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Rechercher : Jean Molette

Infos-Miettes (21)

  Depuis novembre dernier, pas d'infos-miettes, palsambleu, il faut remédier à ça mon cousin... Ce n'est pas que les nouvelles manquent, au contraire, mais c'est que je n'ai pas toujours envie de servir la soupe... Tous les égoïstes (en voie de multiplication, non?) me comprendront.

Serge Paillard se donne un site

      Voici qu'il fait sa communication comme tout un chacun, le Sergio amateur de patatovision. On lui a bâti un site web, et c'est plutôt réussi, qu'on en juge plutôt ici. A partir d'aujourd'hui je le joins à la liste de mes liens (à droite).

serge paillard

Serge Paillard, Pomme de terre en lune, comme surprise


Charles Steffen à la collection de l'Art Brut du 23 mai jusqu'au 29 septembre

     C'est beau les dessins de ce monsieur Steffen (1927-1995), américain qui dessinait sur de grandes feuilles de papier genre kraft avec des crayons de couleur et de la mine de plomb.

 

serge paillard

Charles Steffen, 1995, © Estate of Charles Steffen


   Bizarres sont ses personnages. "Quand il ne dessine pas, il boit beaucoup et fume, surtout la pipe", dit le dossier de presse de la Collection de Lausanne. Il habite chez sa mère, avec sa sœur et son frère, dans un état psychique qui ne lui permet pas de s'insérer dans le monde du travail. Il dessine beaucoup mais sa soeur qui a peur que cela finisse par alimenter un incendie lui en fait détruire une bonne partie. De 63 à 89, rien  ne subsiste. Seule la production des six dernières années est parvenue jusqu'à nous... Ça fait tout de même 2000 dessins... Leurs sujets sont des nus, des danseuses, des crucifixions (drôe de mélange), des fleurs aussi, des personnages de sa vie quotidienne, comme sa mère dans son fauteuil roulant ou alitée. Mais il lui arrive de dessiner aussi des sujets moins classiques comme des flaques d'eau sur les trottoirs. Un personnage étrange surgit également dans son oeuvre à partir d'un moment, une sorte d'être humain mixé avec une plante du type tournesol, une plante humanisée en quelque sorte, cyclopéenne. C'est en tout cas un des exemples les plus inspirants qui nous soient parvenus via l'art brut américain. Il y aura une notice sur lui dans le fascicule n°24 de la collection de l'Art Brut, rédigée par la nouvelle conservatrice de la Collection, Sarah Lombardi.

serge paillard

Charles Steffen, Mère et enfant, Nu au tournesol, 1994, mine de plomb et crayon de couleur sur papier kraft, 112.5 x 76.5 cm ; Photo Atelier de numérisation - Ville de Lausanne; Collection ce l'Art Brut, Lausanne

Albasser sans miroir

serge paillard       Etrange titre d'info-miette, isn't it? C'est que Pierre Albasser qui toujours dessine sur cartons d'emballage avec feutres usagés et récupérés expose du 4 juin au 13 juillet 2013 (vernissage le jeudi 6 juin à 18h30) à la Galerie Anti-Reflets, 2, place Aristide Briand, à Nantes (tél: 02 40 89 23 69). Il se donne ces petites contraintes fidèlement depuis le début, depuis qu'il est à la retraite, et n'en finit pas de découvrir l'univers graphique qui en découle.

 La Maison Bleue de Da Costa Ferreira, suite

    Une deuxième tranche de travaux pour restaurer l'ensemble des petits monuments couverts de mosaïque par l'ouvrier d'origine portugaise Euclides Da Costa Ferreira à Dives-sur-Mer est prévue pour cette année, m'annonce l'Association "La Maison Bleue de Da Costa" (siège social: Mairie, rue du Général De Gaulle, 14160 Dives-sur-Mer, http://lamaisonbleue.unblog.fr).

Anna Zemankova vient faire un tour chez Christian Berst serge paillard

     Du 31 mai au 20 juillet, c'est la célèbre dessinatrice de l'aube, Anna Zemankova qui aura des dessins exposés à Paris dans la galerie Christian Berst. C'est une "classique" de l'art brut, et un de mes créateurs préférés. La botanique débridée de cette dame qui se levait aux aurores avant toute sa petite famille, dépliant son attirail en catimini et traçant ses automatismes probablement imprégnés des rêves de la nuit qui achevait de se dissiper de son corps, est à mettre en rapport avec celle d'autres médiumniques que l'exposition d'art brut tchèque montée par Alena Nadvornikova nous avait fait découvrir il y a quelques années à la Halle Saint-Pierre. On a beau jeu de décrire ses plantes comme porteuses de sensualité, comme on le dit aussi pour les fleurs charnues et ruisselantes de jus mystique d'une Séraphine Louis, mais on peut tout aussi bien se contenter de souligner le raffinement graphique de ses lignes et de ses doux tons. Le raffinement seul...


Galerie Christian Berst, 3-5, passage des gravilliers 75003 paris | mardi > samedi 11h > 19 h | +33 (0)1 53 33 01 70 | contact@christianberst.com


LaM de Villeneuve-d'Ascq, "Corps subtils", expo d'art brut et d'art indien à partir de la collection de Philippe Mons

    Là, c'est prévu pour aller du 8 juin au 20 octobre. Enfin une expo d'art brut au LaM qui depuis sa réouverture avec une extension des bâtiments pour présenter leur nouvelle collection d'art brut essentiellement basée sur la donation de l'association l'Aracine a adopté un rythme assez tranquille. Il ne fallait en effet pas s'attendre au même dynamisme que celui pratiqué à la Collection de l'Art Brut à Lausanne. Le LaM, c'est sur un même front de l'art moderne, de l'art contemporain, et de l'art brut. Donc, leurs grandes expositions, leurs expositions secondaires (celles qui s'intitulent "théma", "Corps subtils" en est une) alternent en fonction des trois départements, au risque de faire oublier tel ou tel, au gré des publics préférant l'un ou l'autre de ces secteurs.

 

serge paillard


     En l'espèce, on a affaire à une proposition de confrontation entre 350 œuvres d'art indien issus de l'art tantrique et des œuvres d'art brut. Voici un extrait du laïus de présentation de l'expo: "Il s’agit de partir à la recherche de cette fusion du moi et du monde que l’on prête autant à la folie qu’à l’expérience mystique, autant à des œuvres relevant de l’art tantrique que de l’art brut. La question est posée d’une « existence esthétique » qui traverserait l’éthique et le religieux comme le champ des créations artistiques. Les œuvres réunies par Philippe Mons forment une fable à même de nous enseigner les liens entre « amour fou » et expérience de fin du monde, « expérience intérieure » et appréhension globale du monde".

Travaux d'aiguille au Musée de la Création Franche, avec Jacques Trovic entre autres

    J'aime beaucoup également les "tapisseries" de Jacques Trovic, qui sont à dire vrai plutôt des fresques brodées. J'ai déjà eu l'occasion de les évoquer lorsqu'il y a eu à Lille l'expo "Sur le Fil" (l'un des commissaires de l'exposition était Barnabé Mons qui collabore également à l'organisation de l'expo précédemment citée, "Corps subtils"). J'étais allé le visiter en compagnie de bons amis qui m'introduisirent auprès de lui dans sa modeste maison d'ouvrier, dans un alignement de corons. La pluie et la grisaille environnante reculaient ce jour-là comme elles le font sans doute perpétuellement devant la couleur et la cordialité de l'ambiance qui régnait chez Trovic.

 

serge paillard

Jacques Trovic, "tapisserie" représentant une course du Tiercé, tenue et tendue par Jean-Louis et Juliette Cerisier, ph.Bruno Montpied, 2009 (Chez Trovic, quand des créateurs divers de l'art singulier se rendent visite les uns aux autres... Notre médiation n'est-elle jamais mieux faite que par nous-mêmes?)

 

     Le voici qui expose au Musée de la Création Franche à Bègles, en compagnie de deux autres créateurs, Jacky Garnier et Adam Nidzgorski, du 17 mai au 23 juin, c'est déjà commencé donc. On se reporte au site web du musée (tiens, il y a une nouveauté depuis quelque temps, des vidéos tournées par le directeur de l'endroit Pascal Rigeade, qui inaugurent sans doute une collection de témoignages des créateurs ou de leurs proches, actuellement Louis Pelosi (pour Rosemarie Kocsÿ), Marilena Pelosi (rien à voir avec le précédent), André Labelle, André Robillard...).

Bernard Thomas-Roudeix expose à Paris

     Où ranger Thomas-Roudeix? Art singulier, art contemporain (voire même en l'occurrence "expressionnisme contemporain"? L'oeuvre est remarquable, de qualité, intrigante, peintures à l'huile ou céramiques émaillées, comme la statuette ci-dessous, "L'élégance du fumeur" qui fait un pied-de-nez à la diabolisation actuelle des intoxiqués de la nicotine. Il expose actuellement dans une galerie ouverte depuis peu (avril 2013) au pied de la Butte Montmartre. serge paillard,anna zemankova,charles steffen,art brut,art naïf,art singulier,création franche,pierre albasser,environnements naïfs,da costa ferreira,corps subtils,lam,philippe mons,barnabé mons,jacques trovic,jean-louis cerisier,juliette cerisier,bernard thomas-roudeix,éric gougelin,galerie le coeur au ventre

Thomas-Roudeix avec Jörg Hermle et Bernard Le Nen, du 11 mai au 9 juin, à la galerie Art d'aujourd'hui, 8, rue Alfred Stevens, Paris 9e ardt. Tél: 01 71 37 93 51 ou 06 52 34 98 24. Ouvert du jeudi au dimanche 15h/20h.

