11/05/2014
Une rétrospective Michel Nedjar à la galerie Berst
Cette note contient une mise à jour du 14 mai, 23h35...
Voici ce que l'on pouvait lire à un moment donné sur le site web de la galerie Berst (avant que ce soit modifié par le galeriste peu de temps après, peut-être suite à la note présente?) à propos de la prochaine exposition (du 23 mai au 12 juillet) de Michel Nedjar dans ses murs:
"Nedjar naît en 1947 à Soisy-sous-Montmorency (Val d’Oise) de parents juifs. Troisième d’une famille de 7 enfants, il se passionne très tôt pour le tissu, confectionnant des robes pour les poupées de ses sœurs -poupées avec lesquelles il joue en cachette- et accompagnant sa grand-mère vendre des tissus usés au Marché aux Puces. Adolescent, il prend douloureusement conscience de l’horreur de la Shoah, de l’histoire de sa famille, en grande partie victime du nazisme : ses poupées en sont la réminiscence. Par la suite, il entreprend plusieurs voyages et est fasciné, au Mexique, par les momies : « Ce n’était pas mort. Elles avaient leurs costumes, leurs robes collées sur la peau.» C'est à son retour qu'il fabrique ses premières poupées de cordes, de haillons et de plumes qu'il trempe dans un bain de terre. Bientôt, sa créativité s'étend au dessin. En même temps qu'il découvre son propre besoin de produire, Nedjar rencontre l'art brut : enthousiaste, il se lance à rechercher lui-même de nouveaux créateurs, à réunir leurs œuvres et co-fonde L’Aracine. Ainsi, Nedjar entre doublement dans l'histoire de l'art, en tant que découvreur d’art brut et, surtout, en tant qu'artiste : rapidement repéré par Jean Dubuffet, Roger Cardinal –l’auteur du terme « outsider art »- lui consacre un article de fond dans les Fascicules de l’Art Brut. Il est aujourd’hui l’artiste brut le plus exposé au monde ; ses créations, incontournables, figurent parmi les plus grandes collections d'art dont celle, grâce à la donation Daniel Cordier, du Musée National d’Art Moderne (Paris)."
Ce texte, je n'avais rien à y redire jusqu'à la lecture de la dernière phrase. Comment un homme "entré doublement dans l'histoire de l'art, en tant que découvreur d'art brut" et en tant "qu'artiste" peut ensuite être qualifié "d'artiste brut"? Il y a là une contradiction énorme, au service d'un tour de passe-passe qui consiste à nous faire croire que ce qu'on appelle l'art brut peut être pratiqué par des artistes conscients de l'être, cultivés, et eux-mêmes médiateurs (puisque découvreurs d'art brut comme l'a été Nedjar en fondant et en animant l'Aracine aux côtés de Madeleine Lommel de nombreuses années). Eh bien, non! L'art brut n'a rien à voir avec Nedjar. C'est un artiste estimable, souvent inventif (mais aussi souvent malin, sachant s'inspirer de toutes sortes de formes d'expression vues à travers ses voyages, momies, art brut, artistes autres), mais il ne correspond en aucune manière au profil du créateur brut. J'écris créateur comme d'habitude car cela représente plus exactement ce qui se trame sous l'art brut, un art pratiqué en urgence par des individus la plupart du temps en souffrance, hors système des Beaux-Arts, des gens totalement étrangers à l'art réfléchi, incultes en termes d'art, marginalisés, asociaux, etc. On n'a pas affaire aux artistes dans l'art brut, que cela vous plaise ou non, messieurs les marchands, on a affaire à des individus dominés par des pulsions d'expression bien incapables d'assurer leur propre promotion, ne cherchant en rien à faire leur propre publicité, tellement ils sont avant tout en plein dans leur acte créatif.
De qui est ce dessin ? De Michel Nedjar vraiment? Ou bien de n'importe quel griffonneur habitué des expos d'art brut où l'on présente ce genre d’œuvre assez faible comme un marqueur d'art brut, comme un poncif permettant de reconnaître à coup sûr l'art brut par les clients qui autrement bien entendu ne pourraient que difficilement s'y retrouver, étant donné qu'il n'y a pas d'esthétique brute donnée, facilement estampillable comme telle
Non, Nedjar n'a rien à voir avec les créateurs de l'art brut. Je n'ai personnellement jamais compris pourquoi il avait été adoubé par Dubuffet dans sa collection principale, et pas rangé plutôt dans la collection annexe, dite ensuite "Neuve Invention", bref dans "l'art singulier" où pourtant il serait infiniment mieux à sa place. Le père Dubuffet avait dû avoir une vacance de sa rigueur ce jour-là...
