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Prières de Noël, sainte nuit, douce nuit...
En cette nuit de Noël, quelques minutes avant minuit, ses messes, son gros joufflu qui va encore aller s'encastrer dans les cheminées pour aider à faire tourner le grand marché, donnons une petite image faite d'après une peinture à la gouache d'un certain Armand Goupil signalé par un ami brocanteur, peinture (sur carton) photographiée sur le stand d'un autre broc, Jean-Philippe Reverdy, que je remercie très hautement ici. Cadeau de Noël!
24/12/2007 | Lien permanent | Commentaires (3)
Henri Boeuf, sculpteur naïf et maçon de la Creuse
Je dois à Roland Nicoux, le tenace animateur de l'association des Maçons de la Creuse à Felletin, beaucoup de découvertes liées à l'art populaire. Cela remonte au temps où je partis en quête de la mémoire et de l'oeuvre de François Michaud à Masgot. Depuis quelque temps, il me parle d'un sculpteur naïf, appelé du joli nom d'Henri Boeuf, qu'un ami de leur association, Marc Prival, auteur d'un livre sur Les migrants de travail d'Auvergne et du Limousin au XXe siècle (1979), lui a fait connaître. De plus, voici qu'un article fort descriptif, dû à la plume de M.Jean Martin, vient de paraître dans le Bulletin de liaison n°11 des Maçons de la Creuse (juin 2007 ; le numéro contient aussi un dossier sur les croix de chemin de la Creuse). Article, il faut le dire, entièrement voué à une seule oeuvre d'Henri Boeuf, conservée aujourd'hui, suite à un legs du sculpteur, dans la mairie d'Auzances (à l'est du département de la Creuse, à une vingtaine de kilomètres du Puy-de-Dôme).
Henri Boeuf, né en 1902, est décédé en 1987. L'oeuvre en question, achevée en 1976, est un panneau de bois sculpté sur les deux faces, à raison de quatre scènes compartimentées sur chaque face, le tout mesurant 45 sur 155 cm .
La face avant est consacrée à l'évocation des principaux temps forts de la vie de l'auteur (vie à la ferme, premiers chantiers de maçon, l'escalade des échelons de la vie professionnelle de simple maçon jusqu'au grade final de chef d'entreprise), la face arrière évoque pour sa part l'histoire des maçons de la Creuse, les monuments qu'ils contribuèrent à construire, le Panthéon et les Tuileries, leur grand homme, Martin Nadaud.
Le style est naïf, on peut s'en rendre compte en détaillant les disproportions des personnages représentés, les perspectives étranges, les vues de haut (exemple la mare aux canards sur la face avant, voir ci-dessous) mélangées avec des vues de profil, etc... Le sculpteur paraît avoir accepté l'étiquette en outre. On s'en convainc en voyant l'image placée au bas de cette note qui le représente, probablement dans les années 70, au milieu de ses oeuvres (des statuettes, dont des Bretons en pantalons bouffants traditionnels et sabots, qui s'apparentent à certaines autres oeuvres du sculpteur finistérien Pierre Jaïn, créateur davantage que Boeuf aux lisières de l'art brut et de l'art populaire). Une affichette proclame au mur, bien en évidence: "Sculptures naïves de l'artiste auzançais Henri Boeuf". On se demande du reste ce qu'elles sont devenues aujourd'hui, ces statues...?
