21/08/2019
Détestations (1)
Je déteste Charlotte de Turckheim.
Je déteste que l'on parle à toute vitesse, au point d'être incompréhensible.
Je déteste la canicule.
Je déteste qu'on rit sans cesse de ses propres plaisanteries.
Je déteste les ongles ou les lèvres peints en noir.
Je déteste les sourcils que l'on a épilés, au point de les faire ressembler à un trait de crayon.
Je déteste tous les ventres proéminents, y compris le mien.
Je déteste les sifflotements nerveux.
Je déteste les artichauts.
Je déteste les hommasses.
Je déteste les avis politiquement corrects.
Je déteste le jésuitisme.
Je déteste l'acné (comme tout le monde).
Je déteste qu'on soit grossier avec les serveurs, qu'on leur passe sèchement des commandes, sans y mettre la moindre bonne volonté. Cela manifeste un manque de considération absolue pour ces personnes. De quel droit ?
Je déteste les pellicules.
Je déteste que l'on dise d'une femme qu'elle est une poule, une poulette, ou encore une pouliche.
Par ailleurs, je n'aime pas beaucoup les poules et je déteste ces imbéciles de coqs.
Je déteste les gens qui n'ont pas d'humour.
Je déteste la canicule (bis).
Je déteste les braseros aux terrasses des cafés et, plus généralement, cette tendance depuis plusieurs années, chez beaucoup de clients, à vouloir que la température reste éternellement élevée à ces terrasses, comme si l'hiver, ou la froidure de l'automne, ne devaient plus exister.
Je déteste l'affirmation qui consiste à dire qu'on a besoin de soleil perpétuellement, même lorsqu'on vit déjà sous la pire des canicules. C'est comme si on réclamait en se pâmant d'avance son futur bûcher.
Je déteste l'amoralisme.
Je me méfie du laisser-aller.
Je déteste les lieux qui ont été longtemps publics, puis qui ont été privatisés.
Je déteste les mains moites, et la moiteur en général.
Je déteste l'humidité chaude et étouffante, et ne peux donc envisager d'aller dans un pays tropical….
Je déteste les souris, et les rats. Et les rongeurs en général (mais pas les écureuils).
Je déteste les petits rires contractés et étouffés des adolescentes ou des jeunes filles qui se complaisent à ces rires énervés, notamment dans les trains (ma mère appelait ça "riffoler"….). Rire à ses propres phrases s'avère dans tous les cas un art délicat, de toute façon...
Je déteste les haricots-beurre, avec leurs fils et leurs haricots blancs à l'intérieur. Je ne sais pourquoi, mais je les associe à l'ennui dans les provinces de jadis. Sans compter leur goût insipide.
De même, je ne prise guère les navets.
Je déteste les soutanes, des bonnes sœurs en particulier. Outre le message de refus du corps et de ses plaisirs charnels que transmettent ces vêtements, on pressent toujours la sueur rance par dessous, dans les coins sombres, que l'ensoutané n'aura pas voulu laver, par honte de ses excrétions, effroi à l'égard de ce qui s'écoule du corps...
Paru dans la Révolution surréaliste n°8, 1er décembre 1926.
Je déteste également les burkas, voiles et tutti quanti, qui transforment les êtres humains en fantômes inquiétants.
Je déteste les comportements sans gêne en général.
Je déteste l'avenue des Champs-Elysées (qui est selon moi ‒ à rebours du qualificatif convenu ‒ l'avenue la plus laide et la plus ennuyeuse du monde).
Je déteste depuis longtemps le café au lait.
Je déteste les chapeaux de paille.
Je déteste porter des pulls de laine à même la peau.
Je n'aime pas particulièrement mon apparence, et apprécie fort rarement les photos que l'on fait de moi (j'ai souvent l'impression que c'est fait exprès pour me montrer sous un mauvais jour).
Je déteste le bourdonnement zézayant, comme rempli de satisfaction de s'être repu de notre sang, qu'émettent les moustiques qui s'envolent loin des corps humains dans la nuit. On les imagine ivres, en train de tituber en vol. Leur infect petit bourdonnement, c'est leur "hips!" de moustique soûlard…
Je déteste cette mode immonde qui consiste, chez certains hommes, à exhiber une partie de son slip avec la marque ostensiblement dévoilée, le pantalon, non retenu par une ceinture, ayant glissé opportunément. Que cela soit un hommage, paraît-il, aux taulards américains de qui on a retiré les ceintures pour éviter qu'ils ne s'en servent pour se pendre, ne rend pas cette mode plus séduisante...
