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18/01/2015

Miguel Hernandez, retour sur un peintre entre art brut et anarchisme

     On a parlé sur ce blog il y a peu de Jean Galéani qui avait mis son art (naïf) au service de ses convictions politiques dans les années du début XXe siècle. Il y en a peu de ces cas de créateurs autodidactes qui auraient été en même temps des activistes révolutionnaires. Au début de la collection de l'art brut dans les années 40-50 de l'autre siècle, il y eut Miguel Hernandez (1893-1957), un peu oublié aujourd'hui, il me semble, dans les musées et collections qui possèdent de ses œuvres.

 

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Fascicule édité par les éditions René Drouin en 1948, texte de présentation de "MT" (Michel Tapié) ; coll. Bruno Montpied.

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4e de couverture de la plaquette Miguel H., 1948.

 

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Miguel Hernandez, Souvenir inca, 1947, anc. coll. André Breton, en ligne sur le site de l'Atelier André Breton.

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Un Miguel Hernandez à l'imagerie moins connue... Photo extraite du site de la galerie Ricco Maresca, New-York.

 

      Diverses circonstances m'ont récemment remis sur les traces de cet ancien militant anarchiste espagnol qui aurait commandé une troupe de 5000 hommes pendant la Guerre d'Espagne, du moins si l'on suit les renseignements biographiques émanant de diverses sources (Michel Tapié en 1948, dans un fascicule des tout débuts de la collection d'art brut de Dubuffet, à l'époque où elle était abritée au sous-sol de la galerie Drouin place Vendôme ; puis dans le premier fascicule de la Collection de l'Art Brut en 1964,  avec deux textes, dont un qui datait de 1948 de Dubuffet prévu au départ pour le fameux Almanach de l'Art Brut qui ne vit jamais le jour ; le texte de Dubuffet augmenté de trois paragraphes en 1964 donnait des renseignements biographiques assez fournis ; enfin il y eut aussi un fascicule fait avec les moyens du bord par l'Association l'Aracine à l'occasion de l'expo qu'elle organisa sur Hernandez en 86-87 à Neuilly-sur-Marne à partir de la collection d'un monsieur Noël Rovers d'Hont, dont à ma connaissance on n'a plus entendu parler par la suite...).

      Il semble que les chercheurs spécialisés dans l'anarchisme, notamment espagnol, n'aient retrouvé dans les archives que quelques traces partielles de l'activité militante d'Hernandez. En particulier, commander (il avait grade de "commandant", paraît-il) une troupe de 5000 hommes n'aurait pas dû passer inaperçue dans l'histoire de la guerre civile. Mais ce que l'on trouve sur internet,  par exemple sur le site du Dictionnaire des militants anarchistes, c'est seulement les responsabilités qu'il occupa dans des revues espagnoles. La notice qui lui est consacrée ne cite ses possibles activités de "milicien" qu'au conditionnel.

 

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Miguel Hernandez photographié par Doisneau en 1951 à Belleville ; ce cliché fut publié dans la plaquette de l'Aracine citée plus haut.

 

      Hernandez est au début de l'histoire de la collection d'art brut. Mais quelques zones floues restent autour de lui. Il vivait après la Seconde Guerre, nous dit-on, dans un petit appartement à Belleville, où il ne se consacrait qu'à la peinture après être passé par divers métiers et tribulations, en Amérique du Sud tout d'abord puis en Espagne où il conspira à Madrid contre Primo de Rivera, de retour d'un service militaire au Maroc dont il garda une détestation de l'armée et de ses soi-disant prestiges. Il collabora à une publication anarchiste à Lisbonne, ce qui lui valut une arrestation. Il publia aussi "des brochures de propagande contre la dictature et contre le communisme" (voir le site du Dictionnaire des militants anarchistes cité plus haut). On date le début de sa production de 1947, soit juste un an avant qu'il n'expose au Foyer de l'Art Brut de la galerie René Drouin (ce qui paraît fort rapide comme passage à la lumière). Les peintures reproduites dans le premier fascicule de l'Art Brut aux éditions Drouin montrent des œuvres de grande force et déjà bien assurées. Sont-elles donc nées, ainsi affirmées, dès les premiers coups de pinceaux? Dubuffet explique qu'Hernandez travailla avec acharnement dès le départ, consacrant tout son temps à la peinture, retouchant sans cesse ses peintures, les "gâtant" parfois par là même...

 

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Une des peintures d'Hernandez reproduites dans le fascicule édité par la galerie René Drouin en 1948 ; à gauche vraisemblablement la femme après laquelle soupirait Hernandez.

 

       Une figure féminine paraît dominer dans ces compositions, celle de sa femme perdue pendant la Guerre Civile et dont Hernandez rêva tout le reste de sa vie (Dubuffet dans son texte du fascicule n°1 de la Compagnie d'Art Brut précise, presque cruellement, à la fin de son dernier paragraphe "qu'un messager chargé par lui de rechercher son adresse à Madrid n'eut pas le courage de l'informer qu'elle vivait en paix depuis fort longtemps avec un autre compagnon et qu'elle ne se souciait plus de lui" ; il décrit l'obsession d'Hernandez pour cette femme perdue de vue comme "insensée").

