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Rechercher : la maison sous les paupières

Un monde modeste, film sur Arte

     Le dimanche 27 septembre à 23h25 sur Arte, sera diffusé le documentaire de Stéphane Sinde, écrit avec Bernard Tournois, réalisé cette année, "Un monde modeste" (52 min).

Guy brunet, affiche peinte du film Un monde modeste.jpg
Affiche du film réalisée par Guy Brunet

      Consacré essentiellement à l'art modeste - ce concept voulu indélimité et forgé par Hervé Di Rosa, traitant d'un champ de l'art particulièrement vivant et souvent poétique, grosso modo l'art populaire manufacturé, le monde des collectionneurs de bibelots, objets et images publicitaires, le kitsch, etc. - ce film permet d'apercevoir (vite, car l'esthétique du film a fort à voir avec le clip) Guy Brunet dans son décor,La façade de l'immeuble où habite Guy Brunet, catalogue d'expo de l'Espace Antonin Artaud à Rodez, 2008.jpg Joseph Donadello,Joseph Donadello,Rio-Grande, photo Bruno Montpied, 2008.jpg Bernard Belluc et ses installations compulsives, Alfredo Vilchis, l'habitant-paysagiste populaire Yves Floch, "l'Organugamme" de Danielle Jacqui, ainsi que divers médiateurs, Hervé Di Rosa, Bernard Stiegler, et Pascal Saumade (récent commissaire de l'exposition "Kitsch-Catch",Affiche expo kitsch-catch, MIAM de Sète, 2009.jpg qui après une première installation à Lille, s'est déplacée ensuite début 2009 au Musée International des Arts Modestes à Sète, musée dont on voit quelques images fugitives dans le film).Enrique et Gerardo Velez, catcheurs en papier mâché peint à la main, catalogue Kitsch-Catch 2008.jpg

Yves Floch,portrait par Remy Ricordeau, 2008.jpg
Yves Floch au milieu de ses compositions, machines, bidules, personnages en matériaux recyclés et assemblés (Normandie), photo Remy Ricordeau, 2008

      Ce film, que nous avons vu en projection pour la presse (le P.S. ne recule devant rien pour satisfaire ses lecteurs), disons-le tout de suite, ne sert peut-être pas bien la cause de l'art dit modeste. Et encore moins celle des créateurs populaires qu'il nous laisse par bribes superficielles entrapercevoir. Le montage rapide, amusant au début, cherchant à créer l'illusion de la modernité (qui est aujourd'hui assimilée dans une large frange du cinéma documentaire à la vitesse, à l'épate par l'étourdissement, plutôt qu'au temps laissé à la réflexion), devient vite agaçant. Certains créateurs semblent même présentés pour amuser la galerie (Guy Brunet est montré en train de faire un film à partir de ses silhouettes naïves, faisant parler des effigies de cartons comme des marionnettes, le public rigole de tant de naïveté...). On amalgame les plus inspirés (Brunet, Donadello, Floch, Vilchis, Belluc) avec des histrions a priori légèrement hystériques et incohérents (Michel "El coyote" Giroud).

Alfredo Vilchis,ex-voto mexicain.jpg
Ex-voto d'Alfredo Vilchis (expo à la galerie Frédéric Moisan, 2009), photo extraite du livre de Pierre Schwartz sur les ex-voto paru au Seuil (voir le lien ci-dessus)

     De temps à autre des fragments surnagent. Le philosophe Bernard Stiegler (qui sort un livre chez Galilée ces temps-ci) insiste sur l'esprit de résistance à la pensée unique qui se manifeste chez les créateurs autodidactes, ainsi que sur la collectionnite qui caractériserait les travaux et autres objets réunis dans l'art modeste. Un artiste péruvien parle de cette nouvelle forme d'art qu'il pratique - et qui pourrait s'appliquer aussi à l'entreprise de Bernard Belluc - "le collage-archivage". Mais son interview, là comme ailleurs, passe à la vitesse du TGV, on a à peine le temps de le remarquer encore moins de s'en souvenir... Di Rosa, pourtant à l'origine le fondateur du concept d'art modeste, est à peine interrogé. Pascal Saumade, excellent dénicheur de talents populaires contemporains (ex-votos mexicains, imagerie du catch, affiches et portraits naïfs de Guy Brunet, posters faits main pour la publicité de films ghanéens de série Z), fait des apparitions fantomatiques.

Vitrine du MIAM à Sète, figurines collection de Bernard Belluc.jpg
Une vitrine du MIAM apparemment due à Bernard Belluc, figurines de jeu

     Le film  n'est qu'un tourbillon de couleurs et de fragments de phrases qui laisse l'amateur de ces formes d'art profondément sur sa faim. Pourtant le concept d'art modeste mériterait mieux, une collection de petits films (posés) sur chacun de ses domaines. On pourrait pousser plus loin l'interrogation à propos de ses diverses sous-catégories. L'art brut est-il un sous-ensemble de l'art modeste? Le terme de "modeste" n'est-il pas dépréciatif pour des Donadello, des Floch, des Guy Brunet, des Alfred Vilchis? Danielle Jacqui à un moment du film a le mérite d'avoir repéré le bât qui blesse, elle le clame avec netteté: "Je ne suis pas modeste, je fais l'Organugamme"... Jacqui pas modeste, ça, on peut dire qu'elle parle d'or. Il est du reste passablement paradoxal que le Musée des Arts modestes lui ait précisément proposé à elle d'exposer son projet en cours, le Colossal d'Art Brut, initialement projeté pour décorer la façade de la gare d'Aubagne (voir son blog en cliquant sur le lien à son nom).

Danielle Jacqui, détail de sa façade décorée au Pont de l'Etoile (Provence), photo Geneviève Berg, communiquée par J-P. Paraggio, 2009.JPG
Danielle Jacqui, détail de sa maison décorée au Pont de l'Etoile à Roquevaire-en-Provence, photo Geneviève Berg, 2009

      On aurait pu, surtout, laisser parler les créateurs populaires, et laisser de côté les spécialistes de la pensée, si intéressants soient-ils. Mais  peut-être veut-on voir le populo  sous un oripeau décidément trop modeste?

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Aux racines de l'Aracine, expo d'art brut à l'INHA

Madeleine Lommel, extrait du fil de Claude et Clovis Prévost.jpg
Madeleine Lommel devant une sculpture d'Auguste Forestier, extrait du film
 de Claude et Clovis Prévost sur l'Aracine
 (merci à Frédérique pour la capture) 

      La dernière exposition d'art brut concoctée avec la collaboration de Madeleine Lommel ouvre ses portes au public à partir du jeudi 24 septembre prochain. Cela se tient dans les locaux flambant neuf de l'INHA (Institut National d'Histoire de l'Art, établissement, ou département paraissant dépendre de la Bibliothèque Nationale) qui se situent dans la galerie Colbert (dans la salle Roberto Longhi exactement) à Paris,INHA, la galerie Colbert.jpg ce passage rejoignant à une de ses extrémités la galerie Vivienne, vous savez, cette galerie si charmante aujourd'hui infiniment plus distinguée et classieuse (trop même) que du temps où Huguette Spengler, artiste excentrique, y tenait une boutique aux vitrines bizarres toujours envahies d'un décor se réclamant d'un climat fantastico-baroque (qui se souvient encore de cette boutique? Et même Huguette Spengler, je ne sais si je ne me trompe pas de nom... Il m'est revenu à l'heure d'écrire ces lignes, fantôme hantant la mémoire de ces passages si parisiens).