Eric Gougelin à la galerie Le Cœur au Ventre, Lyon

     Je connais assez mal le travail d'Eric Gougelin dont on m'a rappelé récemment qu'il avait fait un travail sur les momies (un livre aussi je crois) avec Jean-Michel Chesné. Comme moi et les momies ça fait deux, je n'avais pas dû y accorder une grande attention, fuyant un peu le mortifère (ce qui n'a rien à voir avec la poésie du macabre qui me séduit davantage)...

 

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Eric Gougelin

       Mais la Galerie Le Cœur au Ventre, basée dans le Vieux-Lyon dans le quartier Saint-Georges, 5e ardt (27 rue Tramassac exactement, tél 06 86 10 36 70, ouv. du jeudi au samedi de 14h30 à 19h et sur rendez-vous), m'a envoyé un carton annonçant sa prochaine exposition ("Explorations sans voyage") chez eux qui reproduit une très belle image (ci-dessus). Comme une coupe anatomique dans l'inconscient, avec les strates mises à nu de souvenirs, images aperçues et transposées dans le grand mixeur de la mémoire touillée, et puis aussi on songe à un paysage de montagne où la neige se serait déposée aux reliefs, laissant de l'encre ruisseler dans les torrents des gorges rongées par quelque acidité... Je comprends qu'on puisse avoir plaisir à se rouler dans une telle efflorescence. Alors, j'oublie les momies...

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Expositions en pagaille tous azimuts

      L'automne est là, les feuilles roussissent, avant de se faire bientôt ramasser à la pelle, les marrons commencent à jaillir de leurs bogues, je ne vous apprends rien, et, comme d'habitude, l'actualité des expositions connaît l'emballement habituel des rentrées. Cela me donne des scrupules : par lesquelles commencer? C'est du boulot, et je renâcle à me faire le complaisant écho de ces manifestations qui toutes ne me font pas sauter en l'air, surtout quand elles participent d'un certain ron-ron au point de vue du choix des exposants (j'en ai un peu marre de voir parler des mêmes artistes ou créateurs : Robillard et ses sempiternels fusils pour investisseur  en poncifs de l'art brut, Joël Lorand ou Ody Saban, les arbres qui cachent la forêt de l'art singulier). Alors, j'ai envie aujourd'hui de mettre plusieurs expos dans une même note, en vrac, sans trop de commentaires, et dieu, comme on dit (je n'irai pas jusqu'à lui mettre une majuscule), reconnaîtra les siens.

     Toutes celles que j'indique ci-après, cependant, après un tri rigoureux, me paraissent dignes d'intérêt, et sont donc une sélection automnale non exhaustive de ce qui a trait à l'art singulier, brut, outsider, spontané, surréaliste spontané, etc.

      Exposition Outsider Art III, "Art brut haïtien contemporain" : Charles Djerry, Jean-Baptiste Getho, Frantz Jacques dit Guyodo, Alexis Peterson, Fanfan Romain, Pierre-Paul Lesly. Du 5 octobre au 4 novembre 2017. Galerie Claire Corcia et Polysémie.

Outsiders haïtiens à la galerie Corcia, Guyodo.jpg

Guyodo à la galerie Corcia ; à noter qu'on a découvert cet artiste autodidacte (dont les graphismes, intéressants, ressemblent tout de même pas mal à d'autres œuvres déjà vues ailleurs dans le domaine de l'art brut, vous savez, tous ces dessins griffonnés au stylo Bic...) à l'expo du Grand Palais, "Haïti, deux siècles de création contemporaine" (19 novembre 2014-15 février 2015), où il était présenté avant tout comme un sculpteur, un récupérateur de matériaux variés, unifiant ses assemblages sous des couches de pulvérisation d'aluminium (technique qui fait beaucoup penser à celle des Staelens en France qui unifient également leurs assemblages de même manière, quoique en rouge, ou minium). A priori donc, ne relevant pas strictement, pour des raisons sociologiques de l'art brut annoncé sur l'intitulé de l'expo. A noter qu'on parle rarement d'art brut haïtien, plutôt d'art naïf. Ou d'art vaudou. Ces délimitations terminologiques sont bien délicates...

 

     Claude et Clovis Prévost exhibent leur "exposition multimédia (photographies, films et œuvres d'artistes depuis 1963), avec la contribution des Rocamberlus de Georges Maillard, en son jardin de pierres d'Osny dans le Val d'Oise" à la Villa Daumier à Valmondois. Ouvert le week-end du 9 septembre au 15 octobre 2017. C'est bien sûr à l'occasion de la réédition de leur livre Les Bâtisseurs de l'imaginaire, aux Belles Lettres. Sur leur carton d'invitation, une photo non légendée (voir ci-dessous) montre un monsieur barbu d'allure distinguée posant devant une sorte de portail germinatif qui paraît indiquer une inspiration naturelle, quoique mâtinée d'une certaine culture, donc relevant à mes yeux du corpus des environnements singuliers (genre Robert Tatin). Ce doit être, par élimination de ce que nous connaissons déjà des trouvailles de Claude et Clovis Prévost, le dénommé Georges Maillard avec ses "Rocamberlus". Mais on aimerait que les Prévost le confirment.

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Photo Clovis Prévost.

 

      La Galerie Les Yeux Fertiles pour sa part s'apprête à établir des "Connexions" entre art brut, surréalisme et art singulier. A ses visiteurs de rendre à César... ce qui appartient à chacune des étiquettes en question. Deux cas parmi les exposants que je situe mal, les dénommés "L. Smith" (créateur populaire afro-américain?) et "D.Valdés-Lilla" Au chapitre du surréalisme, on rangera seulement Masson et les Cadavres exquis, Mirabelle Dors (qui inventa une éphémère "tendance surréaliste populaire") et en prenant quelques libertés, Louis Pons. Du côté de l'art singulier, je placerai personnellement, Bettencourt, Rispal, Sefolosha et Chomo (souvent abusivement rangé dans l'art brut). A noter cinq contemporains dans cette liste, Pons, Sefolosha et Rispal, voire Charles Boussion, un authentique créateur d'art brut d'aujourd'hui, avec Lubos Plny aussi. Pourquoi avancer, dès lors, M. Morand, que la galerie ne se tourne pas vers l'art contemporain? Vous avez le contemporain sélectif? (Pourquoi pas, d'ailleurs?).

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A la nouvelle galerie de la Fabuloserie à Paris, l'expo d'automne est consacrée à Genowefa Magiera, seule cette fois.guyodo,art brut haïtien,art naïf haïtien,claud eet clovis prévost,environnement ssinguliers,georges maillard,rocamberlus,villa daumier,outsider art 3,galerie les yeux fertiles,surréalisme,art brut,art singulier On se souviendra en effet qu'elle fut une première fois présentée dans l'expo d'art brut polonais précédente, à la galerie parisienne et plus récemment à la Fabuloserie dans l'Yonne. C'est une trouvaille de Sophie Bourbonnais en compagnie de Marek Mlodecki, suite à des explorations en Pologne. Expo du 8 septembre au 21 octobre. Voir le lien. J'aime beaucoup ce genre de peinture d'une fraîcheur et d'une ingénuité absolues.

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Geneviève Magiera en vrac...

 

      Et la Maison sous les Paupières, à Rauzan, dans l'Entre-deux-mers, que devient-elle, me direz-vous (enfin, ceux qui suivent...)? Après une longue éclipse due à des petits problèmes de dérapage sur verglas cet hiver, son animatrice, Anne Billon a repris l'activité. Elle expose Bernard Briantais, le singulier Nantais dont personnellement j'ai déjà eu l'occasion de parler sur ce blog. C'est du 7 au 29 octobre. Le vernissage ce sera samedi prochain le 7, à 18h (ouverture de la galerie dès 14h). Adresse de la Maison sous les paupières... voyez l'affichette ci-dessous :

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      Sans transition, signalons aussi l'exposition plurielle de visionnaires et créateurs dissidents que concocte chaque mois de septembre, depuis des années, le Musée de la Création Franche à Bègles. Si la plupart des créateurs ou artistes présentés me sont inconnus, et je ne peux donc rien en dire de particulier, à part signaler leur présence, on notera tout de même qu'en fait partie Solange Knopf que j'ai plusieurs fois défendue ici même et aussi dans les colonnes de la revue du musée : je fais allusion à l'entretien que j'avais réalisée avec elle dans Création Franche n°41, en décembre 2014 (« Quelques questions à Solange Knopf au-delà des ténèbres »). "Visions et créations dissidentes", musée de la Création franche, du 30 septembre au 3 décembre 2017. A noter qu'à l'issue du vernissage qui a eu lieu le 30 septembre dernier, le nouveau maire de Bègles, Clément Rossignol Puech, a remis symboliquement les clés du musée au Président de Bordeaux Métropole, en l'occurrence Alain Juppé. Je crois qu'on espère au musée que ce transfert de propriété des locaux (et non pas de l'entité administrative et artistique qui reste l'apanage de la ville de Bègles) ouvrira la porte à des travaux d'extension dont la collection a bien besoin, étant donné son étendue croissante.

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Dessin de  Solange Knopf présenté sur le site de la galerie d'Ys en Belgique où elle a une exposition parallèle à celle de Bègles (du 8 au 29 octobre).