Pour obtenir ce bulletin n°11: Les Maçons de la Creuse, 2, petite rue du clocher, 23500, Felletin, tél: 05 55 66 90 81 ou 05 55 66 86 37, fax:05 55 66 90 81, e-mail: contact@macons-creuse.com
01/01/2008 | Lien permanent | Commentaires (3)
Champ de bataille du rêve, je me mets sur les rangs
Je pars en guerre (gentille guerre, pas du tout armée, je reste tout de même antimilitariste, je suis plutôt du genre Don Quichotte et non pas Don-Qui-Shoote) contre l'art singulier des Têtes à Toto sous-chaissaquiennes (voir le récent numéro, le n°29 d'avril 2008, de Création Franche). On dira, mais qu'est-ce qu'il préfère ce Montpied? Il croit que ce qu'il peint, c'est mieux que les autres? Il se prend pas pour de la m... (etc.). alors, faut voir, faut se documenter. Faut que je vous montre quelques échantillons de ce qui sort de mes pinceaux, de mes marqueurs et de mes rapidographes. Je mets en ligne à partir d'aujourd'hui un album (voir colonne de droite) de mes peintures. Et puis, pour accompagner cette exposition virtuelle, j'y ajoute un texte d'un vieux camarade de lycée, retrouvé récemment et qui m'a livré quelques notes spontanément devant l'encre ci-dessous reproduite.
Une guerre un peu fantoche, mais inquiétante pourtant. Un cirque. Un jeu de cache-cache. Un rébus.
Des réminiscences de Miro ? Dubuffet ? Van Gogh ? Buster Keaton ? Bosch déplacé ? Ernst en moins inquiétant ?
Les personnages ont l’air transi d’être regardés ? Epinglés ? Une collection ?
Des travestissements. Des animaux.
Peu de personnages vraiment inquiétants.
Un art des chapeaux.
Tous en équilibre (les uns sur les autres), sur des fils, enchaînés ; et pourtant les personnages ont l’air d’être installés.
Sont-il convoqués pour un passage en revue avant de partir à la bataille, de conjuguer leurs forces, leur étonnement, de fuir séparément.
Des guetteurs aussi? Des fanions. Un avion ?
Une telle profusion de personnages (les monstres sont humanisés) sans que ça s’alourdisse, soit étouffant (diversité des tailles ; quelques lavis de couleurs). Des cycles de métamorphose. Une femme retournée. Un jeu récurrent avec les extrémités des corps, des personnages … ça se prolonge, s’étend, englobe, se suspend.
Thierry Tricard
19/04/2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
La répartie, un art de l'immédiat
Max T. m'en a raconté une bien bonne. A propos de son père. Le monsieur est assez âgé, il a déjà passablement vécu, a de la bouteille, comme on dit.
L'autre jour, il marchait dans la rue, vaquant à ses affaires. Il n'était pas sur le trottoir. Une voiture passe, le corne, la vitre du conducteur se baisse. Une voix crie au père de Max T.: "Et le trottoir, pépé...?". Du tac au tac, ce dernier ne se démonte pas, fuse la réponse aussi sec: "Le trottoir...? Je le réserve à ta femme!".
Si c'est pas de l'art immédiat, ça, je veux bien manger mon bob.
12/04/2008 | Lien permanent
Théâtre et art brut aux Rencontres de la Villette
Du 16 au 27 avril prochain, dans le cadre des "Rencontres de la Villette", abcd s'implique dans un mixte d'exposition et de représentation théâtrale montée en collaboration avec les compagnies théâtrales de la Sybille et de l'Oiseau-Mouche. Titre: L'appartement. Voici le descriptif tel qu'il m'a été transmis en service de presse pour la journée du 17 avril ( il y aura des "déambulations théâtrales" tous les jeudi, vendredi, et samedi, à différents horaires ; les autres jours, on pourra voir l'exposition permanente d'art brut ainsi que les films réalisés par Bruno Decharme):
" 19h / 22h
Durée : 30m, au studio 1 (Grande Halle de la Villette, Paris 19e arrdt)
abcd (art brut connaissance et diffusion)
Cie La Sibylle - Cie de L’Oiseau-Mouche
L’appartement. (Exposition d'art brut et déambulations théâtrales)
Parmi les œuvres d’art brut de la collection abcd, les comédiens de Sylvie Reteuna déambulent et font résonner des textes de personnes internées dans des hôpitaux psychiatriques.
