02/10/2007
Pierrot Cassan, un imagier de l'immédiat: MASSIF EXCENTRAL (10)
Il tenait un dépôt de pain sur la place Pompidou à Mauriac dans le Cantal. C'était une figure du bourg, modeste, discrète, qui ne fit que passer, et n'ayant que peu quitté sa région natale.
Pourtant il a laissé de nombreuses traces dans la mémoire et les légendes locales. On se souvient de lui de manière tenace. Né en 1913, il est disparu en 1982. Pierre Cassan, dit plus communément Pierrot Cassan, fut charcutier avec ses parents de nombreuses années avant de tenir le dépôt de pain.
Chétif de constitution, il se fit un point d'honneur à devenir moniteur de gymnastique, initiateur bénévole des gosses de son pays à la natation dans un bassin naturel, et sauveteur d'une quarantaine de personnes sur le point de se noyer. Cela à lui seul lui aurait assuré une place durant quelque temps dans la mémoire locale.
Il eut envie de faire plus. Il se mit sur le tard à peindre la vie de son village. Sur des pauvres cartons qu'il distribuait à l'occasion (car les témoins le répètent, il ne vendait pas). Par exemple à son ami peintre Pierre Mazar (peintre plus académique apparemment), qui les garda pour les sauvegarder. Ou à d'autres amis. Il les exposait sous la vitrine de sa boutique modeste, sans que les passants n'y prêtent beaucoup d'attention.
Le temps aidant, les éloges ayant été réitérés par quelques supporters de la région (Pierre Mazar, ou l'écrivain Pierre Chaumeil, un ami de Robert Giraud ce dernier, le blog du "Copain de Doisneau" nous en a déjà parlé à l'occasion...), parfois venus de plus loin (Bernard Buffet...), plusieurs expositions lui ont été régulièrement consacrées, la dernière en date étant celle de la Médiathèque de Mauriac en février 2007. Cette même médiathèque se propose de conserver du reste l'oeuvre afin de la montrer de temps à autre.
La chasse et ses exploits rarement exempts d'innocentes fanfaronnades, que ce soit après des lièvres, un ours (cantalien?) ou des sangliers, étaient souvent sujets prisés par Pierre Cassan.
A d'autres moments, ce sont comme des grâces rendues aux compagnons animaux, l'âne, le boeuf, aux nécessaires travaux de tous les jours, à la bonne cuisine (où l'on retrouve le malheureux lièvre qui passe à la casserole "aurillacoise")...
De même que les saynètes galantes, parfois traitées avec un certain sens du grotesque, comme dans le cas de ces "poutous" échangés entre un certain "Jean-Claude Lassale" et une brune répondant au doux prénom de "Pétuninia"...
Il n'oublia pas non plus de rendre hommage à celui qu'il appelle, peut-être de manière un peu trop grandiloquente - avec quelque malice bon enfant?- le "maître", Pierre Mazar, plus simplement et avant tout "son ami".
Ce sont ainsi autant d'instantanés qu'il fixa avec simplicité, ou comme je préfère dire, avec immédiateté, réussissant avec une grâce sans apprêts à traduire directement son appréhension sensible et truculente des spectacles qui l'environnaient dans son village, approche où il reste cependant difficile de faire la part entre malice et naïveté.
Remerciements à Jean Estaque qui me parla de Cassan aux environs de 1991, ce que je n'avais pas oublié, à Emmanuel Boussuge qui m'en reparla ces derniers temps, à Agnès Barbier qui m'a signalé l'expo de Mauriac, à Régis Gayraud qui nous y a conduits, et à Monique Lafarge de la Médiathèque de Mauriac qui m'a confié gentiment la trop rare documentation qui existe sur ce peintre, que je souhaite ardemment plus connu, spécialement de tous ceux qui s'intéressent aux limites de l'art brut et de l'art naïf.
00:25 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : pierrot cassan, pierre mazar, mauriac, pierre chaumeil | Imprimer
Commentaires
Le poignard subtil, le seul blog qui cite intégralement ses sources, et mentionne jusqu'au nom du chauffeur.
Salut du massif excentral.