Pépé Vignes,1979,coll.Alain Moreau, ph.Bruno Montpied.jpg
Un dessin aux feutres sur Canson et carton (un aéroplane), 1979, coll. Alain Moreau, ph.Bruno Montpied

     "Les Chemins de l'art brut VIII", c'est le titre de cette manifestation hors-les-murs organisée par le musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq. Elle se veut, semble-t-il, l'occasion de récapituler l'histoire de la collection d'art brut de l'Aracine qui fut longtemps animée, principalement, par Madeleine Lommel, Claire Teller et Michel Nedjar (avec beaucoup d'autres prêtant une aide ou des concours ponctuels et discrets). Un film de Claude et Clovis Prévost devrait être au rendez-vous de l'expo, diffusé sur des postes le long du parcours, faisant témoigner les principaux fondateurs de cette association qui, dotée de faibles moyens, et composée de gens simples, eut cependant le talent de faire entrer sa collection d'art brut dans un musée d'état français en l'espace de seulement vingt ans. Joli tour de force tout de même...

     On sait que cette association, au nom ressemblant à un mot-valise (art-racine, mais aussi simultanément art privé de racines ; peut-être au fond voulait-on parler d'un art avec d'autres racines? Car je crois pour en avoir souvent causé avec elle que c'était plutôt ce sens que défendait Madeleine Lommel), cette association s'est constituée aprés l'exposition des Singuliers de l'art du musée d'art moderne de la Ville de Paris en 1978. Et surtout aussi par suite du départ de la collection d'art brut de Jean Dubuffet pour la Suisse.

Couverture dépliant Les Jardins Barbares, Aunay-sous-Bois, 1982.jpg
Couverture du dépliant édité en photocopie à l'occasion de l'expo de 1982 "Les jardins barbares" ; à noter la coquille sur le nom de la "conceptrice",
Madeleine "Lonné"... épouse fantasmatique sans doute de Raphaël Lonné! 

      La première exposition d'ensemble, "Jardins barbares", eut lieu en 1982 à la Maison de la culture d'Aulnay-sous-Bois dans le 93, où elle fut accompagnée d'une série de projections sur différents créateurs (le mince dépliant qui accompagna l'expo n'a pas gardé trace des documentaires projetés). Je me souviens que Marcel Landreau, dont certains assemblages avaient été prêtés pour l'expo, était présent dans l'auditorium, ainsi que d'autres créateurs de l'art brut. C'était d'ailleurs un des aspects sympathiques des expositions que montait l'Aracine, on pouvait croiser les créateurs qui n'avaient aucune espèce de gloire autre que d'estime au sein d'un cercle restreint de passionnés qui restaient peu nombreux, et discuter avec eux (c'est ainsi que je devins l'ami de certains d'entre eux, comme Gaston Mouly ou Maugri). Il n'y avait pas encore de marché de l'art brut, ni aucune sacralisation.

Hélène Reimann,1893-1987, crayons de couleur sur papier, 21x29 cm, coll. l'Aracine.jpg    Voici les noms de ceux dont on devrait retrouver les travaux au cours de cette exposition:

Aloïse Corbaz, Benjamin Bonjour, Paul Engrand, Auguste Forestier, Georgine Hu, Aimable Jayet, Jules Leclercq, Raphaël Lonné, Dwight Mackintosh, Jean Pous, Guillaume Pujolle, Émile Ratier, Hélène Reimann, André Robillard, Scottie Wilson, Louise Tournay, Pépé Vignes, Josué Virgili, Théo Wiesen, Carlo Zinelli... Certes, des personnages déjà bien connus du petit monde des amateurs d'art brut, souvent exposés par le passé noamment dans le cadre des expos initiées par l'Aracine, mais qui trouvent en cette occasion une éclatante reconnaissance de la part de l'establishment artistique français. On ne peut en effet s'empêcher de constater le contraste qui s'établit entre l'écrin  luxueux de la galerie Colbert et les Peaux d'Anes (ou d'Ours) de l'art brut. Il y a de la revanche dans l'air.

Théo Wiesen,Les Chemins de l'art brut 2 à Villeneuve-d'Ascq, 2002.jpg
Théo Wiesen, exposition "Les chemins de l'art brut 2",
 Musée d'art moderne de Villeneuve-d'Ascq, 2002

 

En lien avec l'exposition, le colloque Une avant-garde en moins ? se tiendra à l'Institut national d'histoire de l'art les lundi 7 et mardi 8 décembre 2009. Ce colloque se propose entre autres questions de débattre de la question de l'intégration de la notion d'art brut à l'histoire de l'art et à l'histoire du goût. La place de l'art brut dans l'art moderne. Suggérons aux organisateurs de ce colloque de se pencher plus généralement sur les relations qui existent entre le corpus des arts populaires dans leur ensemble et celui de l'art moderne.

INSTITUT NATIONAL D'HISTOIRE DE L'ART
GALERIE COLBERT, SALLE ROBERTO LONGHI
6 RUE DES PETITS CHAMPS, 75002 PARIS
WWW.INHA.FR

LES 7 ET 8 DÉCEMBRE, DE 9 H À 10 H 30 ET DE 14 H 30 À 18 H

ENTRÉE LIBRE SUR INSCRIPTION
T. : +33 (0)1 47 03 89 00 / 86 04


  

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22/09/2009 | Lien permanent

La dynastie des Montégudet, inspirés de père en fils (2)

... Nous sommes en 1991. Les statues de Ludovic sont toujours gardées en vrac dans la même grange. Je fais quelques photos à l'époque, assez peu. Le couple ne veut pas qu'on les déplace trop car elles sont devenues fragiles (je prendrais alors cette réticence pour un respect limité à l'égard des oeuvres du père de René, ce qui était tout le contraire...!). Ce sont de fort jolies statues naïves, que je sors dans la cour pour tenter de les photographier avec une meilleure lumière.Ludovic Montégudet,Le Bouc et le Renard, sortis de la grange, disposés en 1991 dans la cour devant la maison des Montégudet, ph.Bruno Montpied.jpg Jean Estaque, à peu de temps de là, obtiendra du couple qu'il prête leurs statues pour l'exposition intitulée "Noblesse du bois" qu'il montera au Moutier d'Ahun en 1992 (deux autres expos furent également montées entre temps en Creuse avec des oeuvres de Ludovic Montégudet, dont une à Guéret). Je rédigerai à cette occasion un petit texte, en guise de minuscule catalogue, Le Luna-Park du pauvre, ou l'Etang Fleuri de Lépinas.Plaquette sur Ludovic Montégudet, Les Amis du Moutier d'Ahun, 1992.jpg

     Vers 1995, René paraît évoluer dans sa relation avec les statues de son père. Il décide de construire, à l'intérieur de sa propriété, dans une dépendance de la maison principale, une salle qui va être entièrement vouée à la présentation des statues, en respectant les sujets tels qu'ils étaient autrefois sur les rives de l'étang, mais qu'il va "scénographier" autrement... D'autant que l'espace est tout de même compté dans cette salle. Il s'agit d'une salle mémoriale, non destinée à être ouverte au public, plutôt visitable dans le cadre de relations amicales avec la famille.

L'Etang-plus-fleuri,-mai-09.jpg
L'étang de Lépinas, état en mai 2009, uniques décors à ses environs, des épouvantails destinés à repousser les chevreuils qui viennent brouter les plants de sapins que l'on veut faire pousser à cet endroit, ph.B.M.

    En la visitant récemment (mai 2009), je penserai à cet autre petit musée privé qu'était celui de Franck Barret à Saint-Philippe du Seignal près de Sainte-Foy-la-Grande dans l'Entre-Deux-Mers, où ce dernier avait organisé dans deux petites pièces un petit théâtre de statues sur des thèmes divers, le Fantôme de l'Opéra, un explorateur face à un gorille, des hommes préhistoriques, un extraterrestre (Ludovic Montégudet lui aussi avait installé un extraterrestre au bord de son étang qui n'a pas été sauvegardé), etc.