NB: Toutes les illustrations de cette note proviennent du site web de la galerie Berst
00:24 Publié dans Art singulier | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : michel nedjar, galerie berst, art brut ou non, art singulier, neuve invention, donation cordier, dubuffet | Imprimer
Commentaires
Mais il est pas mal ce dessin...Assez puissant même, avec quelque chose d'expressionniste, un trait affirmé...Il me rappelle aussi des dessins du Dernier Cri, les éditeurs-artistes-sérigraphes-musiciens de Marseille (Paquito Bolino par exemple)...
Écrit par : Darnish | 11/05/2014
Répondre à ce commentaire"Quelque chose d'expressionniste", tu as raison, Darnish. C'est peut-être le problème avec Nedjar, on pense souvent à d'autres que lui quand on voit ses œuvres. A des poupées d'exorcisme ethniques, aux nouveaux expressionnistes allemands des années 80, à l'art brut...
Mais ce n'est pas pour cela que j'ai écrit cette note au départ, plutôt pour la manip très dans l'air du temps qui consiste à confondre l'art brut avec un mouvement d'art contemporain. Tant de gens y ont intérêt, marchands, collectionneurs, artistes, professeurs... que cela va être difficile de trouver du soutien dans ce combat...
Écrit par : Le sciapode | 12/05/2014
Moi, au delà de cette ambiguïté sur la classification, ce qui me gêne dans les œuvres inspirées par la Shoah et qui se revendiquent haut et fort comme telles c'est la difficulté de pouvoir en parler librement qui empêche toute critique éventuelle. Comment en effet critiquer ce qui se réfère à une telle abomination sans prendre le risque d'être perçu comme attentatoire au souvenir des victimes elle-mêmes. Elles ne peuvent donc être qu' incontournables, comme l'affirme le catalogue.
Écrit par : jean | 11/05/2014
Répondre à ce commentaireLe Poignard Subtil -avant de tout lacérer sur son passage- ferait bien de lire la présentation de l'exposition qui dit précisément qu'il ne s'agit plus d'art brut.
Pour que les lecteurs du blog puissent se faire une opinion, lire la présentation que voici :
http://www.christianberst.com/fr/exposition/michel-nedjar.html
Nous reconnaissons que la brève biographie reproduite par le Poignard n'était pas assez claire sur ces points et nous l'avions, avant même de vous lire, modifiée en conséquence.
Pour ce qui concerne les influences de Nedjar, on peut en dire autant de la plupart des artistes. Quelqu'un les a forcément précédés, qui les aura nourris ou inspirés. La différence se fait sur le talent et la capacité à nous émouvoir. L'originalité sans le talent ne serait d'ailleurs qu'une coquetterie sans portée réelle.
Quant aux intérêts qui sont en jeu, il est compréhensible que beaucoup voient d'un mauvais œil l'arrivée de nouveaux amateurs ou de nouvelles manières de "penser" l'art brut : ils croyaient régner sans partage sur un domaine qu'ils voulaient figé pour toujours, au risque d'en faire un ghetto et d'empêcher les créateurs qu'ils prétendent chérir de rencontrer un public plus large. C'est accorder peu de crédit à la puissance de ses œuvres que de penser que quiconque puisse annihiler leur capacité à faire bouger les lignes.
Que l'époque s'interroge sur la place ou non de l'art brut dans l'art contemporain (ou moderne, d'ailleurs) est en soi un signe encourageant que le monde de l'art le considère enfin à la place éminente qui est la sienne. Certains y voient un recul, j'y vois un progrès. Affaire de points de vue.
N'oublions jamais que l'art brut est avant tout vivifiant parce qu'il continue de perturber nos certitudes. Car comme l’écrivait Rostand : "Certitude, servitude".