 

     

      Ailleurs, c'est la folie qui requièrent les efforts de deux organisateurs d'exposition et pas des moindres, d'une part le MAHHSA (Musée d'Art et d'Histoire de l'Hôpital Sainte-Anne, anciennement Musée Singer-Polignac ; on annonce pour bientôt son déménagement dans de nouveaux locaux, la Chapelle de l'hôpital...  – désertée pour cause de mort de Dieu?), pour deux expos dont une déjà en cours, "Elle était une fois, Acte I" (du 15 septembre au 26 novembre 2017) et "Acte II" (Du 1er décembre 2017 au 28 février 2018) – c'est "l'Acte I "qui est commencé – et d'autre part,  la Maison de Victor Hugo place des Vosges qui va bientôt présenter une formidable exposition, montée avec l'appui de diverse collections et fondations, et intitulée "La folie en tête, aux racines de l'art brut". Cette dernière, comme son sous-titre l'indique, se veut comme une mise en perspective de quatre collections psychiatriques du XIXe siècle (celle écossaise du Dr. Browne – une des plus anciennes, puisque fondée en 1838 –, celle d'Auguste Marie – qui fut un des premiers en France à créer un Musée de la folie, à Villejuif il me semble –, et celles de Walter Morgenthaler et de Hans Prinzhorn). Ces collections existaient  donc bien avant que la collection d'art brut de Jean Dubuffet ne se monte elle-même (à partir de 1945), parfois en s'incorporant justement certaines anciennes collections de psychiatres (comme celle du professeur Ladame, par exemple). L'exposition se tiendra du 16 novembre 2017 au 18 mars 2018 (vous avez le temps donc). La commissaire d'exposition, en dehors du directeur de la Maison de Victor Hugo, Gérard Audinet,  en est Barbara Safarova, présidente de l'association ABCD. On note la présence, au sommaire du catalogue, de contributions de Savine Faupin et de Thomas Röske entre autres. Mais je m'étonne de ne pas retrouver de contributions de Vincent Gille qui travaillait encore il n'y a pas si longtemps à la Maison de Victor Hugo et avait contribué à plusieurs reprises à tisser de fructueuses collaborations du musée avec la collection d'ABCD.

 du vernissage, le Maire de Bègles, Clémen

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Exposants au MAHHSA dans le cadre d'"Elle était une fois Acte I".

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Visuel proposé par la Maison de Victor Hugo pour l'expo "La folie en tête".

 

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02/10/2017 | Lien permanent

”Le Gazouillis des éléphants”, premier inventaire des environnements populaires spontanés en France, par Bruno Montpied,

      Trente-cinq ans que je le méditais cet inventaire... Longtemps, je me suis dit que je n'y arriverais jamais. Et puis un soir... A la Maison de Victor Hugo, j'ai fait une rencontre, j'ai fait connaissance avec le responsable des éditions du Sandre, Guillaume Zorgbibe, qui accompagnait un vieux camarade à moi, Joël Gayraud. Guillaume éditait alors la revue de Marco Martella, Jardins, qui cessa malheureusement après six numéros. Martella m'avait invité à publier un article pour son n°2. Par la suite j'en fis un autre dans le n°5. Bref, les Editions  du Sandre, c'était donc déjà mon éditeur... Je le signalai en souriant à l'ami Guillaume. Il me semble qu'il m'a regardé avec curiosité, mais peut-être mon souvenir enjolive, mythifie ce qui s'est réellement passé ce soir-là. Ce fut le début de notre collaboration plus étroite autour d'un projet qui m'était cher depuis longtemps, faire l'inventaire des environnements spontanés français...

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Après Eloge des jardins anarchiques en 2011...

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Andrée Acézat, oublier le passé, en 2015...

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Marcel Vinsard, l'homme aux mille modèles, en 2016...

 

Voici donc :

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Le Gazouillis des éléphants, tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, etc., éditions du Sandre, novembre 2017.

 

     Ce projet d'inventaire des environnements populaires spontanés français (= "inspirés des bords de  routes", "habitants-paysagistes", "bâtisseurs de l'imaginaire"...) me trottait dans la tête depuis des décennies. Chaque fois que je commençais à accélérer dans l'idée de le finaliser en m'y mettant sérieusement, un livre sortait sur la question, parcellaire, toujours insuffisant à mon avis (par exemple le Bonjour aux promeneurs d'Olivier Thiébaut chez Alternatives en 1996), ou mixé de façon peu judicieuse (mais commerciale!) avec des sujets insolites plats  (par exemple Le Guide de la France insolite de Claude Arz chez Hachette en 1990, où le sujet était mêlé à l'évocation de lieux hantés, de trésors cachés, de musées de l'épicerie, de la sorcellerie de bazar...).

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Le Gazouillis présent à l'étalage du stand de la Halle St-Pierre à la dernière Outsider Art Fair, du 19 au 22 octobre dernier, où il fit une apparition temporaire en avant-première... pour une dédicace.

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Le Gazouillis ouvert sur une notice consacrée à Denise Chalvet en Lozère. Ph. B.M.

 

     En rassemblant tous les sites recensés dans les différents ouvrages d'un certain volume traitant de la question, il me semblait toujours qu'on ne dépassait pas la centaine de créateurs environ, tout compris, dispersés qui plus est sur plusieurs ouvrages distincts publiés à des années de distance. En outre, les découvertes se renouvelaient fort lentement (je ne veux pas jeter la pierre à Claude et Clovis Prévost, mais au fil des années, ils ne nous ont parlé que des mêmes 15 créateurs, dont certains, comme Chomo, Tatin ou Garcet étaient plutôt des artistes singuliers et marginaux que des créateurs totalement hors système des Beaux-arts). Dans Eloge des Jardins anarchiques, moi-même, je n'évoquais qu'une cinquantaine de sites (dont plusieurs avec une seule photo).

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Couverture de Jardins n°5, 2014 ; avec un texte de Bruno Montpied sur la Mare au Poivre d'Alexis Le Breton (Morbihan)

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Alexis Le Breton, dans son arboretum de La Mare au Poivre, Locqueltas, ph. Bruno Montpied, 2010.

 

       Ainsi, si l'on voulait se faire une idée de l'ensemble des sites qui avaient existé, existaient encore, ou étaient en train d'apparaître, l'information était éclatée, parfois dans des publications devenues très difficiles de se procurer, uniquement consultables pour beaucoup en bibliothèque, ou bien se trouvait sur des cartes postales anciennes rarement rassemblées en un livre unique (la collection de cartes postales sur les Inspirés de Jean-Michel Chesné, si elle fut dévoilée dans la défunte revue Gazogène de Jean-François Maurice, ne paraît l'avoir été que de façon fragmentaire et, là aussi, éclatée sur les différents numéros ; de plus ce rassemblement de documents anciens, séparé d'un rassemblement plus général qui aurait montré la continuité des sites présents sur les cartes postales, donnait une impression tronquée du phénomène). Ces cartes postales anciennes (en l'occurrence, venues de ma propre collection), il me semblait nécessaire – c'est une autre caractéristique importante de mon inventaire - de les associer dans mon livre à une iconographie en couleur illustrant les mêmes sites conservés jusqu'à l'époque présente, ainsi, bien sûr, que des sites nettement plus récents. D'une manière  immédiate, devant ce noir et blanc confronté à la couleur, le lecteur comprend que les environnements existent depuis bien avant le Palais Idéal du Facteur Cheval (commencé en 1879) et se poursuivent aujourd'hui...

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Bas-relief de Louis Licois, daté de 1843, toujours présent sur la façade d'une maison à Baugé (Maine-et-Loire), Photo B.M., extraite du Gazouillis, 2009.

 

       J'ai longtemps déploré dans mes débuts de recherche de ne pas trouver une ressource qui me permettrait d'avoir la liste complète des lieux existants ! C'est une question qui m'a souvent été posée au cours des débats que j'ai pu faire à la suite de la sortie d'Eloge des jardins anarchiques : comment faites-vous pour trouver ces sites? Pour aller voir ces sites étonnants, c'est un truisme,  il faut d'abord apprendre qu'ils existent, et trouver l'endroit où on les évoque. Ce sont des lieux privés, où il y a une exhibition certes, mais qui restent des lieux privés, des habitats  supposant une approche discrète et respectueuse des habitants. Dans les années 1980, années où j'ai commencé ma quête, il n'y avait bien sûr pas d'annuaire des inspirés! Ce dernier n'est d'ailleurs pas souhaitable. J'ai patiemment cherché, sans me presser (cette lenteur m'a toujours paru essentielle ; aujourd'hui les nouveaux venus dans ce genre de recherche, habitués à tout trouver très vite sur internet, sont trop pressés...), accumulant des fiches, des références... Une bibliographie condensée et fournie, commencée dans Eloge des JA, et légèrement augmentée dans mon nouveau livre, fait office à mes yeux de premier signe de pistes... Il n'est pas aventuré ou has been de considérer cette recherche des Inspirés hors système des Beaux-Arts comme une longue dérive au sein d'un labyrinthe... Un sens préservé du merveilleux est à ce prix.

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Entrée du Paradis, chez son auteur, Léopold Truc, à Cabrières d'Avignon (Vaucluse), ph. B.M. (extraite du Gazouillis), 1989.

