26/08/2007
Ruches décorées de Slovénie, pour la première fois à Paris
C'est paraît-il une première, ce que je crois bien volontiers. Bien cachée cependant au fin fond du jardin du Luxembourg à Paris, à quelques mètres du rucher de ce dernier avec ses ruches aux toits qui ressemblent à des pagodes (c'est leur seule caractéristique du reste, bien pauvre à côté des ruches slovènes), l'exposition des frontons de ruches slovènes à l'intérieur du pavillon nommé Davioud.
Le musée d'apiculture de Radovljica prête, pour un temps trop bref (il va falloir vous précipiter si vous êtes amateurs, l'expo ne dure que du 15 au 30 août, il reste donc 4 jours à partir de cette note... Prêts?... Partez!), plusieurs dizaines de frontons de ruches décorés naïvement (ce n'est pas péjoratif sur ce blog) venus de ses riches collections. Moi qui n'en avais jamais vu autrement qu'en reproduction (principalement dans le livre de Claude Rivals, L'Art et l'Abeille, ruches décorées de Slovénie, essai d'iconologie populaire, édition Les Provinciades, Cahors, 1980), j'ai été surpris en les découvrant. C'est tout petit, la plupart du temps une douzaine de centimètres de large sur une trentaine de long.
Les chercheurs spécialisés sur la question, comme l'auteur du catalogue qui est paru à l'occasion de cette exposition, Mme Ida Gnilsak, ont repéré que le premier fronton peint, une Vierge liée à un pélerinage dans la montagne, datait de 1758 (et donc que le phénomène a commencé au XVIIIe siècle, apparemment à la suite d'un spécialiste de l'apiculture, Anton Jansa) . Voici le fronton à la Vierge :
Mais la plupart des frontons décorés datent de 1820 à 1880. Leur production disparaît avec l'avènement d'un nouveau type de ruche. A les contempler, on retrouve des thèmes religieux et profanes (fifty-fifty) que l'on a déjà vus ailleurs (les thèmes chrétiens sont internationaux).
Quoique... Cette iconographie possède ses thématiques historiques, ses interprétations de certains motifs folkloriques qui lui sont propres (le rapport à l'occupation napoléonienne, la vision des Turcs -qui n'ont fait que de brèves incursions en Slovénie à l'époque de l'expansion de l'Empire Ottoman- les luttes des héros nationaux, les rapports hommes-femmes, etc. Un thème m'a particulièrement intrigué. Plusieurs panneaux mettent en scène des personnages que les chercheurs identifient comme des tailleurs et qui sont aux prises avec un escargot géant qui le plus souvent les met en déroute. Un panneau montre aussi un homme conduisant un gastéropode par une laisse.
Or, vue dans une collection privée, je connais déjà cette image. Un homme portant chapeau à plumet, en bois, de facture très fruste, tient en laisse un escargot (fait d'un méchant bout de bois et d'une vraie coquille d'escargot). Au pied de cette statuette, le mot "Strassburg" est inscrit. Cela veut-il dire que la statuette vient d'Alsace? Peut-être. Et qu'elle illustre elle aussi, comme le fronton de ruche slovène, un thème présent dans le folklore germanique (la Slovénie fut longtemps dominée par les Allemands et les Austro-hongrois)? On aimerait que des lecteurs nous renseignent sur la question...
Les tailleurs faisaient partie, selon Claude Rivals, des corporations d'artisans qui étaient souvent brocardés par les paysans, accusant leurs membres d'être des chétifs et des paresseux, d'où ces satires sur des individus considérés comme si faibles et si peureux qu'un simple escargot suffisait à les disperser. On pense à Chaissac, éphèmère cordonnier sans clients, éternel maladif...
Dans les thèmes populaires fréquents d'un bout à l'autre de l'Europe, on retrouve le thème du Monde à l'envers, avec ces animaux qui conduisent des carrioles tirées par des chiens alors que l'homme se prélasse à l'arrière, ou ces scènes de chasse où ce sont les gibiers qui ont tué le chasseur et le ramènent en procession triomphale.
On retrouve aussi le thème de la "guerre" des sexes, l'image archi courue des "âges de la vie" sous forme pyramidale, des faits divers (les livrets de colportage ont certainement leur importance sur l'inspiration de ces peintres locaux), des motifs xénophobes (méfiance et attitudes timorées du paysan à l'égard des nomades et des vagabonds...).
Ces panneaux avant tout narratifs seront à mettre en rapport avec les coutumes funéraires roumaines (je pense aux stèles sculptées par Stan Ion Patras au cimetière de Sapinta dans le Maramures) et aussi, par leur style, leur dessin, avec les panneaux décoratifs des charettes siciliennes (l'Italie est frontalière).
A signaler qu'à l'occasion de cette exposition, on trouve sur place un catalogue joliment imprimé avec de nombreuses illustrations (Voir ci-dessous).
19:25 Publié dans Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : ruches naïves de slovénie, claude rivals, abeilles, radovljica, monde à l'envers, sapinta | Imprimer