Votre dévoué,
Christian Berst
Écrit par : Galerie Christian Berst | 14/05/2014
Répondre à ce commentaireMais j'ai lu M. Berst, non pas votre nouvelle présentation, nouvelle depuis un jour, mais la biographie (temporaire donc) que vous aviez insérée dans un premier temps et que vous reconnaissez avoir dû corriger. Je l'ai même donnée à lire dans la note ci-dessus, vous ne la voyez pas? C'est en la lisant que j'ai sursauté devant les dernières phrases. Ma note ne parlait que de cela.
De toute votre diatribe ci-dessus, je retiens que j'avais sans doute raison un peu quelque part, et que je n'ai pas été pour rien dans votre désir de remanier cette primitive "biographie" devenue ensuite présentation.
Cette dernière cependant mérite qu'on y revienne elle aussi. "(Nedjar) est sans doute aujourd'hui l'artiste brut vivant qui fut le plus exposé au monde", écrivez-vous... Avant d'affirmer quelques lignes plus loin qu'"il est difficile de comprendre comment Michel Nedjar a pu continuer ultérieurement à être considéré comme un artiste brut". Qu'en pensez-vous vous-même, se dit-on... c'est un "artiste" brut ou ce n'en est pas un ? Prenez donc parti...
Moi, cette collusion "d'artiste" avec "brut" ça me donne des boutons voyez-vous... OK, OK, le type qui manipule, qui façonne, qui dessine, qui sculpte, fait quelque chose que l'on appelle de l'art. Dans le cas de l'art brut, ça n'en fait pas pour autant un "artiste", cette profession qui consiste à savoir se faire exposer, à trouver des marchands, des agents, entretenir des relations dans le monde des critiques d'art, des historiens, à se situer dans l'histoire de l'art, voyager à travers le monde et traiter avec des marchands new-yorkais par exemple, etc, tout un boulot qui n'a rien à voir, ne me dites pas que vous ne le savez pas, avec ce que l'on a rangé sous le terme d'art brut. Wolfli et Aloïse n'avaient vraiment pas la tête à prendre des jets pour New York...
Vous développez par ailleurs la séduisante fiction dans cette nouvelle présentation que "l'art brut" de Michel Nedjar aurait été un "moment". Il aurait créé ses premières œuvres, les "chairdâmes", ces espèces de poupées d'exorcisme desséchées et quelque peu scatologiques -que j'ai personnellement toujours trouvées faciles, relevant d'un académisme du répugnant chargé d'épater à bon compte les bonnes âmes, de faire du buzz avant la lettre en somme- il les aurait créées dans un "moment", limité dans le temps, d'exutoire au souvenir de l'extermination de membres de sa famille. Et, vous allez me dire que je n'y vais pas par quatre chemins, je pense que ce grand-guignol de momies trempées dans je ne sais quel jus a esbrouffé en tout premier lieu Dubuffet, et même Roger Cardinal, ce qui ne laisse pas de m'étonner (mais que sait-on de motivations plus secrètes chez ces deux-là? De plus le spectre de l'extermination des Juifs est un argument massue qui ne suppose aucune critique de l’œuvre qui s'en prévaut). Ce qui a entraîné les autres succès ensuite. Bonne stratégie...
Cette théorie que vous développez, de "moment d'art brut", pourquoi pas dans d'autres cas que celui de Nedjar? Il peut y avoir de ces situations transitoires au sein du corpus de l'art brut, même si elles restent loin d'être majoritaires.
Les créateurs dominés par leur pulsion d'expression peuvent à de certains moments reprendre le dessus, tenter de maîtriser la cavale emballée et la faire servir à leurs injonctions, cela peut exister, comment le surréalisme aurait-il pu faire si cela n'était pas possible du reste (et personnellement, c'est ce que j'admire dans le surréalisme, ce guidage de cavale en flamme...).
Dans le cas de Nedjar, mon intuition me mène à penser qu'il n'y a pas eu de moment d'art brut, en réalité, et qu'en fait, au contraire, c'est plutôt à la longue, bien plus tard qu'il en est venu à trouver une voie plus originale, plus sincère, comme par exemple pour ces formidables poupées toutes baignées de poésie enfantine heureuse et dégingandée qu'il fit à l'occasion des fêtes de Pourim il y a quelques années, et qu'il a données au Musée d'Art Juif, à ce qu'il m'a un jour confié.
C'est cette partie de son travail que je préfère, pas ses momies grimaçantes qui plaisent aux amateurs de corps abîmés si fréquents en nos époques fatiguées.