(Les spectateurs sont invités à visiter l’appartement où six colocataires en errance déambulent au rythme de leurs songes et des œuvres d’art brut qui peuplent leur univers. En décembre 2007, une lecture déambulatoire est présentée par Sylvie Reteuna et Bruno Decharme à la galerie abcd à Montreuil. Les Rencontres de la Villette leur ont proposé de développer cette collaboration qui met en résonance les oeuvres exposées et des textes. Les fragments de lettres, écrits ou « délires », dits par les acteurs, mais aussi la plupart des tableaux exposés sont l’oeuvre d’hommes et de femmes ayant connu l’enfermement psychiatrique. C’est aussi l’occasion pour les Rencontres de retrouver les comédiens de la Cie l’Oiseau-Mouche — déjà accueillie en 2001 avec Le Labyrinthe — qui participent avec d’autres acteurs à ce projet.)
Conception et réalisation: Bruno Decharme, Kate France, Sylvie Reteuna. Contacts : pour La Sibylle : Sylvie Reteuna - sylviereteuna@free.fr ,: Lydia Rozenberg - abcd@abcd-artbrut.org"
28/03/2008 | Lien permanent
Le plafond merveilleux de Cheylade: MASSIF EXCENTRAL (2)
Pour atteindre Cheylade, où l'on vient de loin pour voir un plafond d'église, on passe, venant de Murat (le voyage se déroule dans le Cantal), au large d'une zone bien désertique, ondulant sans un arbre, sans un buisson, tendre pâturage idéal sous le ciel, ce jour, bleu, paysage qui a pour nom Plateau du Limon (c'est une des coulées de lave de l'ancien volcan dont la bouche principale, nous assure-t-on (Voir le Guide de l'Auvergne Mystérieuse d'Annette Lauras-Pourrat) , se trouvait au Puy Griou (ce volcan a coulé en étoile, en soleil... On s'en convainc quand on vient du ciel).
On laisse le plateau magnifique et lunaire (une Lune qui serait verte) à gauche, on ne s'y arrête pas, on n'est pas venu pour lui, et pourtant c'est une révélation qu'on emportera avec soi et qui reviendra nous hanter au fond de notre ville striée de pluie et de nuit.
C'est l'intervalle délicieux qu'il faut pour faire le vide avant la découverte du plafond merveilleux de l'église Saint-Léger de Cheylade
Eglise qui a été classée monument historique en 1963,"la décoration de la voûte [ayant été] l'élément essentiel qui a motivé le classement", dixit l'Association Valrhue qui a écrit la plaquette "Eglise Saint-Léger de Cheylade" pour les éditions Créer (dont j'ai extrait ici plusieurs photos, notamment les premières en tête de note). On notera au passage que les classements d'églises sont plus rapides que ceux des environnements spontanés...
Des fleurs partout, comme s'il en pleuvait, poussées au ciel. Des fleurs, des animaux, des couteaux (sans doute des poignards subtils)... Des symboles bien sûr mais aussi des images profanes.
On trouve des têtes de mort aussi avec des tibias entrecroisés comme sur des drapeaux de pirates, des animaux fantastiques (le basilic, un oiseau à deux têtes, une Gorgone...), des serpents, mais des anges aussi bien entendu, des coeurs, enflammés ou sur la main... Un tabernacle, des écussons... Comme un déluge d'images (elle sont au nombre de 1360, peintes sur autant de caissons), voulant instruire les fidèles de la magnificence de la création divine, de sa variété infinie, du langage symbolique permettant d'accéder à la reconnaissance de ce Dieu si puissant...
"A l'instar de la sculpture médiévale où la flore naturelle côtoie une végétation stylisée, créée par l'imagination à partir de certains modèles, le peintre de l'église de Cheylade utilise ce même élan d'inspiration dans ses représentations florales." (Pascale Bulit-Werner et Gérard Bulit, Association Valrhue).
