriété, dans une dépendance de la maison principale, une salle qui va être entièrement vouée à la présentation des statues, en respectant les sujets tels qu'ils étaient autrefois sur les rives de l'étang, mais qu'il va "scénographier" autrement... D'autant que l'espace est tout de même compté dans cette salle. Il s'agit d'une salle mémoriale, non destinée à être ouverte au public, plutôt visitable dans le cadre de relations amicales avec la famille.
En la visitant récemment (mai 2009), je penserai à cet autre petit musée privé qu'était celui de Franck Barret à Saint-Philippe du Seignal près de Sainte-Foy-la-Grande dans l'Entre-Deux-Mers, où ce dernier avait organisé dans deux petites pièces un petit théâtre de statues sur des thèmes divers, le Fantôme de l'Opéra, un explorateur face à un gorille, des hommes préhistoriques, un extraterrestre (Ludovic Montégudet lui aussi avait installé un extraterrestre au bord de son étang qui n'a pas été sauvegardé), etc.
René arrange ce musée personnel avec goût, il laisse de la terre au sol, il restaure et modifie parfois certains sujets (la tour de Barbe-Bleue, à l'origine tronc d'arbre mort, et désormais maçonnée en pierres). Il a sauvé ce qui pouvait l'être. On retrouve Roland de Roncevaux à la cotte de mousse jaunie avec son oliphant, le Lièvre et la Tortue, le Lion et le Rat rongeant la corde (une des pièces maîtresses de Ludovic), le Renard et le Bouc, la Coexistence Pacifique (des animaux différents dans un arbre), le Renard et la Cigogne, etc. Il semble bien que le fils, dans cette nouvelle présentation, a accru le côté esthétique des réalisations du père, au départ conçues dans un esprit de loisir. Une évolution se traduit ainsi au sein de cette famille de créateurs amateurs, allant vers une maîtrise et un incontestable savoir-faire.
René Montégudet, que son épouse Yvette épaule sans trêve, est bien conscient parallèlement qu'une mémoire de l'Etang Fleuri erre encore autour du site, en Creuse et au delà (notre passage à Jean Estaque et moi-même en 1991 en fut la preuve). On vient leur demander des nouvelles du site. Or, il n'est plus, dans son état d'origine en tout cas. Il décide alors de créer, pour combler cette demande, de créer à son tour un autre point d'exposition de sculptures en plein air. Sur une butte rocheuse située non loin de l'étang, il commence à installer des statues animalières, la première étant un chamois (la date de 1993 est apposée à ses pieds, gravée dans le ciment).
D'autres vont suivre, réalisées petit à petit, jusqu'à aujourd'hui. René procède avec soin, méticuleusement, pensant soigneusement ses oeuvres avant de les façonner. Il se fait aider par des amis ou des parents pour déplacer à l'aide d'engins les statues pesantes élaborées en ciment sur armature de ferraille. de l'atelier vers la butte. Il les flanque en certaines de leurs parties de morceaux de plomb, comme dans le cas du groin de son sanglier par exemple. C'est que d'aprés lui cela résistera mieux aux intempéries, à l'air libre. Il y a chez lui un souci de faire durer ses oeuvres, souci né incontestablement en voyant les dégradations subies par les statues de son père, conçues au départ dans l'éphémère. René ne l'entend pas de cette oreille, pour ce qui le concerne, conscient qu'il y a là un art qui comme tout autre plus savant et plus reconnu mérite d'être sauvegardé et patrimonialisé.