Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : l'autre de l'art

2 L'auteur des ”Barbus Müller” démasqué ! (2e chapitre) ; une enquête de Bruno Montpied, avec l'aide de Régis Gayraud

Une avancée décisive dans le dévoilement de l'auteur des Barbus : de la localisation de la zone de production à la découverte de premiers noms...

 

     En novembre 2017, je publie Le Gazouillis des éléphants, un inventaire des environnements  populaires spontanés français. L'ouvrage inventorie un certain nombre de sites présentant des œuvres d'art réalisées en plein air par divers autodidactes non professionnels de l'art. A la région Auvergne, je publie une notice consacrée à un "anonyme", sculpteur de plusieurs statues, que je situe - avancée décisive dans ce qui prend dès lors l'allure d'une enquête approfondie sur l'identification de  l'origine et de l'auteur des Barbus Müller - dans le village de Chambon-sur-Lac (Puy-de-Dôme). J'annonce en effet que cet anonyme  a de fortes chances d'être l'auteur des fameux "Barbus", vu les ressemblances stylistiques frappantes de certaines de ses œuvres avec ces derniers.

     Mon éditeur en effet, Guillaume Zorgbibe, m'avait signalé une photo en vente sur internet (un tirage papier), que j'achète tout de suite  auprès d'un marchand de photographies, M. Gilles Minette. Ce dernier me fait connaître des clichés-verre (voir ci-dessous, un peu plus bas) dont il me fait parvenir des numérisations et dont il a sorti le tirage papier qu'il m'a vendu. Ces clichés montrent un jardin couvert de statuettes. Mon livre  reprend deux illustrations significatives tirées de ces clichés sur verre. 

        C'est ce marchand – je le reconnais bien volontiers – qui m'a permis de localiser précisément le jardin (un potager apparemment) visible sur les clichés. Car il lui a été aisé d'identifier le monument que l'on aperçoit en arrière-plan, le baptistère du cimetière de Chambon-sur-Lac, classé monument historique en Auvergne depuis 1862, et aussi appelé, plus exactement, chapelle sépulcrale (on l'a qualifiée de "baptistère" en raison de la découverte d'une cuve baptismale en bronze près de ses murs).

        Sur le tirage, je n'en ai pas cru mes yeux : les sculptures qu'elle présente dans un jardin, ou un potager, ressemblent furieusement aux fameux Barbus. Mon sang de "chasseur" d'art brut n'a fait qu'un tour, le mystère du lieu de leur production était-il en train de se dévoiler ? Pour convaincre les lecteurs de cette attribution, je décide de procéder à des agrandissements de deux pièces sur les trois qui me paraissent en tous points identiques à certaines qui sont reproduites dans le fameux fascicule de Dubuffet de 1947-1979. Elles sont dispersées dans le jardin parmi d'autres, nettement plus inconnues, mais de même style. Je place les deux agrandissements en vis-à-vis des Barbus leur correspondant le plus dans le fascicule. Leurs ressemblances sont frappantes (se reporter à mon livre Le Gazouillis des éléphants...).

 

barbus müller,gilles minette,chambon-sur-lac,puy-de-dôme,le gazouillis des éléphants,dubuffet,musée barbier-mueller,art brut,origines de l'art brut

En regardant attentivement ces statuettes, souvent mêlées à des empilements de boules (peut-être des « bombes » volcaniques comme on en trouve dans la chaîne des Puys, et aussi dans cette région de Chambon probablement), assez semblables à certaines œuvres de land art contemporaines, et proches également de formes de totems, on retrouve des Barbus du fascicule de 1947 de Dubuffet ; ceci est un détail panoramique de la vue stéréoscopique de gauche visible ci-dessous, © Gilles Minette.

barbus müller,gilles minette,chambon-sur-lac,puy-de-dôme,le gazouillis des éléphants,dubuffet,musée barbier-mueller,art brut,origines de l'art brut

Exemple d'agrandissement d'une des sculptures du jardin de Chambon, identique à un Barbu Müller répertorié dans le fascicule de Dubuffet de 1947.

 

     En outre, cette situation géographique corrobore une des indications que l'on trouve dans le mythique fascicule, signée d'un rédacteur du Musée Barbier-Müller : "Vers 1930, d'étranges sculptures apparurent sur le marché des antiquités parisiens. Elles attirèrent bien vite l'attention des collectionneurs d'art moderne et d'art primitif (fort souvent les mêmes!) qui les placèrent dans leurs salons entre les toiles cubistes et les fétiches nègres (...) Une dizaine d'années plus tard, le peintre Dubuffet (...) découvrit à son tour ces gnomes primitifs que l'on disait provenir d'Auvergne [C'est moi qui souligne], mais dont nul ne s'est jamais préoccupé d'étudier sérieusement l'origine... " (Je suis heureux de pouvoir infirmer cette dernière affirmation quarante ans après...). L'art brut ayant commencé par les Barbus Müller, il en découle donc que l'art brut aurait commencé en Auvergne, me dis-je alors en découvrant ces clichés (ce qui ne peut que ravir le demi-auvergnat que je suis) ! ¹

 

10 les deux vues stéréo ensemble au printemps (2).jpg

Clichés stéréoscopiques du site du Chambon-sur-Lac à la belle saison (arbres feuillus), provenant des archives du photographe Goldner (qui n'est pas forcément l'auteur des clichés) ; c'est la vue de gauche que j'ai reproduite en l'agrandissant (elle fut améliorée, qui plus est, par la maquettiste des éditions du Sandre, Julia Curiel) dans mon Gazouillis des éléphants, parce qu'elle montre un peu plus de détails que la vue de droite, avec une sculpture en plus notamment ; on notera que les statuettes sont rangées derrière des plantations de légumes à grosses feuilles, des choux peut-être, ce qui paraît faire de l'endroit un potager ; © Gilles Minette.

8 Les deux vues stereo ensemble en hiver (vingtaine de sculptures) (2).jpg

Autre paire de clichés stéréoscopiques originellement sur verre, vues prise apparemment à la morte saison: les arbres sont dépouillés, ce qui permet de distinguer mieux à l'arrière-plan du paysage une construction qui a son importance, puisque c'est elle qui permet d'établir le lieu où se trouvait ce jardin de sculptures ; en effet, outre les sculptures présentes derrière la clôture en piquets, outre la "cabane" couverte de chaume, qui fait songer à un case africaine, on reconnaît - du moins ceux qui connaissent l'art roman d'Auvergne -, en arrière-plan, la chapelle sépulcrale du cimetière de Chambon-sur-Lac, considérée comme l'architecture religieuse la plus ancienne d'Auvergne (elle date du Xe siècle, et relève de l'art roman) ; © Gilles Minette.

 

5 vue stéréoscop du cimetière de chambon sur lac (2).jpg

Autre vue stéréoscopique, originellement sur verre, appartenant à la même série de photos des archives Goldner conservées par M. Gilles Minette. Le photographe n'a pas oublié de saisir le cimetière et sa chapelle qui se trouvaient à quelques dizaines de mètres du jardin aux sculptures ; à noter que selon M. Minette, le photographe qui a pris les clichés n'est pas forcément Goldner, qui est peut-être seulement le dépositaire des photos dans ses archives; on doit donc pour l'instant conclure à un photographe anonyme : les vues ne sont pas datées, en outre ; mais à ce stade de l'enquête, on peut juste estimer qu'elles ont été réalisées entre la fin du XIXe et la fin des années 1930 (date à laquelle, apparemment, les clichés-verre ont cessé d'être commercialisés) ; cependant, comme on le verra dans la suite de cette enquête, on peut essayer d'affiner ce créneau de dates ; © Gilles Minette.

 

       Certes, je découvre peu de temps après mon achat que, dans le catalogue de l'exposition "L'Autre de l'Art", de 2014-2015, une page reproduisait une photo à peu près semblable du même site (mais en format portrait et non en format paysage comme les miennes). En feuilletant ce catalogue deux ans auparavant, je ne l'avais pas remarquée. La photo (qui provient, selon les crédits du catalogue, d'une source intitulée "Denis Mercier Studio", correspondant à un artiste-photographe de ce nom) est une vue moins large, et moins déchiffrable, que les vues que Gilles Minette m'a fait connaître après mon achat d'un tirage. Elle ne comporte en outre aucune mention du lieu, à la différence de ma propre enquête. Savine Faupin, qui l'a légendée dans le catalogue, a eu cependant la même intuition que moi en songeant aussi aux Barbus Müller.

      Ma découverte de ces clichés stéréoscopiques a lieu, je le précise, très peu de temps, courant 2017, avant la finalisation de mon livre Le Gazouillis des éléphants, dont il est impossible de bouleverser outre mesure la maquette, alors déjà bien avancée. Je ne peux donc faire état, dans la notice que je rédige in extremis avant le bouclage du livre, des développements qu'appelle inévitablement cette localisation, et je précise seulement que je poursuivrai ultérieurement l'enquête, promesse que je tiens à présent...

      A partir de ces photos, il était évident qu'un curieux de ces sculptures – à commencer par moi ! – aurait envie de découvrir si, par hasard, il serait resté quelque trace du lieu sur place, et plus extraordinaire sans doute, des œuvres! On n'a pas toujours le loisir, et les moyens, de traverser la France pour une recherche ou l'autre. Mais heureusement Google street est là, précieux auxiliaire des chercheurs indépendants... Je plonge donc, depuis mon domicile, sur la route passant toujours en dessous de ce cimetière intangible. Quelle n'est pas ma surprise de découvrir qu'il restait, dans un passé récent au moins (les photos de Google datent de 2011), un vestige évident de ce jardin aux sculptures de début XXe siècle : la fameuse "cabane" carrée, en particulier, est toujours présente, bien qu'elle se soit enfoncée dans le sol, rançon du temps écoulé bien entendu, les sols s'élevant comme on sait, au fur et à mesure des travaux des hommes entre autres, ou de l'évolution naturelle (comme c'est le cas en l'occurrence).

