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Arnaud Mahuas, dit ”Darnish”, colleur et architecte d'images
On parle d'art nahuatl mais on ne parle pas d'art mahuas. Et pourtant la tribu existe, résumée à un seul individu, le surnommé Darnish, actif dans le secret d'une grande ville du Far West breton, j'ai nommé Rennes. Ce drôle de Peau-Rouge, natif de Vannes en 1973, ayant grandi à Sainte-Anne-d'Auray dans le Morbihan, travaille bien caché de la circulation, loin des FRAC et autres autoroutes de l'art contemporain, porté par un goût de créer qui visiblement l'occupe comme nous habite le principe germinatif responsable de la pousse de nos cheveux ou de nos ongles. Cela sort de lui comme l'eau du robinet qu'il a choisi depuis l'âge de 12 ans de laisser ouvert.
Collages, architectures miniatures et légères faites d'assemblages de minuscules baguettes de bois récupérées, ruines et brisures d'images logées au fond de bouteilles tels des ex-voto profanes, lavis visionnaires où des silhouettes infimes, collées dans un coin, donnent aux étendues d'encre, abstraites en apparence, la force de s'imposer du seul fait de ces présences dans un coin de la feuille comme des paysages concrets tout au contraire, disques de bois aux compositions savantes, très constructivistes russes du début du siècle précédent, des gravures enfin, ultra stylisées, bricolées dans sa cuisine puis pressées en atelier, tout cela est charrié par Darnish avec un égal bonheur.
Sans titre, paysage avec couple, collage et lavis, vers 2012, 44 x 30 cm
Sans titre, collages et bois insérés dans une bouteille, env. 15 cm, vers 2011
Sans titre, collage et bois dans une bouteille, env. 10 cm, vers 2012
Sans titre, deux autres bouteilles... env 20 cm
Il y a du Schwitters aussi dans ce Darnish, surtout dans ses bouteilles (anciens échos des bouteilles où les marins glissaient des bateaux, du reste Darnish a aussi fait des bateaux, mais dans son système cela devient des bateaux-visages de femmes) où il insère des ruines, ou des amas de débris frêles qui me font penser aux "misérables petits tas de secrets" que cachent paraît-il les hommes (qui a écrit cela? Je sens que l'Aigre de Meaux va nous le rappeler...). C'est comme si on avait mis le Merzbau en bouteille.
Sans titre, une des pièces de la série des bateaux à visage, env. 40 cm de long, vers 2011 ?
Mais ces récipients ne peuvent à eux seuls permettre une telle contention, Darnish dresse vers le ciel ce qu'il fait de meilleur à mon goût, des architectures fragiles où des images, empruntées aux chefs-d'œuvre de l'histoire de l'art comme aux icônes du cinéma dont il est tout autant féru, se retrouvent mêlées dans ces tours de Babel mémorielles où elles prennent figure de kaléidoscopes de souvenirs en miettes échafaudées en désespoir de cause vers les nuages...
Des galeries et autres espaces d'exposition vouées à la promotion de ce qui se fait de mieux dans la création contemporaine feraient bien de s'intéresser d'un peu plus prés à ce jeune homme très sincèrement inspiré. Non?
09/11/2012 | Lien permanent | Commentaires (4)
Le haut et le bas perçus non contradictoirement, une oeuvre sculptée anonyme en plein chêne
Après le champ de bataille du rêve, voici un champ de bataille du réel...
J'ai vu récemment chez un ami collectionneur un panneau de chêne sculpté, incroyablement massif mais en même temps, par une sorte de prouesse mystérieuse, réussissant à donner la sensation du mouvement, de la liquidité. Acquis auprès d'un antiquaire spécialisé en arts populaires, comme d'hab', pas d'indications sur son origine, ni sur son auteur. Je donne les dimensions: 60 sur 70 cm et 5 cm d'épaisseur...
