18/09/2023
Le Singulier de l'art naïf, collection Bruno Montpied (un extrait choisi), au MANAS de Laval
Prévue pour débuter le 23 septembre prochain et durer jusqu'au 10 décembre 2023, cette exposition, que la directrice du Musée d'Art Naïf et d'Art Singuliers de Laval, Antoinette Le Falher, m'a fait l'honneur d'accepter dans ses murs, est l'occasion, à travers une sélection choisie au sein de ma collection d'œuvres éclectiques (relevant de l'art naïf, de l'art singulier, de l'art brut, de l'art populaire insolite, voire de quelques surréalistes pas trop chers (!)), de tenter une défense et illustration de ce que j'aime dans l'art naïf, et qui serait de nature à revaloriser et réévaluer ce dernier, que l'on a beaucoup trop associé à la mièvrerie, aux bons sentiments bêlant, à une sorte d'art gentillet, à relents d'encens et de chapelles.
Armand Goupil, sans titre (pioupiou dansant avec une partenaire fantôme), huile sur bois, 38 x 29 cm, sd (années 1960) ; ph. et coll. Bruno Montpied ; à noter qu'il y a quatre peintures d'Armand Goupil présentées dans cette expo.
L'art naïf, en effet, ce ne sont pas les mignons petits chats, les illustrations pour couvercles de boîtes à biscuits, les innombrables scènes de foules au marché rangées en rangs d'oignon, les natures mortes destinées aux loges de concierge, les croûtes en somme, lénifiantes, sucrées, qui font détourner le regard des amateurs d'art les plus exigeants, ceux qui savent que l'art n'est pas parfumé à la fleur d'oranger, et que ce n'est pas une tisane pour digérer, en attendant la mort...
Henri Trouillard, Winston Churchill en dieu Mars, huile sur toile, 1955, dépôt famille Neveu, collection permanente du MANAS de Laval ; ph. B.M. (2020)
Les collections permanentes du MANAS de Laval sont riches d'œuvres figuratives singulières justement (Lucien Le Guern, Trouillard, Bauchant, Rousseau, Claude Prat, Colette Beleys, Karsenty-Schiller, Dominique Lagru, Déchelette, Jean-Jean, Van der Steen, Le Gouaille, etc.), depuis son année de création en 1967, ce qui justifiait ma demande de proposer une exposition en cet écrin (elle se tient dans la salle en rez-de-jardin, à l'entrée du musée). La figuration dite naïve, c'est-à-dire aussi bien surréelle, sur-réaliste, cache de nombreux artistes autodidactes qui ont tenté de représenter des sujets empruntés à la réalité extérieure (c'est la peinture de genre qui caractérise l'art naïf: natures mortes, portraits, nus, paysages, sujets animaliers, scènes historiques...), tout en réinterprétant celle-ci grâce à l'intrusion, volontaire ou le plus souvent involontaire, de l'inconscient, de l'acte manqué, du lapsus, dans le rendu des objets et des êtres. Perspectives fausses, proportions aberrantes, hiérarchisation inhabituelle des dimensions des personnages, tout cela peut faire associer l'art naïf au "réalisme intellectuel", terme inventé par le critique d'art Georges-Henri Luquet qui voyait dans les dessins d'enfant des déformations en lien avec le retentissement psychologique des objets et des êtres dans le psychisme de ces dessinateurs en culotte courte. Leurs tailles étaient fonction de leur importance psychologique et non pas de leur dimension physique.
On devrait selon moi ranger dans l'art naïf toutes les œuvres d'autodidactes primitivistes ou "bruts" qui comportent une reproduction de sujets empruntés à la réalité extérieure. Ce qui entraîne que plusieurs œuvres que l'on range dans l'art brut peuvent être revendiquées aussi bien par l'art naïf. Le rapt de divers artistes naïfs (Wittlich, Auguste Moindre, Séraphine Louis, Emeric Feješ, Anselme Boix-Vives, and so on) par les thuriféraires de l'art brut peut se retourner dans l'autre sens, par conséquent.
