08/01/2010
Des roches gravées à Batz-sur-Mer
Mon camarade Remy Ricordeau s'ouvre si bien à l'art brut qu'il ne finit pas d'en découvrir ici et là. Dernière surprise en date, du côté de Batz-sur-Mer (dans la Presqu'île de Guérande), l'été dernier, il est tombé sur d'étranges roches de bord de mer, sculptées dit-il, gravées dirai-je plutôt, ressemblant un peu aux graffiti anciens incisés dans des murailles, comme les graffiti de prisonniers médiévaux, ou ceux de ces Poilus de la première guerre mondiale qui n'hésitaient pas dans leur rage d'expression à creuser la roche de leurs carrières de casernement provisoire jusqu'à dégager des sculptures en trois dimensions (voir ma note du 28 décembre 2008 sur un livre causant des graffiti de tranchées paru cette année-là), et voir plus généralement le musée Serge Ramond consacré aux graffiti historiques à Verneuil-en-Halatte).
On se balade en bord de mer, et l'oeil découvre éberlué le travail anonyme qui a consisté à racler, et à évider la roche granitique afin d'en extraire des profils ultra stylisés, des visages grossiers et hallucinatoires, tentative primitive analogue à celle du fameux abbé Fouré qui à Rothéneuf en Ille-et-Vilaine a sculpté au début du XXe siècle les rochers du rivage en créant en une quinzaine d'années plusieurs dizaines de personnages aux formes interprétées d'après les circonvolutions de la matière brute. Ciselées dans une muraille naturelle de blocs joints dans une maçonnerie naturelle (qui est peut-être responsable de l'inspiration de l'auteur), pas plus haut que ce que la taille d'un homme peut permettre, on reconnaît à Batz quelques figures, un hippocampe par exemple (la seule figure un peu réaliste), des profils géométrisés, dont peut-être celui d'un rapace, et deux figures affrontées, quelque peu cubistes.
Le style employé semble celui d'un individu qui s'essaierait à la sculpture, les expressions restant en affleurement seulement, à peine dégagées de la roche, esquissées, ce qui peut être aussi par volonté - inconsciente? - de transmettre leur côté hallucinatoire avant tout. Du reste, à force de les regarder, on en devine plus que le sculpteur a voulu en faire, une roche dominant l'ensemble semble ainsi représenter la gueule d'un crocodile mais le style est tellement différent du reste qu'on se convainc bientôt qu'il s'agit là d'une extrapolation de la part de l'interprète dont l'inconscient a été fort mis en branle (il y a souvent contamination de la vision lorsqu'on est en présence d'images interprétées d'après des formes naturelles ; à Rothéneuf, à côté des rochers sculptés par l'abbé Fouré, on se met à deviner d'autres figures possibles qui ne sont en réalité que formes du hasard avec lesquelles joue l'imagination). On lit un chiffre à un endroit, 35, ou plus vraisemblablement 95 sans trop savoir ce qu'on doit en tirer, peut-être la date de la gravure?
Ces roches vous prennent un aspect précolombien sans doute bien involontairement. On pense aussi aux gravures des pictogrammes de la Vallée des Merveilles dans les Alpes du Sud. On ne sait rien de l'anonyme graveur ayant furtivement travaillé sur ces roches, en y passant pourtant un bon moment on suppose...
01:00 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire insolite, Environnements populaires spontanés, Graffiti | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : batz-sur-mer, art rupestre populaire, art brut, environnements spontanés, remy ricordeau, graffiti, roches gravées | Imprimer