Écrit par : Le sciapode | 15/05/2014
Je lis dans le texte de présentation qu'il "est difficile de comprendre comment Michel Nedjar a pu continuer ultérieurement à être considéré comme un artiste brut. Mais il est probable que l'explication tienne à la forme même de ses productions, et aux matériaux pauvres qu'il continuait à employer pour les réaliser".
Curieuse explication qui laisse la porte ouverte à toutes les confusions surtout concernant un honnête homme qui a fait partie de l'Aracine. Plutôt que de parler en son nom (et qui plus est en terme de probabilité), pourquoi ne pas demander à Nedjar lui-même d'expliquer les raisons pour lesquelles il accepte encore d'être présenté comme tel. Ce serait plus simple, plus clair et finalement plus honnête, non ?
Écrit par : RR | 14/05/2014
Répondre à ce commentaireÀ Bruno Montpied :
Je regrette de ne pas pouvoir vous attribuer la paternité de ma modification, je n'ai eu connaissance de votre recension qu'après. La bio initiale avait été rédigée, en son temps, par une collaboratrice de la galerie et jamais corrigée depuis. Avec pas loin de 150 biographies en ligne, des pages et des pages d'informations bibliographiques et historiques sur l'art brut, 8 expositions et autant de catalogues bilingues publiés par an, souffrez que tout ne soit pas parfait.
La critique est aisée mais ...
En réponse à RR (fatigant que les gens n'assument pas leurs propos et se cachent derrière des pseudonymes, surtout lorsque les mêmes appellent à plus "d'honnêteté") : vous lisez mal, je ne dis pas "qu'il se considère" mais "qu'il est considéré", la nuance est de taille, mais elle vous aura échappé. Je ne vois pas où vous lisez que je parle en son nom ? Apprenez à lire avant de commenter.
Quand j'écris qu'il est "l'artiste brut" sans doute le plus exposé au Monde, je relate un simple fait : il n'est pas exposé comme un artiste contemporain, que je sache, mais toujours dans ce contexte particulier des bruts/outsiders. Qu'il ne s'épuise pas à longueur de temps à contredire ceux qui le confinent dans ce territoire est compréhensible (il l'a fait à de nombreuses reprises, lisez notamment le long entretien qu'il donna dans Rawvision il y a qq années). Et puis, si vous le connaissiez mieux, vous sauriez qu'il est fatigué de ces querelles de chapelles, stériles dans l'ensemble. Vous ne lui reprocheriez pas de se sentir en "famille", d'avoir des "affinités électives" avec ces créateurs bruts qu'il contribua toute sa vie à défendre et faire connaître ?
Tant de faux procès sont construits sur des fantasmes, des projections perverses, mais surtout sur l'ignorance de la personnalité réelle de celui qu'on accuse.
Vous ne croyez pas au "moment d'art brut" le concernant, me reprochez de ne pas élargir cette notion à d'autres, mais oubliez que dans une présentation aussi courte - ça n'est pas une thèse et puis il s'agit d'une exposition monographique - je m'attache surtout à ne parler que de Nedjar. J'aurai certainement l'occasion de développer cette notion, mais dans un contexte plus approprié. Et puis je crois le lecteur assez intelligent pour comprendre que ça n'est pas exclusif au cas de cet artiste, d'ailleurs la première phrase de la présentation pose la question de l'impermanence de l'art brut de façon générale, mais vous l'aurez mal lue.
Vous n'aimez pas ce travail des poupées anciennes qui "esbroufa" Dubuffet et Cardinal et que vous trouvez convenu ? Personne ne vous y oblige.
Vous n'aimez pas que je qualifie d'artistes ces auteurs/créateurs d'art brut ? C'est une coquetterie très discutable de Dubuffet dont vous vous faites l'héritier. Demandez-vous plutôt si l'art "fabriqué", l'art "d'élevage" qui encombre le marché est le produit "d'artistes" ou plus vraisemblablement de "professionnels de l'art" (vous les décrivez assez bien).
Mais si vous voulez pointer des hérésies, il en est une fameuse ... celle qui fait d'un artiste autodidacte - avec site internet, carte de visite, blog, immatriculation à la Maison des artistes, et j'en passe - un "outsider", voire un "singulier". Voilà une belle supercherie qu'il faudra bien dénoncer un jour.