      Il y a toujours un potager, et les dimensions de la parcelle ne paraissent pas avoir beaucoup bougé... Ce qui peut paraître étonnant, mais ne l'est pas, lorsqu'on s'avise que dans ces coins de montagne auvergnate (Chambon-sur-Lac se situe à près de 900 m.), beaucoup de lieux ne changent que fort modérément au fil du temps. La cabane n'a plus son chaume, elle a été recouverte d'ardoises apparemment. Mais elle est toujours debout, repère temporel et spatial précieux, servant peut-être toujours, comme à l'époque des sculptures, de remise pour les outils de jardin?

barbus müller,gilles minette,chambon-sur-lac,puy-de-dôme,le gazouillis des éléphants,dubuffet,musée barbier-mueller,art brut,origines de l'art brut

Plan de situation de la même parcelle que celle photographiée sur les clichés-verre au début du XXe siècle, localisable aisément grâce à la proximité de la chapelle sépulcrale du cimetière placée juste au-dessus ; capture sur Google maps

barbus müller,gilles minette,chambon-sur-lac,puy-de-dôme,le gazouillis des éléphants,dubuffet,musée barbier-mueller,art brut,origines de l'art brut

Vue 2011 (en février), sur Google street, de la parcelle anciennement remplie de sculptures ; la cabane carrée est toujours là, s'enfonçant dans le sol qui a monté ; en visitant le village le lundi 12 mars 2018, avec Régis Gayraud, nous apprendrons que cette vallée rencontre un problème "d'enlisement" depuis des siècles, comme un panneau sur l'église en avise les touristes (le lac Chambon, aujourd'hui distant du village, recouvrait, il y a plusieurs siècles bien entendu, une bien plus grande portion de la vallée).

barbus müller,chambon-sur-lac,puy-de-dôme,le gazouillis des éléphants,dubuffet,musée barbier-mueller,art brut,origines de l'art brut,clichés verre stéréoscopiques,chapelle sépulcrale de chambon-sur-lac,gilles minette,bruno montpied,régis gayraud

La parcelle aux Barbus, aujourd'hui ; Photo Bruno Montpied, 12 mars 2018.

barbus müller,chambon-sur-lac,puy-de-dôme,le gazouillis des éléphants,dubuffet,musée barbier-mueller,art brut,origines de l'art brut,clichés verre stéréoscopiques,chapelle sépulcrale de chambon-sur-lac,gilles minette,bruno montpied,régis gayraud

La parcelle aux Barbus vue depuis le cimetière et la chapelle sépulcrale ; on aperçoit la cabane à droite derrière les arbres ; ph. B.M., 12 mars 2018.

 

       Le terrain existe encore, et la suite logique de l'enquête me mène à penser aux possibilités de retrouver via les archives départementales du Puy-de-Dôme et les plans cadastraux l'histoire des différents propriétaires qui ont pu se succéder sur ce lopin de terre. Parmi eux, trouvera-t-on peut-être l'auteur des sculptures qui nous intéressent tant? C'est alors que je songe à demander de l'aide à un bon camarade, Régis Gayraud, qui passe pas mal de temps à Clermont-Ferrand, et qui est bien plus familier que moi des recherches dans ce genre d'archives.

barbus müller,chambon-sur-lac,puy-de-dôme,le gazouillis des éléphants,dubuffet,musée barbier-mueller,art brut,origines de l'art brut,clichés verre stéréoscopiques,chapelle sépulcrale de chambon-sur-lac,gilles minette,bruno montpied,régis gayraud

Matrices cadastrales, Archives départementales du Puy-de-Dôme : le nom de l'auteur des Barbus Müller dort-il dans ce registre, et depuis combien de temps? ; Photo Régis Gayraud, 2017.

 

       Il va alors consulter aux archives départementales ce que l'on appelle les matrices cadastrales, et plus précisément, le cadastre napoléonien. Bien vite, il identifie le n° de la parcelle sur ce dernier cadastre, c'est la 1029 (numéro qui a changé sur le cadastre act

Lire la suite

11/04/2018 | Lien permanent

Des photos d'environnements populaires spontanés revenus de l'année 1977, par Marc Sanchez

      Quelle n'a pas été ma surprise de découvrir très récemment, dans une "galerie" du site web des Amis et Amies de Martine Doytier, des numérisations de diapositives 24 x 36 mm prises en 1977 par M. Marc Sanchez au cours d’une balade à travers la France en compagnie de la peintre et sculptrice Martine Doytier, représentant un certain nombre d'environnements populaires spontanés encore debout à l'époque. Ces photographies étaient absolument inconnues, jusque-là, des amateurs d’inspirés du bord des routes (ou « habitants-paysagistes naïfs », ou "bâtisseurs de l’imaginaire"…)¹. Ces clichés de plus sont d’une très bonne qualité et d’une grande fraîcheur, comme prises hier. C’est à la suite de cette exploration des créateurs insolites d’environnements naïfs ou bruts que Martine Doytier conçut et réalisa son projet de tableau en hommage au Facteur Cheval.

Martine-Doytier Hommage au Facteur Cheval 1977, huile 146x97 Coll Jean Ferrero, Nice.jpg

Martine Doytier, Hommage au Facteur Cheval, 1977, huile, 146 x 97 cm, coll. Jean Ferrero, Nice.

 

     C'est au total 14 sites qui figurent dans cette "galerie" virtuelle bâtie par Marc Sanchez. Dans l'ordre, Mme Leroch (une accumulatrice d'objets tout faits, comme quoi cela ne date pas d'aujourd'hui), François Portrat (photographié sur place à Brannay, dans l'Yonne, et donc avant que le site soit démantelé et partagé entre la Fabuloserie et la Collection de l'Art  Brut), "Giuseppe" Enrico (pourtant ailleurs appelé "Séraphin" Enrico, notamment par Olivier Thiébaut et Francis David) à Saint-Calais dans la Sarthe (site aussi démantelé par la suite), Jules Damloup (sur son site originel à Boësses dans le Loiret, avant le transfert et  la sauvegarde de ses statues dans le parc de la Fabuloserie), Marcel Dhièvre (état d'origine, où l'on voit qu'il y a eu quelques écarts dans le traitement et l'intensité des couleurs à la suite de la restauration), Fernand Chatelain (sans accent circonflexe sur le "a", M. Sanchez... ; site photographié du vivant de celui-ci, ce qui permet d'avoir un point de comparaison avec l'état actuel après restauration ou, plutôt, comme je préfère dire, après prolongement), Charles Pecqueur (avec un beau portrait de l'auteur, à Ruitz, Pas-de-Calais), Eugène Juif (maison couverte de fresques florales, photographiée là aussi avant son effacement, je n'en connaissais jusqu'ici que des photos de Francis David, dont une me fut prêtée par ce photographe pour mon Gazouillis des éléphants), l'abbé Fouré (orthographe qu'utilisait l'abbé pour signer ses cartes postales, et non pas "Fouéré"), Pierre Avezard, dit "Petit-Pierre" (photographié là aussi sur son site d'origine à La Coinche dans le Loiret ; cela ajoute, en termes de documentation, au film d'Emmanuel Clot, et aux photographies de François-Xavier Bouchart publiées en 1982 dans le livre "Jardins fantastiques", aux éditions du Moniteur qui toutes montraient le site à son emplacement de départ (on sait que la majorité de ses pièces furent transférées dans le parc de la Fabuloserie à Dicy dans l'Yonne); à noter une première apparition de Martine Doytier parmi les visiteurs), Marcel Landreau, Raymond Isidore, dit "Picassiette" (avec une seconde photo de Martine Doytier posée sur le fauteuil en mosaïque de Picassiette ; on pourrait faire une anthologie des femmes posant sur ce célèbre fauteuil...), Robert Pichot (un site et un créateur dont personnellement je ne connaissais que le patronyme, orthographié "Picho" dans le livre de Jacques Verroust et Jacques Lacarrière, Les Inspirés du bord des routes, en 1978) et enfin le célèbre Facteur Cheval et son Palais Idéal (où l'on retrouve Martine Doytier une troisième fois, avec en plus son danois Urane - qui a le don de m'inquiéter chaque fois que je le vois dressé auprès de sa maîtresse, l'air pas commode...). Martine Doytier y apparaît en pleine forme, et l'on comprend mal ce qui a pu la mener sept ans plus tard à sa fin tragique.

 

martine doytier,marc sanchez,environnements populaires spontanés,photographie des autodidactes inspirés

Jardin de Séraphin Enrico, à St-Calais (Sarthe), © photo Marc Sanchez, 1977 ; le grand intérêt de cette photo, c'est son aspect documentaire didactique : on comprend mieux comment se présentait de la rue le site d'Enrico ; les photos parues ailleurs ne contextualisent en effet que très peu l'emplacement des diverses statues, dont certaines ont désormais atterri au Jardin de la Luna Rossa à Caen.

 

      Marc Sanchez dans son texte de présentation ne veut pas entrer dans le détail des sources où lui et Martine Doytier ont trouvé les références des sites qu'ils sont allé visiter d'un bout à l'autre de la France (les trajets qu'il cite, sur un axe Nice-Lens, puis une perpendiculaire en direction de l'Ouest, font tout de même une sacrée distance qui nécessite quelques semaines de pérégrination, sans trop se presser...). Il rappelle qu'hormis le livre de Gilles Ehrmann, Les Inspirés et leurs demeures, paru en 1962, il n'y avait selon lui guère de livres à avoir mentionné ces environnements créatifs. Le livre de Bernard Lassus, Jardins imaginaires, sortit à la fin de cette même année 1977, soit après leur balade donc.

martine doytier,marc sanchez,environnements populaires spontanés,photographie des autodidactes inspirés,facteur cheval,robert pichot,abbé fouré,gilles ehrmann,eugène juif,marcel landreau,picassiette,séraphin enrico,charles pecqueur,fabuloserie,petit-pierre,jacques verroust

Le site de Fernand Chatelain, © photo Marc Sanchez, 1977 ; Chatelain est alors en vie, cela permet de voir comment se présentait son site, extrêmement tourné vers la route qui le longeait, destiné à interpeller les automobilistes, d'autant qu'il n'y avait alors aucun arbre – à la différence d'aujourd'hui – qui puisse entraver l'appréhension par les regards... ; autre fait notable, les statues étaient installées apparemment devant la clôture (au reste, assez peu dissuasive), sans crainte de vols possibles.

 

      Sanchez expédie un peu cette question de sources, je trouve: "ces interventions « sauvages » font alors seulement l’objet de petits articles dans les journaux locaux ou dans des revues attirées par les curiosités et les bizarreries..." Eh bien, personnellement, j'aimerais qu'on nous donne la référence de ces "petits articles", de ces "journaux locaux", de ces "revues attirées par les curiosités et les bizarreries" (comme la revue Bizarre, par exemple?... avec ses deux articles, l'un de 1955 sur Camille Renault par le pataphysicien "Jean-Hugues Sainmont", l'autre de 1956 sur Picassiette par Robert Giraud, illustré par des photos de Robert Doisneau).