Vue du petit musée privé consacré à Ludovic Montégudet, ph.Bruno Montpied, 2009.jpg
Le petit musée privé consacré à l'oeuvre sculptée de Ludovic Montégudet, vu depuis l'entrée, ph.BM, 2009

    René arrange ce musée personnel avec goût, il laisse de la terre au sol, il restaure et modifie parfois certains sujets (la tour de Barbe-Bleue, à l'origine tronc d'arbre mort, et désormais maçonnée en pierres). Il a sauvé ce qui pouvait l'être. On retrouve Roland de Roncevaux à la cotte de mousse jaunie avec son oliphant, le Lièvre et la Tortue, le Lion et le Rat rongeant la corde (une des pièces maîtresses de Ludovic), le Renard et le Bouc, la Coexistence Pacifique (des animaux différents dans un arbre), le Renard et la Cigogne, etc. Il semble bien que le fils, dans cette nouvelle présentation, a accru le côté esthétique des réalisations du père, au départ conçues dans un esprit de loisir. Une évolution se traduit ainsi au sein de cette famille de créateurs amateurs, allant vers une maîtrise et un incontestable savoir-faire.

Musée privé L.Montégudet,Le Lion et le Rat,Le Renard et la Cigogne, la chèvre de Picasso, etc,ph.Bruno Montpied, 2009.jpg
Le Lion et le Rat, derrière, le Renard et la Cigogne,derrière à droite, la Chèvre de Picasso, au sol, un dinosaure...Ph.BM, mai 2009
Musée Montégudet, Roland à Roncevaux, ph.Bruno Montpied.jpg
Roland à Roncevaux... Ph.BM, 2009

     René Montégudet, que son épouse Yvette épaule sans trêve, est bien conscient parallèlement qu'une mémoire de l'Etang Fleuri erre encore autour du site, en Creuse et au delà (notre passage à Jean Estaque et moi-même en 1991 en fut la preuve). On vient leur demander des nouvelles du site. Or, il n'est plus, dans son état d'origine en tout cas. Il décide alors de créer, pour combler cette demande, de créer à son tour un autre point d'exposition de sculptures en plein air. Sur une butte rocheuse située non loin de l'étang, il commence à installer des statues animalières, la première étant un chamois (la date de 1993 est apposée à ses pieds, gravée dans le ciment).

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La butte aux statues animalières, chamois, aigle, renard, loup, sanglier, crocodile, kangourou, singe... ph.BM, 2009

      D'autres vont suivre, réalisées petit à petit, jusqu'à aujourd'hui. René procède avec soin, méticuleusement, pensant soigneusement ses oeuvres avant de les façonner. Il se fait aider par des amis ou des parents pour déplacer à l'aide d'engins les statues pesantes élaborées en ciment sur armature de ferraille. de l'atelier vers la butte. Il les flanque en certaines de leurs parties de morceaux de plomb, comme dans le cas du groin de son sanglier par exemple. C'est que d'aprés lui cela résistera mieux aux intempéries, à l'air libre. Il y a chez lui un souci de faire durer ses oeuvres, souci né incontestablement en voyant les dégradations subies par les statues de son père, conçues au départ dans l'éphémère. René ne l'entend pas de cette oreille, pour ce qui le concerne, conscient qu'il y a là un art qui comme tout autre plus savant et plus reconnu mérite d'être sauvegardé et patrimonialisé.

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Statues de René Montégudet, le loup affronté à un sanglier, ph.BM, 2009
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René Montégudet et son crocodile, ph.BM, 2009
*
Ces articles sont bien entendu dédiés à René et à Yvette Montégudet qui ont eu la gentillesse de nous recevoir et de répondre à toutes les questions que Roland Nicoux et moi-même, ainsi que les adhérents de l'Association des Maçons de la Creuse, leur avons posées en mai dernier. Grand merci aussi à Roland Nicoux pour son infatigable dévouement à la cause de l'art populaire en Creuse...

 

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Luigi Buffo, le retour (Les Amoureux d'Angélique, 2)

     J'avais demandé sur un autre blog, où l'on se contentait de ressortir de vieilles photos du temps passé consacrées à lui (je n'ai rien contre les archives, cela dit), des nouvelles de Luigi Buffo (signant parfois "Lui" Buffo), cet ancien maçon qui avait réalisé un décor de statues en ciment très archaïsantes sur les murs de clôture de sa propriété à Lagardelle-sur-Lèze, non loin de Toulouse, à la fin des années 70 (Jean Teulé avait été le premier à en parler dans son émission de télé L'Assiette Anglaise, puis dans son livre tiré de l'émission, Les Excentriques de l'Assiette Anglaise, en 1989, aux éditions Antenne 2-Du May ; à l'époque dans son texte il dénombrait 400 statues de "bois, cailloux, ciment"...).

Luigi Buffo dans Les Excentriques de l'Assiette Anglaise de Jean teulé, 1989.jpg
Luigi Buffo, l'homme et ses oeuvres, photogrammes du documentaire sur lui extraites de l'ouvrage Les Excentriques de l'Assiette Anglaise de Jean Teulé, 1989 (dans le coin inférieur gauche de ce patchwork photographique, on peut discerner des statues en bois, serrées comme des sardines et accrochées sur un mur)

     Eh bien, les nouvelles sont venues toutes seules, à croire qu'il y a un ange quelque part qui veille sur les hantises, ou un démon (celui de ma curiosité)... En découvrant le petit musée de sculptures et de peintures naïves et brutes des Amoureux d'Angélique au Carla-Bayle en Ariège (voir ma note du 9 août), j'ai eu la surprise, et quasiment la commotion de tomber pour la première fois de ma vie sur des sculptures du fameux Luigi Buffo, conservées dans une salle entièrement consacrée à lui, salle qui est sans conteste la plus impressionante du musée fondé par le couple Boudra (bon, j'arrange l'histoire, en réalité, c'est Pascal Hecker à la Halle St-Pierre qui m'avait indiqué l'air de rien que les Amoureux d'Angélique avaient récupéré l'oeuvre en bois d'un "certain Buffo").

Salle Luigi Buffo au musée des Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Salle Luigi Buffo au musée des Amoureux d'Angélique, Le Carla-Bayle, avec la statue de la Liberté en bas à gauche (couronnée), photo B.Montpied, 2008

     Il s'agit là de sculptures en bois essentiellement, que les Boudra ont récupérées et sauvées il y a un an ou deux, aprés accord avec le nouveau propriétaire du site. Les statues en ciment, suite au décès de la femme de Luigi Buffo qui les avait conservées en l'état jusqu'à ces dernières années, se sont trouvées en effet détruites il y a  peu de temps (vers 2005-2006?). Ne resteraient en fait à Lagardelle-sur-Lèze que trois ou quatre statues, dont un taureau et un personnage assis les mains tendues laissant s'échapper un oiseau... peut-être l'âme de ce site étonnant...? La destruction est intervenue suite au désir des enfants de vendre les lieux et d'y faire place nette. En ce sens, l'oeuvre en ciment de Buffo aura eu moins de chance que celle d'un Charles Billy à Civrieux-d'Azergues dont la maison et le jardin de maquettes en pierre furent rachetées par un particulier qui s'est montré très respectueux du site.

