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13/08/2025

Le voleur des musées (1)

       Pas mal d'esprits que je juge comme chagrins trouvent pénibles ces visiteurs qui dans les musées ou les expositions multiplient les photos devant les œuvres. Il est vrai que certains paraissent se contenter de cette opération dans l'approche des tableaux ou des statues, ayant un besoin viscéral, dirait-on, d'interposer leur appareil photo entre l'œuvre et leur regard, comme par nécessité d'imposer une interface.

    D'autres procèdent différemment, comme mézigue par exemple. J'opère des ponctions sur les cimaises, je prélève, je "vole" les œuvres qui me concernent, me surprennent, me parlent de préférence aux autres. J'ai donc décidé de commencer sur ce blog à rassembler quelques artefacts qui ont fait l'objet de ma fascination, ou ont simplement attiré mon attention. J'ai en effet multiplié les visites à des musées et expositions tous ces derniers mois.

 

Le musée Daubigny et l'art naïf

     A priori, Charles-François Daubigny (1818-1878), connu pour être un des fondateurs de l'Ecole de Barbizon, ne fait pas partie des peintres qui me séduisent beaucoup. Sa peinture paysagiste très sérieuse, très solide, est même plutôt ennuyeuse, sauf si l'on est des pays qu'il a représentés et que l'on veuille y retrouver des indices et des souvenirs capables de construire l'histoire de ces pays familiers (comme lorsque l'on voit ce paysage d'Auvers-sur-Oise privés d'arbres, datant d'un passé bien moins végétalisé). Son musée est sis à Auvers-sur-Oise où il avait son atelier, que je n'ai pas pu visiter faute d'être tombé le bon jour de visite. Cette maison-atelier recèle des peintures murales, paraît-il, réalisées avec d'autres amis peintres (Corot par exemple) et aussi  des enfants, dont son fils, Karl. C'était cela que j'aurais voulu voir, sans grande conviction non plus. Autre fait que je souhaitais vérifier, c'est pourquoi un département d'art naïf, qui est incrusté dans la collection permanente du musée, ne fait pas l'objet d'une présentation à l'exemple des tableaux de Daubigny. Je savais pourtant, pour l'avoir appris du site internet du lieu, que le musée est avant tout consacré au peintre d'Auvers. Et l'information me fut répétée par la sympathique conservatrice du lieu, Mme Agnès Saulnier-Chemin. La présence de la collection d'art naïf ne peut faire l'objet que de très partielles extractions au gré des expositions temporaires. Comme c'était le cas à l'occasion de l'expo qui se tenait le jour de ma visite, "Âmes animales". Une minuscule salle, un cabinet plutôt, montrait en effet un tableau de Bernard Vercruyce, des gravures de Corneille (qui s'est installé à Auvers et s'y est fait enterrer, non loin de la double tombe des frères Van Gogh) - mais peut-être fais-je une erreur, les gravures en question étant montrées dans une salle précédente ? - et aussi un fort beau tableau d'une inconnue au bataillon des peintres naïfs, Louise Gattet.

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Louise Gattet, Le Salon des chats, gouache sur bois, 1998, musée Daubigny, don de l'artiste ; ph. (compressée) Bruno Montpied.

 

     Cette collection d'art naïf mériterait de faire l'objet d'une exposition complète au moins une fois, en laissant un catalogue disponible après coup pour les curieux. Il existe deux autres peintres intéressants en son sein, André Salaün, mort il y a vingt ans, et Bernard Vercruyce, qui vit je crois aujourd'hui à Auvers, grand spécialiste de la peinture de chats.

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André Salaün, La Chope la nuit, musée Daubigny.

06/03/2018

La "Pinturitas" ou "las grandes pinturas"?