Je déteste les chemises boutonnées jusqu'au cou. Même un seul bouton décroché ne parvient pas à m'apaiser. Il faut au moins deux boutons détachés pour que le corps respire.
Je déteste la fumée de cigarette, et, bien entendu, je haïssais les tabagies qui ont bienheureusement disparu aujourd'hui.
Je déteste la musique jouant à tout bout de champ dans les lieux publics, diffusée ainsi pour des motifs commerciaux, et appréciée cependant par une majorité du public, paraît-il, heureux d'être poussé ainsi à consommer dans une fausse atmosphère réjouie et "positive".
Je déteste aussi ces restaurants où l'on vous impose de la musique. Et les gérants à qui l'on demande de la faire baisser et qui font semblant d'obtempérer en obéissant dans un premier temps, avant de faire sournoisement remonter le volume ensuite.
Je déteste les gens qui disent qu'il faut "po-si-ti-ver".
Je déteste le choix de ne jamais critiquer, de ne jamais dire ce que l'on pense (à mettre en rapport avec ce que je dis plus haut du jésuitisme). Beaucoup de média devraient plus y réfléchir, parler franc ferait remonter certainement les ventes...
Je déteste le boulevard Magenta à Paris.
Au fond, je déteste toutes les grosses poches bourrées de nourriture, du genre pan bagna, burgers, sandwiches "grecs", tacos, fallafels dans lesquels il faut mordre en écartant les lèvres à s'en déchirer les zygomatiques (je dois avoir la bouche trop étroite pour ça ; c'est conçu pour des gueules de requin, et quand on n'en a pas, on l'attrape, à force de manger ce genre de sandwich...). Ce type de restauration rapide propose aux clients une fausse abondance, une fausse saveur sous des dehors en apparence variés et généreux.
Je déteste les chaussettes blanches à grosses côtes avec un triple anneau bleu, blanc, rouge, en haut, au-dessus de la cheville. Et, idem, quelle horreur que les pantalons de survêtement portés dans toutes les situations. C’est comme si on croisait des gens portant en permanence des pyjamas en dehors de chez eux.
Je suis exaspéré par les lacets qui cassent trop rapidement. On en retire l'impression qu'ils ont été conçus pour devoir être régulièrement remplacés. Obsolescence programmée…
Je finis par détester les jingles des radios, ou des annonces dans les gares SNCF, le métro, etc.
Je déteste les places côté fenêtre dans les tégévés et autres trains pourvus de wagons à couloir central.
Je déteste les touillettes en plastique, et plus généralement tous les couverts, gobelets surtout, et assiettes en plastique.
Je déteste les thuyas, les haies de thuyas. Je préfère donc les haines de thuyas…
Je déteste les voyageurs dans le métro qui veulent à tout prix occuper la totalité du strapontin de gauche, alors que soi-même, on occupe le siège près de la cloison. Cela les mène à vous serrer au point d'entraver le mouvement de vos bras au cas où vous voudriez les utiliser, pour attraper quelque chose dans votre poche par exemple. On ne peut pas récriminer, sous peine de passer pour le mauvais coucheur type. En vous tassant contre la cloison du wagon, ces types (ce sont toujours des hommes) vous suggèrent implicitement par leur comportement qu'ils vous considèrent comme des objets, des trucs inertes qui font obstacle, qui gênent…
Je déteste les gens qui n'admettent pas qu'on puisse déclarer ses détestations.
Bruno Montpied, J'aime pas les voitures, encre, lavis, stylo blanc, crayons et mine de plomb sur papier, 29,7 x 21 cm, 2016.
Je déteste au fond les voitures. Même si j'admets qu'elles sont bien utiles. Je les trouve laides. Dans un paysage, elles en polluent toujours plus ou moins l'aspect. Elles font tache.
Rue de Clignancourt, Paris XVIIIe ardt, août 2019. Ph. Bruno Montpied.
Une chose que je commence à abhorrer, ce sont ces barrières grises et vertes (quel choix de couleurs ! Les plus horripilantes mariées l’une à l’autre…) qui délimitent les zones en chantier ou en réparation sur la voie publique. Ces travaux s’éternisent de plus en plus, et les barrières aussi par conséquent, enlaidissant le paysage des rues, entravant la circulation aussi bien des véhicules que des piétons. Les badauds paraissent s’y être habitués. J’étais comme eux, mais à présent ces barrières me sont insupportables, me donnant en vie d’y mettre le feu…
Barrières à l'angle de la rue Andréa Del Sarte et de la rue de Clignancourt, août 2019 (installées là depuis bien plus d'un mois). Ph.B.M.