Lui Buffo, quelques statuettes en bois et en ciment, musée les Amoureux d'Angélique, ph.B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, statues en bois et quelques-unes en ciment, dont la plaque d'origine du musée, musée Les Amoureux d'Angélique, photo B.M., juil 2008

     Les statues en bois de Luigi Buffo, selon certains commentateurs (par exemple Jean-François Maurice, la fameuse concierge de l'Art Brut, dans le n°38 du Bulletin de l'Association des Amis de François Ozenda, en 1989 aussi, avec un temps de retard sur Jean Teulé et L'Assiette Anglaise), les statues en bois étaient, paraît-il, au coeur de la démarche créative de Buffo. Il s'en inspirait pour faire ensuite ses statues en ciment, nous dit la fameuse concierge. Elles étaient présentées sous les statues en ciment parfois, à l'ombre... Comme semble le montrer la photo d'Animula Vagula que j'insère ici (prise au début des années 90 ; des statues en bois s'abritent sous un auvent de ciment derrière un des personnages à sombrero).Lui Buffo 2 personnages ph C Edelman.jpg Ou bien dans un local à part, comme semble le montrer la petite photo publiée dans un petit coin du livre de Jean Teulé (voir ci-dessus au début de ma note)... On croit retrouver parmi ces fantômatiques pièces sculptées présentes sur ce photogramme flou, les mêmes pièces que l'on peut voir aujourd'hui au musée des Amoureux d'Angélique, où elles sont présentées de façon légèrement moins serrées qu'à l'origine, semble-t-il, ce qui leur va plutôt bien, j'ai trouvé...

Lui-Buffo,-plusieurs-statue.jpg
Luigi Buffo, Madone à l'enfant et autres pièces en bois, dont certaines datées 1984 (à droite, un personnage avec sabots placés en dessous de sa tête et autres faces fait songer à la disposition des minuscules sabots décorant les affiquets des brodeuses), musée Les Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008

     Bien sûr, les statues en bois ne sont plus dans leur local d'origine, et je n'ai pas eu le temps de demander aux Boudra s'ils avaient connu le site du temps de sa splendeur, et s'ils avaient vu comment Buffo avait situé les oeuvres les unes par rapport aux autres (il semble l'avoir découvert juste au moment où cela était sur le point de disparaître complètement, ils sont intervenus in extremis, exhumant les statues d'un tas de débris prêts à finir au feu... ; un petit film fort émouvant a été tourné sur ce sauvetage). Je ne sais pas non plus si les figures sculptées sont chargées de représenter des personnages précis (j'ai juste reconnu Pinocchio dans un coin avec son grand nez de menteur, une madone  à l'enfant, ainsi que la statue de la Liberté avec une couronne). Telles quelles, elles sont déjà remarquables, archaïsantes, comme réminiscences de la statuaire romane des églises pyrénéennes toutes proches, tout en évoquant des ex-voto gaulois, mas aussi des fétiches africains... Et bien qu'elles aient été déplacées, transplantées, elles gardent intacte leur très grande force.

Luigi Buffo,sculptures musée les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, l'homme et son bétail, souvenir vague de statuettes propitiatoires? Musée des Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008
Luigi Buffo,4 têtes, musée les Amoureux d'Angélique, ph B.Montpied, 2008.jpg
Luigi Buffo, quatre têtes, musée Les Amoureux d'Angélique, ph BM, 2008

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28/08/2008 | Lien permanent

XIes Rencontres autour de l'Art Singulier à Nice

 Affichette des XIes rencontres autour de l'Art singulier à Nice le 7 juin 2008.jpg

 

    J'ai reçu enfin le carton annonçant la nouvelle programmation des excellentes Rencontres autour de l'Art Singulier qui se tiennent sous l'égide de l'association Hors-Champ, animée entre autres par Pierre-Jean Wurtz, une fois par an, généralement à la fin du mois de mai, à Nice, dans l'auditorium du Musée d'Art Moderne et d'Art contemporain. La prochaine rencontre se tiendra donc le samedi 7 juin de 10h à 17h30. Cela fait plusieurs années que cette association s'ingénie à réunir autour de l'art singulier -le terme englobe à leurs yeux tout ce qui relève de l'art brut, des environnements spontanés, voire de l'art naïf, et à l'étranger de l'art outsider- cinéastes, créateurs et amateurs de ces formes d'art marginal dans un climat qui se veut cordial. Ces rencontres furent souvent l'occasion de fructueux échanges de vues entre amateurs divers, de transmissions d'information qui se passent aussi bien dans le cadre de la journée de programmation qu'en dehors, dans les restaurants ou cafés du vieux Nice.

Carton d'invitation aux Xes Rencontres autour de l'Art Singulier à Nice en 2007.JPG
Carton d'invitation aux 10es Rencontres de 2007

    Cette année, on pourra découvrir des films sur Ni Tanjung (cette Balinaise dont on parle dans le dernier fascicule de la Collection de l'Art Brut à Lausanne), sur Joseph Donadello (dont le petit fanzine Zon'Art de Denis Lavaud et Bernard Dattas avait déjà parlé), sur Pya Hug (intrigante créatrice suisse dans un film de Mario Del Curto). Ainsi qu'un film de Guy Brunet (un extrait où ce grand candide raconte à sa façon dans un cinéma documentaire bricolé à la maison l'histoire du festival de Cannes... En présence d'acteurs ou de metteurs en scène célèbres réalisés en silhouettes peintes, voir ma note du 1er mai 08). A voir également, chaudement recommandé par Pierre-Jean Wurtz, un film d'Enrico Ranzanici sur un collecteur de galets de rivière, Luigi Lineri, qui les choisirait pour leurs formes parlantes -ça me rappelle Mme Bassieux à Dieulefit dans la Drôme... Pour le programme complet, voir les photos que j'insère à la suite.

Programme (contenant quelques trucages) des XIes Rencontres autour de l'Art Singulier, association Hors-Champ, Nice 2008.jpg
Programme des XIes Rencontres du 7 juin 2008 (contenant quelques trucages)

    L'association a chaque année la lourde tâche de trouver des subventions pour la réalisation de cette journée et il faut les féliciter d'y arriver depuis onze ans. Une parenthèse ici cependant: est-ce parce qu'ils sont trop obsédés par ces sponsors à dénicher qu'ils finissent par oublier de remercier les amis et les simples particuliers, qui, comme votre serviteur, leur ont proposé des idées de films à passer? Ainsi en va-t-il cette année du film de Jean Painlevé sur le créateur populaire danois Axel Henrichsen que j'avais proposé il y a quelque temps à Pierre-Jean Wurtz (voir la note du 17 février 2008 que j'ai consacrée sur ce blog à l'édition récente en DVD de ce film rare). Comme personne ne songera à opérer cette précision (dont j'ai la faiblesse de penser qu'au lieu de servir ma gloire, elle sert surtout à informer le public sur qui fait quoi), j'ai cru bon de l'ajouter (merci Photoshop) sur le libellé du programme de cette onzième journée niçoise...

détail du programme Hors-Champ 2008 comportant un rajout par nos soins.jpg
Détail du programme (comportant un ajout)

   Je n'en suis d'ailleurs pas resté là, puisque je me suis également amusé à "rectifier" sur ce programme le nom d'un des participants à cette journée, que je ne saurais appeler autrement que "La concierge de l'art brut" depuis qu'il fait circuler sur le net des "mémoires" (au reste assez ridicules) où il me prête des propos mensongers (courts certes mais mensongers et rapportés) dans le plus pur style délateur ou ragots de chiottes (voir le site de la galerie La sardine collée au mur), propos que j'aurais tenus sur des amis à lui. Belle attitude de concierge (de plus chez quelqu'un qui se prétend libertaire...). En conséquence, si je me dois de citer les travaux plus intéressants auxquels ce triste sire participe, lorsqu'il est infiniment mieux inspiré, comme la parution à l'égide de la revue Gazogène qu'il édite du côté de Cahors de numéros consacrés à l'extraordinaire collection de cartes postales consacrées aux environnements spontanés et autres de Jean-Michel Chesné, ou sa participation aux côtés de Chesné à ce XIe festival où ils présenteront un certain nombre d'images fascinantes, je ne saurais le citer autrement que sous ce grotesque vocable (je n'ai rien contre les concierges, sauf quand elles s'avisent de faire les pipelettes ce qui a été souvent leur vocation comme on sait).