 

      Le Gazouillis n'est donc pas un annuaire. Je n'y ai donné des adresses que lorsque j'étais sûr que cela correspondait au désir des créateurs inventoriés, ou des collections qui préservent des fragments d'environnements (comme la Fabuloserie dans l'Yonne, la collection de l'Art Brut à Lausanne, le LaM de Villeneuve d'Ascq à côté de Lille, ou le Jardin de la Luna Rossa à Caen). C'est plutôt une immense stimulation à découvrir la création primesautière française se déployant hors les cadres des beaux-arts traditionnels, et aussi, point remarquable, hors du marché de l'art (ce qui explique qu'on n'en parle pas tant que cela!).

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Les Ruines de la Vacherie, exemple de carte postale ancienne (début de XXe siècle), montrant un site réalisé par un récupérateur de gravats nommé Auguste Bourgoin, alentours de Troyes (Aube), aujourd'hui disparu, coll. B.M.

 

      Il rassemble, avec discrétion et parfois un peu de mystère, en un seul volume, tout ce que j'ai pu voir et trouver dans des ouvrages ou des revues, pas forcément des publications spécialisées en art brut d'ailleurs, et  tout ce que j'ai découvert de mon côté, ou éclairé, ou remis en perspective. A partir de ce rassemblement, il me semble qu'on pourra se faire une idée plus précise du phénomène des créations d'autodidactes en plein air, entre habitat et route, associables tantôt à l'art brut, tantôt à l'art naïf, sur le territoire métropolitain en France.

      Le Gazouillis des éléphants recèle ainsi jusqu'à 305 notices consacrées à ces créations d'hier et d'aujourd'hui. En donnant l'état des lieux, dans la mesure de mes connaissances, et en particulier les solutions diverses qui ont été trouvées pour sauvegarder ou prolonger, en partie ou en totalité, divers sites. Depuis quelque temps, il me semble en effet que la notoriété de l'art brut et des environnements d'inspirés allant en augmentant, le public se montre de plus en plus sensibilisé à la question du prolongement à donner aux environnements spontanés post mortem. Ce que les héritiers de ces décors foutraques auraient jeté naguère, il arrive plus fréquemment qu'il soit désormais conservé ou, quand on veut à tout prix s'en débarrasser, au moins mis en vente par exemple (voir le cas du site d'André Hardy en Normandie).

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André Hardy, lion en ciment peint et collage de faux crin, ph. B.M. en 2010.

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Le même lion d'André Hardy dans les réserves du LaM à Villeneuve d'Ascq, après acquisition et en attente de restauration, © photo LaM 2011.

 

    Fidèle à mon angle habituel pour aborder ces créations de plein air, je  me suis cantonné  dans cet ouvrage aux environnements populaires, en écartant tous les environnements créés par des artistes modernes ou singuliers (marginaux), hormis quelques cas-limites qui permettent de faire ressortir la spécificité du corpus retenu (comme par exemple le jardin de Monsieur X dans la Presqu'île de Crozon en Bretagne, de son vrai nom Jacques Boënnec - je donne à présent son nom car il vient de disparaître ; auparavant, il m'avait demandé de taire son identité, d'autres que moi n'avaient pas eu ce respect...). Pas de Cyclop de Tinguely, ou de musée Robert Tatin, pas davantage de maison de "Celle qui peint" (Danielle Jacqui), manifestant une culture artistique préalable (Jacqui m'a toujours donné l'impression de connaître Picassiette, par exemple).

     Primo, il fallait circonscrire à tout prix le champ d'étude (déjà, arriver à 305 notices m'a amené à un livre-monstre qui fait 930 pages avec plus de mille photos, pour un poids de 2,7 kgs...). Secundo, j'ai un faible pour les créations d'autodidactes populaires, qui œuvrent artistiquement sans se revendiquer artistes, et dont les travaux, détachés de toute attitude référentielle – y compris quand il leur arrive de démarquer ou de copier/transposer des œuvres d'art vues à la télé ou dans les magazines –, gardent une fraîcheur authentique. Fraîcheur brute ou naïve, je ne fais pas de hiérarchie sur ce point, si l'œuvre me surprend et m'enchante (critère premier!).

     C'est ce qui explique que l'Introduction du Gazouillis insiste sur ce slogan que je reprends régulièrement, depuis quelque temps, dans mes textes : il s'agit bien d'un Art sans artistes. Comme on parla à une époque d'une architecture sans architectes.

     Bon vagabondage à tous!

 

Bruno Montpied, Le Gazouillis des éléphants, tentative d'inventaire général des environnements spontanés et chimériques créés en France par des autodidactes populaires, bruts, naïfs, excentriques, loufoques, brindezingues, ou tout simplement inventifs, passés, présents et en devenir, en plein air ou sous terre (quelquefois en intérieur), pour le plaisir

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Frédéric Séron

     Retour vers le passé, ce sera l'incipit pour aujourd'hui.

     J'espère que l'INA ne m'en voudra pas de leur faire un peu de publicité en les mettant en lien avec mon modeste blog. Ainsi que de la mise en ligne de quelques photos capturées grâce à l'obligeance du camarade Jean-Jacques que je remercie hautement ici, et d'abord pour le renseignement précieux qu'il m'a fourni: sur le site de l'INA, on trouve depuis quelque temps, dans la rubrique "le journal de votre naissance", à la date du 25 octobre 1961, un reportage intitulé "Poésie pas morte" où l'on nous parle d'une exposition sur des oeuvres d'autodidactes (on reconnaît bien vite des photos de Gilles Ehrmann, qui était à cette date sur le point de publier son livre Les Inspirés et leurs demeures aux éditions du Temps, publié au 4e trimestre 1962 ).

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Image d'ouverture du reportage, 1961, ina.fr

    L'exposition n'est pas autrement décrite, ni située. Nous sommes dans un fragment de journal d'actualités (on le trouve à la 5e minute - à peu prés - du journal  qui parle aussi d'inondations au Japon, d'affrontements entre Wallons et Flamands, de refoulements par avions de manifestants "musulmans algériens" de la France vers l'Algérie, de Kroutchev et d'autres sujets de l'actualité de l'époque). Je n'ai pour l'instant pas trouvé d'ouvrages - notamment ceux qui ont été faits sur Gilles Ehrmann qui ne situent ses premières expositions qu'à partir de 1965... - qui puissent renseigner sur l'exposition en question. Qui est l'auteur du reportage? On ne nous le dit pas non plus.

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Frédéric Séron peignant l'effigie de Clémenceau, "le Père la Victoire", 1961, ina.fr
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Sirène au premier plan et Clémenceau au bout de l'allée, chez Frédéric Séron dans les années 50, photo extraite du livre de Gilles Ehrmann, Les inspirés et leurs demeures

      Toujours est-il qu'on voit tout à coup, après l'introduction d'usage qui est consacrée à des images de l'exposition, d'autres vues prises cette fois directement sur les sites des divers inspirés évoqués dans l'expo. Autant dire que sur ces créateurs-là les films ne courent pas les rues, et ce dernier reportage pourrait bien être l'un des seuls (1): on découvre ainsi, revenus du passé en pleine forme, leurs oeuvres encore toutes fraîches, Frédéric Séron et ses statues du Pressoir-Prompt (aujourd'hui  son jardin et sa maison ont semble-t-il disparu pour cause d'élargissement de la Nationale 7 qui les longeait dans l'Essonne), Raymond Isidore, dit Picassiette, en train de composer une mosaïque sur le sol devant sa petite maison, la paume de la main remplie de fragments d'assiettes, sa femme en train de coudre sur la machine que son mari avait également couverte de mosaïque, ou encore M. Marmin, le pépiniériste des Essarts en Vendée, qui avait taillé des animaux dans des arbustes sur une prairie prés de sa maison (le jeune homme qu'on voit tailler les arbustes est probablement un acteur, car Marmin photographié par Ehrmann n'a pas du tout la même apparence, ni le même âge...).

PicassietteJPEG, scène du Nouveau Testament en silhouettes blanches, Les J de l'AI, 1981.jpg
Picassiette, scène biblique, photogramme extraite des Jardins de l'art immédiat, Bruno Montpied, 1982

     Frédéric Séron est montré en train de  confectionner ses statues, disposant son ciment sur des armatures de fil de fer, badigeonnant une de ses statues dont le commentaire nous apprend fortuitement le nom (Un "Père la victoire" évoquant Georges Clémenceau, à qui l'on attribue la victoire de la Guerre 14-18), enfermant dans ses statues nous dit-on "sa carte de visite et le journal du jour".

      On peut continuer à fouiller dans les archives de cette INA ouverte (depuis peu, semble-t-il) à l'art brut du passé, et notamment prolonger la recherche sur Frédéric Séron, sur lequel il existe de rares documents écrits (2), surtout accessibles du grand public. On trouve sur leur site un autre document rare, nettement inconnu  des chercheurs jusqu'à présent à ce que je subodore... Une interview de Frédéric Séron par Pierre Dumayet dans Lectures pour tous du 25/03/1954 (production RTF). Après des vues sur les statues du jardin (c'est muet, pas la peine de vous exciter sur votre ordinateur!), au bout d'une minute et des poussières, tous deux causent familièrement assis au jardin en toute cordialité du travail de Séron et de son contenu ("Dites donc M. Séron c'est pas par hasard si on trouve une Porteuse de pain dans votre maison...", "Ben oui, j'ai été trente ans boulanger..."), tandis qu'en fond sonore dialoguent des poules fort glousseuses. Il y révèle qu'il enfermait dans ses statues toutes sortes de journaux, pas seulement dans la perspective comme le signale de son côté Ehrmann, de fabriquer des sortes d'âmes dans des boîtes, mais plutôt avec l'arrière-pensée de mêler sa propre identité à celles des hommes qui faisaient l'Histoire de son temps. Il y avait certainement dans cette démarche un peu d'un rituel magique naïf, écho de rituels païens plus anciens et oubliés. Certains de ses sujets y sont évoqués pour les modèles qui les ont inspirés (la patineuse, la danseuse, "L'Etoile polaire"...). Séron avoue dessiner ses sujets au préalable, il parle un peu de sa technique (des balles de la guerre de 14-18 servaient de crocs au lion de 100 kilos qu'enserrait un serpent et que l'on voyait en premier lorsqu'on découvrait le jardin dans les années 80).