 

martine doytier,marc sanchez,environnements populaires spontanés,photographie des autodidactes inspirés

Martine Doytier rayonnante dans le fauteuil à l'air libre de Picassiette (Chartres, rue du Repos, quartier St-Chéron),  © photo Marc Sanchez, 1977.

 

    Dans ces années 1970, beaucoup d'intérêt pour les autodidactes de bord des routes se manifeste en effet chez les amateurs de contre-cultures, dans le vent des nouvelles orientations véhiculées par Mai 1968. Après le livre d'Ehrmann, un livre du poète Alain Borne est sorti en 1969 sur le Facteur Cheval chez l'éditeur Robert Morel. Un autre sur le même sujet, de Michel Friedman, chez Jean-Claude Simoën, suit en 1977 justement. Des ethnologues, comme Jean-Pierre Martinon (un "disciple" de Bernard Lassus, me semble-t-il), dans un numéro de la revue Traverses datant de 1976, éditée par le Centre Pompidou (qui ouvrit l'année suivante en 1977), tracent des parallèles entre les jardins savants de la Renaissance italienne et les environnements populaires, ce qui est en termes d'histoire de l'art est en avance sur le temps. Nombre de journaux, des quotidiens régionaux, consacrent à l'époque, de temps à autre, des articles à ces environnementalistes inspirés. Le phénomène d'ailleurs ne date pas des années 1970, comme c'est prouvé par la bibliographie assez ample que j'ai insérée à la fin de mon inventaire du Gazouillis des éléphants. Dès la fin du XIXe siècle, les magazines s'intéressaient déjà aux artistes improvisés qui font en outre, parfois, parler d'eux via l'édition de cartes postales. Les concours Lépine exposent certaines réalisations curieuses, bouchons ou marrons sculptés, inventions brindezingues, tours de force divers (tableaux ou plantes en mosaïque de timbres)... L'étude, le recensement de tous ces articles ou mentions d'artistes autodidactes, restent à faire, quitte à l'amplifier, et non pas à l'étouffer, ou le tenir, à tout le moins, secret. C'est pourquoi je regrette que Marc Sanchez n'ait pas cru bon de nous donner ces références de 1977... Mais il est homme à écouter les conseils...! Donc, ne désespérons pas trop, cela viendra peut-être...

 

martine doytier,marc sanchez,environnements populaires spontanés,photographie des autodidactes inspirés

Robert Pichot, à la Suze-sur-Sarthe, © photo Marc Sanchez, 1977 ; à noter que cette localisation corrige celle qui est fautive (Marc Sanchez me l'a confirmé en privé) dans le livre de Jacques Verroust... Ce dernier donne en effet la localité de Berfay, qui est assez distante de La Suze-sur-Sarthe ; notons au passage le grand nombre de cas de créateurs populaires en plein air ou non dans ces régions de l'ouest français...

_____

¹ Ces photos furent cependant présentées devant quelques privilégiés dans une conférence donnée par leur auteur à Nice, quelques mois après le retour des deux compères, mais elles ne paraissent pas avoir été publiées dans une quelconque édition papier depuis 1977.

Lire la suite

Les perles n'en finissent plus de tomber, Jean-Pierre Le Goff est mort

      Depuis quelques années déjà, nous ne recevions plus ses petits papiers où il nous invitait à chaque fois à réenchanter un carré de trottoir, l'orée d'un bois, un moment de la vie : je viens d'apprendre la mort de Jean-Pierre Le Goff, survenue lundi 26 février. Il sera enterré au cimetière Ploaré à Douarnenez demain [jeudi 1er mars], à 14 heures.

      Sa mémoire l'avait quitté. Il ne quittera pas la nôtre.

      Encore un ami qui s'en va, nous privant d'un peu de nous-mêmes.

       Joël Gayraud

      *

    Si je peux me permettre de rajouter quelques lignes après l'hommage ci-dessus, moi qui ai eu il y a bien longtemps un soupçon de correspondance avec Jean-Pierre Le Goff, j'ai retrouvé cette citation que Jean-Pierre m'avait envoyée, relative à un projet de revue à quatre que nous avions seulement esquissé avec d'autres amis, projet qui ne réussit jamais à aboutir (inventée par le poète franco-irakien Abdel-Kader El Janaby, elle aurait dû s'appeler Quatrain, devait être rédigée par quatre auteurs, qui avait la responsabilité chacun de quatre pages, un auteur laissant la place à chaque numéro à un nouvel arrivant... L'idée était belle, las! Rien ne put se mettre en place...). C'est le dernier mot que je reçus de lui (vers 1984). Cette citation prend aujourd'hui un sens autre, au regard de sa disparition, coïncidence qui l'aurait peut-être retenu:

     "Alors on se dit que le petit frisson est passé, et l'on pense déjà que la soirée est achevée quand, de nouveau, un quatrain vole dans la salle, nous enchaîne, allonge les volutes de ses voyelles et s'arrête net, ayant été jusqu'au bout de son pouvoir, nous laissant médusés, affamés encore de son charme, tandis que de l'autre côté du détroit, j'aimerais que ne désespère pas de m'attendre, dans sa maison de bois, quelque ami à venir."

(Les échelles du temps, Jacques Bussy, p.48, Fata Morgana, 1984).

*     

      Et je rajoute ici ce supplément que Joël Gayraud nous a adressé aujourd'hui:

        "Voici une bibliographie, forcément incomplète étant donné le grand nombre de textes non publiés à ce jour, de l'œuvre de Jean-Pierre Le Goff:

      Ne voir que du bleu (Arabie-sur-Seine, 1983), Journal de neiges, avec deux dessins de Jean Benoît (Le Hasard d'être, 1983), Lettre Sépia (AKEJ, 1984), Les Remparts de Brouage, avec un collage de Véronike Keczkowska (Orbe, 1984), Sur le tas (s. l., La Petite Chambre Rouge, 1984), Rutilance du trésor (Lille, A. Buyse, 1987), Le Cachet de la poste, feuilles volantes, préface de Jacques Réda (Gallimard, 2000), Du crayon vert (Au Crayon qui tue, 2001), L'Ecriture des fourmis (Au crayon qui tue, 2003), Les Abymes du Titanic (Au Crayon qui tue, 2006), Catalogue de fils à plomb offerts à Jean-Pierre Le Goff (s.d.)."

 

Couv Sur le tas, 1984.jpg

Recueil de Jean-Pierre Le Goff édité par moi à l"enseigne de "la petite chambre rouge", qui se voulait un supplément à la petite revue littéraire, La Chambre Rouge que j'auto-éditai entre 1982 et 1985. "Sur le tas" date de 1984 (il comportait en frontispice un petit dessin de BM représentant un sablier).

         On peut déjà y ajouter aussi le texte de Le Goff, paru dans le n°12 de Viridis Candela (1 gidouille 130 EP, vulg. 15 juin 2003), carnet trimestriel du Collège de 'Pataphysique, p.49 à p.64, "L'Affaire des Plaques": sur les fausses plaques commémoratives qui fleurirent un moment sur divers murs d'immeubles à Paris, apposées par deux personnes restées anonymes, plaques qui disparurent partout subitement (avis aux lecteurs, qui aurait un ou plusieurs clichés de ces plaques?). Il y a probablement beaucoup d'autres textes de Jean-Pierre Le Goff publiés dans les revues du Collège.

        (Il n'y a pas du reste que dans les publications du Collège de 'Pataphysique que l'on peut dénicher des textes de Jean-Pierre Le Goff : pour mémoire je mentionnerais les revues Le Désir libertaire, Camouflage, Le Château-Lyre, Surr, Empreintes et j'en oublie bien évidemment . JG)

PS: On pourra aussi se référer à cette note parue sur l'Alamblog d'Eric Dussert, qui contient un texte de Stéphane Mahieu. Et aussi à celle-ci, publiée sur le blog de la revue Nouvelles Hybrides d'Etienne Cornevin. Et encore ces deux dernières: http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=3860 et http://nouvelles-hybrides.fr/wordpress/?p=3862, qui contiennent entre autres, pour le dernier, un texte de Bruno Duval. Nouvelles Hybrides annonce du reste, et on peut lui faire confiance étant donné sa "puissance de feu", une série d'études sur Jean-Pierre Le Goff.

 


Lire la suite

René Jenthon, le Disneyland de l'Etang Bazin, aussitôt apparu aussitôt disparu

     Agnès Barbier et Régis Gayraud m'ont alerté un jour sur l'existence d'un environnement insolite qui se trouvait aux abords de la bonne ville de Saint-Pourçain-Sur-Sioule dans l'Allier, ville connue pour ses vins de table, sa moutarde de Charroux ainsi que ses délectables andouillettes... Mais pas trop pour ses monuments d'art excentrique, jusque là plutôt proches du néant.

 

Ex-propriété de Roger Jeanton,vue générale, ph.B.Montpied, 2002.jpg

René Jenthon, son site décoré, vue générale ; ph.B.Montpied, 2002

      Or, il y a quelques années encore, s'étendait en bordure de la principale route qui passe dans cette commune, une installation de silhouettes en métal peint que son auteur avait intitulé "Le Disneyland de l'Etang Bazin", et qui eut malheureusement une vie éphémère.

Jardn de Roger Jeanton,vache,dinosaure, etc, ph.B.Montpied, 2002.jpg
Jardin de René Jenthon, les dinosaures, la roue, la vache, la paillotte... Ph.B.M., 2002

 

     C'est Agnès qui l'avait remarqué du coin de l'oeil, passant souvent le long de cette route. Elle et Régis savaient mon intérêt pour ce genre de création, et je descendis dès que je pus pour voir la chose. Nous ne rencontrâmes, l'unique fois où je pus photographier le site (en 2002), pas la moindre âme qui vive dans la propriété. Cette dernière paraissait désertée.