en présence de Jean-Michel Chesné et de la concierge de l'art brut (directeur de la revue Gazogène).jpg
Détail du programme (comportant un ajout)

    J'en reviens à ces Rencontres 2008... Les programmations sont conçues aux dires mêmes de leur principal animateur, Pierre-Jean Wurtz, dans la perspective du documentaire avant tout. Point de fictions dans ce festival (et pourtant, il y aurait de quoi faire, car le cinéma s'est emparé plusieurs fois des biographies de créateurs de l'art brut ou de l'art naïf, comme Aloïse, Ligabue, Pirosmanachvili, récemment Hélène Smith...). Les responsables de Hors-Champ  se sont donnés comme règle de choisir des documentaires, et parmi ceux-ci, en priorité les films montrant les créateurs vivants au milieu de leurs oeuvres, les commentant le cas échéant (ce qui explique donc, qu'ils aient dés lors écarté les fictions). La durée des films aussi compte dans la composition de la programmation (et les fictions sont des longs-métrages la plupart du temps). Ceci étant établi, on ne peut que constater, au vu des programmations des onze années précédentes, l'étendue et la richesse du (hors-) champ "art brut et cinéma documentaire". Conscients du fait que l'information a été jusqu'ici par trop confidentielle sur l'ensemble des films montrés à Nice, les animateurs de cette sympathique association ont mis en chantier la publication d'un livre qui devrait réunir toute l'information souhaitable sur les créateurs présentés depuis onze ans dans le cadre de leurs festivals. On devrait y retrouver par la même occasion nombre d'acteurs de la médiation de ces créateurs. L'ouvrage serait prévu pour cet automne, à ce que je crois savoir...

 

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André Robillard fait du théâtre

 

    Etonnante nouvelle que vient de me couler l'amie Frédérique M. (avertie elle-même par Clovis Prévost qui depuis quelque temps "suit" André Robillard) dans le creux du portable, forme moderne de bouche à oreille, j'apprends qu'André Robillard fait du théâtre à présent... Il va participer au spectacle d'Alexis Forestier, "Tuer la misère" au Théâtre de la Bastille, mercredi 4 juin à 20h30 en compagnie d'Alexis Forestier, Emma Juliard, Charlotte Ranson, et Antonin Rayon. Si vous ne me croyez pas, regardez vite la rubrique Tous les programmes sur le site du théâtre... Je sais pas vous, mais moi, qui n'aime pas trop le théâtre généralement, je vais faire un accroc à mes habitudes. On n'est plus dans l'adaptation de quelque chose de l'art brut au théâtre, là... Il se passe autre chose.

André Robillard, deux assemblages et un dessin, collection l'Aracine, exposition Les chemins de l'Art Brut 6 à St-Alban-sur-Limagnole, ph B.Montpied.jpg
Des travaux d'André Robillard présentés aux Chemins de l'Art Brut 6 au Château de St-Alban-sur-Limagnole en 2007
 
 André robillard dans le film de Claude et Clovis Prévost, Visites à André Robillard, 2007.jpg
 
André Robillard, dans le film de Claude et Clovis Prévost, Visites à André Robillard qui était présenté en 2007 à St-Alban-sur-Limagnole (merci à Frédérique pour le travail de transmission)

   Les organisateurs de cette pièce -c'était en germe dans le spectacle de Sylvie Reteuna et de Bruno Decharme aux Rencontres de la Villette (voir note du 28 mars 2008), puisque les acteurs déambulaient parmi des oeuvres d'art brut de la collection ABCD- les organisateurs du spectacle ici mentionné ont cette fois fait monter un créateur de l'art brut directement sur scène.

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Jeudi 5 juin

   Retour sur la soirée du 4 au Théâtre de la Bastille. "Tuer la misère" a finalement bien tenu la promesse de son titre. Si l'on entend misère par misère morale et intellectuelle. Et cela surtout grâce à l'incroyable énergie inspirée d'André Robillard incarnée sur scène par des sketchs, des danses, des  performances vocales (j'aime particulièrement quand il parle dans un allemand de nazi bouffon, ou bien en langue martienne, talent qu'il partage avec Hélène Smith qui l'écrivait, elle... ), certes incrustés dans une mise en scène, et téléguidés, accompagnés par les autres comédiens de la compagnie. Robillard collabore avec eux -c'était évident pour le public-  dans un esprit de camaraderie sans chichis, qui n'aliénait pas l'énergie propre à ce curieux visionnaire, mixte de prolo et de pythie... Et je me suis dit que d'ailleurs, cette énergie robillardienne a sans doute besoin de ce cadre et de ces contraintes, de ces régles de mise en scène pour avoir le tremplin réactif nécessaire à l'essor de ses récréations.

   Le plateau était semé d'oeuvres de Robillard sur bois (faites exprès pour le spectacle), ainsi que des fusils, un balai, de divers objets (des cages avec ses perruches qui ne peuvent guère rester à la maison sans lui, paraît-il). Spectacle qui a commencé à La Roche-sur-Yon, puis s'est déplacé à La Fonderie au Mans avant de s'arrimer au théâtre de la Bastille à Paris. A la fin, Alexis Forestier invita du reste  le public à monter sur scène afin de mieux s'approcher de ces oeuvres (déambulation peut-être inspirée du concept de spectacle récent d'ABCD aux Rencontres de la Villette?). 

    Les jeunes gens qui entourent Robillard ne le vampirisent pas, ne se servent pas de lui, comme on pourrait être tenté de l'interpréter dans un premier temps (surtout au début du spectacle qui, hier soir, avait du mal à "décoller" dans sa première moitié). Robillard est au coeur d'une représentation qui ne cache pas ses ficelles, ses rouages, ses réglages. Le bricolage est une donnée importante en l'occurrence. Il était juste qu'il soit représenté lui aussi sur scène. Robillard a une énergie créatrice (à 76 ans...) et une inventivité, une fantaisie rugueuse qui contamine ces jeunes gens, et les stimule. Cette émulation amène progressivement la pièce à tourbillonner de façon bouffone et poétique, d'une façon qui finit par nous enchanter et peut-être aussi par nous contaminer à notre tour, nous autres simples spectateurs...

    Une dernière remarque. Robillard, on le sait grâce au texte merveilleux de Roger Gentis, paru dans le fascicule 11 de la Collection de l'Art Brut en 1982, avait un père garde-forestier à côté duquel il allait à la chasse en forêt d'Orléans. C'est un médecin appelé Renard qui  a fait connaître ses oeuvres à la Collection d'Art Brut... Lorsqu'il est allé visiter la fameuse Collection à Lausanne, Gentis rapporte que Robillard s'était en particulier arrêté sur les sculptures d'Auguste Forestier exposées à côté des siennes. La série continue: pourquoi s'étonner qu'il ait participé à une telle expérience théâtrale, dés lors qu'elle était animée par, entre autres maîtres d'oeuvre, un certain Alexis Forestier...?

 

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René-François Gregogna, l'Anartiste

    Je parlais de classiques de l'art singulier dans ma note récente sur "l'été des expositions". On pourrait aussi parler de ses"ancêtres", si le terme n'avait pas quelque chose de légèrement offensant.

