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08/07/2007

Les Nefs des Fous (2)

    Je voulais laisser parler les images, mais cela ne suffit pas. On réclame du contexte. Comme si c'était évident dans le cas de créations comme celle de Carlo M. ou de Forestier, patients d'hôpitaux pyschiatriques sur qui les renseignements sont passablement déficitaires ou simplement incomplets. On n'a pas affaire à des artistes du "mainstream" (les grandes avenues de l'art)...comme on dit aux States.

     Mais peu importe, de toute façon, je pense qu'on peut aborder ces oeuvres sans grand besoin d'éléments biographiques, ni même sans le secours d'une connaissance des formes de raisonnements propres aux psychotiques. Je ne l'ai pas cette connaissance (ou n'en ai que de vagues lueurs), cela ne m'empêche pas d'aimer ces oeuvres, de leur trouver un aspect touchant, preuve que quelque chose passe du fond de la folie jusqu'aux non fous et que leur langage se communique, qu'ils utilisent des truchements que nous pouvons comprendre.

     Cela dit, à côté de Carlo M. et de Forestier, il y a aussi les oeuvres de patience (le bateau conservé à Laduz), la poterie du musée du Berry (l'Arche de Noé), les dessins naïfs du simple Poullaouec, le bateau d'un prisonnier oublié. Je les ai associés, ils nouent un dialogue je trouve, je le perçois intuitivement.

     Les bateaux, ça me fait penser d'abord à Charles Trenet, une noix, qu'est-ce qu'il y a, à l'intérieur d'une noix, qu'est-ce qu'on y voit quand elle est fermée? On y voit la nuit en rond, les plaines et les vallons... Un voilier noir aussi... Un micro monde, un microcosme où l'univers se tient paradoxalement dans d'étroites limites. Premier caractère qui séduit l'amateur d'exploit qu'est l'artisan ou le créateur populaire (un exploit, enfermer un microcosme dans une bouteille par exemple). Faire beaucoup avec très peu, voire avec rien. D'où les récupérateurs en tous genres, les pilleurs d'épaves, cher Impertinent... Dans notre petite collection de nefs (j'ai choisi ce terme aussi pour sa briéveté), comme récupérateur cela dit, il n'y aurait guère que Forestier qui dans son asile travaillait avec des chutes de bois glanées. Mais la terre des potiers ne coûtait pas tant. En un minuscule périmètre, on pouvait modeler l'arche de Noé, parfait paradigme du microcosme aux dimensions dilatées puisque la fameuse arche aux proportions somme toute limitées était censée contenir tout le règne animal. Les potiers Lerat et Bedu ne se sont pas arrêtés à un tel détail, sentant bien que la parole divine autorise tous les miracles...

     Avec un peu de peinture, on brosse toute l'escadre anglaise, la rade de Brest, les alentours, on se fait démiurge, rôle d'autant plus apprécié qu'on est (vraisemblablement) un zéro social. On ne sait rien de Poullaouec, mais à le voir sur ces pauvres cartes postales qui sont les seules traces qu'il nous a laissées pour que nous puissions partir à sa recherche, on se dit que celui-là n'avait pas dû faire une bien grande pelote.

     J'ai déjà écrit quelque part que l'océan sert assez bien en métaphore de l'inconscient. Les créateurs populaires qui pratiquent la spontanéité en art, bricolant leur expression avec des matériaux de fortune, avec ce qui se présente sous la main -et c'est ce qui se passe aussi chez le dessinateur "automatique"- ces créateurs sont fascinés par cette quantité d'eau effroyable, mouvante, grouillante d'êtres hypothétiques que l'imagination ne peut s'empêcher de réinventer. L'imagination de la mer on le sait a donné de bien beaux résultats, sirènes, serpents de mer, krakens, neptunes, tritons et j'en passe. Lancer un frêle esquif sur ce bouillon de culture, c'est combien tentant... Il renferme un monde clos sur lui-même que le démiurge investit comme bon lui semble, sans se soucier de la ressemblance chère aux artistes professionnels. Le bateau n'est pas une maquette fidèle à la réalité objective, comme on en voit dans les musées de marine. Il représente avant tout l'émotion qu'on projette en lui. Cette dernière bouscule les formes et les traits, le bateau commence à ressembler à un mirage aux contours changeants. Le bateau de Laduz possède une fragilité dûe à ses matériaux rugueux, peut-être dûe aussi à son manque de réalisme, fragilité que l'on retrouve comme revendiquée, dirait-on presque, à la faveur du détachement des liens de sociabilité, chez des Carlo M. ou des Forestier, et qui font des bateaux inventifs parce que ce sont des bateaux qui permettent à leurs inventeurs sans doute aussi de s'évader, au moins symboliquement. La fragilité est une caractéristique qui fait assez fil rouge pour cette flotille de blog. 