On doit au respect des architectures religieuses la préservation de tels vestiges (de même qu'on doit à l'oubli dans lequel tombent souvent les lieux souterrains la préservation d'autres témoignages d'art naïf, je pense par exemple au "graffito" naïf relevé dans les carrières de Saint-Savinien en Charente-Maritime, que Michel Valière a signalé sur son blog Belvert ces jours-ci... Mais il y a d'autres exemples, j'y reviendrai). Les auteurs du livre sur l'église St-Léger mentionnent que "tous les auteurs du XIXe siècle" se sont accordés sur la date de 1743 pour la date de création de ces 1360 petites peintures, parce qu'une inscription "finis opus 1743" aurait été vue sur un caisson au fond de l'église côté nord, caisson qui aurait été ensuite caché par la construction d'une tour qui l'aurait recouvert...
On ne sait pas grand chose de l'auteur de ces peintures, c'est un peu du reste toujours la même chanson avec ces rares vestiges de peinture populaire ancienne (qui nous montre que le Douanier Rousseau n'est bien sûr pas le premier peintre naïf, seulement le premier peintre d'une catégorie nouvelle de l'Art Naïf).
La mémoire populaire garde l'hypothèse que ce serait un artiste italien, "aujourd'hui non encore identifié", de passage dans la région, qui aurait réalisé la peinture des voûtes. Ce genre d'improbables indices sur la personnalité de créateurs restés dans l'ombre fait penser au Déserteur qu'a évoqué Giono dans une fameuse nouvelle, ou à l'auteur inconnu des boiseries naïves en provenance d'une maison patricienne de Jettingen peintes vers 1840 et conservées au Musée Historique de Mulhouse (là, on parlait d'un peintre "peut-être tzigane, ou russe (ou russe tzigane?)", nomade louant ses talents de peintre amateur à qui en avait besoin ; Giono lui dans son récit brode à l'envi sur les corporations méridionales de peintres ambulants d'ex-voto, et c'est vrai que cela fait rêver ces chemineaux peinturlureurs, la boîte de couleurs sur le dos, le quignon de pain et la tome de fromage, le litron peut-être en sus dans la besace...)
01/08/2007 | Lien permanent | Commentaires (9)
Plus que jamais cet air de Césaire
(Joël Gayraud)
18/04/2008 | Lien permanent
Devenir de l'art brut
L'art brut prend des aspects de plus en plus variés, éclectiques, hétéroclites, il recouvre des oeuvres et des personnalités qui peuvent être aussi cultivées que non cultivées. C'est l'évolution actuelle, depuis une dizaine d'années environ. Ce qui pose problème, je trouve, le terme et la notion dans cet élargissement du champ perdant de plus en plus de leur netteté (la netteté de la définition n'étant déjà pas évidente au départ, combinant à la fois des oeuvres médiumniques, des créations de bord des routes, de l'art produit par des aliénés, des oeuvres produites par des marginaux, retraités, exclus, dépressifs, êtres en manque affectif, etc.).
C'est une constatation que je me suis faite ces jours-ci, d'abord suite au colloque "L'art brut, une avant-garde en moins?" organisé par le LaM à l'auditorium de l'INHA à la galerie Colbert à Paris les 7 et 8 décembre derniers, puis en découvrant successivement l'expo consacrée à Fernand Desmoulin par la galerie Christian Berst, rue de Charenton dans le XIIe ardt, ainsi qu'à la lecture du journal de l'exposition "Anatomia metamorphosis" (Galerie ABCD, Montreuil), notamment la notice biographique et les reproductions centrées sur le cas de l'artiste Lubos Plny (là, on peut vraiment parler "d'artiste"). Sans compter l'annonce d'une expo prochaine à la Collection de l'Art Brut à Lausanne (de mars à août 2010) qui se tourne (avec clairvoyance) du côté de deux créateurs d'art brut africains (j'y reviendrai).