    Bien sûr on connaît Chaissac, qui avec son "art rustique moderne" n'était pas loin des créateurs que l'on peut regrouper sous l'étiquette singulière. Il y  a eu aussi Michel Macréau, étonnant peintre en marge du monde des arts, en dépit d'un talent indéniable qui aurait dû lui ouvrir les portes des galeries, des institutions muséales de son vivant, et le faire exposer davantage sur un plan international. Ce dernier fut actif des années 60 aux années 90, et fut certes associé à la Figuration Narrative, déclaré également précurseur dans les années 60 de la peinture de graffiti (il est proche cousin d'un Basquiat), mais son parcours marginal dans l'art contemporain le fait aussi rapprocher de certains grands individualistes que l'on classe faute de mieux du côté des "singuliers". Créateurs dénommés ainsi après l'exposition des Singuliers de l'Art (1978) au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. L'expression, on le sait, au départ cherchait à englober aussi bien les environnementalistes que les bruts, ou les créateurs contemporains indépendants et semi-professionnels. Avec le temps, les festivals d'art singulier fleurissant dans les petites villes, le terme en est venu à désigner essentiellement les créateurs contemporains marginaux recourant à des techniques artistiques d'autodidactes, s'exprimant dans un langage primitivisant ou imaginiste. Le mot peut ainsi devenir plus ou moins synonyme de "création franche" ou de "neuve invention" (les cas-limites aux portes de l'art brut).

     Parmi ces Singuliers, il existe un autre précurseur, René-François Gregogna, actif à Sète, Frontignan et Pézenas depuis quatre décennies.Gregogna photo par Didier Leclerc, site atelier n89.jpg Un peu comme Jean-Joseph Sanfourche dans le Limousin, Jacques Reumeau dans la Mayenne, ou encore Elie-Séraphin Mangaud en Vendée (un ami de Chaissac celui-ci, et bien méconnu),etc... (Il doit y avoir des créateurs indépendants et inclassables dans toutes les régions). Né en 1926, résistant pendant la guerre, ayant été profondément marqué par le sculpteur naïf/brut ardéchois Alphonse Gurlhie (dont Jacques Brunius paraît faire mention dans son film de 1939 Violons d'Ingres), alors qu'il n'avait que huit ans,Alphonse Gurlhie,le pêcheur-chasseur à cheval sur un renard, ciment armé, Maisonneuve, Ardèche, ph Bruno Montpied,1994.jpg auteur de diverses expériences artistiques dès 1958 dans la région sétoise (mais aussi un temps en Touraine et en Allemagne, entre 1978 et 1983), souvent accompagnées de scandales et de vandalisme (il est fort connu pour avoir peint en 1978 et 1979 les rochers de deux digues situées à Sète et à Frontignan sur plus de 2000 m2, digues qui toutes deux se trouvèrent détruites), Grégogna est un personnage attachant, aux allures de dandy méridional, un créateur inégal et inventif en même temps, qui ne suit que son désir, et son inspiration... Seules comptent la liberté, la poésie, la surprise et la satisfaction de l'artiste. Son oeuvre réside aussi dans sa conduite de vie. Sa biographie (que l'on peut trouver sur le site de l'atelier photographique de Didier Leclerc où l'on trouve d'excellentes photos comme celle que j'insère ici) et le film qu'Anne Desanlis (qui a aussi collaboré au film Le Dernier des Immobiles, consacré au poète Matthieu Messagier) a réalisé sur lui le montrent avec éclat.

Gregogna carton d'invitation au film d'Anne Desanlis à Paris en 2007.jpg
Projection du film d'Anne Desanlis à Montmartre en 2007

    Grégogna a probablement exercé en outre une influence non négligable sur les tenants de la Figuration Libre notamment à travers les frères Di Rosa, dont l'un deux, Hervé, a créé en sus de son oeuvre un Musée international des Arts Modestes, installé à Sète, dont les conceptions ont des relations avec l'esprit primesautier d'un Gregogna justement. L'actualité permet de se faire une idée de l'oeuvre de Grégogna puisqu'il expose à deux adresses cet été.Gregogna, deux statuettes, extraites du site web de FiestaSète.jpg La Maison des métiers d'art de Pézenas expose les "laines de l'anartiste" du 28 juin au 30 septembre 2008 (tél: 04 67 98 16 12), des oeuvres textiles donc (l'artiste a fortement tendance à pratiquer toutes sortes de techniques par ce goût de l'expérimentation qui est un autre masque de son goût pour les diverses situations de la vie). Dans le cadre de la manifestation FiestaSète, se tient également une expo Grégogna, "Tout vient à point, à qui sait m'attendre". Vernissage le 11 juillet. Du 11 juillet au 30 sepembre 2008, Espace Félix, 2, quai Général Durand, Sète (04 67 74 48 44 et http://www.fiestasete.com/, site où il faut précisément chercher ce texte sur Gregogna).

Affiche de FiestaSète 2008, Gregogna et Cervera.jpg
Affiche de FiestaSète 2008, René-François Gregogna et André Cervera 

   

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Cités singulières (chemins de l'art brut VII) à Lille, mais hétérotopies à Francfort

     Le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq et la Maison de l'Architecture et de la Ville du Nord-Pas-de Calais organisent une exposition sur le thème de l'architecture et l'urbanisme tels qu'ils se reflètent dans les collections de l'Aracine ainsi que dans une collection d'art brut privée. Cela constitue la septième mouture des "Chemins de l'art brut". C'est prévu du 2 septembre au 1er novembre prochain (vernissage le 9 septembre) à Lille . Les créateurs représentés (par une cinquantaine d'oeuvres, sculptures ou dessins) sont ACM, Paul Duhem (pourtant ses villes doivent se résumer à des portes...), Paul Engrand, Désiré Geelen, Frank Jones, Titus Matiyane, Helmut Nimozewski, Willem Van Genk (ses gares, ses imperméables...) et Théo Wiesen (j'ai une petite préférence pour les "totems" de celui-ci).

Théo Wiesen,Chemins de l'Art Brut II, MAM de Villeneuve d'Ascq, 2002, ph B.Montpied.jpg
Salle consacrée à Théo Wiesen aux Chemins de l'Art Brut II en 2002 dans l'ancien Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq, ph B.Montpied

     Le film de Claude et Clovis Prévost sur le facteur Cheval sera diffusé durant l'exposition. En effet, associer au thème de l'exposition les environnements spontanés paraît fort logique. L'idée est légèrement poussée plus loin dans l'expo. Un diaporama diffusé sur place évoquera au delà des sites du facteur Cheval et de l'abbé Fouré d'autres cas d'"habitants-paysagistes" (terme inventé par Bernard Lassus). Le concept de l'expo paraît se focaliser avant tout sur la dimension utopiste et onirique des visions architecturales propres aux créateurs des collections présentées (en dehors de celle de l'Aracine, on annonce une collection privée extérieure). Savine Faupin, sur le site de la MAV de Lille rappelle cependant que le Musée d'Art Moderne de Villeneuve d'Ascq mène une recherche sur la conservation des sites en collaboration avec le CNRS (mais on aimerait cependant savoir quels travaux ont été ajoutés à la suite de la journée sur les sites environnementaux spontanés du 10 décembre 2005 -où entre parenthèses eurent lieu, en marge, de belles rencontres entre amateurs des sites, n'est-ce pas Signor Belvert?). Elle ajoute, sur le même site, cette information qu'il y aura après la réouverture du nouveau Musée d'Art Moderne une grande "exposition transversale" intitulée "Habiter poétiquement" qui traitera plus amplement du thème de l'habitat à travrs les trois composantes des collections du Musée, l'art moderne, l'art contemporain et l'art brut (il va donc falloir s'habituer à ce genre de confrontations à Villeneuve d'Ascq...). Parmi les créateurs présentés à l'exposition, Théo Wiesen est le seul exemple d'environnementaliste spontané, avec ses totems étranges qu'il avait installés dans l'allée qui menait à sa scierie. Les deux photos que j'insère ci-dessus et ci-dessous montrent ceux qui avaient été déjà présentés en 2002 à Villeneuve d'Ascq dans Les chemins de l'Art Brut II.