       L'enfance aussi affleure sans cesse dans les oeuvres de l'art populaire, la dimension de jouet est présente à l'évidence, dans le bateau de Laduz comme dans le "Sozialist" de Carlo M., ou le fort navire du prisonnier de St-Paul. L'enfance est aussi dans le regard d'André Bindler lorsqu'il taille son bateau de la même façon qu'il sculpte un sabot. Ne voyait-on pas les enfants faire d'une chaussure une coquille de noix, avant qu'on ne leur fourre entre les doigts des consoles vidéo et des télés?

Commentaires

Ca me va ! le contexte évidemment se dérobe, mais les objets demeurent...
Me gêne cependant votre clivage "fous"/"non fous". Ce terme date pas mal, même s'il est vrai que la folie n'a pas d'âge et qu'elle a un bel avenir devant elle.
Désigner des "malades mentaux" ainsi, me dérange aux entournures. Sans doute suis-je dérangé moi aussi. Comme eux, vous et moi.
L'Art de Saint-Alban comme on dit parfois celui d'Auvers ou de l'Ecole de Barbizon... ne serait-ce pas mieux ? plus cool ? plus convivial ? plus fraternel ?
Je m'égare, gare !

Écrit par : Le Pilote de Belvert | 08/07/2007

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Il n'y a pas d'offense dans ma vision de la folie. Il y a des fous et des non-fous, pour être clair, selon moi (du côté des commentateurs d'Animula, il y a les psychotiques et les névrosés, je ne me rappelle pas vous y avoir vu faire de commentaire... ). Et les fous ont droit aux mêmes égards que les non-fous. Davantage même car ils vivent dans la souffrance. Les dire fous ne les stigmatise pas dans mon esprit. C'est comme dire borgnes, ou aveugles, ou culs-de-jatte. Nous ne nous disons pas tous borgnes, aveugles ou culs-de-jatte, parce qu'il faudrait gommer la difficulté d'être borgnes, aveugles ou culs-de-jatte.

Écrit par : le Sciapode | 09/07/2007

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C'est vrai. Je ne me suis pas lancé dans cette diatribe avec Mademoiselle Ani. Aurais-je dû ? Il m'a semblé que la manière, justement plus soft qui était la vôtre (c'est pas toujours votre habitude d'être soft ! cela dépend du masque de PERSONA que vous empruntez ; ce n'est pas vous faire offense que de poser cela, du moins je le souhaite) se prêterait à ce débat qui n'est QUE lexical, pas médical, encore moins moralisant.
Je connais des malades mentaux (psychotiques) qui lisent, écrivent des choses fort intéressantes et dont la grande angoisse est de savoir s'ils sont "fous"... c'est pour eux une grande souffrance. Aussi ai-je éloigné de mon lexique ce terme, me référant davantage à la notion de "maladie mentale" qui elle est bien réelle (sous des pathologies diversiées, de la plus anodine à la gravissime).

Écrit par : Le Pilote de Belvert | 09/07/2007

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j'ai retrouvé dans tout ce foisonnement beaucoup de préocupations pour ne pas dire plus qui me sont familières . avec mes bateaux en plus des océans , je traverse des désert de sable et de pierres.
venez voir mes véhicules
merci et à bientôt jean

Écrit par : branciard | 29/07/2007

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Je suis allé sur votre site et effectivement j'ai aperçu un beau navire appelé "Tracteur de mer' sans doute parce qu'il a servi à relier le labourage des terres à celui des mers par la grâce des matériaux rustiques récupérés?
Je vais l'ajouter à la suite de mes nefs si vous n'y voyez pas d'inconvénients...
Je ne connaissais pas votre travail et suis enchanté que vous ayez pu trouver du miel entre mes notes.
Le Sciapode.

Écrit par : Le Sciapode | 29/07/2007

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