En effet, l'art brut à mes yeux, dans les premiers temps où je me suis intéressé à lui (grosso modo à partir de 1980, date à laquelle je suis tombé sur les fascicules de l'art brut dans les locaux de la librairie Artcurial prés des Champs-Elysées), relevait d'une filiation avec les arts populaires qui sautait aux yeux, que ces derniers soient rustiques ou urbains, filiation qui s'établissait en dépit de la rupture évidente au point de vue esthétique entre les oeuvres populaires du passé et celles que Dubuffet et Thévoz défendaient sous le nom d'art brut (rupture esthétique qui était le reflet aussi d'une rupture sociale, les auteurs d'art brut étant des internés, des femmes frustrées, des marginaux de la société, des retraités, des clochards...). J'ai ainsi pu écrire en 1992: "l'art brut (qui est une forme hyper-individualisée et réprimée de la créativité populaire qui survit à l'anéantissement des liens communautaires)" (Bruno Montpied, Formes pures de l'émerveillement, dans Masgot, l'oeuvre énigmatique de François Michaud, éd. Lucien Souny, 1993). Définition qui tapa dans l'oeil de Madeleine Lommel qui me fit l'honneur de la reprendre en citation dans ses ouvrages (avec des coquilles dans la référence, cf la deuxième mouture de son livre où mes phrases sont attribuées à un "Art populaire en France" paru chez Arthaud, il y a là visiblement une confusion avec le livre de Jean Cuisenier du même titre, mais quel honneur qu'on puisse me confondre avec cet ancien conservateur des ATP!).
Bien sûr au départ dans le corpus des créations rassemblées sous le terme art brut, il y avait déjà, héritées en particulier des recherches précédentes des surréalistes (André Breton), des créateurs cultivés mêlés à des hommes et des femmes du peuple (notamment chez les médiumniques, que l'on pense au Comte de Tromelin, à Victorien Sardou, à Fernand Desmoulin, peintre post-impressionniste et symboliste, ami de naturalistes comme Emile Zola, peintre aux goûts visionnaires qui eut une brève période de dessin automatique médiumnique entre 1900 et 1902 - voir l'expo actuelle chez Christian Berst, où sont montrés quelques exemples (il y avait déjà eu une expo sur les dessins retrouvés de Desmoulin à la Galerie de Messine à Paris en 2002, organisée par cette dernière conjointement avec l'association ABCD) ; cependant on trouve d'autres créateurs cultivés dans d'autres secteurs de l'art brut comme par exemple Gabritschevsky, Aloïse elle-même, ou Juva, alias le prince Juritzky, ou encore Magali Herrera, fille d'aristocrate et de propriétaire foncier en Uruguay). D'autant que la notion d'art brut cherchait à prouver qu'existait une créativité artistique en dehors du champ artistique reconnu comme tel, en dehors du monde professionnel de l'art. Il fallait, de ce point de vue, ne pas se limiter à des créateurs issus du peuple. Cependant, ces derniers constituaient une bonne proportion dans l'ensemble des créateurs retenus (la majorité probablement). Parmi les internés des asiles psychiatriques, on rencontre ainsi nombre de créateurs issus des classes sociales défavorisées (ce qui paraît logique, le monde du travail est rarement lieu d'épanouissement et d'harmonie, plutôt un champ de bataille).
Avec l'internationalisation des découvertes de créations associées à l'art brut de Dubuffet, ou à l'art outsider des Anglo-saxons (concept encore plus ouvert que celui d'art brut), ce dernier ayant beaucoup d'influence sur le vacillement amplifié des limites du concept d'art brut, avec le développement de la connaissance de l'art brut américain, anglais, chinois, japonais, slave, sud-américain, bientôt africain, etc., le nombre de créateurs qui pourraient être aussi bien rangés sous la bannière d'un art visionnaire, d'un surréalisme instinctif, ou d'une inspiration cultivée hétéroclite, est en voie d'expansion considérable.