Theo Wiesen, Les Chemins de l'Art Brut II, MAM de Villeneuve d'Ascq,2002, ph.B.Montpied.jpg
Théo Wiesen, détail d'une barrière sculptée, Les Chemins de l'Art Brut II, 2002, MAM de Villeneuve d'Ascq, ph.B.M.

    Architecture et urbanisme dans l'art brut sont dans le vent en ce moment puisque se terminait ce week-end à Francfort sur Main en Allemagne, au Musée Allemand d'Architecture, une autre expo intitulée Heterotopia. Arbeiten von Willem Van Genk und anderen (Hétérotopies, Oeuvres de Willem Van Genk et autres, du 31 mai au 24 août 2008), expo réalisée en collaboration avec le musée du Dr. Guislain situé à Gand en Belgique. L'idée de la manifestation était d'emprunter à une conférence de 1967 de Michel Foucault (intitulée "Espaces autres") la notion d'"hétérotopie". Ce dernier définissait ainsi des espaces concrets hébergeant l'imaginaire, comme autant de localisations physiques d'espaces utopiques. Il englobait là-dedans aussi bien les cabanes d'enfants, que les parcs de loisirs, les cimetières, ou les asiles. Lieux qui pouvaient constituer un négatif ou une marge de la société. Il aurait pu y joindre les environnements créés par les autodidactes de tous poils qui font notre bonheur ici sur ce blog, entre autres.

Gérard Van Lankveld,Place de la Victoire, 1982-1984, Boîte à musique, collection Fondation Monera, Musée du Dr.Guislain, Gand, expo Heterotopia, Francfort 2008, ph. Piet Kuppens.jpg
Gérard Van Lankveld, Place de la Victoire, 1982-1984, boîte à musique, expo Heterotopia, collection Fondation Monera, Musée du Dr.Guislain, Gand, photo Piet Kuppens, Gemert, Pays-Bas

    Je n'ai pas vu cette dernière exposition, mais seulement le catalogue (trouvable à la Halle St-Pierre ; bilingue allemand-anglais).Heterotopia,catalogue de l'exposition au DAM de Francfort en 2008.jpg Si je n'apprécie que très peu les dessins de Van Genk (son usage de la couleur me repousse, ce qui on le comprendra ne prétend de ma part à aucune objectivité), j'ai été fort intrigué par plusieurs cas présentés dans cette expo, notamment ceux de Gérard Van Lankveld, qui paraît avoir créé un état imaginaire de Monera borné à sa seule personne et à ses productions, d'étranges maquettes de monuments-objets conservées au Musée du Dr.Guislain à Gand, et de Hans-Jörg Georgi et Stefan Häfner, ces deux derniers ayant semble-t-il en commun le goût de confectionner des maquettes de villes bizarroïdes qui comme dans le cas de Häfner font parfois fortement penser à une sorte de ville situationniste, type New Babylon, passée à la moulinette d'un cyclone spécialiste en déboîtages...

Stefan Häfner,Zukunfstadt I-III, DAM,Francfort, expo Heterotopia, ph.Thomas Spier.jpg
Stefan Häfner, Zukunftsstadt I-III, 2000-2005, matériaux divers, Deutsches Architekturmuseum, Francfort et exposition Heterotopia, photo Thomas Spier, Berlin

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24/08/2008 | Lien permanent

Un endroit où vivre (suite)

   J'ai donc vu Somewhere to live, film de Jacques Brunius qui paraît à l'évidence un film de commande. Il fait partie d'un ensemble de films sur les travaux de reconstruction de l'Europe des années 50 (plan Marshall), avec le dernier film d'Humphrey Jennings The good life, tourné en Grèce où cet auteur trouva la mort.

   Le film de Brunius a en gros deux parties, la première qui montre dans des images aux couleurs passées qui vont bien aujourd'hui à l'évocation de ces époques les ruines de Caen juste après la guerre, et qui font un peu penser aux images du Montmartre lépreux que l'on aperçoit dans le film d'un autre ami des frères Prévert, Roger Pigaut, Le Cerf-volant du bout du monde (film pour la jeunesse ayant gardé aujourd'hui toute sa fraîcheur, encore vivement apprécié des enfants contemporains), et une deuxième partie où l'on doit dire que l'on ne retrouve plus du tout le Brunius de Violons d'Ingres, amateur de bizarreries et de singularités. Le film se termine en effet dans un vibrant hommage aux cités et aux barres que l'on édifiait en masse pour résoudre au plus vite la crise du logement dans ces années d'après-guerre, dressant en même temps sous le ciel un autre décor de misère, plus morale celle-là (que dénoncèrent assez vite situationnistes et libertaires de tous poils dans les années 60 et 70).

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  Cette deuxième partie a un côté "lendemains radieux qui chantent". Brunius était-il partie prenante de ce lyrisme? Peut-être n'y voyait-il qu'un inconvénient mineur, si l'on songe au documentaire de ses amis Prévert, comme le magnifique Aubervilliers, qui dénonçait l'insalubrité et la misère des logements ouvriers de la banlieue nord...Ce que Brunius approuvait certainement, lui qui avait fait partie du mouvement d'agit'prop à la française qu'était le Groupe Octobre... Mais peut-être en définitive,  était-il avant tout bridé par ses commanditaires...

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   On le retrouve davantage dans la première partie du film, plus primesautière, plus poétique malgré le ton sérieux de la bande-son et du commentaire. Brunius prête sa voix, de façon fugace, à ce commentaire qui prend dès lors un rythme plus gouailleur et plus humoristique (hélas, l'intervention est courte). Sous prétexte de nous montrer les ruines de Caen (impressionnantes images historiques et je gage assez rares de cette époque ; on voit aussi à un moment  les ruines de St-Malo...), la caméra se promène vers d'étranges modes de logement alternatifs mis en oeuvre par les habitants en attente de logements plus confortables (et architecturalement plus normés aussi). On voit une baraque improbable construite sur des moignons de château, cabane que son habitant baptise du coup "château" avec dérision, et esprit de détournement sûrement aussi. On découvre des maisons venues en kit de plusieurs pays d'Europe qui dotaient alors la France de toits bigarrés et d'architectures hétéroclites, reflétant différents styles nationaux.

    La musique du film prend un tour excentrique à un moment. Brunius fait intervenir la mélodie du Troisième Homme de Carol Reed, avec son air fameux à la cithare, et souligne que c'est un peu, après-guerre, l'hymne de l'Europe en train de se reconstruire. Pour illustrer le propos le cinéaste fait jouer  le fameux air à un sonneur de biniou en costume traditionnel breton sur fond de ruines, la musique célèbre se déforme alors étrangement... Court -et fort rare!- moment de surréalisme musical pour le coup (on sait que la musique et le surréalisme ont rarement fait bon ménage)... Certes, le film ne fait pas l'éloge de ces habitats éphémères, puisque le propos de ses commanditaires insiste avant tout sur l'appel à une reconstruction plus massive, et à une justification de la demande de subventions américaines dans le cadre du plan Marshall, mais en filigrane, il est possible de deviner un propos autre de Brunius, favorable par dessous à ces habitats originaux nés de l'adversité.