Mais revenons à nos artbrutistes : pour ma part, et mon site en atteste encore - mais pour peu de temps - (cf. l'entrée "créateurs" plutôt "qu'artistes"), je pensais comme la "maison mère" et vous-même jusqu'à récemment. Mais il m'apparaît maintenant clairement que l'art - dans sa dimension métaphysique dont il n'aurait peut-être jamais dû s'éloigner - éclot précisément dans les esprits "bruts" qui nous sont chers. Ils sont donc plus en droit que d'autres de se voir honorés du titre d'artistes, dans toute sa noblesse. Ou alors ne parlez plus d'art pour ce qui les concerne, brut ou pas.
Écrit par : Galerie Christian Berst | 19/05/2014
Cher Mr Berst,
Vous m'accusez de mal lire et vous me prêtez dans le même temps un propos que je n'ai pas tenu. Je n'ai pas écrit "qu'il se considère" mais "qu'il accepte encore d'être présenté comme tel". La nuance (revendication active/passive) que vous évoquez ne m'a donc pas échappée. Pourquoi une telle approximation de votre part?
Quant à la réception "art brut" de l’œuvre de M Nedjar, étant son galeriste et avançant une hypothèse (que vous qualifiez de probable) le concernant, il n'est pas abusif de considérer que vous parlez en son nom, comme un avocat peut parler au nom de son client, ce qui ne me choque pas (c'est votre rôle de galeriste) mais ne doit pas vous autoriser pour autant à prendre de haut les interrogations dont cette réception peut être l'objet. D'ailleurs, s'il n'y avait pas cette ambiguïté intéressée à propos du label sous laquelle elle est présentée, l’œuvre de M Nedjar se défend au demeurant très bien toute seule et ne ferait pas l'objet d'une telle polémique.
Pour finir ma signature n'est pas un pseudonyme mais seulement les initiales de mon nom que tous les lecteurs de ce blog connaissent.
Rémy Ricordeau
Écrit par : RR | 19/05/2014
Répondre à ce commentaireCher Rémy Ricordeau (au temps pour moi, je ne suis pas assez familier du blog pour y reconnaître les auteurs par leurs initiales),
Lorsque j'écris "il est donc difficile de comprendre comment Michel Nedjar a pu continuer ultérieurement à être considéré comme un artiste brut", il n'y a que vous qui compreniez "qu'il accepte encore d'être présenté comme tel". Je vous laisse la responsabilité d'une telle conclusion. Et bien qu'étant son galeriste, ça ne fait pas de moi son porte parole (il n'a pas besoin de moi pour dire ce qu'il a à dire). Ce que j'écris n'engage, comme à chaque fois, que moi et je ne fais qu'exercer, comme chacun devrait le faire, ma liberté de parole.
Ne croyez pas que je prenne vos interrogations de haut, je trouvais votre raccourci très abusif, voilà tout. Sans doute traduisait-il simplement votre propre perception de cette problématique. L'emploi des termes "d’ambiguïté intéressée" laisse d'ailleurs transpirer une suspicion qui ne me paraît pas avoir plus de fondement ... et occulte malheureusement ce que j'ai dit de sa propre position dans mon commentaire précédent (pour une fois que je parle en son nom, vous devriez en tenir compte).
Nous nous accordons en revanche sur un point : son œuvre se suffit largement à elle même. Mais il eût été dommage, pour qui cherche à tordre le cou aux dogmatismes, de faire cette exposition sans traiter de l'impermanence ou de l'idée du "moment d'art brut", rarement sinon jamais abordés, autant que des complaisances ou des manipulations qui enferment des œuvres, pour des raisons strictement formelles, dans telle ou telle case.
Quant aux polémiques qu'un tel questionnement pourrait faire naître, gageons qu'il serve à déciller les yeux des amateurs en mal de sincérité dans l'art.
C. Berst
Écrit par : Christian Berst | 19/05/2014
M. Berst, quand on se tient sur une position qui n'est pas la vôtre, vous accusez votre contradicteur de mal vous lire. Encore faudrait-il être sûr que ce n'est pas vous qui écrivez mal.