Il s'agit d'une scène de bataille maritime, peut-être une évocation du débarquement de 1944. Les seules indications, les seuls signes dont on dispose pour interpréter dans ce sens sont par exemple le drapeau comportant une croix gammée fottant sur un des bateaux en haut à droite, ou les batteries et bunkers de la côte qui font penser aux défenses construites par les Allemands le long de la Manche et de l'Atlantique. Et puis il y a les avions aux ailes ornées de cocardes qui passent au-dessus ou au-dessous des nuages placés devant le bleu du ciel, cette partie de la scène étant inscrite, notons-le, sur le même plan que le paysage de la mer et de sa côte. La vue vers le haut du ciel et celle qui montre le bas, la mer et la bataille navale, participant pourtant de deux orientations différentes, sont ainsi traitées dans le même espace, disposition que l'on retrouve souvent dans l'imagerie populaire, dans l'art naïf, voire dans l'art brut.
Le sculpteur a rendu le mouvement des vagues grâce à de nombreux coups de gouges chargés d'évoquer les ondulations des ondes. Des panaches de fumée ou d'explosion, des fragments disséminés au milieu de ces fumées, des soldats jetés à la mer faisant des mouvements du bras pour appeler à l'aide ou pour se cramponner aux coques des bateaux retournés, l'action des rameurs sur les barges, les gestes divers des soldats sur les bateaux, les hommes sautant sous les bombes, les bateaux en train de sombrer, barques ou cannonières, tout cela, au delà de leur évident caractère cinétique, rappelle des souvenirs (vécus ou cinématographiques) aux spectateurs et contribuent par ce moyen à donner une sensation de mouvement et d'extrême agitation alors même que la matière du panneau est au contraire paradoxalement statique.
André Breton et les surréalistes rêvaient qu'on ne perçoive plus un certain nombre d'antagonismes de façon contradictoire. Le sculpteur anonyme de cet étonnant panneau de chêne, sans certainement connaître cette désormais célèbre revendication du manifeste du surréalisme, pratiquait naturellement, sans gêne d'aucune sorte, cette fameuse perception.
25/04/2008 | Lien permanent
Les Nefs des Fous
Que nos confrères de Belvert et d'Animula nous pardonnent (ça commence comme une prière), mais nous allons devoir leur repomper (pour le premier) et pomper (pour la seconde) certaines images d'esquifs qui traînent dans leurs colonnes (en y ajoutant cependant nos forts grains de sel).
Notre excuse est d'avoir initié la confrontation bateaux pop/bateaux bruts (sur Belvert, s'entend, et en fournissant déjà les photos), du temps où nous hésitions encore à franchir le Rubicon de la création de blog.
Nous voudrions maintenant réaliser un petit rassemblement des objets maritimes en question, des bateaux, sur une SEULE page, bien persuadé que le thème contient sûrement d'autres éléments à verser au dossier, mais en permettant aux amateurs de s'instruire des différences à relever, des parallèlismes, de la plus ou moins grande dose de fantaisie appliquée à ces diverses rêveries flottantes:
Pour commencer, une maquette de bateau anonyme photographié dans le département "Marine populaire" du musée rural des arts populaires de Laduz:
07/07/2007 | Lien permanent | Commentaires (5)
Un bateau dans la ville, le ”Museo del Mar”
Comme me l'écrit Philippe Lespinasse en me signalant le site dont je veux vous parler, autrefois les bateaux partaient vers les terres inconnues, maintenant, c'est l'inconnu qui part vers les bateaux. Merci également à Pierre Vidal qui a "passé" l'information auparavant à Philippe.
A Sanlucar de Barrameda (entre Cadix et Séville en Espagne, au bord de la mer) habite un monsieur, ancien pêcheur semble-t-il, José-Maria Garrido, sur lequel existent quelques informations en espagnol sur le blog d'Hector Garrido (son fils? En tout cas, un excellent photographe et naturaliste, voir son autre site ici), avec des photos extrêmement évocatrices. On y voit en pleine ville un bâtiment transformé en navire. Qui m'évoque immédiatement, quoique en plus âpre cependant, la maison au sommet transformé en pont de bateau que l'on voit un moment dans Mary Poppins (si l'on se souvient, y habite un ancien capitaine qui tire le canon pour marquer les heures).