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   Du coup, le film prend un aspect intriguant du fait de ce double niveau de langage. Un autre intérêt se trouve également à rechercher du côté de son montage alerte en courtes images successives, ce qui paraît une marque caractéristique du style cinématographique de Jacques Brunius.

    Ce film repasse à la Cinémathèque à Paris samedi 17 novembre à 17h.

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13/11/2007 | Lien permanent

La photographie inventive à travers la carte postale de fantaisie, une expo parisienne que vous ne devriez pas manquer

   "La photographie timbrée, l'inventivité visuelle de la carte postale photographique, à travers les collections de cartes postales de Gérard Lévy et Peter Weiss", tel est le titre exhaustif de l'exposition consacrée à la carte postale fantaisie au Jeu de Paume site de l'Hôtel de Sully, prévue pour durer du 4 mars au 18 mai 2008 et organisée conjointement avec le Museum Folkwang d'Essen en Allemagne. Le commissaire de l'exposition est Clément Chéroux, qui avait déjà collaboré à des expositions fort curieuses comme Le Troisième Oeil, la photographie et l'occulte, qui s'était tenue en 2004-2005 à la Maison Européenne de la Photographie à peu près dans le même quartier que l'Hôtel de Sully, à Paris (exposition sur la photographie de fantômes, d'esprits ou de matérialisations (ectoplasmes) venues soi-disant de l'au delà...).  Il est également l'auteur d'un petit livre paru naguère chez Actes Sud sur la photographie chez Auguste Strindberg.

Couverture du catalogue de l'exposition La Photographie Timbrée au Jeu de Paume.jpg

Détail d'une des cartes postales figurant sur le catalogue de La Photographie Timbrée.jpg

    C'est dire l'intérêt de ce chercheur pour les formes bizarres de la création photographique. Plaçant son travail sur les cartes postales de l'époque 1900 sous les auspices d'une tendance récente de la  réflexion sur la photographie qui "consiste à interroger [cette dernière] en fonction de son support de diffusion", Clément Chéroux profite de cette exposition pour montrer les relations très fortes qui unirent les créateurs souvent anonymes des photographies de cartes postales avec différents artistes d'avant-garde, comme les dadaïstes (Hannah Höch) ou les surréalistes, dont Paul Eluard. Le Musée de la Poste, il y a quelques années (en 1992-1993),  avait déjà présenté, parmi d'autres collections de cartes postales, celle qu'avait amassées ce dernier entre 1929 et 1932 (voir le catalogue de l'expo "Regards très particuliers sur la carte postale", avec un texte de José Pierre sur la collection Eluard où il rapproche la passion des cartes postales de la recherche du poète qui devait l'amener à son anthologie poétique de 1942 où il mettait en parallèle ce qu'il appelait la "poésie intentionnelle" -la poésie des écrivains- avec la "poésie involontaire" -la poésie populaire ou de ready-made, les littératures orales, etc.).

Paul Eluard, André Breton, une inconnue et Valentine Hugo
Photo-carte de studio, extraite du catalogue de l'exposition "La Photographie Timbrée"

    La carte postale a été le premier support permettant de diffuser en masse la photographie vers un vaste public, il n'est pas étonnant d'apprendre que les surréalistes (notamment Georges Hugnet) songèrent à éditer leurs oeuvres et l'expression de leurs recherches sous forme de série de cartes postales. Ce qui nous enseigne que les surréalistes de l'époque furent soucieux d'organiser la diffusion de leur poétique d'une façon qui permettrait d'atteindre le grand public (sans passer par un diffuseur centralisé qui n'existait pas encore alors et dans une société du spectacle qui n'en était qu'à ses balbutiements).

Photographe amateur inconnu, Royaume-Uni, 1909.jpg
Carte de photographe amateur inconnu, Royaume-Uni, 1909, exposition "La Photographie Timbrée" (personnellement, je n'arrive pas à identifier ce que ces individus font là, rassemblés avec ces têtes déformées -à l'exception des deux personnages à gauche au deuxième rang, qui sont peut-être les auteurs de cette farce ; réunion de chasseurs? De sportifs? Quel est l'instrument , ou l'outil, qu'ils tiennent dans leurs mains, mixte d'épuisette, de raquette, et de battoir de cricket...?

    L'exposition présente un certain nombre de cartes postales dites "fantaisie", genre choisi en raison de l'imagination dont elles faisaient preuve en recourant à de multiples techniques nécessaires pour permettre de tenir en haleine l'intérêt du public (un grand choix de ces dernières est proposé dans le très beau catalogue qu'il ne faut pas manquer d'acquérir). Elles sont regroupées en trois sections: les cartes postales produites par des éditeurs, celles produites par des studios photographiques (par exemple les fameux portraits de groupe dans des décors où les clients passaient la tête, voir la carte avec les têtes d'Eluard et de Breton ci-dessus...), et enfin les cartes produites par des amateurs, encouragés par l'industrie photographique de l'époque qui mettait à leur disposition des papiers au format cartes postales sur lesquels ils pouvaient coller leurs propres réalisations.

     C'est ainsi qu'on peut découvrir toutes sortes de récréations visuelles, insolites souvent mais non dénuées parfois de vulgarité, ou d'un certain sentimentalisme, dérivant d'une culture de masse voguant au ras des pâquerettes (la facilité n'étant bien entendu pas toujours absente des goûts populaires, nos médias actuels l'ont compris depuis longtemps en surfant sur les plus petits communs dénominateurs de leurs différents publics). Cette vulgarité prend parfois des aspects humoristiques à interprétation immorale comme dans le cas de ce légume terriblement sexué où passe l'écho de l'esprit carnavalesque et rabelaisien.

        carte italienne, vers 1903, expo la Photographie Timbrée, Jeu de Paume,2008.jpg      Carte éditions A.Chambaud, France, vers 1920.jpg
Deux cartes exposées au Musée du Jeu de Paume 

    On y aime aussi beaucoup les décapitations, le décapité portant son chef sur un plat ou au fond de son panier. Les dédoublements, les permutations entre les sexes, les disproportions, les déformations (bien avant les distorsions d'un Kertesz), les formes grotesques se font nombreuses aussi, parfois en écho à des traditions présentes dans l'imagerie populaire et le folklore depuis bien plus longtemps que l'invention de la photographie. Je pense à cet ensemble de trois cartes postales illustrant à l'évidence le thème du "Monde à l'envers" que les anciennes gravures sur bois avaient déjà passablement mis à l'honneur dans les siècles précédents, ou bien à ces cartes esthétiques traitant des proverbes ou des expressions populaires, relatives au "panier percé", aux "poires", au "rasoir", aux cornes (de cocus), etc.

Cartes postales années1900, expo La Photographie timbrée, Jeu de Paume, 2008.jpg

     Les photomontages y règnent en maîtres, bien avant John Heartfield et les dadaïstes ou surréalistes, prophétisant avant la date les inondations de Paris en 1910 et créant par des rapprochements hétéroclites (la mer aux pieds de la Tour Eiffel) une poésie du détournement et de l'utopie urbaine qui précède d'un demi-siècle les embellissements surréalistes ou situationnistes de Paris (par exemple).

Carte vers 1920, expo la Photographie timbrée, Jeu de Paume, 2008.jpg
Editeur inconnu, vers 1920, exposition La Photographie timbrée, Jeu de Paume 
carte postale anglaise, J.M.Flagg, 1913.jpg
Carte postale anglaise, 1913, illustration de J.M.Flagg, extrait du livre L'Oeil s'amuse, Illusions d'optique, rébus, images cachées...de Julian Rothenstein et Mel Gooding aux éditions Autrement, 1999

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