28/07/2018
L'ange des inspirés (quelques-uns de ses faits et gestes)
Mon ange ne se substitue jamais à mon esprit, jamais il ne lui viendrait à l'idée de s'insinuer en moi pour téléguider mon regard (comme me le suggérait récemment un ami dans un échange épistolaire). Tout ceci n'appartient vraiment qu'à moi...
Non, ce qu'accomplit mon ange, de mon point de vue, c'est du côté de l'organisation, et des agencements de situation, ce qu’il est convenu d’appeler vulgairement le hasard, les coïncidences.
A Amiens, par exemple, où je m’étais rendu pour sa grande Réderie du printemps 2018, il avait réussi à rendre complets tous les hôtels de la ville, si bien qu'avec le camarade broc avec qui j'étais venu pour chiner, en arrivant en fin de soirée la veille (sans avoir réservé, bien entendu, fidèles à notre goût de l’improvisation), on n'avait trouvé qu'une seule chambre, chère, qui était accessible si on divisait son prix en deux, et donc, nous avait incliné à partager l’unique plumard, ce qui m'avait empêché de bien dormir.
Le lendemain, de bon matin, devinant que je serais vite épuisé, à force de traîner mes 115 kgs à travers l'immense Réderie, sans avoir bien dormi auparavant, je m’étais décidé à opérer un tri dans ma quête et à ne regarder que les peintures et autres œuvres en deux dimensions, ce qui gagnerait du temps.... Me dépêchant avant que la baisse d’énergie ne me rende la chine insupportable, je me mis à cavaler dans les rues, sans tout détailler, comme font les autres amateurs. Cette stratégie, bien sûr, mon ange l'avait prévue. Et il a le pouvoir d'aimanter mes pas dans certaines directions…
C’est ainsi que je finis par tomber sur une peinture, étalée parmi d’autres, dont je reconnus immédiatement le style : un Bois-Vives ! Que j’achetai une misère au biffin qui ignorait ce qu’il avait ramassé dans ce qu’il est convenu d’appeler, je crois, une adresse, un débarras de logement à vider. Je rêvais depuis longtemps de pouvoir acquérir une œuvre de ce créateur mi-naïf, mi-brut, et mon ange le savait pertinemment, mais je n’avais jamais les moyens quand se présentait d’aventure une pièce à vendre…
Anselme Bois-Vives, peinture sans titre, sans date, 49x66 cm (peut-être des loups?), ph. et coll. Bruno Montpied.
Il a encore frappé ces derniers jours. Je reviens de Vendée où j'ai pu visiter, et photographier, une maison peinte des murs aux plafonds sur deux niveaux par un reclus, que l'on me décrit comme schizophrène (formidable travail d’un créateur improvisé ayant décidé de plonger dans la peinture en transformant sa maison en un aquarium où l’eau serait remplacée par l’image, et le gros poisson, par le peintre). J’étais tombé par hasard, quelques semaines plus tôt (tu parles, l'ange avait bien entendu organisé la conjonction des personnes…), sur un couple de gens, apparentés à ce créateur, qui cherchait à la Halle St-Pierre à intéresser quelqu'un à cette maison. J'étais là, pile au moment où ils sont arrivés, et où ils ont montré des photos des décors sur leur mobile à Pascal Hecker, le libraire de la Halle, qui m’introduisit auprès de ses clients, lui aussi étant conseillé par mon ange bien entendu…
Eric Le Blanche, un détail de l'intérieur de sa maison quasiment entièrement peinte ; le "Adamo" ici représenté est Adam en fait, Eve (écrit "Eva") étant peinte sur la gauche, dans l'escalier dont on voit le commencement ; © ph. Bruno Montpied, 12 juillet 2018.