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Frédéric Séron, le lion sur le toit du garage au Pressoir-Prompt, photo extraite du n° spécial "Art naïf" de la revue Phantômas (1956)

    On y voit aussi, chose rarissime, des images des tableaux naïfs que confectionnait Séron. Du reste, Ehrmann a photographié Séron dans son intérieur devant une magnifique fresque naïve peinte sur un des murs de son logis (c'est sans doute par ces tableaux naïfs que le critique de l'art naïf Anatole Jakovsky est venu lui aussi visiter Séron dans les années 50). Dans l'interview de Dumayet, Séron commente en direct deux de ses tableaux, dont une chasse à courre, qui est le support de souvenirs, de récits, notamment liés à la guerre de 14 dont on comprend que Séron, ancien combattant, avait été copieusement marqué. Le second, intitulé "La paix chez les animaux", paraît remarquable.

     Rien de mieux pour se faire une idée vivante et réelle du genre de personnage et du type de créateur que ce petit documentaire de 8 minutes... Allez... Tous à l'INA...!

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(1). J'ai fait quelques images en Super 8 sur ce qu'il restait du site de Frédéric Séron au Pressoir-Prompt en 1987, des statues verdâtres, d'autres enfouies sous les ifs qui en croissant les avait recouvertes, la maison fermée et inhabitée ; j'avais rencontré à l'époque un voisin qui nous avait confié, à moi et à Jean-Claude Pinel, qu'il avait conservé quelques sujets, peu importants semblait-il, et qu'il surveillait le devenir de la maison : peut-on espérer qu'au Pressoir-Prompt, on ait songé dès lors à sauvegarder à part quelques oeuvres de Séron? Mon petit film a été incorporé dans l'ensemble plus important qui s'intitule Les Jardins de l'art immédiat.

(2). On peut lire sur Séron outre le livre de Gilles Ehrmann déjà cité, le très bon livre de Charles Soubeyran, Les Révoltés du merveilleux, aux éditions Le Temps qu'il fait (2004), consacré à Ehrmann et à Robert Doisneau. Ces derniers ont tous les deux photographié Séron. Soubeyran donne des pistes bibliographiques par la même occasion, il rappelle l'article que Robert Giraud publia en 1950 (soit dix ans avant Ehrmann), "Etoiles noires de Paris: Frédéric Séron est le bon Dieu du paradis des animaux" dans Paris Presse-L'Intransigeant, article qu'illustraient deux photos de Doisneau. Ce dernier évoque lui-même Séron dans son livre de souvenirs, A l'Imparfait de l'objectif (p. 131, - et non pas p.73, M. Soubeyran... - éd. Belfond, 1989). Anatole Jakovsky a évoqué, quoique vraiment entre les lignes, la figure de Séron dans Les Peintres Naïfs (éd. La Bibliothèque des Arts, 1956). J'ajoute à cette bibliographie deux références que peu de gens ont dû repérer, je gage... Dans un n° spécial de la revue Phantômas, consacré à l'Art naïf (n°7/8, hiver 1956), revue dirigée par Marcel Havrenne, Théodore Koenig et Joseph Noiret à Bruxelles, on trouve quelques photos (voir ci-dessus, ci-dessous, et ci-contre) du site de Frédéric Séron, et notamment une photo du créateur en compagnie du mystérieux pataphysicien J-H. Sainmont que l'on aperçoit - anonymat, et peut-être supercherie, obligent - de dos seulement... Les commentaires des photos sont de Sainmont.Phantômasnuméro1504,1956.jpg Une autre référence encore par rapport à Séron: l'article de Ralph Messac, "Un ancien boulanger a fabriqué un paradis en ciment" dans L'Information n°1504 du 7 septembre 1955 qui dénombre à l'époque (Séron, né en 1878, disparaît en 1959) 90 statues. A Dumayet, passé en 1954, il en signalait 88, dont une en cours... Ces chiffres paraissent donc authentiques. En 1987, lors de mon passage j'en vis nettement moins...   

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Deux pages sur Séron (et Camille Renault) dans Phantômas n°1504, 1956

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L'heure de reconnaître Angel Tribaldos a sonné

     Oui? Vraiment? Ce n'est pas une petite note, la plus claironnante soit-elle, je ne me fais pas d'illusions, qui fera la notoriété de ce peintre presque totalement inconnu hors de Belgique, tandis qu'en Belgique déjà sa gloire est restée fortement limitée (n'est-il pas, même, aujourd'hui, en voie d'être complètement oublié?). Et pourtant, si l'on pouvait changer le destin... Pourquoi ne pas tenter la chose?

 

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Angel Tribaldos posant à côté d'une de ses peintures, représentant, semble-t-il, une guerre de gangs, vers 1982

 

     Angel Tribaldos –c'est le nom de notre héros– ne tenait pas à laisser partir ses peintures, il lui arrivait même, lorsque d'aventure il avait pu céder une pièce à la demande de certain collectionneur, d'aller retrouver l'acquéreur pour lui racheter l’œuvre en payant le double du prix qui lui avait été consenti durant l'exposition. C'est qu'il y était fortement attaché, tout en pensant –il l'affirma plus d'une fois à ses enfants– que "plus tard elles vaudraient cher", et que par conséquent il fallait les garder dans le giron familial. Ce qui est paradoxal. En effet, pour qu'une œuvre fasse un peu parler d'elle, qu'elle prenne une valeur, il faut qu'elle ait d'abord un minimum circulé et qu'on l'ait vue. Or, en l'espèce, Monsieur Tribaldos n'exposa que fort peu et encore dans des cadres plutôt alternatifs en pays wallon (il exposa un peu aussi en Espagne, à Madrid). Comment voulez-vous que dans ces conditions on ait pu faire attention suffisamment à cette œuvre et surtout de façon pérenne? Je dois à Jean-Louis Clément, ancien galeriste, essayiste et peintre visionnaire, la découverte de la peinture fort émerveillante de cet autodidacte imaginiste dont l’œuvre se situe aux frontières du surréalisme naïf et de l'art brut.

 

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Angel Tribaldos, peinture au titre que je n'ai pas eu le temps de relever ; il semble que figure parmi les divers personnages se carambolant sur ce carrelage un portrait d'Elvis Presley, 1983, ph. Bruno Montpied, 2014

      Il habitait dans la région de Liège, où il arriva d'Espagne en 1957. Il était né en 1929, et disparut en 1998 (je ne suis pas sûr de l'exactitude de cette année). Il plaçait sa peinture dans la lignée de Magritte et de E.Peeters, un surréaliste flamand. Il faut remarquer que la présence proche de nombreux surréalistes en Wallonie et en Flandre, leur sensibilité marquée (davantage peut-être qu'en France) pour les productions des autodidactes populaires, pourraient expliquer l'essor d'une peinture naïve de type plus imaginiste en Belgique. Tribaldos peut du coup être associé à d'autres peintres manifestant une sorte de surréalisme spontané, comme par exemple le Croate Matija Skurjeni que défendit le surréaliste Radovan Ivsic en France et en Croatie. On pourrait le rapprocher aussi d'autres peintres visionnaires comme Salvatore Bonura, dit "Sabo" en Sicile dont les personnages imbriqués les uns dans les autres rappellent ceux de Tribaldos.

 

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Sabo, L'escluso, huile sur toile, collection de l'art brut, Lausanne extrait du livre d'Eva Di Stefano, Irregolari, Art brut e outsider art in Sicilia

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Angel Tribaldos, titre indéterminé, date indéterminée, ph BM, 2014

 

    En effet, la marque de fabrique des peintures de Tribaldos c'est le côté arcimboldesque de ses compositions. On sent dans plusieurs de ses œuvres (celles que j'ai pu photographier à la volée alors que sa famille déménageait sa maison, sa veuve ayant disparu en ce début d'année 2014) un désir de laisser l'inconscient proposer des figures d'animaux et d'êtres humains mélangés au sein de sujets au départ plutôt réalistes. C'est comme si l'auteur laissait proliférer dans des peintures de genre (portraits, natures mortes, paysages) des formes n'ayant rien à voir avec le sujet initial, s'imbriquant les unes dans les autres, rampant parfois sur les jambes et les bras des personnages du premier plan. Que Tribaldos ait connu l'art d'Arcimboldo ne fait pour moi aucun doute. J'ai du reste pu photographier une œuvre de lui qui y fait référence de façon nette. C'est un visage entièrement constitué de figures d'animaux et d'hommes, exactement comme dans le cas d'Arcimboldo avec ses portraits symboliques de saisons.