Jardin de Roger Jeanton,Lucky-Luke,etc, ph.Bruno Montpied, 2002-.jpg
Jardin de René Jenthon, Lucky Luke et autres personnages, ph.B.M., 2002

       Deux initiales, "JR", se lisaient sur le portail du jardin (sûrement une malice en référence au personnage populaire d'une série télévisée américaine). Un autre panneau placé au milieu des diverses effigies colorées qui animaient le talus à l'intérieur du terrain, destinées à attirer le regard des automobilistes, un autre panneau donnait le titre de l'installation, "Le Disneyland de l'Etang Bazin". L'Etang Bazin devait être le nom du lieu dit... (Ici, je sens que mon fidèle lecteur Régis va se sentir obligé de corriger mes inévitables approximations... Mais que n'a-t-il écrit lui-même sur ce site remarquable?). Sur une niche, se lisait aussi "9.95.Lila", peut-être la date de naissance de l'habitant de cette niche? Sur le pourtour d'une porte de grange, où la rumeur aurait localisé d'autres oeuvres restant cachées, d'autres mots étaient tracés: "Caves de l'ancien relais -1780", semblant indiquer qu'on y cachait surtout, peut-être, d'autres nourritures, plus spiritueuses que spirituelles... Un poisson en bois peint, placé de l'autre côté de la route, désignait aussi "L'Etang Bazin", peut-être en référence à quelque lieu poissonneux recherché des amateurs de pêche. Une croix, érigée un peu à l'écart de la propriété, proclamait qu'elle était vouée "A ma maman"... Un chaudron avait été recyclé en jardinière où poussaient des fleurs et pour qu'on n'oublie pas son ancienne fonction avait été affublé des mots "Le vieux chaudron", naïvement redondants.

 
Jardin de Roger Jeanton,Mickey,Babar,et autres personnages, ph.B.Montpied,2002.jpg
Jardin de René Jenthon, Mickey, Babar, et autres dinosaures, Saint-Pourçain-sur-Sioule, ph.B.M., 2002

      Disneyland donc, nous promettait-on... Et pourtant, les attractions étaient plutôt réduites en ces lieux. Il y avait bien un Mickey, une sorte de Donald, un Lucky Luke (pas très Disney celui-ci) parmi les personnages aux expressions légèrement distordues, deux ou trois dinosaures, une girafe, des individus difficiles à identifier (un dont le vêtement était marqué des lettres "KG") Jardin de Roger Jeanton,silhouette en métal peint, ph.B.Montpied, 2002.jpg dont un, multiplié par deux, comme un clonage, ressemblait à une sorte de jockey ou à un policier nain, un masque de "Loup-garou", un Babar (pas souvent reproduit dans les environnements populaires ce dernier), une sirène joyeusement peinturlurée comme ses congénères mais enfouie dans l'herbe, d'où je l'extirpais généreusement pour lui redonner vie le temps d'une photo (voir ma note du 9 novembre 2008 sur les "Mami Wata", ou bien ci-contre...),Roger Jeanton,Sirène, ph.B.Montpied, 2002.jpg un indigène africain accueillant les visiteurs dans une case au toit couvert de paille, des animaux, telles des oies et des cigognes, une vache au flanc constellé des étoiles du drapeau européen, semblait-il, vache que tétait son veau, des moulins, une guérite, divers exemplaires de roches, maquettes, roues de charette... Mais tout cela semblant davantage destiné à égayer le bord de la route, jugée sans doute un peu trop monotone, qu'à proposer une véritable attraction. En réalité, il est probable que l'auteur de ce jardin aux personnages fantaisistes tendait à une sorte de parodie, se moquant gentiment des grands parcs de loisirs médiatiquement consacrés pour proposer le sien, infiniment moins prétentieux.

Jardin de Roger Jeanton,guérite avec portrait, ph.B.Montpied, 2002.jpg
La guérite sur la gauche de la photo abritait un portrait photographique, peut-être de l'auteur de cet environnement ; on notera aussi dans l'herbe à droite la sirène sur le point de disparaître sous la végétation... ; Ph.B.M., 2002

       Hélas, cette joyeuseté fut jugée à peu de temps de là hors de saison. Le créateur avait dû disparaître, un nouveau propriétaire avait acquis la maison et le jardin, on résolut de faire table rase de la gaîté... Régis et Agnès qu'une obscure prémonition avait sans doute réveillés en pleine nuit s'étaient justement mis en route pour savoir ce que devenait le lieu. Ils arrivèrent trop tard. Les silhouettes de métal avaient été fourguées à un récupérateur de ferraille. Ils partirent à sa poursuite! Et quand ils atteignirent son lieu de travail, le "forfait" était accompli... Tout avait été compressé, refondu en métal brut... Du brut en brut en somme. Aucune chance n'avait été donnée au Disneyland de l'Etang Bazin, aucun  Olivier Thiébaut (archéologue de l'art brut des bords de routes comme on sait) ne pourrait venir désormais l'exhumer puisqu'on était allé jusqu'à faire disparaître le corps de la victime ce coup-ci...

Roger Jeanton,Mickey, ph.B.Montpied, 2002.jpg
René Jenthon, son Mickey... ph.B.M., 2002

     Seules subsistent à ma connaissance quatre pièces dues à la fantaisie de "J.R." (ses initiales, selon Régis et Agnès, paraissent correspondre à monsieur René Jenthon), la sirène ( reproduite ci-dessus), une Statue de la Liberté, un renard à la gueule ensanglantée (il vient de dévorer une poule) et un crocodile, œuvres (oui... ŒUVRES) sauvées de l'anéantissement par des amateurs qui les ont extirpées in extremis du jardin abandonné, les sauvant ainsi de la destruction finale, récupération qu'il faut bien se représenter comme une solution de la dernière chance, certes assez peu orthodoxe, menée en rébellion face au vandalisme des bien-pensants et des inertes.

Portrait présumé de Roger Jeanton... détail de photo de B.Montpied, 2002..jpg
Adieu "JR"...

Lire la suite

Après le Gazouillis (3) : Sottise et jalousie concentrées à Saint-Berthevin, la haie de Guy Souhard éradiquée du paysage

     La haie taillée de Guy S. – c'est ainsi que je le nommais dans la notice que je lui ai consacrée dans mon inventaire du Gazouillis des éléphants, sans donner le patronyme complet, car je ne l'avais pas visité et n'avais donc aucun renseignement sur sa volonté ou non de voir figurer son nom en toutes lettres dans une publication – était un petit chef-d'œuvre d'art topiaire, situé apparemment dans un ensemble de villas de type classique, telles qu'on en voit dans les lotissements de si nombreuses périphéries urbaines (mon livre en propose d'autres exemples, à Remémont par exemple, dans les Vosges, en Lorraine). J'avais fait seulement une visite virtuelle, Google street aidant, et il me semblait que l'endroit, dans la commune de Saint-Berthevin, en Mayenne, méritait ce genre de création décorative pour égayer quelque peu l'ambiance générale, passablement aseptisée et monotone...

Google street en juin 2015.JPG

Google street, capture en juin 2015.

 

Ph Leroux 10 avril 15, la haie nue 05.JPG

Photo de la même, par Michel Leroux en avril 2015.

ph Leroux 03.JPG

L'auteur commente – hélas, c'est muet –, auprès de ses visiteurs ce qui ressemble à un arbre à l'imposante ramure abritant deux chaises, taillée en relief – à moins que ce ne soit un champignon géant? ; ph. Michel Leroux, avril 2015.

Google street en juin 2015, 3.JPG

Google street, capture en juin 2015.

 

      Et puis il m'apparut que l'auteur de cette haie laissait son patronyme circuler dans les quotidiens régionaux, et donc que je pouvais comme tout le monde l'appeler par son nom, Guy Souhard. Voici ce qu'il déclarait dans un ancien article d'Ouest-France (du 10 août 2016) : "Lorsque je commence, il me faut 45 heures de travail pour sculpter cette haie d'une longueur de 35 m, tout à la main, sans engin motorisé. Bien sûr, je répartis le travail sur plusieurs jours." A cette date, il était indiqué que les thuyas composant sa haie étaient plantés depuis 45 ans mais que cela ne faisait que 15 ans qu'il la taillait figurativement.

       Une lectrice de mon livre et de ce blog, Josiane Burzholz, m'adressa un peu plus tard, des photos qu'elle avait prises en mars de cette année. Guy Souhard avait relevé d'un cran son ambition esthétique, il avait rehaussé ses sculptures végétales de traits de peinture!

Guy S., St-Berthevin 5 mars 18 (2).jpg

La haie peinte de Guy Souhard, © ph. Josiane Burzholz, mars 2018.

Guy S. St-Berthevin ph Josiane Burzholz 1 (2).jpg

Détail de la haie peinte ; on notera qu'un éléphant y gazouillait, ici aussi... ; © Josiane Burzholz, mars 2018.

 

      Certes, ce soulignement coloré pouvait paraître discutable, car personnellement, je trouvais que la haie nue, avec ces fantômes de formes, dinosaure, allusion à Armstrong et à la chienne Laïka perdue dans un vol spatial par les Soviétiques (thème qui a aussi marqué Euclides Ferreira da Costa dans sa "Maison Bleue" à Dives-sur-Mer dans le Calvados, comme on s'en souviendra), symboles de jeu de cartes, silhouette de baleine, cœur, etc., se suffisait à elle-même dans sa pureté topiaire de départ. Mais cela plaisait à d'autres (Michel Leroux, bon connaisseur des environnements, m'a fait remarquer, à juste raison, qu'il ne connaît pas d'autres haies de ce genre, à savoir avec de la peinture dessus)...

      Las! Patatras... Et fatalitas... Voilà-t-y pas qu'un groupement de riverains a paru s'émouvoir de cette création pas comme les autres. Excipant du PLU (Plan Local d'Urbanisme), arguant (y a du ARGH dans "arguant" et, aussi, de la hargne presque) que la haie était trop haute (je vous demande un peu) et qu'elle débordait sur le trottoir (tu parles, les haies qui débordent ça manque pas, et qu'est-ce que ça peut faire, l'arrêt de bus limitrophe n'était tout de même pas dévoré par la haie... Dommage, du reste, on aurait enfin un peu rigolé à St-Berthevin...), ils ont réussi à faire imposer à notre sculpteur sur végétal de 86 ans qu'il arrache sa haie amoureusement taillée.... On ne peut pas être plus mesquin, d'esprit étroit, et jaloux que ces Berthevinois-là. Non? Il paraît que sur Facebook des internautes s'émeuvent et protestent. Moi, je ne m'affilie pas à ce fesse-bouc-là, mais vous êtes libres d'y aller, chers lecteurs. Et de vous indigner, comme disait l'autre...

    Guy Souhard annonce dans Ouest-France qu'il va entreprendre la construction d'une autre clôture, en métal cette fois, autre matériau qu'il apprécie, puisqu'il a aussi réalisé divers sujets en aluminium dans son jardin. Ah, Monsieur Souhard, vous êtes un vrai Edouard aux mains d'argent...