Mais, le plus étonnant, c'est que le village vendéen où se trouve la maison photographiée, comme je m’en suis avisé avec surprise il y a deux jours, en y allant enfin, est l'ancien siège du château du seigneur de Lusignan, héros de la légende de Mélusine, la femme-serpent ailée, associée au mythe de la sirène, qui s’enfuit lorsque son mari découvre son secret (elle était femme la plupart du temps et lorsqu’elle prenait son bain redevenait femme-serpent, mais personne, y compris son époux ne devait la voir à ce moment, sous peine de la voir disparaître)...
Une sirène est représentée sur la girouette qui couronne le sommet de la tour Mélusine, seul vestige du château des Lusignan dans ce village. Je la découvris dès que j’arrivai dans le village. Comme je l’ai déjà dit plusieurs fois sur mon blog, je suis particulièrement fasciné par les sirènes, surtout celles qui se montrent dans leur version aquatique et piscicole, plus nordique. En Méditerranée, elles étaient davantage envisagées sous une apparence ailée, comme on sait (comme ces sirènes qui tentent de charmer Ulysse, dans l’Odyssée).
Une sirène peinte par F. Bouron, rue Guynemer, Les Sables d'Olonne, ph. B.M., juillet 2018.
Plus étonnant encore, le matin même, aux Sables d'Olonne, alors que je remontais de mon hôtel situé en bord de mer, en direction du musée de l'Abbaye Ste-Croix où j’avais rendez-vous avec ceux qui m’accompagneraient au village de la maison peinte, j'étais déjà tombé sur une sirène, plus moderne mais charmante (elle portait une robe-fourreau se terminant en queue de poisson), peinte sur la façade d’une petite maison, dans un encadrement en relief figurant un gobelet ou une tasse. Par ailleurs, le musée de l'Abbaye Ste-Croix est connu pour abriter des vestiges des créations d'Hippolyte Massé, l'auteur de la Maison de la Sirène à La Chaume dans les années 1950-60 (voir mon Gazouillis des Eléphants). Et, la veille, j’avais également photographié parmi d’autres fresques en coquillages de Dan Arnaud, dans le quartier sablais de l’Ile Penotte, une autre sirène, écho lointain, à notre époque contemporaine, des décors en coquillages du précurseur Hippolyte Massé.
La sirène de la maison d'Hippolyte Massé dans le quartier de La Chaume, détail d'une photographie de Gilles Ehrmann (extraite des Inspirés et leurs demeures, de 1962).
Dan Arnaud, sirène en mosaïque de coquillages, rue d'Assas, quartier de l'Ile Penotte, Les Sables d'Olonne ; on mesure, par comparaison avec la sirène de Massé, ce qui différencie un art véritablement plus brut d'un art, certes maîtrisé, mais plus... esthétique ; ph. B.M., juillet 2018.
Comme on voit, mon ange est fort bien documenté sur mes goûts et il m'aime, et continue de m'aimanter, lâchant même à l’occasion, le long de ma route, une de ses plumes...
Sur les premiers degrés de la rue du Chevalier de La Barre, Paris, ph. B.M., juillet 2018.
00:11 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art insolite, Art visionnaire, Environnements populaires spontanés, Environnements singuliers, Sirènes, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : sirènes, fresque en mosaïques de coquillages, coquillages, mainson brutes peintes en intérieur, art brut, ange des inspirés, anselme bois-vives, réderie d'amiens, chineurs, coïncidences, l'île penotte, dan arnaud, f.bouron | Imprimer
Commentaires
joli tableau
lucky Bruno
super content pour vous
Écrit par : x | 28/07/2018
Répondre à ce commentaireVous êtes béni des Dieux. J'aimerais bien que mon ange soit aussi efficace que le vôtre
Écrit par : Louise Plamondon | 28/07/2018
Répondre à ce commentaireMon ange est né, si je puis dire, en même temps que grandissait mon "troisième oeil". C'est comme si, á force d'obsession ardente, je l'avais suscité, ou excité.
Ne me dites pas que dans la Belle Province ce ne soit pas possible d'en faire autant....
Écrit par : Le sciapode | 29/07/2018
Répondre à ce commentaireSi mais c'est plus difficile.