 

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Angel Tribaldos, sans titre, 41x31 cm, 1994

 

 

      Plusieurs de ses tableaux, les plus originaux et inventifs à mes yeux, font ainsi se percuter des formes sans référence à la réalité visuelle et des formes tirées de l'observation de la réalité. Quelquefois il ne dédaignait pas non plus de reprendre des tableaux connus de l'histoire de l'art (Greuze, Murillo) et de les truffer de visages ou de museaux proliférant sur les corps des personnages. Les copies s'élevaient du coup au statut de détournements malicieux.

 

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Angel Tribaldos, d'après les Deux Mendiants de Murillo, les personnages couverts de figures rampant sur eux comme autant d'invités imprévus..., 1994

 

 

     Des sortes de mandalas ou de kaléidoscopes peuvent surgir sans coup férir au milieu d'un paysage. Ce genre de métissage des espaces visuels est fortement séduisant, et remet en cause la stricte séparation des genres picturaux. Il est très possible qu'Angel Tribaldos était conscient de son originalité, c'est ce qui s'exprimait peut-être lorsqu'il disait à ses proches que "plus tard ses tableaux vaudraient cher"...

 

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Angel Tribaldos, une de ses plus grandes œuvres, un paysage de bord de mer dominé par deux licornes, datée de 1982, environ 200x200cm

 

    Hélas, que vont devenir ces tableaux conservés par sa veuve durant une quinzaine d'années? La famille, nombreuse, annonce qu'elle veut les conserver, mais n'a pas forcément les ressources pour les stocker. Des musées ou des collections publiques seraient bien inspirées de se manifester pour en acquérir et ainsi sauver ce patrimoine visionnaire unique.

 

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Angel Tribaldos, titre non déterminé, 1984

 

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Une rétrospective Michel Nedjar à la galerie Berst

Cette note contient une mise à jour du 14 mai, 23h35...

     Voici ce que l'on pouvait lire à un moment donné sur le site web de la galerie Berst (avant que ce soit modifié par le galeriste peu de temps après, peut-être suite à la note présente?) à propos de la prochaine exposition (du 23 mai au 12 juillet) de Michel Nedjar dans ses murs:

      "Nedjar naît en 1947 à Soisy-sous-Montmorency (Val d’Oise) de parents juifs. Troisième d’une famille de 7 enfants, il se passionne très tôt pour le tissu, confectionnant des robes pour les poupées de ses sœurs -poupées avec lesquelles il joue en cachette- et accompagnant sa grand-mère vendre des tissus usés au Marché aux Puces. Adolescent, il prend douloureusement conscience de l’horreur de la Shoah, de l’histoire de sa famille, en grande partie victime du nazisme : ses poupées en sont la réminiscence. Par la suite, il entreprend plusieurs voyages et est fasciné, au Mexique, par les momies : « Ce n’était pas mort. Elles avaient leurs costumes, leurs robes collées sur la peau.» C'est à son retour qu'il fabrique ses premières poupées de cordes, de haillons et de plumes qu'il trempe dans un bain de terre. Bientôt, sa créativité s'étend au dessin. En même temps qu'il découvre son propre besoin de produire, Nedjar rencontre l'art brut : enthousiaste, il se lance à rechercher lui-même de nouveaux créateurs, à réunir leurs œuvres et co-fonde L’Aracine. Ainsi, Nedjar entre doublement dans l'histoire de l'art, en tant que découvreur d’art brut et, surtout, en tant qu'artiste : rapidement repéré par Jean Dubuffet, Roger Cardinal –l’auteur du terme « outsider art »- lui consacre un article de fond dans les Fascicules de l’Art Brut. Il est aujourd’hui l’artiste brut le plus exposé au monde ; ses créations, incontournables, figurent parmi les plus grandes collections d'art dont celle, grâce à la donation Daniel Cordier, du Musée National d’Art Moderne (Paris)."

     Ce texte, je n'avais rien à y redire jusqu'à la lecture de la dernière phrase. Comment un homme "entré doublement dans l'histoire de l'art, en tant que découvreur d'art brut" et en tant "qu'artiste" peut ensuite être qualifié "d'artiste brut"? Il y a là une contradiction énorme, au service d'un tour de passe-passe qui consiste à nous faire croire que ce qu'on appelle l'art brut peut être pratiqué par des artistes conscients de l'être, cultivés, et eux-mêmes médiateurs (puisque découvreurs d'art brut comme l'a été Nedjar en fondant et en animant l'Aracine aux côtés de Madeleine Lommel de nombreuses années). Eh bien, non! L'art brut n'a rien à voir avec Nedjar.NED064.jpg C'est un artiste estimable, souvent inventif (mais aussi souvent malin, sachant s'inspirer de toutes sortes de formes d'expression vues à travers ses voyages, momies, art brut, artistes autres), mais il ne correspond en aucune manière au profil du créateur brut.NED070.jpg J'écris créateur comme d'habitude car cela représente plus exactement ce qui se trame sous l'art brut, un art pratiqué en urgence par des individus la plupart du temps en souffrance, hors système des Beaux-Arts,  des gens totalement étrangers à l'art réfléchi, incultes en termes d'art, marginalisés, asociaux, etc. On n'a pas affaire aux artistes dans l'art brut, que cela vous plaise ou non, messieurs les marchands, on a affaire à des individus  dominés par des pulsions d'expression bien incapables d'assurer leur propre promotion, ne cherchant en rien à faire leur propre publicité, tellement ils sont avant tout en plein dans leur acte créatif.

 

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De qui est ce dessin ? De Michel Nedjar vraiment? Ou bien de n'importe quel griffonneur habitué des expos d'art brut où l'on présente ce genre d’œuvre assez faible comme un marqueur d'art brut, comme un poncif permettant de reconnaître à coup sûr l'art brut par les clients qui autrement bien entendu ne pourraient que difficilement s'y retrouver, étant donné qu'il n'y a pas d'esthétique brute donnée, facilement estampillable comme telle

 

    Non, Nedjar n'a rien à voir avec les créateurs de l'art brut. Je n'ai personnellement jamais compris pourquoi il avait été adoubé par Dubuffet dans sa collection principale, et pas rangé plutôt dans la collection annexe, dite ensuite "Neuve Invention", bref dans "l'art singulier" où pourtant il serait infiniment mieux à sa place. Le père Dubuffet avait dû avoir une vacance de sa rigueur ce jour-là...

NB: Toutes les illustrations de cette note proviennent du site web de la galerie Berst

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”Il était une fois l'art brut”

     Le Collectif de Réflexion autour de l'art Brut (CRaB) monte actuellement une exposition qui vise à démystifier un certain nombre de clichés relatifs à l'interprétation chez de nombreux observateurs quant à ce que peut être l'art brut et ce qui s'y joue. Cela se passe dans  les locaux d'Art et Marges à Bruxelles du 13 juin au 10 octobre 2014.

 

art et marges,crab,il était une fois l'art brut

Affiche de l'expo reflétant la couverture du catalogue avec les mêmes petits carrés aquarellés fadasses réalisés pour l'expo par un artiste contemporain

 

     Le sous-titre donne un peu la clé du projet: "fictions des origines de l'art". A-t-on affaire avec l'art brut avec un corpus d’œuvres qui mettraient en pleine lumière un art originel (cela me rappelle que certains dans les années 80 (Jean Revol par exemple?) avec l'art des handicapés mentaux avaient parlé à leur propos "d'art originaire")? Les auteurs du CRaB ne le pensent pas. Ils récusent de contribution en contribution au fil du catalogue les différents amalgames que l'on voit périodiquement se construire et se reconstruire à propos de l'art brut, associé et confondu par exemple avec l'art des enfants ou l'art primitif, instinctuel. Le mot de primitif est par ailleurs jugé raciste par Baptiste Brun.

      L'exposition est paraît-il, si je suis les propos de Déborah Couette et Céline Delavaux qui signent l'avant-propos du catalogue, organisée de façon à camper visuellement, avec des couleurs (rose bonbon pour les œuvres qu'on pourrait associer à l'enfance, noir charbon pour les œuvres qu'on rapproche de l'art dit primitif, "vert sauvage" pour les œuvres avec des matériaux naturels...) les différents amalgames que les divers critiques pratiquent à l'égard d'un art brut qui doit selon les auteurs garder sa fonction d'affoleur et de questionneur (elles soulignent qu'elles ne veulent pas tomber dans le piège qui consisterait à le définir, elles reprennent ainsi la fameuse sortie de Dubuffet qui consistait à dire - je cite de mémoire : "L'art brut, c'est l'art brut et tout le monde a très bien compris").

     Bon, mais le lecteur reste tout de même un peu sur sa faim à suivre toutes ces remises en cause (qui me font penser par association d'idées aux exégèses multiples qui ont suivi le surréalisme surtout à partir des années 90 et qui pour la plupart, diverses et gloseuses dans des sens contradictoires, ont fini par brouiller entièrement le message initial). Sans compter que ce même lecteur ne se retrouve pas forcément dans la maquette du catalogue de l'expo assez laid et austère d'où le principe de plaisir semble avoir été banni (et que dire de cet artiste contemporain appelé "Messieurs Delmotte" avec ses photos campant une sorte de grand dadais jouant à dada réchauffé sans aucune force subversive, juste creux?). Et puis tous les contributeurs du CRaB ne semblent pas forcément vouloir laisser le lecteur devant un art brut seulement proposé comme indéfinissable (pourquoi pas indicible pendant qu'on y est?), éternelle savonnette échappant des mains.