Anselme Boix-Vives, sans titre, gouache ?, peinture industrielle ?, sur papier ou carton, sd, 49 x 66 cm ; ph. et coll. B.M.
"Boix-Vives"?, se récrieront ses partisans... Oui, Boix-Vives aussi, car je rejoins Anatole Jakovsky sur ce point, notamment quand il écrivait, à propos du peintre catalan installé en Savoie, dans son Dictionnaire des peintres naïfs du monde entier (1976): "Partant du réel, ou du moins tel qu'il le voit, il le transfigure complètement sous une apparence primitive et barbare."
"Le singulier de l'art naïf", titre proposé par mézigue, regroupe 35 artistes en 40 œuvres.
J'ai divisé la présentation en trois sections : 1, le réalisme poétique (l'art naïf "classique"), 2, l'art naïf plus singulier, et 3, l'art naïf visionnaire. Donnons ci-dessous un exemple emprunté à chaque section.
1.
Anonyme (J.C.), sans titre (le voleur de melons), huile sur isorel, 33 x 41 cm,1945 ; ph. et coll B.M.
2.
Carter-Todd, sans titre, crayon graphite et crayons de couleur sur papier, 23 x 29 cm, 3-1-90 ; ph. et coll. B.M.
3.
Maurice Griffon, dit Maugri, sans titre, stylo sur papier, petits motifs ornementaux sur le cadre, 30 x 42 cm, sd (années 1980) ; ph. et coll. B.M.
L'exposition (gratuite, comme l'ensemble de la collection permanente du MANAS, du reste, qu'il ne faut absolument pas oublier de visiter) se tiendra au MANAS de Laval (Musée du Vieux Château, place de la Trémoille) du 23 septembre au 10 décembre 2023. Je ferai une visite commentée de l'expo le 1er octobre à 15h30 (visite gratuite, sans réservation). Un catalogue (7,80€) paraît à l'occasion de l'expo, disponible au musée et à la librairie de la Halle Saint-Pierre (à partir du 21 septembre), reprenant en reproduction la totalité des œuvres exposées, avec un texte de moi détaillant le projet de l'exposition section par section, avec des notices à chaque œuvre, ainsi qu'une préface d'Antoinette Le Falher.
A lire: un article éclairant d'Emma Noyant sur l'expo dans le n°181 d'Artension (septembre-octobre), à la suite d'un mien article sur l'art brut (Artension consacre en effet un intéressant dossier à l'art brut dans ce numéro).
Armand Goupil, sans titre (le clin d'œil), huile sur carton, 30 x 26 cm, datée « 5-XII-60 » ; ph. et coll. B.M. ; cette peinture sert de visuel principal à toute l'expo, et on la retrouve ainsi en affiche dans les rues de Laval, gloire (éphémère) pour cet "inconnu de la Sarthe", comme j'ai pu l'appeler dans le revue 303 il y a quelques années...
Et pour clore, provisoirement, le sujet, ci-dessous un petit poème de Joël Gayraud reçu, suite à l'annonce en privé de l'exposition:
Poème pour « Le Singulier de l’Art Naïf »
Naïf
mais pas niais
singulier
mais pas sanglier
brut
mais pas brutal
immédiat
mais pas immédiatiste
instinctif
mais pas extincteur
autodidacte
mais pas autocuiseur
inspiré
jamais expirant :
telle est la logique
authentique
poétique
rustique
extatique
voire mystique
mais sans casuistique
du créateur anarchique
Joël Gayraud
11:01 Publié dans Anonymes et inconnus de l'art, Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire contemporain, Art visionnaire, Confrontations, Galeries, musées ou maisons de vente bien inspirés, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : art naïf, art visionnaire, réalisme poétique, musée d'art naïf et d'arts singuliers de laval, armand goupil, maugri, peintures anonymes curieuses, réalisme intellectuel, boix-vives, carter-todd, henri trouillard, le singulier de l'art naïf, bruno montpied, joël gayraud | Imprimer
Commentaires
Belle initiative que vous avez prise là, cher Sciapode!
Écrit par : Darnish | 18/09/2023
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