Écrit par : Louise Plamondon | 30/07/2018
Bien que sachant le Sciapode hostile à la théorie dite de la synchronicité, lorsque je lis un passage de cette théorie jungienne dont voici un extrait, cela m'apparait comme une évidence concernant les rapports que tu entretiens avec ton ange...
"La pensée rationnelle dominante ne sait d'ailleurs y répondre qu'en invoquant le hasard ou la subjectivité de l'observateur, mais cela n'explique pas la caractéristique essentielle de ces phénomènes qui provient moins de leur subjectivité que de leur forte improbabilité. Le fait de mettre systématiquement cette improbabilité sur le compte du hasard lui-même en prétendant qu'il n'y a aucune autre explication à rechercher provient au mieux d'une méconnaissance des lois de la statistique, au pire d'une foi aveugle dans le caractère abouti d'une science qui reposerait exclusivement sur la causalité. Bien qu'il soit juste et sain d'invoquer en première hypothèse le hasard face à de tels phénomènes, il devient obscurantiste de maintenir envers et contre tout cette hypothèse en présence de cas où elle ne résiste pas au calcul des probabilités."
Écrit par : gilles | 30/07/2018
Répondre à ce commentaireJe ne suis pas hostile à la "théorie de la synchronicité" puisque je ne sais pas exactement ce que c'est.
En l'occurrence, rencontrer des sirènes aux Sables n'était pas de l'ordre de l'improbable. Ce qui l'était davantage, c'était de la retrouver dans le village de Vendée où j'étais appelé à visiter la maison peinte, à la suite d'une rencontre-coïncidence à la Halle St-Pierre, où ce genre de rencontre, cependant, a tout de même de fortes chances de se produire quand on y passe, comme moi, fort régulièrement.
Je pense que les gens qui ont quelque chose à voir et à faire les uns avec les autres trouvent des moments et des lieux pour se rencontrer, en quelque sorte fatalement (ou, pour le dire poétiquement, par le biais d'un "ange"...). Et les caractéristiques des lieux où ils vivent entretiennent des rapports avec ces rencontres "fatales".
Breton parle ailleurs de hasard objectif, notion qui me parle davantage que le terme trop technique de "synchronicité" (où, je ne sais pourquoi, je subodore un relent de croyance).
Écrit par : Le sciapode | 04/08/2018
J'ai revu il y a peu Le Cercle Rouge de Jean-Pierre Melville et la citation en exergue du film me fait penser à la note ici présente..." Çakyamuni le Solitaire, dit Siderta Gautama le Sage, dit le Bouddah, se saisit d'un morceau de craie rouge, traça un cercle et dit : " Quand des hommes, même s'ils l'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge (Rama Krishna)"...C'est un peu mystique bien sûr...mais auriez vous aperçu tout de même, cher Sciapode, un cercle rouge tracé au sol autour de vous et d'Anselme Bois-Vives?
Écrit par : Darnish | 01/09/2018
Répondre à ce commentaireUn cercle rouge... vous voulez dire, de gros rouge, cher Darnish?
Écrit par : Le sciapode | 01/09/2018
Ah ah ah mais oui c'est vrai, il arrive aussi de faire des rencontres dans la tache de rouge. C'est même souvent pour ça qu'on le consomme...
Écrit par : Darnish | 05/09/2018
Répondre à ce commentaire" Un soir une vieille gitane lassée de / Lire les fonds de tasse où s'accroche le marc / Montra sur la nappe d'un doigt sûr les ronds de / Vin rouge et dit :"tu auras la cyrose ... et moi mes trois dinars!" " (poèmes de Belgrade, 1980, retrouvés par hasard il y a quelques jours en rangeant!)
Vivent les hasards objectifs!
Écrit par : Régis Gayraud | 05/09/2018
Répondre à ce commentaire"tout n'est pas cirrhose dans la vie"...Dixit Frédéric Dard...Et c'est peut être ce qui est venu à l'esprit du pauvre bougre qui vient de perdre ses trois dinars...
Écrit par : Darnish | 05/09/2018
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