   Vincent Capt, à la fin de son texte, ressemblant à un plaidoyer structuraliste, débouche sur un art brut qui serait selon lui surtout une "manière", un nouveau logos et non pas le reflet d'une intériorité psychologique exprimée d'une façon immédiate. Sur cette notion d'immédiateté, sans être moi-même capable de beaucoup théoriser sur le sujet, il me semble que la notion ne peut se réduire seulement au "reflet de l'intériorité la plus profonde" du créateur en train d'exprimer directement dans son art ce que Dubuffet appelait ses "mouvements d'humeur". Les humeurs d'un individu voulant les exprimer dans une forme qui les traduirait le plus directement possible peuvent très bien comprendre ses pensées conscientes, donc pas forcément enfouies (inconscientes) comme celles de son ressenti inconscient. Il y a là il me semble une volonté, et plus qu'une volonté, un désir, de chercher à traduire tout le ressenti d'un vécu dans une forme des plus immédiatement perceptibles par l'autre, tentative qui vise à fondre l'art avec la vie qui ne paraît pas du tout intéresser Vincent Capt.

    Roberta Trapani de son côté si elle aussi, dans un premier mouvement de son texte présente l'art brut comme une "bête" que les marchands, les commissaires d'exposition, les critiques, les collectionneurs et autres agents de la culture cherchent actuellement  à domestiquer en l'attachant à un piquet, dans un second temps se révèle comme indécise devant la constatation du développement intense du marché de l'art se livrant avec l'intégration de l'art brut dans le spectacle de l'art contemporain à une marchandisation de la sensibilité.

    A noter que le catalogue, tandis que les sites web du CRaB et d'Art et Marges de leur côté n'en montrent aucune, propose des reproductions d’œuvres montrées sans grand soin et sans volonté de surprendre le lecteur. Là aussi c'est une certaine austérité peu alléchante qui prévaut.   

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Monsieur X quelque part à la fin des terres

A Benoît et Darnish qui m'accompagnèrent joyeusement en ce bout des terres

 

        Ce créateur, se définissant volontiers comme « asocial », et non pas « anarchiste », ne veut pas qu’on le nomme ni qu’on le situe sur la carte, même si certains, ayant voulu parler de lui, n’ont pas respecté cette demande (et que donc son nom traîne ici et là).

 

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Monsieur X., ce qui dépasse de la haie côté route... ph. Bruno Montpied, 2013


         Ancien marin ayant passablement bourlingué sur les mers (il habite à quelques encablures de falaises surplombant vertigineusement l’océan), ayant également tâté des Beaux-Arts, et parcouru la France dans sa jeunesse pour parfaire son éducation d’artisan tel un compagnon, possédant quelques connaissances en architecture et dans la construction des voiliers, « monsieur X » a créé depuis trente-cinq ans autour de sa petite maison traditionnelle bretonne un ensemble harmonieux et mystérieux de sculptures aux formes recherchées et oniriques, tenant tantôt de l'os, tantôt de l'épine ou bien encore de l'algue.

 

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Original belvédère comme gluant, adhérant à la maison d'habitation, et faisant une transition de l'architecture traditionnelle bretonne à l'inventivité offerte dans le jardin dont il garde un passage, ph. BM, 2013


 

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Monsieur X., vue de la maison en arrière-plan, flanquée d'un belvédère en angle, d'un monument avec une femme nue étendue de tout son long sur une arche, ph. BM, 2013


        "Onirique" n’est pas une épithète trop éculée en ce qui le concerne, puisqu’il se revendique d’un certain surréalisme, même si comme il le confie, après être allé rencontrer certains surréalistes historiques à Paris dans les années 50-60, il trouva ce milieu passablement « embourgeoisé ». Il paraît avoir assisté, quelque peu intimidé semble-t-il, à la cérémonie, organisée par Jean Benoît entre autres et immortalisée par les photographies de Gilles Ehrmann, visant à exécuter le testament du Marquis de Sade. S’y sentit-il déplacé ? Il ne le précise pas. Cependant, il se sent proche de ce mouvement. Ses peintures, louchant du côté d’un certain fantastique aux codes surréalistes peut-être un peu trop voyants, en attestent, de même que, peut-être aussi, des écrits qu’il évoqua à mots couverts durant notre bref entretien (on trouve de temps à autre sur les sculptures diverses inscriptions manifestant son goût pour la poésie ; voir ci-dessous la légende "Parfaite en beauté hautaine").

 

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Ph. BM, 2013

         Mais ce sont surtout ses sculptures, arachnéennes, effilochées, étonnantes dans leur apparent déséquilibre, comme influencées par un nouvel Art Nouveau n’osant pas dire son nom, qui retiennent l’attention par leur évidente originalité. Les bras de ses statues s’effilent et se transforment en racines comme bouturés directement dans la terre. Un avorton grimpe sur une sphère éclairée la nuit comme un étrange quinquet, enseigne de poète de la fin du monde. Un étrange petit belvédère juché sur une tourelle à l’angle de sa maison comme perpétuellement sur le point de vaciller donne au site un caractère de décor de rêve improbable au milieu de la lande. finistère,art nouveau,capitaine nemo,nautilus,autodidacte surréaliste,poésie,bretagne insoliteUne arche supportant une immense femme renversée porte en son extrémité des soufflets qui peuvent jouer des notes de musique si on tire correctement leurs ficelles (voir ci-contre avec Darnish chef d'orchestre), composant une sorte de nouvel orgue d’un autre Capitaine Nemo réfugié dans les terres, survivant, toujours résolument à l’écart d’une société qu’il vomit avec ses valeurs indexées sur le profit, la vanité et la gloire. Le style Art Nouveau de ses œuvres en plein vent faisant penser au décor du Nautilus dont des fragments se seraient perdus dans la lande.

 

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La "sainte" vue par monsieur X., accueillant le mort, ph. BM, 2013


         Certes, monsieur X par le style cultivé de ses sculptures tranche avec les environnements populaires que je préfère usuellement. C’est sans compter avec la naïveté de certains de ses personnages, et l’aspect débridé profondément original de l’ensemble, le goût très fort de l'analogie appliquée à la conception de ses sculptures, la grande poésie de l'ensemble. Autodidacte surréalisant, cet ancien marin breton, réfractaire à l’ordre établi, est à la croisée des créateurs purement naïfs ou bruts¹ et des créateurs de décors excentriques primitivistes (comme celui de Robert Tatin par exemple dans la Mayenne, dont on pourrait facilement rapprocher sociologiquement monsieur X).

 

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Monogramme de Monsieur X. sur le mur de sa maison, ph. BM, 2013

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¹ A noter que monsieur X, durant notre entretien avec lui, tint à se distinguer nettement de l'art brut auquel il ne pense pas devoir être rattaché.

Merci à Benoît Jaïn, à Alain Nempont et enfin à Thérèse Barbier qui tous successivement, à différentes époques, m'ont envoyé des photos pour me signaler ce site qui se veut pourtant discret...

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Un dialogue: René Rimbert-Marcel Gromaire

"...Dans les paysages de Rimbert il y a quelque chose du calme de la nature ; on dirait qu'il a juré de rivaliser avec le silence de la matière... Max Jacob

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René Rimbert, L'art et la vie, Musée du Vieux-Château, Laval (publié dans Ecrivains et artistes postiers du monde de Josette Rasle, éd. Cercle d'Art, 1997)

    Le Musée International d'Art Naïf Anatole Jakovsky (Château Sainte-Hélène, avenue de Fabron à Nice, tél: 04 93 71 78 33), dans la continuité de ses expositions de l'été 2006 qui s'intitulait "En quête de paternité: Art Naïf-Art Moderne", et de 2003 ("Têtes à têtes", rencontre entre art brut, neuve invention et art naïf) propose cette fois un dialogue entre René Rimbert et Marcel Gromaire.7d18e277f6c1a14e3b083b2bd5819eac.jpg (Sur l'image ci-contre, Gromaire est en haut bien sûr, Rimbert en dessous)

  C'est dire que dans ce musée on s'intéresse fort aux confrontations non partisanes entre arts d'avant-garde et arts d'autodidacte et que cela ne date pas d'aujourd'hui (afin de sacrifier à je ne sais quelle mode).

   Au fait, Rimbert, "autodidacte"? Il était parvenu à un tel métier qu'on a bien souvent été tenté de le ranger plutôt du côté des artistes professionnels que du côté des Naïfs (ce qui est bien entendu injuste, pourquoi un naïf, c'est valable aussi bien pour un brut, dès qu'il aurait du génie, cesserait dès lors d'être naïf, ou d'être brut?). 

   Cela fait déjà un certain temps que le musée Jakovsky, et sa conservatrice Anne Devroye-Stilz, interroge avec des moyens limités certes mais avec audace les frontières existant entre différentes catégories de l'histoire de l'art que certains rêveraient de voir plus fermées (limiter le flux aux frontières, c'est hélas à la mode par les temps qui courent). On se souvient de l'exposition "Les Magiciens de la mer" en 2000 qui tentait, timidement (voir la critique que j'ai publiée dessus dans Création Franche n°19), d'établir des ponts entre art populaire de marine, art naïf, art brut, et art singulier. Il y eut aussi en 1998 "Séraphine, Aloïse, Boix-Vives, aux frontières de l'Art Naïf et de l'Art Brut" (expo réalisée avec le concours de Jean-Dominique Jacquemond).