 

Article sur la destruction de la haie, oct 18.jpg

Article de Johan Bescond paru dans Ouest-France ces temps-ci...

Lire la suite

Après le Gazouillis (1): Le Jardin du Cuirassier, à B. de Clément V. (a)

Mise à jour du 13 août 2021, motivée par la visite finalement rendue, quatre ans après la note ci-dessous, à ce jardin (grâce à une faveur spéciale). Les habitants m'ayant gentiment demandé de ne pas les localiser, afin de repousser les visites fatigantes à leur âge. Le jardin n'est pas accessible de la rue, c'est une propriété privée.

 

      Le Gazouillis des Eléphants, mon inventaire des environnements populaires spontanés en France n'est pas encore diffusé en librairie (c'est officiellement pour le 2 novembre), mais me démange l'envie de parler d'un site récemment découvert, à travers un petit morceau de papier de 10 x 15 cm, appelé communément carte postale, que j'ai chiné ces jours-ci. Encore un site dont je n'avais jamais entendu parler (et pourtant, je vous prie de croire que je suis bien documenté sur le sujet...).

       Ce site fera à n'en pas douter partie de mon futur supplément au Gazouillis.

 

Clément V. (1877-1952), "Le jardin du cuirassier", à B.

 

Le Jardin du cuirassier à Bou, Loiret (années 50) (2).jpg

"Curiosités régionales : le jardin du cuirassier", cp, éditions R. Guibout, Combleux.

 

           Situé près d'Orléans, soit non loin de la propriété excentrique de Marcel Lambert (voir Le Gazouillis des éléphants dans la région Centre) et de la petite maison du sculpteur et dessinateur brut André Robillard à Fleury-les-Aubrais, ce village de B. possède un site curieux qui ne m’a été révélé, dans un premier temps que par une unique carte postale, paraissant dater des années 1950-1960 étant donné ses bords dentelés caractéristiques de ces périodes.

          On y découvre un jardin structuré apparemment autour d’une allée principale, au bout de laquelle on repère la statue du cuirassier qui donna sans doute son nom au jardin. D’autres statues de style plutôt naïf se laissent également voir ça et là au milieu des plantes, de même que des socles supportant deux chiens de grandes dimensions, des vasques, des jarres, des maquettes, et des jardinières, le tout le plus souvent recouvert de coquillages et de bouts de faïence. De part et d’autre de l’allée, on distingue deux autres statues, des enfants. Les deux personnages ont la tête couverte, celui de gauche portant une casquette à grande visière et l’autre un chapeau rond. Les symboles des cartes à jouer paraissent avoir de l’importance pour l’auteur de ce décor. On découvre en effet un losange en forme de carreau dessiné par des fils placés en l’air, et un trèfle dessiné par un évidement au sein d’un support placé par-dessus un énorme vase installée comme à la croisée d’allées, à un point central du jardin. Enfin, tandis qu’à droite de l’image on note la présence d’une pompe antique, à gauche, on devine un tonneau à demi dissimulé derrière un tronc d’arbre ou un pan de mur.

          Hormis le surnom du jardin et le nom de la commune, on ne trouve sur la carte aucune indication qui donne le nom de l’auteur de cet environnement, la date de sa création, les significations qui s’attachent à ces sculptures. L’idée de représenter un cuirassier me paraît insolite dans les années 1940-1950. Ce type de soldat, faisant partie de la cavalerie, exista au moins jusqu’à la guerre de 1914-1918. La cavalerie devenant progressivement blindée au XXe siècle, le terme fut conservé ici et là pour certains régiments, mais l’uniforme traditionnel avec la cuirasse disparut en même temps que les chevaux. La statue que l’on devine au fond de l’allée, au torse pourvu d’une armure et la tête, semble-t-il, coiffée d’un casque à plumet, se réfère visiblement aux cuirassiers anciens, probablement à ceux qui furent engagés durant la première guerre. Peut-être est-ce un souvenir d’un vétéran de ce conflit qui, sur ses vieux jours, le dressa pour mémoire au milieu de son jardin ?

*

      J'en étais là de mes réflexions sur ce site, ne trouvant pas d'informations Google sur l'existence préservée de nos jours quand Régis Gayraud m'affirma que si!... On trouvait un article de 2015 de la République du Centre signalant que le site existait toujours. Par quel miracle cet article avait-il pu faire son apparition sur le moteur de recherche alors qu'il y a quelques jours encore on ne trouvait rien? La première mise en ligne de la présente note avait-elle repêché et relié l'article? C'est fort possible. En tout cas, on apprend que le site, créé en 1940, existe toujours, protégé apparemment par les héritiers de Clément V. – l'ancien vigneron qui fut son auteur – sa petite fille Ginette et son mari Robert. Il avait bien représenté – mon intuition ci-dessus est bonne – son petit-fils et sa petite-fille (les enfants chapeautés) dans le jardin, cette dernière étant sans doute la dame que l'on voit sur la photo ci-dessous, à 80 ans passés... Cette même photo en faible résolution qui montre aussi que le fameux cuirassier est toujours debout.

le jardin du cuirassier,bou,environnements populaires spontanés,cavalerie,armée,régiment de cuirassiers,gazouillis des éléphants,cavalerie blindée,trèfle,carreau,jeux de carte

Photo Jean-Paul Huber

 

 

Lire la suite

270 bouteilles de Louis et Céline Beynet entrent au Musée Cécile Sabourdy cet hiver

        https://fr.calameo.com/books/0065644650a45d3a7d5ab

     Ce n'est généralement pas mon habitude de débuter mes notes du Poignard par un lien... Mais après tout, pourquoi pas? Grâce à lui, vous pouvez aller directement vers le dossier de presse concocté par le Musée Cécile Sabourdy de Vicq-sur-Breuilh dans le Limousin, relatif à l'exposition "Figure Libre" qui présente (de décembre 2021 à mai 2022) les entrées dans le fonds permanent du musée de quatre groupes de créations relevant tantôt de l'art singulier (Alain Lacoste, pas venu là par hasard, on devine une influence du collectionneur Michel Leroux, défenseur de cet artiste, l'un des grands ancêtres de l'art dit singulier), tantôt de l'art naïvo-brut (des totems de Cahoreau, là aussi défendu par Michel Leroux), et surtout des bouteilles des époux Beynet, récupérées cet automne par mon entremise, à la suite d'un voyage avec deux collaboratrices du musée (dont sa directrice, Stéphanie Birembaut) : 270 bouteilles peintes et quelques statues, dont une consacrée à l'effigie de la Liberté, à restaurer...), voire tantôt de l'art moderne (Jacques Lortet, l'époux de Marie-Rose). Les Beynet, les lecteurs assidus de ce blog se souviennent que j'en ai déjà beaucoup parlé sur ce blog, ainsi que dans des revues, L'Or aux 13 îles (n°3, 2014), ou Trakt (n°11, en juillet 2020), ou bien encore dans mon gros inventaire des environnements populaires spontanés, Le Gazouillis des Eléphants (aux Éditions du Sandre en 2017) .

Echantillon de bouteilles récupérées par musée Sabourdy (2).jpg

Bouteilles des Beynet après nettoyage, en attente d'être emportées au musée Cécile Sabourdy, ph. Bruno Montpied, septembre 2021.

Les cageots de bouteilles peintes sortis du grenier de la grange (2).jpg

Les bouteilles qui venaient d'être sorties de la grange où elles étaient entreposées, dans des cageots, ph. B.M, septembre 21.

 

      Les bouteilles peintes des Beynet ne sont pas faciles à exposer, en particulier dans une exposition collective, et ici à côté des oeuvres d'un Lacoste toujours pétaradant au point de vue de son graphisme et de ses couleurs, tellement éclatantes que cela peut nuire à l'approche tout en délicatesse des saynètes beynettiennes, peintes avec la poésie modeste de l'enfance, à l'opposé du clairon d'une œuvre telle que celle d'un Alain Lacoste. L'équipe du musée, emmenée par Stéphanie Birembaut, a fait au mieux, avec les moyens dont elle dispose.

Femme nue sur le trône (2).jpg

Bouteille Beynet, femme nue sur son trône (ce genre de scène revient régulièrement chez Beynet, qui adore représenter des gens, la plupart du temps nus, assis sur des cuvettes de W-C....), oeuvre récupérée par le Musée Cécile Sabourdy, ph. B.M., sept. 21.

Fileuse (gros plan)(2).jpg

Bouteille Beynet, fileuse, coll. Musée CS, ph. B.M., sept. 2021.

 

      Cependant avouons que cette confrontation ne semble pas avoir été tentée ailleurs que dans le dossier de presse (je n'ai pas encore vu l'exposition sur place). En réalité, les deux groupes d'œuvres sont présentées à des étages différents, les bouteilles des Beynet voisinant plutôt avec les petits "totems" de Cahoreau au dernier étage, sous les combles.

Bouteilles exposées au musée CS.jpg

L'accrochage des bouteilles des Beynet sous les combles du Musée Cécile Sabourdy, exposition "Figure libre". La suspension est bien le meilleur moyen d'attirer l'attention sur le particularisme de ces peintures sur bouteille... ph. Musée C.S.

Le gendarme à cheval (2).jpg

Bouteille Beynet, un gendarme à cheval, coll. Musée CS, ph. B.M., sept. 21.

Le gendarme à cheval (avers à l'horloge)(2).jpg

La même bouteille Beynet que ci-dessus, l'autre côté, où l'on aperçoit, pointant son museau, la tête du cheval du gendarme,  coll. Musée C.S., ph. B.M.,, sept. 21.

 

     Ces bouteilles ont des images fuyantes par surcroît, puisqu'apposées au pourtour de bouteilles. Comment les montrer? Dans la petite boutique (appelé par les journalistes locaux le "Musée des bouteilles décorées") où le couple les présentait, à Auzat-sur-Allier (Puy-de-Dôme), une bonne partie était suspendue à des crochets au-dessus des têtes des visiteurs. D'autres étaient posées sur des tables. Le tout très serré, très dense, avec quelques statues émergeant au milieu, pour leur majorité non conservées (seuls des petits sujets, dont un coq, et surtout une Statue de la Liberté (que j'ai reproduite dans mon Gazouillis des éléphants en 2017) ont pu être récupérées par le Musée Cécile Sabourdy, sur mon insistance, le jour où nous allâmes chercher, en septembre dernier, les bouteilles qui restaient chez la fille de cœur des Beynet, Mme Louise Bardon.

