27/01/2018
Un mousquetaire à Montmartre
Un cinquième mousquetaire, à Montmartre cette fois, ph. Bruno Montpied, 2018 (cinquième, puisque, comme on sait, les Trois Mousquetaires de Dumas étaient quatre).
Tout à coup, comme surgie du bitume du trottoir, apparaît une forme corpulente se déplaçant avec lenteur, et stoppant tous les cinq mètres. Me sautent surtout au visage les inscriptions sur le dos du personnage, autour d'une croix, grossièrement fleurdelysée, et pour cause, je vais peu à peu m'en convaincre: le monsieur s'est confectionnée une veste en référence à l'uniforme des mousquetaires sous Louis XIII, puis Louis XIV (etc... ; y a eu des mousquetaires, paraît-il, jusqu'en 1816)... Les inscriptions, plutôt peintes et non brodées, sont rouges et se rapportent aux mousquetaires sans ambiguïté : on lit aisément les noms d'Atos (sic), Portos (re-sic), Aramis et d'Artagnant (re-re-sic). Plus des dates (? : 1245, 1114, 1195, 1244), des noms de pays, de peuples, ou de religions: "Grek", "Serb" (écrit deux fois), "Juif", "Orthodox", "Israël", "France en Ange"...
Plus prés... ph. B.M., Montmartre, 2018.
Je n'ai pas le courage de contourner l'homme volumineux qui avance par paliers, dans l'idée de lui adresser la parole.... Je saisis juste l'image de cette veste hors-les-normes, la volant au passage certes, et la mettant en ligne qui plus est, dorénavant, mettant très volontairement le pied dans le plat – comme dirait une langue de vipère intercalaire de ma connaissance – afin de souligner, des plus lourdement comme de juste, cet exemple supplémentaire de poésie vestimentaire "brute" et quotidienne. Que se passerait-il en effet, s'il nous passait à tous fantaisie de graver sur nos parures expressions diverses, images par nous admirées, icônes ultra personnelles en tous genres, plutôt que ces inscriptions publicitaires et ces marques qui font de nous des hommes et des femmes sandwichs au service des marchandises? Seuls les bruts se permettent ce genre d'audaces (on connaît en effet bien d'autres exemples dans ce domaine comme les costumes chamarrés et originaux que portait Vahé Poladian sur la Côte d'Azur).
Un ami est retombé sur lui le lendemain du jour où je pris les photos. L'homme est serbe, d'une famille dont la lignée lui est source de grande fierté (les dates sur la cape se rapportent ainsi à des événements fondateurs de cette lignée), de confession juive au départ, mais converti par la suite en chrétien orthodoxe. "Atos" fait référence à la fois au mousquetaire popularisé par Dumas et au mont Athos qui est situé en Grèce. Cette veste est au fond un manifeste identitaire promené devant tout un chacun par ce monsieur.
16:00 Publié dans Art immédiat, Fantastique social, Inscriptions mémorables ou drôlatiques | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : street art sauvage, inscriptions insolites, vêtements bruts, mousquetaires, croix fleurdelysée, d'artagnan, porthos, aramis, athos | Imprimer
Commentaires
Pour votre gouverne, le mot “Car” au-dessus de “D’Artagnant” sur la pelisse de cet homme, c’est, en serbe, écrit dans la variante latine (le serbe s’écrit de préférence en cyrillique, mais peut s’écrire aussi en latin), le mot qui signifie “Empereur” (le “Caesar” du latin, le “Tsar” du russe qui se prononce à peu près de la même manière). C’est l’appellation donnée aux souverains de l’Empire serbe du XIVe siècle, qui s’étendait de la mer Adriatique à la mer Egée et de Lépante aux portes de Salonique avec Skopje pour capitale. La génération de cet homme a été baignée dans le souvenir de cette époque glorieuse de l’histoire serbe, souvenir qui a servi de viatique à la vieille nomenklatura stalino-titiste rhabillée des oripeaux (horribles peaux) nationalistes théocratiques dans son délire de conquêtes et de ”purification” ethnique, oripeaux bien moins innocents que ceux de ce desperado des faubourgs parisiens (qui se dirigeait peut-être vers l’église serbe de la rue du Simplon).
Écrit par : Le Hérissé | 28/01/2018
Répondre à ce commentaireDécidément, il y a beaucoup de slavophiles et slavophones, parfois un poil pédants, qui croisent par ici. M'est avis que je vous ai reconnu, avec votre faux-nez par trop transparent, monsieur "le Hérissé"...
Écrit par : Le sciapode | 28/01/2018
On s'imagine un chouïa minimum cultivé ; puis on lit ce qu'écrit Le Hérissé ...
Merci, belle analyse.
Et bonne année à Monsieur Montpied, puisque nous sommes encore en janvier.
Écrit par : x | 28/01/2018
Inattendu, ce syncrétisme entre l’histoire des Trois Mousquetaires et l’orthodoxie serbo-grecque...
Écrit par : Atarte | 28/01/2018
Répondre à ce commentaireLes punks aussi pouvaient écrire, dessiner sur leurs blousons, tee shirts etc...en suivant leur idée de "do it yourself"...un peu comme ce monsieur qui a sans doute fait lui même les inscriptions sur sa veste, mais dans un autre style tout de même.
Écrit par : Darnish | 28/01/2018
Répondre à ce commentaireLa différence, Darnish, c'est que ce monsieur l'a fait d'une manière infiniment plus personnelle et inusitée. C'est ce qui m'a frappé personnellement. Alors qu'un punk, même si son accoutrement, sa coiffure (à la différence des rappeurs que je trouve souvent lourdauds) m'auraient probablement séduit, ne sidère pas, parce qu'on a reconnu là une parure conforme à des signes de reconnaissance d'une communauté. Un uniforme d'un autre genre. Ici, notre mousquetaire ne s'est autorisé que de sa propre imagination, et a fait preuve d'originalité.
Écrit par : Le sciapode | 28/01/2018
J’ai connu à la fin des années 1980-début des années 1990 une jeune et jolie Marocaine qui se promenait dans Paris avec une sourate du Coran particulièrement misogyne calligraphiée en blanc sur sa mini-jupe de cuir. Elle aimait particulièrement passer dans le quartier Couronnes pour faire bisquer les barbus des mosquées intégristes. Serait-ce encore possible aujourd’hui?...
Écrit par : Isabelle Molitor | 28/01/2018
Vous lisez l'arabe, Miss Molitor? Ou bien vous teniez la traduction de cette sourate directement de la "jeune et jolie Marocaine"?
Écrit par : Le sciapode | 28/01/2018
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