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René Rimbert, Synchromie argenteuillaise en bleu majeur, 1976    

   C'est l'occasion pour le public de découvrir des voisinages inattendus entre des oeuvres peu montrées sur les cimaises. Cette fois, le musée de Nice creuse la relation Rimbert-Gromaire. Si l'on reconnaît d'habitude davantage le rôle de Max Jacob dans la découverte de Rimbert en 1924  par le biais de la Galerie Percier où il l'avait recommandé, on ignore en effet que c'est d'abord Gromaire qui l'avait encouragé après l'avoir remarqué au Salon des Indépendants de 1920. On a oublié également, si on l'a jamais su, que ce dernier avait peut-être été prédisposé à goûter l'oeuvre d'un Rimbert par le souvenir et l'attachement qu'il éprouvait pour sa grand-mère maternelle Reine Mary-Bisiaux (née en 1840 et décédée en 1929), peintre "primitive" et naïve sur laquelle, après sa disparition, il écrivit un petit livre de souvenirs La Vie et l'oeuvre de Reine Mary-Bisiaux (éd. Marcel Seheur, 1931)

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   Sur Rimbert et ses lumières à la Vermeer, ses ambiances "métaphysiques" à la Chirico, on trouve ici ou là divers ouvrages qui ont traité de son oeuvre, notamment le catalogue qui lui fut consacré par la Galerie Dina Vierny en 1983-1984, d'où j'extrais ces lignes de Pierre Guénégan, :

  " Je m'approchais, et je crois maintenant en revivant ces instants que je fus frappé par une immense tranquillité, une tranquillité pleine de richesse ; la luminosité très particulière des couleurs, accentuait poétiquement les formes des façades, un homme qui partait, une silhouette frémissante. La peinture en trois dimensions, une quiétude apparente, mais en même temps ces moitiés d'êtres vivants donnaient une échelle qui tout en créant de la profondeur nous permettaient d'entrer dans la toile pour nous y promener. Par le contraste singulier des couleurs, les vieux murs parlaient, le chat assis au coin d'une rue réfléchissait. Je sortis étonné, ébloui, tant et si bien qu'une fois dans la rue je me rendis compte que je ne savais même pas le nom de l'artiste qui avait peint de telles oeuvres."

(La photo de la "Synchromie argenteuillaise..." de 1976 a été extraite du site du Musée critique de la Sorbonne. Ce site fort intéressant,  se consacre apparemment à mettre en ligne des interprétations critiques de différents tableaux de l'histoire de l'art)

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Marcel Storr, les tours de Babel du pauvre

marcel storr,bertrand et liliane kempf,pavillon carré de baudouin,art brut,architecture fantastique,gaudi,laurent danchin,françois cloarec (Cette note contient une mise à jour)

    Quel magnifique créateur que ce Marcel Storr dont l'oeuvre rare et précieuse fut sauvée par les époux Kempf, Liliane et Bertrand, exhibée petit à petit, vingt-deux ans après la disparition de l'auteur, la première fois à la Halle Saint-Pierre en 2001-2002 (expo Aux Frontières de l'Art Brut II), avec le soutien incontournable du spécialiste français en chef des arts populaires spontanés, Laurent Danchin (qui le présenta au même moment dans Raw Vision n°36), puis par la suite dans son intégralité à la mairie du IXe ardt en 2005, plus partiellement à la Triennale d'art insitic à Bratislava en 2007, etc, sans oublier l'éclairage précieux apporté récemment par l'écrivain, peintre et psychanalyste François Cloarec (un livre chez Phébus à conseiller: Storr, architecte de l'ailleurs, qui a apporté d'utiles aperçus biographiques repêchés avec patience par l'auteur dans diverses archives). Voici donc l'œuvre du cantonnier Storr à nouveau exposée dans son ensemble, cette fois au Pavillon Carré de Baudouin.marcel storr,bertrand et liliane kempf,pavillon carré de baudouin,art brut,architecture fantastique,gaudi,laurent danchin,françois cloarec

       Des églises sages de ses débuts, on passe par degrés à des architectures plus exaltées, les flèches se multipliant, s'élevant toujours plus haut, telles des orgues prises de fiévre, comme démarquées de la Sagrada Familia de Gaudi, ou de palais d'Extrême-Orient comme ceux d'Angkor (Storr feuilletait l'Illustration paraît-il, féru de ses images, cela a pu l'inspirer). Le dessinateur se prend au jeu progressivement, ne se contentant plus au fil des années de ces représentations fidèles de lieux de culte. Il se concentre sur la couleur (quel prodigieux coloriste, inventant ses techniques, son vernis particulier) et sur l'envol de ses bâtiments atteints de gigantisme, construisant au besoin des sortes de diptyques ou triptyques, par feuilles rajoutées. On nous parle de 72 dessins tout au plus, réalisés avec une méticulosité de bénédictin sur une durée de quarante années (les premiers dessins conservés date de 1932, et Marcel Storr s'éteint à l'Hôpital Tenon en 1976).

 

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Marcel Storr, sans titre, 1964, 37x30cm, crayon et encres de couleur, vernis, © Liliane et Bertrand Kempf

      Les cathédrales de cet homme sourd, le plus souvent enfermé en lui-même, torturé par l'abandon par ses parents à l'âge de trois ans (il fut un pupille de l'Assistance Publique, atteint de surdité des suites de mauvais traitements dans des familles de mauvais accueil, et sur le tard victime d'une tendance au délire de persécution bien excusable étant donné sa vie saccagée), à un moment, qui paraît concomitant de l'érection des tours de la Défense qui dans les années 60 se mirent à émerger derrières les cîmes des arbres dont Storr balayait les feuilles dans le Bois de Boulogne, à un moment les cathédrales se métamorphosent magiquement en constructions végétales fourmillantes, se mettent à proliférer, s'affranchissant de leurs modèles initiaux. Leurs flèches paraissent aussi prêtes à s'envoler telles les fusées de Werner Von Braun que la NASA dans ces années 60 lance vers la Lune (premier homme sur la Lune, 1969).

marcel storr,bertrand et liliane kempf,pavillon carré de baudouin,art brut,architecture fantastique,gaudi,laurent danchin,françois cloarec      Des villes futuristes, des mégalopoles aux tours sans fin, parfois reliées par des passerelles, naissent ainsi dans ses dessins aux dimensions imposantes. Dessins auxquels il donnait toute son énergie, toute son âme, s'y concentrant dans l'écart le plus absolu vis-à-vis du reste du monde, au point qu'on peut se demander –avec Françoise Cloarec dans son livre– si la reconnaissance dont il commença à sentir les effets au début des années 70, après que les époux Kempf eurent montré certains blocs de dessin à divers critiques d'art, n'eut pas inconsciemment un effet négatif sur lui (il mourut cinq ans plus tard, d'usure physique et psychique apparemment ; cependant l'exhibition de cette oeuvre resta fort limitée, les Kempf la mettant au secret dans un coffre de 1971 à 1981, ayant peut-être senti la nécessité de la laisser ainsi reposer par égard à son créateur hyper-sensible, un écorché littéralement). Mais comment imaginer qu'on n'ait pas voulu faire connaître de tous une telle œuvre une fois mis en sa présence? D'autant que Marcel Storr accepta de laisser les Kempf montrer son travail, et leur confia même sa production. La véritable cause de cette vie gâchée étant plutôt à rechercher dans le faisceau d'irresponsabilités et de stupidités qui se liguèrent dans la jeunesse de Marcel Storr pour lui ruiner son existence. Il y répondit, en reconstruisant à partir de ces ruines justement, des palais fantastiques, un monde architectural destiné à remplacer l'actuel, se mesurant ainsi d'égal à égal avec tant d'autres créateurs de l'art brut, Achilles Rizzoli, le Facteur Cheval, Bodys Isek Kingelez et ses maquettes utopistes, Simon Rodia et ses Tours de Watts, le petit peintre naïf polonais Nikifor aux ambitions architecturales plus modestes mais dont on peut rapprocher du style graphique les dessins de Storr je trouve, ou encore ce peintre américain étonnant Erasmus Salisbury Field, auteur d'un extraordinaire collage de monuments, comme si du néant d'une vie piétinée on ne pouvait que faire surgir, dans une révolte salvatrice, une surenchère germinative de bâtiments tous plus géants les uns que les autres, proportionnés à la taille du préjudice existentiel.

 

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Erasmus Salisbury Field, Le Monument Historique de la République Américaine, vers 1875 (des passerelles reliant les tours à leurs sommets transportent des trains!), extrait du livre d'Oto Bihalji-Merin, Les Maîtres de l'Art Naïf, La Connaissance, Bruxelles, 1972

Exposition Marcel Storr, bâtisseur visionnaire, du 16 décembre 2011 au 31 mars 2012. Renseignements plus précis ici (dossier de presse, informations pratiques, diaporama, événements (dont une mini programmation "bâtisseurs sauvages" par Pierre-Jean Würtz de l'Association Hors-Champ dans l'auditorium du pavillon Carré de Baudouin le samedi 28 janvier à 15h).

A lire sur Storr les deux ouvrages suivants, une monographie où disons-le, les reproductions sont complètement ratées côté restitution des couleurs originales, et le roman biographique de Françoise Cloarec, tous deux publiés par le même éditeur, Phébus:

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Les illustrations de cette note (le portrait de Marcel Storr, le diptyque en deux parties de 105x80 cm chacune, et le dessin ci-dessus non daté de 61x50cm) sont tous sous le © de Liliane et Bertrand Kempf

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