      Un très beau livre d'art et de photographie vient de paraître, édité par un photographe déjà connu pour l'intérêt marqué qu'il porte aux expressions populaires, telles qu'elles s'affirment essentiellement sur les murs : Hervé Couton. Il a exposé jadis de très belles photos de graffiti historiques  à l'Abbaye de Belleperche. Récemment, pour mon propre ouvrage, le Gazouillis des éléphants, il m'a généreusement prêté des photographies qu'il avait prises sur les fresques murales ultra naïves de la peintresse autodidacte de Montauban, Amelia Mondin (1910-1987). Celle-ci était d'origine italienne, et cela préfigurait peut-être la passion qui l'a porté à aller photographier régulièrement les peintures de Maria Angeles Fernandez Cuesta, dite "La Pinturitas" (La "petites peintures", surnom double, singulier/pluriel, comme on le voit, entérinant peut-être une rupture des conventions en matière d'expression, et exprimant aussi adéquatement le foisonnement et le carambolage des figures et des couleurs qui s'étalent, mêlées à toutes sortes d'inscriptions, sur les murs d'un restaurant abandonné, à la sortie de la petite ville d'Arguedas, qu'elle a investi depuis l'an 2000).

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La Pinturitas, Hervé Couton, éditions Alpas (les Amis de La Pinturitas d'Arguedas), février 2018.

 

        Hervé Couton revient ainsi depuis huit ans saisir ce qui a changé, été remplacé, métamorphosé par la dame aux petites peintures. Autant dire que son travail se nourrit d'un dialogue constant avec cette peintre sauvage (au sens de libre, sans contrainte d'aucune sorte, si ce n'est celles qui sont naturellement imposées par le physique, ou la résistance des matériaux). Cela explique pourquoi les bénéfices de cet ouvrage sont annoncés comme devant profiter à Maria Angeles Fernandez Cuesta. Le photographe se sent redevable à la peintresse.

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La "Pinturitas" devant ses œuvres, ph. Hervé Couton, 2014.

 

       La "Pinturitas" peint aussi des tableaux sur panneaux de bois, et s'exerce également au dessin aux crayons de couleur, mais elle me paraît y être moins à l'aise. Son terrain de prédilection reste l'art mural, sur des parois de l'espace public, bien que supports de bâtiment désaffecté, s'inscrivant ainsi dans ce que Laurent Danchin, dans l'un de ses derniers textes, publié aussi dans cet ouvrage, appelle – pourquoi pas? – du Street art brut (muralisme brut, art brut de rue pourraient aussi bien être employés...). Son goût de peindre, de combiner sans cesse ses figures, ses mots, ses couleurs, ses yeux aux cils très marqués, peut s'y exercer à plein. Il y a sûrement là un indice de la manière dont elle préfère s'exprimer, sur l'espace public en un point donné, au cœur de la vie quotidienne, même si – ou parce que – ce point est un espace du rejet, de l'oubli, un trou noir dans le paysage qu'elle investit avec frénésie et gourmandise de couleur. Les peintures ou les dessins qu'elle essaye de produire à côté ne semblent pas lui donner le même plaisir, sa confiance en son geste paraît s'y freiner.

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La "Pinturitas" dans ses œuvres, ph. Hervé Couton, 2010.

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Pour commander le livre (35€), peut-être peut-on donner l'adresse postale des Amis de la Pinturitas d'Arguedas, 23 rue Michelet, 82000 Montauban. Et leur adresse e-mail: <lesamisdelapinturitas@yahoo.fr> ; nul doute qu'on puisse le trouver incessamment à la librairie de la Halle Saint-Pierre, à Paris. Il est aussi à la Fabuloserie Paris, rue Jacob dans le 6e ardt, ainsi qu'à Toulouse (librairies Ombre Blanche, Privat et Terra Nueva) et à Montauban (la Femme renard). Le livre sera disponible par la suite à Bordeaux et Bayonne. On le trouve aussi à Lausanne dans la librairie de la Collection de l'Art Brut, où il voisine du reste avec mon Gazouillis des éléphants...

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J'ajoute que le livre est trilingue (français, anglais, espagnol), qu'il comprend 160 pages couleur et qu'il regroupe, outre un texte et de nombreuses photos d'Hervé Couton, une préface de Sarah Lombardi, directrice de la Collection de l'Art Brut de Lausanne, et un texte de Jo Farb Hernandez, la directrice de l'association Spaces aux USA, par ailleurs grande connaisseuse des environnements spontanés espagnols.

J'ai déjà eu sur ce blog l'occasion de parler, par deux fois, de cette quête d'Hervé Couton, voir ici.