L et C Beynet dans une cour, ptetre années 80 (2).jpg

Un portrait du couple Beynet, photo d'un anonyme, peut-être effectuée dans les années 1980, nouveau document récupéré lors de notre visite à la "fille de cœur" des Beynet, ph. B.M., sept. 21.

 

      Les exigences de sécurité et de conservation rendent difficiles l'exposition de ces œuvrettes qui ne peuvent être toutes exposées sous plexiglas, je suppose... Heureusement, toutes ne nécessitent pas que l'on tourne autour d'elles (probablement, sont-ce celles que Louis Beynet laissait plutôt posées sur des tables et guéridons?), ayant leur image principale (un personnage) d'un seul côté, le reste étant consacré à un remplissage végétal et floral. Ce sont même probablement la majorité des 400 bouteilles (estimation  à la louche) peintes par Louis Beynet, qu'assistait sa femme pour les finitions nécessitant une vue plus fine que la sienne (toutes les bouteilles n'ont pas toujours, cela dit, les initiales des deux époux apposées au cul des bouteilles ; il ne faut donc pas tout le temps attribuer la création de ces peintures systématiquement aux deux membres du couple, même si cela établit une parité homme/femme qui relève en l'espèce d'un néo-féminisme un peu sourcilleux...).

100% cochon, charcuterie (2).jpg

Bouteille Beynet, "100% cochon. CHARCUTERIE", coll. Musée CS, ph. B.M., sept. 21.

Lire la suite

Plutôt qu'une nécrologie: je me souviens de mes rencontres avec Marie Jakobowicz

     Alors, c'est ainsi, je n'aurai plus jamais l'occasion d'entendre le téléphone sonner et à l'autre bout du fil résonner la célèbre entame " Allôôô...? Céééé Mâââ-rie...", m'annonçant l'inévitable monologue que Marie Jakobowicz, d'un ton un peu désabusé, comme refusant d'avance toute phrase qu'on pourrait lui rétorquer, s'apprêtait à débiter. Ça durait un petit moment, tellement, que j'en lâchais parfois l'écouteur, posais le téléphone et allais vaquer à d'autres occupations. Je revenais cependant bien vite, de peur qu'elle croit qu'on lui avait raccroché au nez... Et invariablement, je constatais qu'elle était toujours en train de parler à l'autre bout. Puis elle rompait brusquement la conversation, disait: "Bon, eh bien, au revoir...", tout à trac, sans que rien ait pu le laisser prévoir. Je me faisais avoir à chaque coup.

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

Marie Jakobowicz au Musée de  la Création Franche à Bègles, pour l'exposition que le musée lui consacrait en 2016 ; ph. archives du Musée de la CF.

 

     Marie Jakobowicz (1934-2020) est  morte il y a un an, dans le XVe arrondissement de Paris. Je l'ai appris avec retard, grâce au Musée de la Création franche, à qui elle avait fait donation d'une centaine de ses œuvres ces dernières années (d'autres collections ont conservé de ses oeuvres, la collection Cérès Franco et la Fabuloserie). Nous n'étions que des connaissances, nos relations les plus suivies ayant existé surtout au début des années 1980. Pas vraiment ce que l'on appelle des amis, plutôt des complices, des collègues... Plus âgée que moi, d'une vingtaine d'année, j'étais tombé sur elle à la suite d'une petite annonce dans Libération. Un monsieur qui s'appelait André Chamson (si ma mémoire ne me trompe pas sur l'orthographe de ce patronyme), comme l'écrivain, invitait à exposer dans sa "galerie" du côté de Louveciennes. Je m'y étais rendu pour découvrir avec dépit qu'il ne s'agissait que d'un garage... Mais il m'avait donné le contact d'une personne qui s'intéressait à l'art brut et avec qui j'avais peut-être des points communs. J'ai alors dû lui téléphoner, et, un jour Marie a débarqué dans l'appartement que je partageais avec Christine, ma bonne amie de l'époque, dans le Xe ardt. Elle eut, je pense, toujours de l'intérêt pour les gens plus jeunes qu'elle. Elle donnait des cours particuliers de dessin à des enfants dans son appartement du XIIe arrondissement, très curieuse de ce qui allait provenir d'eux...

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

Marie Jakobowicz, sans titre, dessin à l'encre, 21 x 29,7 cm, vers 1984; ph. et coll. Bruno Montpied.

 

       De qui ou de quoi parlâmes-nous? D'art brut sans doute, que je venais de découvrir à travers quelques fascicules du même nom, sans bien en comprendre les limites. Elle non plus je pense ne savait pas exactement à quoi s'en tenir (et je pense qu'elle ne s'en est jamais vraiment souciée davantage par la suite)... Nous étions désireux d'explorer la possibilité de montrer ce que nous dessinions et peignions, et l'art brut – on l'imaginait – paraissait pouvoir accueillir des gens comme nous, non issus des écoles d'art. Ce n'était pas de l'arrivisme de notre part, seulement un besoin naturel de confronter ce que nous créions à un public de gens extérieurs, puisque l'on concevait l'art comme un autre langage, plus essentiel, allant au cœur des choses. Elle me parla d'un ami, Jean Couchat, qui avait envoyé des dessins et avait été pris par la Collection de l'Art Brut à Lausanne (ouverte au public en 1976). C'était donc simple, il suffisait de faire comme lui, et d'envoyer des dessins. C'est ce que je fis. J'expédiais quelques photocopies de mes dessins à Lausanne, que je me vis prestement retourner avec une lettre de refus de Michel Thévoz, quoique bienveillante. Il m'écrivit – avec un mot dont il usait abondamment à l'époque –  qu'il ne voyait pas assez de "jubilation" dans mes dessins. En 1983, au Forum des Halles, devant les animateurs de l'Aracine, qui avaient monté leur deuxième exposition dans une salle louée au niveau -3 de ce centre commercial, mes dessins n'eurent pas plus de succès. On me répondit que j'étais trop "décoratif", que cela faisait "BD"... Bref, ça n'était pas pour eux (mais ce fut dit avec une certaine sévérité, bien différente du ton plein d'urbanité de Thévoz). Et  c'est vrai que je n'avais au fond rien à voir avec l'art brut, que Madeleine Lommel recherchait. Je le compris mieux plus tard.

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

Bruno Montpied, le genre de dessin montré en 1983 aux collectionneurs d'art brut, comme ceux de l'Aracine ou de la Collection de l'Art brut ; ph. B.M.

 

      Je ne peux pas leur en vouloir. De plus, les dessins que j'avais choisis de montrer,  étaient très cernés, un peu figés. J'étais bien naïf de vouloir à tout prix les montrer. Et peut-être que je m'étais trompé de destinataires, qui plus est... Marie Jakobowicz, à cette époque, ne recueillait pas plus de suffrages. Cela changea avec le temps.

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

La jaquette dépliée de la pochette de notices (en simples photocopies) ayant servi de catalogue pour la première exposition de l'association L'Aracine, à Aulnay-sous-Bois, "Jardins Barbares", 8 janvier-14 février 1982 ; archives B.M.

 

     L'Aracine, c'était Marie Jakobowicz aussi qui m'en avait parlé la première (en avait-elle entendu parler à la fac' de Vincennes, que Madeleine Lommel, la principale animatrice de l'association, fréquentait aussi?), en me prévenant en particulier de la première expo que l'association monta en région parisienne à la Maison de la Culture de la Seine Saint-Denis, à Aulnay sous-Bois en 1982. Cela s'appela "Les Jardins Barbares", expo mythique de l'association l'Aracine. Celle-ci réussit le tour de force de faire entrer dans un musée national, celui du LaM à Villeneuve d'Ascq, à côté de Lille, la collection d'art brut qu'elle avait rassemblée en à peine 15 ans. Soit dit entre parenthèses, les trois animateurs de l'Aracine (Lommel, Nedjar et Teller) obtinrent ainsi d'inclure  une collection d'art brut dans un musée d'art moderne et contemporain, ce que Dubuffet pour sa part avait décliné hautement, suite à la proposition du ministre de la Culture de l'époque, Michel Guy, au début des années 1970. Selon Dubuffet, l'art brut n'avait pas à être mélangé à l'art moderne. A Lausanne, la collection a trouvé un espace à elle seule dévolue, et c'est aussi bien.

    Au LaM, cela dit, la collection d'art brut jouit tout de même d'un espace indépendant, ce qui est étrange lorsque l'on se rend là-bas. L'art brut irradie des ondes qui le séparent des autres collections plus contemporaines et modernes, montrant bien qu'il est quelque chose d'autre, n'en déplaise à certains marchands et critiques d'art actuels.

     Autre aussi se sentait Marie Jakobowicz alors. Elle avait des préoccupations, des hantises bien légitimes (quand je l'ai rencontrée, elle ne savait pas encore de façon assurée ce qui était arrivé à son père, dont elle n'ignorait pas qu'il avait été déporté par les Nazis, tandis qu'elle et sa mère, plus un cousin, avaient été cachés par la concierge de leur immeuble à la cave, la veille de la rafle du Vel d'Hiv' ; elle apprit véritablement le sort de son père – tué par les Nazis à Auschwitz – seulement au début des années 1990). J'étais assez différent, polarisé sur d'autres motifs, et issu d'une famille de Français ordinaires. Critiques vis-à-vis de la société, nous l'étions tous deux, mais sans être de la même génération. En 1966, année de la mort d'André Breton, elle était dans le public du colloque sur le surréalisme à Cerisy-la-Salle (on retrouve ses interventions dans les actes du colloque dans certaines discussions suivant les conférences, actes qui ont été republiés chez Hermann en 2012). Moi, en 1966, j'avais 12 ans et j'ignorais tout de ces sujets, n'en ayant jamais entendu parler dans ma famille qui était globalement ignorante des événements culturels. 1968 arrivant derrière, Marie, qui avait 34 ans, fut touchée en profondeur par les événements, les nouvelles problématiques, les libérations des mœurs surgissant alors. Sur moi, qui n'avais que 14 ans au même moment, les événements provoquèrent aussi une onde de choc, quoique atténuée dans la gangue de coton où m'enfermait ma famille.