Dans votre avant-dernier commentaire du 19 mai, vous répondez à RR et sans crier gare, sans dire que vous vous adressez à moi (semble-t-il), vous revenez vers mes critiques. Le lecteur lambda de ces commentaires a de quoi s'y perdre. Il faut du mérite pour qui voudrait vous suivre dans ce genre d'exercices. Je me sens pardonné si je vous ai "mal lu" du coup.
Je ne réagirai qu'à propos du paragraphe où vous qualifiez la position de Dubuffet, parlant de "créateurs" ou "d'auteurs" d'art brut, de COQUETTERIE.
Vous choisissez en effet de faire comme tant de médiateurs à l'heure actuelle d'employer le terme "d'artistes" pour qualifier nos auteurs d'art brut. C'est pour rendre hommage à leur "sincérité", dites-vous. "La dimension métaphysique" de l'art serait en plein présente dans leurs œuvres, et c'est pourquoi le terme d'artistes devrait leur être réservé.
Or, faisant cela, vous ne gardez qu'une dimension de l'état d'artiste, celle qui se rapporte au contenu de son travail, à l'aspect plastique de son activité. Ce qui est loin d'être la seule dimension de l'état d'artiste.
Le mot ne recouvre pas seulement le fait de tripoter des matières, de tracer des signes, d'organiser des couleurs, le fait de s'exprimer, il correspond aussi à un USAGE SOCIAL de l'art, à une profession, à un savoir de médiation. C'est pourquoi pour moi "artiste" est synonyme de "professionnel de l'art". Ce qui n'est pas à mes yeux systématiquement péjoratif d'ailleurs.
Ce que je remets en cause, chez ces derniers, c'est l'usage qui est fait de l'art dans nos sociétés et qui les dépasse la plupart du temps. Ce côté caste d'intouchables, élite intellectuelle qui aime à passer pour maudite, ce côté séparé de la vie de tous les autres êtres humains.
Avec la révélation qu'existe à côté des artistes, caste séparée, professionnelle, tout un continent qui va en s'élargissant (je rêve qu'un jour on s'aperçoive que la population entière du monde est faite de créateurs) d'individus créatifs qui sont tellement pris par leur geste expressif qu'ils n'ont pas conscience du reste, qu'ils ne médiatisent en rien leur activité, avec cette révélation que l'on doit aux surréalistes, puis à Dubuffet et à d'autres aujourd'hui, un bouleversement du regard que l'on porte sur l'art comme sphère séparée de nos vies quotidiennes (aliénées au travail salarié), alors qu'il est le poumon vital de nos vies, un bouleversement, une véritable révolution intellectuelle m'est tout à coup apparu évidente. C'est de cela que parlait Dubuffet derrière ce que vous appelez, d'une façon incroyablement superficielle, une "coquetterie"...
Sans bien se rendre compte, je crois, de ce qu'impliquait la distinction qu'il opérait, Dubuffet en effet reprenait le débat qu'avaient initié les surréalistes, avant qu'il soit repris d'une façon nettement plus unilatéralement politique par les situationnistes (dans un temps parallèle à celui où vivait Dubuffet qui du reste croisa l'un d'entre eux, Asger Jorn), débat qui débouchait sur le rêve d'une transfusion de l'art dans la vie quotidienne.
Cette fusion qui entre parenthèses, à mes yeux, a plus à voir, si on me pardonne ce néologisme, avec une "quotidiennisation" (ou une vitalisation) de l'art qu'avec une quelconque "artification" de la vie, telle que la décrivent des esthéticiens et sociologues de l'art contemporains.
Écrit par : Le sciapode | 20/05/2014
Répondre à ce commentaireM. Montpied,
J'accepte la critique sur la forme de mes réponses, mais l'essentiel est que ceux qui sont concernés y retrouvent leurs petits et que ceux qui ne le sont pas en comprennent l'esprit. D'ailleurs, je note que vous êtes assez vifs pour ne pas vous être perdu dans mon labyrinthe. Dont acte.
Quant à l'acception "d'artistes", ce n'est pas parce que celle-ci est largement galvaudée de nos jours qu'il faut l'abandonner aux industriels de l'art et la laisser pour invalide ou morte sur le champ de bataille. Bien au contraire.
Alors, soit Dubuffet était inconséquent dans cette affaire (continuer à désigner ces productions "d'art" - fut-il brut - et dénier le statut d'artistes à leurs auteurs dans le même mouvement), soit il faut bien reconnaître qu'il commettait une coquetterie sémantique difficilement justifiable. Comme celle qu'il commit lorsqu'il persista à désigner le lieu d'accueil de sa collection à Lausanne du nom de "collection" plutôt que "musée".
"Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots".
Jean Jaurès.
Mais j'admets que "coquetterie" est peut-être un peu faible quand il est question d'idéologie sous-jacente (rousseauisme artistique ? Eloge de "l'homme du commun à l'ouvrage" en parlant de créateurs qui n'ont justement plus rien de commun ? etc, etc).
Dubuffet nous a éclairé de ses lumières, mais de là à se laisser aveugler comme les papillons de nuit ...
J'exercerai, un jour, plus clairement mon droit d'inventaire sur ces questions et vous laisse pour l'heure le dernier mot (après tout c'est votre blog).
Écrit par : Christian Berst | 20/05/2014
Ce ne sera sans doute pas ma dernière remarque sur le sujet mais pour l'heur je me contenterai de vous répondre ceci, M. Berst: il n'y avait aucune inconséquence chez Dubuffet. Il y avait bien de l'art mais pas d'artistes voilà tout.
J'ai depuis quelque temps (voir par exemple mon article paru dans la revue "303", n° spécial Art Brut) qualifié ces formes d'art, brut, naïf, populaire contemporain, moderne ou du passé, d'ART SANS ARTISTES. Comme on a parlé il y a déjà pas mal de temps (dans les années 70) d'une "architecture sans architectes".
Paradoxe? Que non pas à mes yeux...
La seule coquetterie que je serai prêt à admettre ce serait effectivement sur la distinction "Collection" ou "Musée". C'est du pareil au même à mes yeux, vous avez raison là-dessus. Mais sur l'art sans artistes, je dois dire que d'après moi vous nagez complètement.
Quant à la question de la conception de l'artiste qui serait "galvaudée de nos jours", cela n'a rien à voir avec ce que je disais. Cette conception de l'artiste, médiateur de sa propre œuvre, me paraît à moi fort ancienne...
Écrit par : Le sciapode | 20/05/2014
Dernière remarque Mr Berst pour lever peut-être toute ambiguïté.
En écrivant dans la présentation qu'il (Nedjar) "est "l'artiste brut" sans doute le plus exposé au Monde", reconnaissez qu'il y a une ambiguïté dans la formulation sur le statut que vous-même lui accordez, d'autant que votre galerie étant quand même spécialisée en art brut, votre hypothèse sur la persistance du label qui lui est attribué ne vient pas vraiment lever l'ambiguïté. Car se demande alors le lecteur de bonne foi, s'il n'est pas artiste brut, que vient donc faire Nedjar dans une galerie dédiée à l'art brut.
C'est seulement à la lecture de votre réponse où vous précisez "je relate un simple fait : il n'est pas exposé comme un artiste contemporain, que je sache, mais toujours dans ce contexte particulier des bruts/outsiders" que l'on comprend enfin clairement que vous même vous ne le considérez pas comme artiste brut mais que vous l'exposez quand même dans votre galerie spécialisée en art brut. (Reconnaissez quand même la confusion possible qui peut donner l'impression que vous jouez sur différents tableaux) Pour qui n'a pas lu tout cet échange, il n'est pas sûr qu'il comprendra cela à la lecture de votre présentation. Plutôt que de parler de "moment d'art brut" il aurait sans doute été préférable car plus clair d'écrire simplement qu'à ses début Nedjar a été un artiste brut mais qu'il a cessé de l'être dès lors qu'il a eu une démarche d'artiste professionnel.
Écrit par : RR | 20/05/2014
Répondre à ce commentaireTrès intéressant tout ça, on peut parler de ce sujet en mettant les points sur les iiiiiiii, comme vous le faites tous deux. Ce mot est bien pratique pour justifier la position de certains d'être des créateurs véritables et sincères en réaction au monde de l'art contemporain ce que je comprends mais la sincérité n'est pas un gage de qualité. Je vois beaucoup de merde partout qu'elle soit brute ou non et c'est comme ça dans tout les domaines. Les amalgames, la confusion et comme tout est permis alors on n'a pas fini, il paraît que c'est la sacro-sainte liberté d'expression.......... , l'avis d'une peintre si ce mot est encore connu
Écrit par : domitille couchat | 29/05/2014
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