La maison de Garrido (âgé de 80 ans, si l'on en croit une information venue du "Petit Fûté"), qui s'est élaborée sur une durée de 35 ans, a été baptisée par lui "Musée de la Mer". Elle contient sur ses murs 80000 escargots de mer (l'escargot, de mer ou plus terrestre, est un symbole emblématique des créateurs centrés sur eux-mêmes, créateurs d'environnements qui sont leurs coquilles, avec lesquelles ils fusionnent et dont il paraît impensable de vouloir les séparer), coquilles mosaïquées sur les parois du musée, émaillées également de sentences nées de "la conscience populaire" (comme dit Hector Garrido) ou de phrases d'auteurs connus, de maquettes de bateaux et autres vues marines. On voit le créateur à un moment couché dans une niche semblable à celles que l'on trouve sur les bateaux. Pierre Vidal signale que José Maria Garrido aime aussi écrire des poèmes sur des caisses à poissons.
Je trouve cette entreprise géniale. Et dire que la mairie, aux fins d'opération immobilière dans le quartier envisagerait de faire disparaître ce monument... On pense à l'immeuble des Monty Python, dans leur film Le Sens de la Vie, qui arrache ses amarres fichées dans les trottoirs de Londres, emporté par les bâches des peintres en bâtiment qui le recouvrent, se métamorphosant en voiles. On se prend à songer aussi à ce que pourraient devenir les villes si chacun de ses habitants se mettait à construire une maison dans la forme de l'objet qui le hante, chaussure, fleur, locomotive, ballon, chope de bière, etc. Le projet de José-Maria Garrido est tout à fait voisin - sauf que cela se passe cette fois dans la vie - des projets ghanéens funéraires qui consistent à enterrer les défunts dans des cercueils dont les formes symbolisent leur existence. Que la présence du Museo Del Mar m'ait été signalée par Philippe Lespinasse, par ailleurs auteur de film et de texte sur les cercueils à images du Ghana (voir note du 3 mars 2010), me paraît tout à fait en harmonie.
08/05/2010 | Lien permanent
Figures éclatées
Trois figures en voie de démantèlement, voici ce que je propose à cette heure. Une, vue dans le hasard d'un frottage au blanc d'Espagne sur une vitre de magasin désaffecté à Valuéjols dans le Cantal en juillet dernier. La deuxième est la version noir et blanc d'un visage à la bouche vissée, éclaté dans la traînée de rouille d'une épave du petit cimetière de bateaux du port de Camaret, photo prise à l'été 2003. La troisième est le résultat d'un frottage à la mine de plomb effectué sur la poutre d'une vieille maison du Cézallier durant l'été 2004, le but étant de retrouver, par le détour de la technique inventée par Max Ernst, rien de moins que la "façon de créer de la nature", comme aurait dit mon ami Strindberg... C'est pourquoi je réunis ces trois images ici même...
23/12/2007 | Lien permanent
Les Nefs des fous (3)
Dans un récent commentaire, M. Jean Branciard a évoqué certaines de ses préoccupations qui auraient à voir avec nos précédentes notes sur des bateaux de marine populaire. Je suis allé sur le site de ce créateur qui travaille avec des matériaux de récupération, avec une prédilection pour le métal semble-t-il. J'y ai effectivement trouvé un "tracteur de mer" que personnellement je préférerais, tout à fait arbitrairement je m'empresse de l'ajouter, appeler une "goélette" ou une "caravelle", non pour les référents exacts de ces mots mais pour la sonorité des vocables. Ca sonne éclatant "goélette", "caravelle"... Les goélettes voguant sur les goémons parmi les goélands...
Il a de l'allure ce tracteur, ne trouvez-vous pas?