Le cas de Lubos Plny, artiste découvert par l'association ABCD paraît exemplaire de ces nouveaux cas-frontières. Dessinateur, collagiste, peintre, auteur de performances, intervenant sur son corps par des piercings ou de la couture, qui pourraient relever de ce que l'on nomme ailleurs le body-art, modèle en académie, il paraît être un homme de grande culture artistique. Ceux qui le rangent dans l'art brut semblent le faire en regard de son état - passager? - de schizophrène, associé à une inventivité indéniable. A ce compte-là, Van Gogh, Edvard Munch, pour ne citer que deux artistes du passé, pourraient être eux aussi catalogués rétrospectivement dans l'art brut.
Ce dernier en vient à signifier un corpus incroyablement hétéroclite de créations tous azimuts (on y incorpore aussi les environnements de bords de routes faits par des autodidactes, secteur où la culture apparaît facteur de distinction marquée cependant entre créateurs, que l'on compare par exemple le facteur Cheval avec le Jardin des Tarots de Niki de Saint-Phalle). Ce corpus contient de plus en plus de véritables oeuvres se confrontant ouvertement au monde de l'art professionnel. L'adjonction, ces dernières années, de l'art produit par des handicapés mentaux, tels ceux venus de Belgique - issus d'ateliers supervisés par des animateurs dont la culture et le discernement artistiques ne paraissent pas compter pour du beurre... - cette adjonction paraît jouer à plein pour la fusion qui semble se préparer entre art brut et art professionnel. Le colloque sur l'art brut, que je citais au début de cette note, initié par le musée d'art moderne, d'art contemporain et d'art brut de Villeneuve-d'Ascq, a semblé vouloir avancer ce genre de proposition, même si cela n'affleurait qu'entre les lignes, au gré des interventions, elles-mêmes assez hétéroclites ( à l'image du champ actuel de l'art dit brut -de moins en moins "brut" du reste?) de plusieurs étudiants et chercheurs surgis ces dernières années dans le sillage d'un engouement nouveau dans le monde des nouvelles générations de chercheurs. Intégrées à un musée d'arts moderne et contemporain, les oeuvres d'art brut, que les intervenants du colloque disaient avec une hésitation perplexe produites tantôt par des "artistes" tantôt par des "créateurs" (montrant par là que la question de l'usage social de la création dans l'art brut n'est pas prise en compte véritablement par les chercheurs formés avant tout sur un plan esthétique), les oeuvres de l'art brut paraissent devoir être associables dans les prochaines années aux oeuvres des artistes professionnels classés dans l'histoire de l'art, sur le même rayon, en effaçant l'origine sociale, le contexte de production de ces oeuvres(1) (c'est dans ce sens qu'il fallait je crois interpréter les mots "d'avant-garde en moins?": l'art brut aurait pu être une autre avant-garde, une avant-garde oubliée en quelque sorte, selon les concepteurs du titre de ce colloque, idée pour le moins étrange et plutôt erronée). Il se passe peut-être en ce moment le même phénomène de vitrification esthétique, par rapport à l'art brut, que celui qui affecte les objets ethnologiques muséifiés dans un espace peu défini comme le musée du Quai Branly (le fait que ce dernier musée n'ait pas de qualification plus précise est déjà remarquable en soi).
(1) Je suis ici en accord avec ce que m'écrivait récemment en privé Mme Bénédicte Lefebvre, gardienne de la mémoire de l'autodidacte Jean Smilowski en tant que présidente de l'Association La Poterne à Lille, qui renâcle avec ses camarades de l'association à la perspective d'offrir toutes les productions de leur protégé à un musée qui ne prendrait pas en charge l'ensemble de cette oeuvre d'art total, véritable environnement. L'approche muséale, privilégiant des accrochages classiques d'oeuvres égrenées sur des cimaises, peut paraître en effet fort réductrice de ce point de vue et peu en accord avec le sens complet de ces créations brutes, déployées dans l'espace de la vie quotidienne, oeuvres indissolublement liées à des comportements marginaux, à des conduites de vie en rupture bien souvent avec l'environnement normalisé.