Écrit par : Régis Gayraud | 09/10/2007
Répondre à ce commentaireFaits, gestes et dits de Pierrot Cassan.
Cher sciapode,
Sans vouloir rabaisser nullement les qualités de Pierrot Cassan, il me parait important de souligner que la quarantaine de sauvetages effectués par notre chroniqueur secouriste ne concernait sans doute pas des cas de noyades caractérisés. Une grosse bonne tasse, c'est bien possible. mais, d'après mon informateur (J. D. du musée de Mauriac), qui fit partie des nombreux Mauriacois à qui Pierrot Cassan apprit à nager, il était assez difficile de trouver un endroit où l'on n'ait pas pied dans le bassin que PC avait lui-même aménagé sur l'Auze. Quant à s'y noyer... Quoi qu'il en soit, PC semble avoir été un maître-nageur fort acceptable et surtout le thème du secourisme constitue à coup sûr, un de ses sujets de prédilection. Je me souviens notamment d'un carton où il exprime avec enthousiasme son admiration pour une compagnie féminine de sapeurs-pompiers alsaciens. Carton plastiquement très intéressant d'ailleurs: le visage de la pompière, les commentaires et surtout le rendu du feu méritent l'attention.
Au sujet des rencontres artistiques de Cassan, il est assez curieux de constater qu'elles se sont gravées sous forme de sentences lapidaires (correspondant à une forme de sagesse insolente, très tonique à mon goût) dans la mémoire locale. Il semble que les peintres célèbres visitant Mauriac aient tous voulu rencontrer cette figure étonnante, qu'eux-mêmes n'impressionnaient guère. Le premier, [Bernard] Buffet, accompagnant Pompidou, a souhaité le voir. Il se présente à lui comme peintre et Pierrot Cassan de lui répondre en substance : "Vous êtes alors un bricoulou comme moi ; moi comme peintre je ne connais que Marcel Mazar" (je cite de mémoire un article de ce dernier pour le "Réveil de Mauriac"). Autre rencontre, celle de Fernand Léger (je la tiens de nouveau de J. D., à propos duquel il faut mentionner la très belle exposition qu'il a organisée à Mauriac cet été, expo consacrée aux extraordinaires objets de piété que sont les boîtes-reliquaires à base de papiers roulés de l'époque moderne). Fernand Léger, donc, se rend devant la boutique de Cassan et tente d'établir le contact avec lui en lui disant : "Vous savez, moi aussi je suis peintre" et Cassan lui répond avec une sobriété dont on n'a peu d'exemple : "Moi, le soir seulement ".
Ces deux anecdotes, qui disent presque exactement la même chose, ressemblent aux meilleures sentences de Diogène, non? A moins que ce ne soit plutôt un Nasr Eddin Hodja taiseux qu'il faille invoquer...
Amitiés,
Emmanuel Boussuge
Écrit par : Emmanuel Boussuge | 10/10/2007
Répondre à ce commentaireMerci Emmanuel de ce commentaire-prolongement fort instructif sur les légendes fanfaronnes courant sur les exploits secouristes de Pierrot Cassan. Il semble aller de soi à présent, que ces derniers ressortissent donc davantage à la légende locale qu'à la vérité historique! Est-on un peu Marseillais du côté de Mauriac? Et pour faire une rime riche, Cassan ou ses thuriféraires zélés sont-ils un peu Baron de Crac?
L'exposition que vous mentionnez au musée de Mauriac cet été vient de Paris et de la bibliothèque Forney, où elle fut montée précédemment en 2005. Elle s'intitulait "Trésors de ferveur, Reliquaires à papiers roulés des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles", et avait été bâtie grâce aux collections de l'Association Trésors de Ferveur basée à Châlons-sur-Saône (site internet: www.chezcom/tresorsdeferveur). J'y reviendrai par une note future relative à un ouvrage intéressant sorti récemment sur le même sujet (les objets de dévotion).
Écrit par : Le Sciapode | 11/10/2007
Répondre à ce commentaireBonjour,
Je viens de découvrir par un heureux hasard votre blog: c'est tout ce que j'aime! Votre travail est remarquable. Je viens de découvrir Pierre Cassan et j'enrage d'avoir loupé l'exposition en habitant si près (Clermont-Ferrand).