On a ici affaire à une autre modalité de l'écho sensible (ici délibérément assumé dans sa subjectivité) de l'objet "bateau", de la marine que le populaire ou le brut ont interprétée à leur manière, plus intuitive et innocente. On pourrait parler de marine singulière, histoire de faire un distingo, non dépréciatif, je m'empresse de le souligner...
29/07/2007 | Lien permanent | Commentaires (2)
Aventures de lignes (5): Darnish
Darnish
Féru d’art vivant, de musique populaire principalement américaine, de cinéma (également américain), et d’art, celui qui se fait appeler Darnish (sobriquet qu’on lui a donné dans son adolescence dans le Morbihan) a plusieurs cordes à son arc. Il manie le collage avec plaisir que ce soit en volume ou sur surface plane.
En tant que fils de marin breton, le monde de la mer l’inspire logiquement. Ses ruines en bouteille (non exposées à St-Ouen, où il n’a regroupé que des assemblages de plus grand format ; les ruines en bouteille sont plus petites, quoique réalisées de la même façon que ces assemblages) viennent tout droit des ouvrages de patience de certains de ces marins (surtout les bateaux en bouteille, qui supposent un tour de force de la part des experts de la chose). Leur conception s’est croisée avec son admiration pour les créations d’un Kurt Schwitters dont le Merzbau ‒ structure cubiste qui envahissait les différents étages de l’immeuble de Schwitters à Hanovre ‒ a marqué Darnish. On pense aux œuvres des constructivistes russes, etc. Il lui arrive également de s’aventurer du côté de paysages visionnaires, semant de gros sel ses lacs d’encre pour faire lever des halos oniriques. Il met la culture populaire au service de l’art, revitalisant ce dernier grâce à son indéniable et modeste sincérité.
(Voir sur Darnish, B. M., le Poignard Subtil, note du 09-11-2012)
Le Retour, 47x43cm, carton, bois, collage, acrylique, 2016 ; exposé à la galerie Amarrage (du 22 octobre au 4 décembre 2016, 88 rue des Rosiers, St-Ouen)
27/10/2016 | Lien permanent
Du maquettisme à Saint-Nazaire
Cette note a été remaniée par rapport à de précédentes versions que j'estime désormais caduques, tels des brouillons.
Depuis quelques temps, un correspondant ne cesse de vouloir me convaincre que des maquettes de paquebots que fabrique un passionné à St-Nazaire – en s'inspirant de ces bateaux de croisière qui ont des formes hésitant entre le tiroir-caisse et l'empilement de containers, que l'on fabrique aux chantiers de Saint-Nazaire, ce qui bien sûr donne du boulot aux ouvriers de la ville mais n'en fait pas pour autant des merveilles esthétiques – sont des chefs-d'œuvre d'art brut ou apparentés. Je ne l'entends pas de cette oreille (ni de cet œil), et j'ai répondu plusieurs fois que je ne voyais pas l'intérêt de faire en plus petit ce qui est déjà moche en plus grand (car je pense avant tout – que l'on me comprenne bien! – aux reproductions de paquebots actuels), mais ce correspondant insiste, car il lui apparaît sans doute que tous ceux qui s'intéressent aux arts populaires devraient penser comme lui... Ce monsieur ne voit que le travail minutieux du maquettiste (et il faut l'avouer, ce dernier a beaucoup travaillé sur ses bâtiments reconstitués, on ne peut le contester), et ma réponse le révulse. Il faut admirer à toute force les chefs d'œuvre qu'il m'indique...
PHOTO RETIRÉE À LA DEMANDE DE SON AUTEUR
Un des paquebots en maquette construit par M. Vince (St-Nazaire).
PHOTO RETIRÉE À LA DEMANDE DE SON AUTEUR
Autres maquettes de M. Vince à St-Nazaire.