13/12/2009 | Lien permanent | Commentaires (5)
Décès de Louise Tournay, dite ”Loulou”
J'apprends par un mail ultra-bref la disparition de "Loulou", c'est-à-dire Louise Tournay, le 25 janvier dernier. Elle était cette créatrice bien connue de ceux qui fréquentaient le Château-Guérin dans les années 1980 à Neuilly-sur-Marne où se cachaient les premières acquisitions de la débutante collection de l'Aracine (elle n'est cependant pas restée apparemment uniquement attachée à cette période).
Issue d'une famille bourgeoise, elle avait suivi des cours à l'académie des Beaux-Arts de Liège, mais avait gardé son indépendance d'esprit et sa spontanéité pour créer, dans l'intimité près de son époux tout au long d'une vie plutôt tranquille (elle était née en 1925), tout un peuple de statuettes en terre cuite qu'elle peignait. Sa thématique principale était les gens, les types de gens qu'elle croisait. Le résultat était à la fois attachant et grotesque, assez voisin de ce qu'avait réussi au tournant du XIXe et du XXe siècle en Suède l'autodidacte paysan Axel Petersson, dit Döderhultarn (voir Bruno Montpied, « Histoire de Döderhultarn », Plein Chant n°36, Bassac, été 1987), qui croquait à plaisir ses contemporains en sculptant rugueusement le bois (les artistes qui font dans le grotesque oublient en effet parfois, le plus souvent, de rester attachants...).
Le LaM à Villeneuve-d'Ascq conserve, grâce à la donation de la collection de l'Aracine plusieurs oeuvres de Loulou. Du reste on avait pu admirer à Paris dans les locaux de l'INHA, pour l'expo Les chemins de l'art brut 8 (actuellement du côté de Villeneuve d'Ascq), une de ses oeuvres, une sorte de foule de personnages en terre cuite qui était exposée sous un cube de plexiglas (voir note du 11 octobre 2009). Les éditions de l'Atelier de l'Agneau ont consacré naguère un numéro de leur revue à cette créatrice, qui s'intitulait "Pour Louise Tournay". On est désormais en droit d'attendre une rétrospective de l'oeuvre de cette dame secrète au style si personnel, en dépit d'un matériau bien convenu.
30/01/2010 | Lien permanent | Commentaires (14)
Sortie nationale de ”Recoins” n°5...
Ah, ça faisait longtemps qu'on l'attendait ce nouveau numéro des amis de l'Auvergne absolue. Art, belles-lettres et rockn'roll doivent être toujours au programme, I presume...? Je "présume" parce que le silence a été bien gardé jusqu'ici sur la statue qui ne paraît pouvoir être dévoilée que le jeudi 11 avril prochain à la Cale Sèche (je ne sais même pas ce que c'est que cette Cale Séche, où je présume, là encore, que cette cale ne reste pas longtemps séche et qu'il faudrait plutôt l'appeler la Rue de la Soif...) à partir de 19h... au 18 de la rue des Panoyaux dans le XXe arrondissement à Paris. Voir l'affiche ci-dessous.
Qu'y aura-t-il au sommaire? Eh bien, je présume, je présume, qu'il y aura au moins ma contribution, un article développé sur le site d'art brut étourdissant de Madame C. en Normandie, auteur décédé en 2009 qui a laissé un jardin étrange entourant une villa aux terrasses barricadées de voiles de ciment et autres silex et nains de jardin incrustés, tapissé en son for intérieur de murs ressemblant aux parois d'une grotte en dentelle de plâtre et papier mâché (on en a parlé dans Bricoleurs de paradis et dans Eloge des Jardins Anarchiques). Et il y aura sans doute aussi la suite du texte fort énigmatique de Régis Gayraud dont il avait entamé la publication dans le numéro 4. Et à part ça? Mystère et boules de gomme... François Puzenat est toujours l'émérite maquettiste de cette revue discrète et prometteuse. Emmanuel Boussuge et Franck Fiat en sont toujours quelques-uns des animateurs assoiffés. Rendez-vous jeudi donc pour en découvrir davantage...
05/04/2013 | Lien permanent | Commentaires (4)