Merci,
Aggie
Écrit par : Aggie | 23/03/2008
Répondre à ce commentaireQuelques remarques que me suggèrent les commentaires sur P. Cassan.
Ce que dit l'homme aux baquembardes (francisation du russe "bakenbardy", c'est-à-dire "favoris touffus", "rouflaquettes", "côtelettes", enfin, bref, ce qu'arbore sensuellement, comme délicat rappel excentré de son imposante virilité, le grand Manu Boussuge) sur Pierrot Cassan confirme ce que nous avait dit, si tu t'en souviens bien, cher sciapode, la dame de la bibliothèque de Mauriac, à savoir que le brave Cassan n'avait pas beaucoup d'efforts à fournir pour sauver de la noyade la jeunesse mauriacoise.
Quant à ce Cassan qui nous les casse en cascade, je me dis que peut-être, ce qui offre le plus d'intérêt dans son oeuvre, c'est peut-être : 1° ce côté "putt" local (ceux qui connaissent par coeur le superbe catalogue "La Gibigiana" de Pinot-Galizzio et les nioques qu'il comporte sur la vie quotidienne d'Alba (province de Cuneo) et ses tartuffi bianchi plus grosses que la tête de Yorick sauront de quoi je parle); 2° les textes que comportent ses tableaux. Un des traits de caractère de l'art primitivisant est l'imbrication de mots dans les images, et de mots colorés, la couleur employée pour les écrire ayant une valeur picturale en résonance avec le fond sur lequel ils tranchent (cf. le néoprimitivisme de Larionov qui avait bien compris cela - ça y est, encore son trip russe, diront les fatigués de m'entendre)
L'autre commentaire concerne le soudain surgissement dans le paysage subtilopoignardesque d'Aggie. Voilà qui va encore titiller celui qui se fait passer pour une ménagère grattant ses topinambours, vous savez, celui qui reproche aux Clermontois hèrémistes de "Recoins" d'être une secte de bobos en panne de fracture sociale et nourrit le fantasme d'un complot auverpin contre l'avenue de Messine.
En fait, Clermont étant, comme je le répète depuis des années, la capitale occulte de la France (j'ai des preuves), ce n'est pas très étonnant si un certain distillat des passions pour tout ce qui est hors normes s'y concentre goutte à goutte comme l'Avèze du côté de Riom ès Montagnes. Madame Aggie, il est temps d'agir.
Le chauffeur du sciapode, qui se fait passer pour professseur d'Université.
Écrit par : régis gayraud | 02/04/2008
Répondre à ce commentaireSi Pierrot ne m'a pas sauvé de la noyade, combien de fois son "on y va le gars", nous a poussé à son "domaine" ; du bassin de l'Auze, quelques kilomètre à pied, et autant en remontant, mais pas besoin de faire du stop! Les locaux savaient très bien ce qu'on faisait.
Puis il y avait l'épreuve initiatique du plongeon du rocher carré, pas si dangereux que ça.
Enfin, vers 68, époque à laquelle a été construite la piscine, ce fut la fin de notre "gourou", qui continuait d’accumuler les pierres de "sa retenue" pour avoir assez de fond!
Je me souviens d'avoir "choppé une pancréatite ourlienne", un 2 février, puisqu'on cassait la glace pour se baigner dans l'eau gelée, et s'être fait engueuler par l'épouse de l'horloger, pure parisienne, donc ayant appris le patinage (je la revois en tutu et pains blancs sur ces 50 m²), mais qui n'a pas connu la "gonne de l'Auze" et Pierrot a loupé de grands moments!
RIP, Pierrot, tu étais un brave homme, simple et passionnant!
"Miquet", un des anciens de "l'Auze"..
PS: J'avais grandi, et j'ai testé un sport aquatique non olympique, contre la grande échelle au fond à gauche , en couple, même qu'en maillot une pièce, ce nétait pas aisé :)
J'en ai appris, des choses à Mauriac ! :) Michel Gaillard, le marchand d'électro-ménager, a fugacement assisté, à cet exploit sportif, que le cul me pèle si je mens :)
Écrit par : Charles Guillaume | 05/08/2016
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