Il faut que je l'avoue, le maquettisme, envisagé du seul point de vue de la réduction minutieuse de ce qui existe, sans le moindre recours à une poésie quelconque, un maquettisme qui cherche à faire exact (même si, pour ce faire, l'auteur utilise des matériaux de récupération), ne m'intéresse en effet pas. Et en outre, il faut également le répéter, malgré l'évidence pour ceux qui sont déjà au courant, cela ne relève en rien de l'art brut, ni de l'art singulier. Ni même d'une poésie que l'on peut rencontrer dans d'autres types de maquettes, plus proches d'ailleurs des jouets – je pense en particulier aux maquettes de bateaux sculptés naïvement par des marins, objets de patience confectionnés pour leurs enfants en attendant de pouvoir les revoir au retour de leurs longues campagnes de pêche, ou aux bateaux naïvement logés au fond de leurs bouteilles, comme dans un rêve d'ivresse marine.
Bateau confectionné en guise de patience, collection Humbert, musée rural des arts populaires de Laduz (Yonne), ph. Bruno Montpied.
Paquebot en bouteille, voici de la poésie pure, cet énorme bâtiment étant dessiné et sculpté ingénument à l'intérieur de sa prison de verre, comme fixé pour l'éternité d'un songe... Coll. L. Jacquy, photo B.M.
Le maquettisme visant à la copie, on en voit dans tous les musées de la marine, cela peut avoir un intérêt didactique, pédagogique, mais ce n'est pas sous cet angle que se place le correspondant dont j'ai parlé au début de cette note. Non, lui, veut voir de "l'art brut" dans ces maquettes, emporté qu'il est par l'usage de plus en galvaudé et confus du terme, par la faute de tant de commentateurs insuffisamment informés.... Eh bien, c'est une erreur...
Une salle du musée de la Marine à Paris...
...ou du musée maritime de Hambourg, où c'est bourré de maquettes, à des fins historiques, etc., mais sont-ce pour autant des musées d'art brut?
Le maquettisme qui consiste à reproduire le plus exactement possible des véhicules, bateaux, trains électriques, maisons..., pourrait plutôt appartenir, à la rigueur, à ce que l'on appelle du côté de Sète, "l'art modeste", qui rassemble toutes sortes d'expressions populaires, du collectionneur d'étiquettes de boîtes de camembert ou de petits soldats au peintre décorateur de flippers... Il y a des salons pour ce genre de hobby, avec leurs lots de "bénédictins" se consacrant entièrement à leur passion de la miniaturisation.
La copie miniaturisée de la réalité ne me cause aucune émotion. Ce que nous recherchons avant tout, en effet, et au contraire, c'est de contribuer à dévoiler l'autre réalité sous-jacente qui se cache dans le dialogue permanent entre l'homme et le monde, que l'imagination de l'homme sert à révéler. Ce sont les travaux où cette imagination est à l'œuvre qui nous interpellent. Je préférerai toujours les nefs de Jean Branciard (assimilable à l'art singulier), par exemple, aux maquettes réalistes qui ne nous apportent pas ce surplus d'imagination et de poésie dont nous sommes plusieurs à être affamés. Ou bien les maquettes incroyablement bricolées que l'on rencontre dans le véritable art brut, comme les deux exemples que je donne ci-dessous (après les nefs de Branciard) en donneront une suffisante illustration. Voilà la véritable marine brute en réduction!
Jean Branciard, La péniche
Jean Branciard, catamaran, vers 2008.
Un bateau, le Myra, par le sculpteur brut Auguste Forestier qui séjournait dans les années 1940 à l'hôpital psychiatrique de St-Alban-du-Limagnole, anc. collection du Dr. Ferdière, ph. B.M.
Un bateau extraordinaire créé "en os de cuisine" par un Poilu "dans la zone des armées entre 1916 et 1917. Carte postale situant l'objet à St-Vigor-d'Ymonville (à l'époque en Seine Inférieure).
03/04/2017 | Lien permanent | Commentaires (18)
Les Nefs des Fous (2)
Je voulais laisser parler les images, mais cela ne suffit pas. On réclame du contexte. Comme si c'était évident dans le cas de créations comme celle de Carlo M. ou de Forestier, patients d'hôpitaux pyschiatriques sur qui les renseignements sont passablement déficitaires ou simplement incomplets. On n'a pas affaire à des artistes du "mainstream" (les grandes avenues de l'art)...comme on dit aux States.