     Notre rencontre,  vers 1980 ou 1981, a tenu donc du hasard objectif. Par elle, j'entendis parler de Michel Nedjar, d'Art Cloche, d'Ody Saban... Qui relevaient plutôt des "Singuliers de l'Art" (Nedjar seul y figurait du reste), terme qu'Alain Bourbonnais et Suzanne Pagé avait mis à la mode au moment de l'exposition du même nom en 1978 au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris. marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

   Après "les Jardins Barbares", je ne lâchai plus l'Aracine jusqu'au début des années 1990, me plongeant dans les problématiques de l'art brut de mon côté sans fin, tandis que Marie restait plus distante vis-à-vis de ces sujets. Elle se sentait plus concernée par la politique, les minorités opprimées – ou plutôt les minorées, si l'on pense aux femmes elles-mêmes –, par les migrants, et cela s'accentua à partir de 2000. Cela se déduisait de nos quelques échanges, mais je l'ai compris davantage en relisant la petite monographie que lui édita André Rober en 2015.

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

Marie Jakobowicz, dessins, peintures, sculptures, écritures, éditions K'A, février 2015.

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

Marie Jakobowicz, sans titre (?), dessin au pastel sur papier Canson noir, 50 x 65 cm, collection Cérès Franco.

 

     Quad je l'ai rencontrée elle était en plein dans la création de dessins au pastel ou à l'encre de Chine. Il semble que cette période ait duré de 1980 à 1985 (d'après une notice biographique parue sur le site web de la Collection Cérès Franco). Par  la suite, elle se mit à relativiser cette production (et l'abandonner, à mon avis une erreur ; elle disait même que cela lui venait trop facilement), préférant insister sur le fait qu'elle s'était mise à la sculpture, voulant avec ostentation montrer qu'une femme, même fragile comme elle (elle souffrait alors de vertiges de Ménière qui la faisait s'écrouler dans les lieux où elle restait trop longtemps debout), était capable de se colleter à des matériaux lourds, a priori peu maniables par une "faible" femme... Elle voulut aussi par la suite, au fil des années, me démontrer que l'art pour elle se devait de s'engager au service de causes politiques, en l'occurrence celle des Palestiniens, ou des migrants, ou de l'anti racisme. Je comprenais fort bien, étant donné son histoire personnelle, la tragédie familiale dont elle et sa parentèle avaient été victimes, qu'elle subissait une pression mentale terrible de ces côtés-là. Mais je n'étais pas d'accord avec cette mise sous tutelle de l'expression créative, et lui répétais, à chaque fois que je la voyais, que sa période des pastels était ce que je trouvai de plus fort dans sa production. En témoignage d'amitié, après l'exposition collective que Danielle Jacqui m'avait laissé le loisir d'organiser dans une salle, avec 16 artistes ou créateurs que j'avais sélectionnés, dans le cadre du 9e Festival d'art singulier d'Aubagne, elle finit par m'offrir un des dessins sur papier Canson qu'elle y exposa, en format raisin, le genre de format qu'elle affectionnait.

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

Vue de la salle "carte blanche à Bruno Montpied" dans le 9e festival de l'art singulier d'Aubagne (2006) ; au premier plan, des sculptures de Bernard Javoy, et de Roland Vincent, au fond, de gauche à droite:  Marilena Pelosi, Michel Boudin, Marie Jakobowicz, Olivier Jeunon et Pierre Albasser ; ph. B.M.

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

Marie Jakobowicz, sans titre, pastel sur papier Canson noir, 50 x 65 cm, ph. et coll. B.M.

 

     Je n'ai en effet quasiment jamais choisi (à quelques exceptions près au début de ma production) de plier l'inspiration qui préside à l'expression graphico-picturale à la défense ou l'illustration d'une cause politique ou idéologique. L'art à mon sens n'est jamais plus fort que lorsqu'il se déploie sans autre but que le message inconscient qu'il cherche à délivrer.

 

marie jakobowicz,fabuloserie,collection de l'art brut,collection cérès franco,bruno montpied,colloque cerisy-la-salle sur le surréalisme,art singulier

Bruno Montpied, Portrait de Marie Jakobowicz, 30 x 30 cm, 2021.

 

 

Lire la suite

Parution du livre de Benoît Jaïn, ”Pierre Jaïn, un hérétique chez les Bruts”

     Comme on va me rétorquer que, puisque j'en ai écrit la préface, et que j'ai été à de nombreuse reprises l'instigateur de redécouvertes du sculpteur d'art brut douarneniste Pierre Jaïn (entre autres, sur ce blog), il n'est pas étonnant que je défende l'édition du livre de Benoît Jaïn récemment paru sur son grand-oncle (et l'on ne s'embarrassera pas alors pour me reprocher mon copinage...), je répondrai que c'est parce que j'ai toujours été profondément intrigué par l'œuvre et la personnalité de Pierre Jaïn que je défends toutes les entreprises  qui visent à faire connaître ce créateur hors-normes. Donc, pas de souci, nulle complaisance ici.

PIERRE-JAÏN-UN-HÉRÉTIQUE-CHEZ-LES-BRUTS-couv.jpg

 

     Il est logique que je vous conseille de vous procurer Pierre Jaïn, un hérétique chez les "Bruts", aux éditions YIL, surtout si l'on aime la problématique de l'art brut, de ses liens avec l'art populaire rural d'autrefois, et accessoirement l'imaginaire traditionnel breton. Cela vient tout juste de sortir, et ce ne sera peut-être pas très facile de se le procurer partout  (pour le moment, la librairie de la Halle Saint-Pierre en possède quelques exemplaires, et sans doute le trouve-t-on en différents points de la Bretagne, mais sa diffusion paraît d'ores et déjà restreinte, du genre bouche à oreille, ou d'un mail à l'autre ; le mieux étant, pour ceux qui seraient loin de Paris et de la Bretagne - il y en a... -, de le commander à ce lien : http://yil-edition.com/produit/pierre-jain-un-heretique-c...). J'en profite au passage pour signaler l'exposition qui se tient en ce moment dans son village natal, à Kerlaz (Finistère), non loin de Douarnenez (voir le carton ci-dessous). Que les gens passant par là-bas durant la semaine qui vient ne manquent pas l'événement, cela se termine  le dimanche 23 juillet. On doit sûrement y trouver le livre de Benoît Jaïn.

carton expo pierre jain copie.jpg

 

     Pierre Jaïn, ce "colosse boîteux", comme le surnomme Benoît dans son livre, m'est apparu très tôt, avant même que je ne découvre le cas du sculpteur creusois François Michaud – lui-même au carrefour entre l'art populaire rustique et l'art brut (mais plus tôt que Jaïn ; si ce dernier a commencé grosso modo après guerre la sculpture, sur pierre, puis sur bois, et enfin sur os après la mort de sa mère en 1964, et trois ans avant sa propre mort,  on sait que François Michaud a œuvré dans la deuxième moitié du XIXe siècle) –, comme un cas que les défenseurs sourcilleux de l'art brut orthodoxe ne voulaient envisager que sous un seul aspect, le plus conforme à leur vision de l'art brut. La même chose s'est reproduite ailleurs avec le dessinateur bourguignon Maugri que l'animatrice principale de l'Aracine, Madeleine Lommel, refusait d'envisager dans toutes ses dimensions, de dessinateur naïf, dessinateur visionnaire, et dessinateur automatique (et donc "brut"), ne privilégiant que la dernière veine. Selon mes vues, il me paraît fort partial et injuste de découper en tranches l'œuvre d'un homme. L'information se doit d'être la  plus complète à son sujet, quitte à donner ses préférences dans un second temps.

Le-Diable-et-la-femme-1.jpg

Pierre Jaïn, La femme et le dragon, bloc de bois sculpté représentant le diable avec une femme (sorcière?), coll. particulière, ph. Bruno Montpied, 2013.

pierre jaïn,benoît jaïn,art brut,art populaire rural,sculpture naïve,art populaire visionnaire,kerlaz,docteur maunoury

Pierre Jaïn, personnage sculpté dans la pierre, placé dans un tube de métal, ancien élément de la "batterie" du sculpteur (merci à Benoît qui m'a donné cette précision), jardin de Kérioré-Isella, Kerlaz, ph. B.M., 1991.

pierre jaïn,benoît jaïn,art brut,art populaire rural,sculpture naïve,art populaire visionnaire,kerlaz,docteur maunoury

Pierre Jaïn, os d'omoplate taillée et colorée, coll. de l'Art Brut, Lausanne, ph. Arnaud Conne.

 

     Benoît Jaïn ne l'entend pas de cette oreille et il nous donne avec cet ouvrage un portrait des plus complets, dans l'état actuel des informations disponibles, de son grand-oncle, à l'inspiration éclectique, visant selon lui à un projet universaliste qui fut parfaitement incompris de ses contemporains (et ajoutons-le, toujours aussi méconnu des contemporains actuels). Son livre dévoile un grand nombre d'œuvres de Pierre, le plus souvent détourées, mariées ainsi plus intimement à son texte, où, seul bémol que j'apporterai quant à la maquette typographique, l'on peut s'agacer de l'usage répété du gras dans les caractères soulignant inutilement les membres de phrases sur lesquelles l'auteur veut attirer l'attention du lecteur par une espèce de tic didactique.  On oublie cependant vite ce défaut bénin, à mesure que l'on suit Benoît, nous déroulant progressivement comme dans une balade séduisante  le labyrinthe de cette œuvre hétéroclite restée  longtemps inédite, expérimentale souvent, mais aussi déployant des sortes de transposition d'après diverses sources iconographiques que le sculpteur kerlazien recueillait pieusement dans sa maison.

pierre jaïn,benoît jaïn,art brut,art populaire rural,sculpture naïve,art populaire visionnaire,kerlaz,docteur maunoury

Œuvre sculptée de Pierre Jaïn, démarquée des photographies illustrant le livre de Denise Paulme et Jacques Brosse, Parures africaines (éd. Hachette.), ph. B.M., 2013.