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Cette photo-ci était également reproduite dans le fascicule des éditions René Drouin.

 

     On  ne sait pas très bien dans l'histoire de la collection d'art brut, à ma connaissance, qui est tombé le premier sur Hernandez, et son groupe d'amis espagnols, dont certains étaient peintres autodidactes comme lui, tel José Garcia Tella (1906-1983), dont l'œuvre, pourtant, paraît-il, présentée au Foyer de l'Art Brut - à l'époque des balbutiements de la collection de Dubuffet en 1948 -, et défendue par le critique d'art et collectionneur Henri-Pierre Roché, ne connut pas le même succès dans le monde de l'art brut que celle d'Hernandez (à noter qu'il existe un site web qui a été consacré par son neveu et filleul, Charles Tella, à l'œuvre et à la biographie de son oncle ; Garcia Tella était lui aussi anarchiste).

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José Garcia Tella, Massacre, 100x81 cm, 1951, anc. coll. Henri-Pierre Roché

 

     Cela se situe peut-être entre Michel Tapié – premier à écrire sur Hernandez (sous les initiales de "MT" dans le fascicule de 1948 qui fut édité dans le cadre des activités du foyer d'art brut au sous-sol de la galerie René Drouin (place Vendôme), sous le titre Miguel H. (Hernandez), et avant que Dubuffet ne lui consacre à son tour une plaquette en 1949 lors d'une autre expo dans le second local prêté par les éditions Gallimard rue de l'Université à Paris –, cela se situe donc entre Michel Tapié et Robert Giraud qui servait de secrétaire à Dubuffet dans ces années pionnières (Aline Gagnaire aussi fut secrétaire dans ces années-là, peut-être responsable, pour sa part, de la découverte de l'aubergiste Henri Salingardes). On sait qu'il y eut en 48 une période où Dubuffet, ayant décidé de séjourner en Afrique du Nord durant six mois, laissa les rênes de sa jeune collection à Michel Tapié. Celui-ci concevait les expositions comme une activité pouvant s'accommoder de ventes d'œuvres. Et il semble que ses critères de sélection aient été bien plus éclectiques que ceux de Dubuffet, qui le lui reprocha à son retour, se brouillant avec lui et décidant de se passer de ses services (mais pas de ceux de Robert Giraud qui se maintint secrétaire au moins jusqu'en 1951, date à laquelle furent faites des photos de Miguel Hernandez par le grand complice de Giraud, Robert Doisneau ; par la suite les choses se gâtèrent entre Giraud et Dubuffet, le premier finissant par surnommer le second "le cave"...).

 

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Robert Giraud, ph Georges Dudognon, extrait du blog Le Copain de Doisneau.

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Autre fascicule édité par René Drouin en 48 consacré ici à Pierre Giraud, frère de Robert ; dessinateur parfois présenté comme "naïf", il fut exposé dans les débuts de la collection d'art brut, puis largement oublié par la suite ; coll. BM

 

     C'est probablement pendant cette période où Michel Tapié régnait en maître sur la collection que se produisit la rencontre avec Miguel Hernandez. On peut imaginer que c'est par Giraud – grand connaisseur des milieux populaires de la capitale (il fut une sorte de spécialiste du "fantastique social" comme disait Mac Orlan, expert en argot, en clochards, et autres figures insolites de la rue ; par ailleurs auteur de plusieurs livres dont le célèbre Vin des rues qui donna son titre à un bistrot connu sur la Rive Gauche) – que les animateurs du foyer d'art brut de la galerie Drouin firent la connaissance de l'œuvre d'Hernandez.  

     Il semble qu'en 1948, plusieurs passionnés des créateurs de l'ombre allèrent visiter le peintre espagnol dans son petit logement. La vente d'une grande partie de la collection d'André Breton à Drouot en 2003 a fait resurgir ainsi un portrait du poète surréaliste exécuté par Hernandez (en 1952, voir ci-contre), ce qui suppose peut-être qu'il y eut rencontre entre eux.miguel hernandez,josé garcia tella, anarchisme espagnol,guerre d'espagne,art brut,art immédiat,michel tapié,jean dubuffet,andré breton,atelier andré breton, robert giraud, aline gagnaire, l'aracine, galerie rené drouin, Epistolairement parlant, on sait qu'elle eut lieu en tout cas puisque le site web de l'Atelier André Breton a mis en ligne une lettre avec un poème autographe de Miguel Hernandez, ainsi du reste que trois peintures dont le fameux portrait, et une, le Rêve de la Vierge (titre apposé au dos du tableau de la main de Breton, précise le site web) datant de 1947. Breton, à l'époque, était complice avec Dubuffet, on n'en était pas encore à la rupture qui intervint trois ans plus tard en 1951.

     Qui aurait l'audace de réunir tout ce qui est disponible en matière d'œuvres de Miguel Hernandez ?

 

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Enveloppe d'une lettre de Miguel Hernandez à "Andres Breton" en 1949; elle contenait un poème manuscrit de Miguel Hernandez ; extrait du site de l'Atelier André Breton.