Mais peu importe, de toute façon, je pense qu'on peut aborder ces oeuvres sans grand besoin d'éléments biographiques, ni même sans le secours d'une connaissance des formes de raisonnements propres aux psychotiques. Je ne l'ai pas cette connaissance (ou n'en ai que de vagues lueurs), cela ne m'empêche pas d'aimer ces oeuvres, de leur trouver un aspect touchant, preuve que quelque chose passe du fond de la folie jusqu'aux non fous et que leur langage se communique, qu'ils utilisent des truchements que nous pouvons comprendre.
Cela dit, à côté de Carlo M. et de Forestier, il y a aussi les oeuvres de patience (le bateau conservé à Laduz), la poterie du musée du Berry (l'Arche de Noé), les dessins naïfs du simple Poullaouec, le bateau d'un prisonnier oublié. Je les ai associés, ils nouent un dialogue je trouve, je le perçois intuitivement.
Les bateaux, ça me fait penser d'abord à Charles Trenet, une noix, qu'est-ce qu'il y a, à l'intérieur d'une noix, qu'est-ce qu'on y voit quand elle est fermée? On y voit la nuit en rond, les plaines et les vallons... Un voilier noir aussi... Un micro monde, un microcosme où l'univers se tient paradoxalement dans d'étroites limites. Premier caractère qui séduit l'amateur d'exploit qu'est l'artisan ou le créateur populaire (un exploit, enfermer un microcosme dans une bouteille par exemple). Faire beaucoup avec très peu, voire avec rien. D'où les récupérateurs en tous genres, les pilleurs d'épaves, cher Impertinent... Dans notre petite collection de nefs (j'ai choisi ce terme aussi pour sa briéveté), comme récupérateur cela dit, il n'y aurait guère que Forestier qui dans son asile travaillait avec des chutes de bois glanées. Mais la terre des potiers ne coûtait pas tant. En un minuscule périmètre, on pouvait modeler l'arche de Noé, parfait paradigme du microcosme aux dimensions dilatées puisque la fameuse arche aux proportions somme toute limitées était censée contenir tout le règne animal. Les potiers Lerat et Bedu ne se sont pas arrêtés à un tel détail, sentant bien que la parole divine autorise tous les miracles...
Avec un peu de peinture, on brosse toute l'escadre anglaise, la rade de Brest, les alentours, on se fait démiurge, rôle d'autant plus apprécié qu'on est (vraisemblablement) un zéro social. On ne sait rien de Poullaouec, mais à le voir sur ces pauvres cartes postales qui sont les seules traces qu'il nous a laissées pour que nous puissions partir à sa recherche, on se dit que celui-là n'avait pas dû faire une bien grande pelote.
J'ai déjà écrit quelque part que l'océan sert assez bien en métaphore de l'inconscient. Les créateurs populaires qui pratiquent la spontanéité en art, bricolant leur expression avec des matériaux de fortune, avec ce qui se présente sous la main -et c'est ce qui se passe aussi chez le dessinateur "automatique"- ces créateurs sont fascinés par cette quantité d'eau effroyable, mouvante, grouillante d'êtres hypothétiques que l'imagination ne peut s'empêcher de réinventer. L'imagination de la mer on le sait a donné de bien beaux résultats, sirènes, serpents de mer, krakens, neptunes, tritons et j'en passe. Lancer un frêle esquif sur ce bouillon de culture, c'est combien tentant... Il renferme un monde clos sur lui-même que le démiurge investit comme bon lui semble, sans se soucier de la ressemblance chère aux artistes professionnels. Le bateau n'est pas une maquette fidèle à la réalité objective, comme on en voit dans les musées de marine. Il représente avant tout l'émotion qu'on projette en lui. Cette dernière bouscule les formes et les traits, le bateau commence à ressembler à un mirage aux contours changeants. Le bateau de Laduz possède une fragilité dûe à ses matériaux rugueux, peut-être dûe aussi à son manque de réalisme, fragilité que l'on retrouve comme revendiquée, dirait-on presque, à la faveur du détachement des liens de sociabilité, chez des Carlo M. ou des Forestier, et qui font des bateaux inventifs parce que ce sont des bateaux qui permettent à leurs inventeurs sans doute aussi de s'évader, au moins symboliquement. La fragilité est une caractéristique qui fait assez fil rouge pour cette flotille de blog.