Cette note est la première de la nouvelle catégorie, "Détestations", que j'installe sur ce blog à partir d'aujourd'hui. D'autres collaborateurs sont les bienvenus pour indiquer leurs propres détestations...
00:16 Publié dans Détestations, Littérature, Questionnements | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : bruno montpied, détestations, littérature de l'immédiat, canicule, braseros, rongeurs, amoralisme, anticléricalisme, barrières de chantier | Imprimer
Commentaires
Bonjour !
Eh bien, belle rentrée en perspective !
Et merci pour la proposition de produire notre liste de détestations. J'y réfléchis !
Franck
Écrit par : Franck Mathieu | 21/08/2019
Répondre à ce commentaireIl va sans dire, Franck, que les détestations venues d'autres horizons auront besoin de mon aval.
Écrit par : Le sciapode | 21/08/2019
Répondre à ce commentaireAh! comme j'aime vos détestations ! Sans doute est-ce que j'y retrouve tant des miennes.
Écrit par : L'aigre de mots | 22/08/2019
Répondre à ce commentaireNous pourrons prendre le train ensemble, cher Sciapode, je déteste les places côté couloir. Si je peux, je choisis systématiquement les places côté fenêtre qui m'offrent une patère pour ma veste et une plus grande facilité pour m'abstraire des voyageurs.
Écrit par : Régis Gayraud | 24/08/2019
Répondre à ce commentaireJe viens de prendre un train à Saint Lazare.Ils ont installé des barrières partout, franchissables en scannant votre billet. Il faut maintenant scanner à trois reprises votre billet pour accéder au quai...Ces barrières cloisonnent l'espace, les gens qui vont en Normandie et ceux qui vont ailleurs ne se mélangent plus, chacun est parqué dans sa zone...Pour couronner le tout le scanner ne reconnaissait pas mon billet, des agents SNCF m'ont donc ouvert les portes...Du stress supplémentaire, du cloisonnement, des bips et autres stupidités électroniques...Encore un espace de liberté qui disparaît...C'est détestable.
Écrit par : Darnish | 26/08/2019
Répondre à ce commentaireOui, et ce que je trouve le plus immonde dans cette nouvelle restriction de notre liberté, c'est qu'elle nous supprime une petite poésie du quotidien. On ne peut plus accompagner l'objet de son amour jusqu'à son train, lui lancer des baisers depuis le quai, s'amuser, quand son train part, à courir sur le quai comme Superman le long du convoi en mouvement. Fini les mouchoirs agités et les larmes sur les joues. Je l'ai dit il y a quelque temps à un employé obtus au regard bovin sous sa casquette de syndicaliste fier d'appartenir à une grande entreprise du service public et prêt à défendre coûte que coûte les innovations de ses maîtres. Il m'a regardé d'un tel air que j'ai compris que les mots "amour", "baisers", "larmes" et même "mouchoirs" n'évoquaient aucune image dans son cerveau graisseux. Lui et les siens étant les larbins de ce monde, ils en sont aussi les rois, quand bien même ils l'ignorent.
Écrit par : Atarte | 10/09/2019
Et à quoi avez-vous reconnu qu'il s'agissait bien d'un syndicaliste?
Écrit par : Le sciapode | 10/09/2019
On a.d.o.r.e vos détestations !!!
Écrit par : amore | 01/09/2019
Répondre à ce commentaireOui, merci... Mais c'est quoi ces petits points que vous mettez entre les lettres d'"adore"? Je ne suis pas loin de détester cette façon de présenter les mots...!
Écrit par : Le sciapode | 03/09/2019
J'aime beaucoup les dessins de Bruno Montpied.
Écrit par : dahyot | 05/09/2019
Répondre à ce commentaireAmusant, Caroline. Mais, vous, qui êtes tout amour, qui ruisselez d'amour, oserait-on dire... Ce que l'on aimerait savoir, c'est si votre petit cœur tout tendre est tout de même accessible à la haine, une de ces haines bien concentrées contre quelque objet bien défini? Allons, ne me dites pas que cela ne vous arrive jamais?
Écrit par : Le sciapode | 05/09/2019
J ai eu beaucoup de colères dans mes histoires d amour mais en dehors de ça je préfère que mes pensées aillent vers ce que j aime. J ai tendance a éviter ce que je n aime pas
Écrit par : Dahyot | 17/09/2019
Répondre à ce commentaireBref, vous bottez en touche...
Écrit par : Le sciapode | 17/09/2019
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