 

     En effet, nombreuses paraissent être les œuvres qui s'inspirent de modèles dénichés dans les livres dont le sculpteur aimait à s'entourer. Benoît publie dans son livre une petite partie de sa bibliothèque telle qu'elle a pu être malaisément reconstituée, à la fois pour montrer sans détour la manière de procéder de son aïeul et à la fois pour démontrer que l'autodidacte ne dédaignait pas de se construire ses propres références, s'intéressant aux peuples africains, à la cryptozoologie (science des animaux à l'existence controversée), à l'astronomie, aux mysticismes divers (il avait des relations avec les Témoins de Jéhovah), car il était très pieux, à l'histoire, à la préhistoire, et à la musique. Pour cette dernière, il pratiquait, chantait en s'accompagnant sur une batterie bricolée dont Benoît nous détaille dans le livre les différents éléments, ce qui intéressera les amateurs de musique brute qui croisent de temps à autre sur ce blog.

pierre jaïn,benoît jaïn,art brut,art populaire rural,sculpture naïve,art populaire visionnaire,kerlaz,docteur maunoury

     C'est aussi l'occasion pour Benoît Jaïn d'insister sur l'environnement de sculptures et installations diverses que son grand-oncle avait fini par constituer autour de la ferme familiale, où, aujourd'hui encore, subsistent quelques-unes des ses pierres sculptées (à ce titre, le jardin figurera dans mon prochain livre, Le Gazouillis des éléphants, à paraître en novembre). S'il y avait organisé sa "batterie" loufoque le long d'une clôture, il avait disposé aussi une hutte contenant une femme nue sculptée, des sortes de galettes de ciment incrustées de divers accessoires, un totem dont il ne reste aujourd'hui que la tête (voir ci-dessous)...

pierre jaïn,benoît jaïn,art brut,art populaire rural,sculpture naïve,art populaire visionnaire,kerlaz,docteur maunoury

Benoît Jaïn présentant la tête, vestige de l'ancien totem du jardin (pour voir l'aspect du totem complet dans le jardin, se référer à mon livre à paraître en nov.17), ph.B.M., 2013.

 

      Le livre propose aussi, heureuse initiative, un lexique des principales catégories artistiques auxquelles on pourrait rattacher l'œuvre de Pierre Jaïn, avec leurs définitions et les caractéristiques que l'œuvre possède en rapport avec ces catégories.

pierre jaïn,benoît jaïn,art brut,art populaire rural,sculpture naïve,art populaire visionnaire,kerlaz,docteur maunoury, éditions YIL,

Une page, la 91, de Pierre Jaïn un hérétique chez les "Bruts", avec un Yéti, un Néandertalien, un dinosaure... 

 

      En conclusion, cet ouvrage est aussi une éclatante réponse de la famille du "colosse boiteux" aux rumeurs propagées au départ par le Dr.Maunoury, puis par Michel Thévoz et Michel Ragon, ayant exagéré la destruction  par les proches de Pierre Jaïn des œuvres décrétées les plus originales par eux. S'il y a bien eu des pièces rejetées et perdues (certaines sont parfois retrouvées par Benoît en fouillant le sol autour de la ferme, quand il a l'occasion de se faire archéologue de l'art brut), cela ne paraît concerner en définitive qu'une minorité d'œuvres. Et c'est finalement du sein de la famille qu'est sortie la voix la plus habilitée pour défendre la mémoire de Pierre Jaïn, hérétique par rapport à l'art brut, hérétique par rapport à toutes les religions, et ajoutons-le, par rapport à toutes les catégories artistiques.

     Enfin, un dernier point à signaler. Cet ouvrage, commandé par moi au départ à Benoît Jaïn, aurait dû être le cinquième opus de la collection La Petite Brute que je dirigeais aux éditions de l'Insomniaque et qui a cessé de paraître, faute de lecteurs, de presse, de diffusion, etc. Pour mémoire... (D'un certain point de vue, cela fut une bonne chose pour cet ouvrage, car son auteur, Benoît, a pu ainsi réaliser lui-même la maquette de son ouvrage, profitant de sa compétence d'infographiste).

*

On consultera si l'on veut être tenu au courant des actualités autour de Pierre Jaïn le site internet suivant, créé par Benoît: http://pierrejainartbrut.com/

Lire la suite

17/07/2017 | Lien permanent

Il y a cent ans mourait l'abbé Fouré: le Guide de son Musée des bois sculptés réédité dans un dossier signé Bruno Montpi

     Ouf, ça y est enfin, est paru le dossier que je préparais depuis des lustres sur les sculptures en bois de l'abbé Fouré, parfois appelé aussi l'ermite de Rothéneuf. Il sort dans une revue nouvelle, L'Or aux 13 îles, d'inspiration surréalisante, concoctée par le poète et collagiste Jean-Christophe Belotti, qui en l'espèce avec la collaboration d'un bon maquettiste, Vincent Lefèvre, a réalisé là un très bel objet (108 pages, illustrations noir et blanc et couleurs en majorité) .

première de couverture de L'Or aux 13 îles.jpg
En couverture, le Musée fantôme de l'abbé Fouré...

     N°1, janvier 2010. Cent ans après la mort de l'abbé, je tire ainsi mon chapeau à la mémoire de cet extraordinaire sculpteur de roches à l'air libre (sur la côte, au-dessus de la Manche, nous sommes dans la banlieue de St-Malo, dans un bourg qui fut autrefois du temps de l'abbé, au début de l'autre siècle, une station balnéaire en vogue) et sculpteur aussi, ce que l'on sait un peu moins, de bois aux formes tourmentées qu'il entassait dans son "ermitage" au coeur du bourg. Les cartes postales ont popularisé ces statues géniales qui étaient joyeusement peinturlurées en outre (ce que les cartes en noir et blanc ne révèlent malheureusement pas).

    Page gauche du dossier sur les bois sculptés de l'abbé Fouré.jpgPage de droite pour le dossier sur les Bois Sculptés.jpg
Pages de présentation du dossier sur les Bois sculptés, comprenant introduction  et réédition du Guide du Musée de l'Ermite de Rothéneuf 

     Le dossier se divise en deux parties, une introduction qui resitue le personnage, son oeuvre, et retrace également les étapes qui m'ont mené à découvrir vers 1989 l'existence d'un document étonnant que personne jusqu'ici n'avait songé à rééditer en son intégralité (en l'occurrence, en fac similé), le Guide du Musée de l'ermite, daté de 1919 (la même année que La Vie de l'Ermite de Rothéneuf, autre petite brochure plus biographique dûe à la plume de l'historien régional Eugène Herpin, dit "Noguette" et imprimée dans la même maquette chez le même imprimeur de St-Malo (R. Bazin)). Les lecteurs de ce modeste blog se souviendront peut-être que je l'ai mis en ligne ici même à la date du 24 septembre 2009. Ce Guide décrit par le menu les oeuvres que conservait le musée après la mort de l'abbé. Dans cette réédition de L'Or aux 13 îles, j'ai bien entendu mis en parallèle les cartes postales montrant les oeuvres décrites. Tout fonctionnait ainsi à merveille à l'époque pour les estivants qui visitaient l'Ermitage de Haute-Folie (tel était le nom de l'habitation de l'abbé).Abbé-Fouré-,GalInfCôtéDroit.jpg On pouvait repartir avec un guide et des images sur cartes postales. Ces dernières sont plus rares aujourd'hui que celles représentant les rochers sculptés, car les pièces sculptées et l'ermitage ont désormais disparu tandis que les rochers subsistent, sans qu'on sache très bien à quel moment l'anéantissement eut lieu (il faudra faire confiance aux chercheurs qui nous suivront pour éclairer ce point).

Couverture du Guide du Musée de l'Ermite de Rothéneuf, auteur inconnu, 1919.jpg
La couverture d'un document rare...

      Pour marquer le coup de cette parution (veuillez lire les renseignements pratiques pour l'acquisition de la revue au bas de cette note), je ferai un exposé sur l'abbé Fouré à l'auditorium de la Halle Saint-Pierre, 2, rue Ronsard à Paris (18e ardt), le dimanche 7 février prochain à 15 heures, illustré de photos des sculptures de l'ermite, sur bois et sur roches. Jean-Christophe Belotti sera également là pour présenter la revue et toute l'étendue de son sommaire qui ne se limite pas, loin de là, à mon dossier sur l'ermite. On y trouve de nombreuses collaborations, un dossier fort important sur le peintre surréaliste discret Jean Terrossian, un article sur le film Démence de Jan Svankmajer, des textes polémiques à propos de Sade et de Nadja par Jean-Pierre Guillon pour le premier, et par Jorge Camacho, Bernard Roger et Alain Gruger pour la seconde, une enquête sur l'exaltation avec des réponses de Roger Renaud qu'illustrent des oeuvres de Josette Exandier fort belles ma foi. Le tout coiffé d'un éditorial rédigé par Jean-Christophe Belotti dont les collages parsèment la revue.

 
Menu-du-n°1-L'Oaux13.jpg
Le sommaire, ou le "menu" du n°1 de L'Or aux 13 îles
*
Pour acquérir la revue... Il faut la commander à Jean-Christophe Belotti, 7, rue de la Houzelle, 77250 Veneux-les-Sablons (adresse e-mail: jc.belotti@laposte.net).  Prix de vente: 18€ + 2€ de frais de port, soit donc au total 20€.
La revue est actuellement en vente dans les librairies suivantes (pour l'instant toutes à Paris):
Parallèles (dans le 1er ardt), La librairie Michèle Ignazi (17, rue de Jouy, 4e ardt), Pensées classées (9, rue Jacques-Cœur, 4e), la librairie Céline Poisat (102, rue du Cherche-Midi dans le 6e), L'Ecume des pages (à St-Germain-des-Prés, Bd St-Germain, dans le 6e), Vendredi (67, rue des Martyrs, 9e), Libralire (116, rue st-Maur dans le 11e), L'Arbre à Lettres (62, rue du fbg St-Antoine dans le 11e), La Friche (36, rue Léon Frot, dans le 11e), La Manoeuvre (58, rue de la Roquette, dans le 11e), la Galerie Nuitdencre (64, rue Jean-Pierre Timbaud dans le 11e), Publico, (145, rue Amelot, dans le 11e), Bimbo Tower (passage Saint-Antoine dans le 11e), La Halle Saint-Pierre (2, rue Ronsard, dans le 18e), à la Galerie Christian Berst (rue de Charenton, après l'Opéra Bastille, dans le 12e), Tschann (dans le 14e, bd du Montparnasse), Anima (3, avenue Ravignan, dans le 18e), Le Merle moqueur, (51, rue de Bagnolet, 20e), Equipages, (61, rue de Bagnolet, 20e), Librairie-galerie Le Monte-en-l'air, (6, rue des Panoyaux, 20e),  L'Atelier d'à côté, (3, rue Constant-Berthaud, 20e), Le Comptoir des mots, (239, rue des Pyrénées, 20e), Le Genre urbain, (30, rue de Belleville, 20e).   

Lire la suite

Page : 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21