L'enfance aussi affleure sans cesse dans les oeuvres de l'art populaire, la dimension de jouet est présente à l'évidence, dans le bateau de Laduz comme dans le "Sozialist" de Carlo M., ou le fort navire du prisonnier de St-Paul. L'enfance est aussi dans le regard d'André Bindler lorsqu'il taille son bateau de la même façon qu'il sculpte un sabot. Ne voyait-on pas les enfants faire d'une chaussure une coquille de noix, avant qu'on ne leur fourre entre les doigts des consoles vidéo et des télés?
08/07/2007 | Lien permanent | Commentaires (5)
Franck Montardier, à la fois déroutant et familier
Laurent Jacquy m'informe d'une exposition mystérieuse qui va bientôt s'achever à l'espace d'exposition le Safran à Amiens. Elle a ouvert le 7 janvier dernier et se termine le 11 février prochain. J'ai tardé à la répercuter sur ce blog. Mais tout n'est pas perdu, on la reverra du 14 mars au 15 avril 2011 à la galerie des Beaux-Arts d'Abbeville (18, rue des Capucins, tél: 03.22.24.41.15 ; le lieu dépend de l'école municipale des Beaux-Arts de la Communauté de Communes de l'Abbevillois).
Mystérieuse? Oui, un peu, car j'ai l'impression que le peintre présenté, Franck Montardier, n'est guère connu, en dehors de la Picardie, et que les rares images visibles de son travail s'apparentent à des sortes d'esquisses jetées à la diable sur des supports de fortune, loin de toute volonté esthétisante, tant paraît pressante la nécessité de dire quelque chose avec des dessins, des traces colorées que l'on n'estime pas utile d'insérer dans une composition... Comme si l'on voulait en priorité fixer des empreintes brutes des sensations vécues.
Franck Montardier, Figures, visages, acrylique sur toile
Un dossier de presse était joint à l'information de l'expo, confirmant le peu de sacralisation du créateur vis-à-vis des matériaux de sa quête: "Planches trouvées, plaques d'aggloméré, cartons, toiles ou chiffons sont autant de supports possibles pour déployer une imagerie à la fois familière et déroutante". Ce dossier comporte d'autres remarques qui m'ont titillé. "Franck Montardier n'a aucune référence historique et ne s'inscrit dans aucune école ou filiation artistique. Il ne se reconnaît pas non plus comme artiste ni même peintre et n'a aucune ambition artistique". Il ne se reconnait pas comme artiste, il crée avant toute chose dans un état d'urgence. L'oeuvre, nous dit-on (je n'ai vu que quelques pauvres reproductions, ce qui ne m'embarrasse nullement pour annoncer d'avance le probable intérêt que l'on doit pouvoir éprouver à la rencontre d'une telle production, étant donné les signaux envoyés), se déploie du côté des portraits, des saynètes, des paysages, s'attardant par moment sur le thème des bateaux, qui a notre agrément (et même notre agréement) sur ce blog... Il semble bien que les travaux de ce monsieur ressemblent en définitive à une sorte de carnet de ses voyages intérieurs, centré avant tout sur le désir de capter des bribes de la vie telle qu'elle va, bien plus que sur le fait de bâtir une oeuvre esthétique. C'est le genre de démarche qui a bien sûr toutes les chances de nous captiver, au Poignard subtil.
06/02/2011 | Lien permanent