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Jacques Reumeau, par Jean-Louis Cerisier (1)
Jacques Reumeau, cela fait des années que j'en entends parler par un ami peintre lavallois, Jean-Louis Cerisier, qui le connut dans les années 70 et 80 comme d'autres jeunes gens dans cette bonne ville qui fut le berceau de plusieurs peintres naïfs et singuliers, au premier rang desquels le fameux Douanier Rousseau bien sûr, mais aussi, Henri Trouillard, Jules Lefranc, puis pour les Singuliers, Robert Tatin, Alain Lacoste, Sylvie Blanchard, et Jacques Reumeau, cet artiste vagabond, semi clochard, à l'œuvre diverse, inégale, hétéroclite d'où émergent cependant de nombreuses pépites, conservées comme la majorité de l'œuvre (voir le texte de Cerisier ci-dessous) au musée du Vieux Château à Laval, musée qui vient de commencer une mue spectaculaire de l'art naïf à l'art singulier (l'art naïf qu'il possède restant présent bien entendu, puisqu'il s'agit d'une collection de réelle qualité bâtie autour de celle qu'avait commencée Jules Lefranc et qui servit de fondation et de racine à l'essor de la collection ; je rappelle que ce musée a ouvert ses portes au public en 1967). Il faut ajouter que la Sarthe voisine contient d'autres créateurs singuliers ou bruts tout à faits frappants, comme François Monchâtre, Gaston Floquet (voir l'article sur lui par Eva Prouteau dans le récent numéro de 303 sur l'art brut, outsider, modeste), Fernand Chatelain et Emile Taugourdeau. Sans compter que dans les générations actuelles sont apparus des créateurs tout à fait originaux comme Jean-Louis Cerisier justement, ou Serge Paillard, voire Patrick Chapelière et Joël Lorand (un non natif lui pour le coup), qui tous ont un lien avec la figure de Jacques Reumeau, cet artiste qui un jour abandonna l'usine pour se consacrer corps et âme à la peinture (comme le signalait la notice du catalogue de l'expo "De face et de profil" en 1984 au musée de Laval).
Jacques Reumeau, Les coqs mangeurs de champignons, pastel sur papier, sans date, 95x75 cm, Musée d'art naïf et d'art singulier du Vieux-Château, Laval
Jean-Louis, comme il l'explique lui-même ci-après dans ce texte inédit datant de 2007, se consacre régulièrement à restituer la mémoire de cet artiste atypique, véritable figure de la vie artistique lavalloise (patrie également d'Alfred Jarry).
"Pour que Reumeau ne meure
Jacques Reumeau est décédé il y a 20 ans, le 29 juin 1987, à l’âge de 38 ans. Je voudrais, à l’occasion de cet anniversaire¹, revenir sur la destinée posthume de son œuvre. Le peintre a mis sa vie au service de sa création, engagement total lié à un désir de reconnaissance, lui-même né d’un sentiment d’abandon ressenti par le peintre dans son enfance.
Reumeau a commencé à effectuer des donations au Musée de Laval, alors dirigé par Jean-Pierre Bouvet². Le conservateur du musée et le suivant Charles Schaettel ont montré curiosité et intérêt pour l’œuvre et l’ont accueillie favorablement, ce qui a rendu possible la décision finale de l’artiste de léguer par testament la totalité de son œuvre au musée. Les idées d’éparpillement, de disparition et d’oubli hantaient l’artiste à la fin de sa vie.
L’amitié et la confiance qu’il m’avait témoignées le poussèrent à me faire promettre de ne pas laisser son nom et son œuvre tomber dans l’oubli. Après sa mort, j’ai mis toute l’ardeur nécessaire à la publication d’un article dans la revue 303 (« Jacques Reumeau, peintre mayennais », n° XXXIX, 1993)
La conservatrice du musée, Marie-Colette Depierre, au début des années 90, a engagé un inventaire du legs imposant consenti par Reumeau, constitué d’environ 2000 dessins, encres, pastels et peintures. Elle confia un travail de recherche à des étudiantes en histoire de l’art de l’université de Rennes.
Jacques Reumeau, La Spatule et la baignade des singes, pastel e tfusain sur papier, 1975, Musée d'art naïf et d'art singulier du Vieux-Château de Laval, ph. Bruno Montpied
Estelle Soleillant rédigea ainsi un mémoire de Maîtrise en 1999-2000 (Etude, sous forme de catalogue raisonné, d’un choix d’œuvres de l’artiste mayennais Jacques Reumeau, Université de Rennes 2 / Haute Bretagne, Directeur de recherches : M Poinsot). Ce mémoire présente une synthèse de la vie, de l’œuvre et de l’environnement artistique du peintre, enrichie de propos recueillis auprès de personnes ayant côtoyé le peintre. Anne Archenoul a poursuivi le travail d’inventaire, ce qui a donné lieu à la publication d’un article dans la revue Maine Découvertes : « Au Musée d’Art Naïf de Laval : la redécouverte du fonds Reumeau », (n° 42, septembre 2004).
Deux expositions posthumes ont été organisées par Marc Girard, artiste-peintre qui avait connu le peintre à Mayenne à la fin de sa vie, l’une en 1987 au château de Juhel à Mayenne, la seconde en 1988 à la chapelle du Géneteil à Château-Gontier. En 2000, à l’initiative d’Alain Guesné et Serge Paillard, une exposition fut organisée au prieuré d’Olivet sur la base d’un choix d’œuvres prêtées par le Musée de Laval sous la conduite d’Estelle Fresneau. Cette exposition a été remarquée pour la qualité de la sélection et de la présentation des œuvres. A l’occasion de cette exposition, Jean-Claude Leroy a publié un recueil d’entretiens qui prolonge le travail entrepris par Estelle Soleillant (revue Tiens, n° 8, mars 2000).
La Biennale 2007 peut constituer un début de reconnaissance pour des artistes demeurés à la marge. Les vœux de Jacques Reumeau n’auraient alors pas été vains."
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¹Texte rédigé par Jean-Louis Cerisier dans le cadre de la 6e Biennale internationale de Laval en 2007. Non publié.
²Jean-Pierre Bouvet fut conservateur du musée de 1965 à 1976. Charles Schaettel lui succéda de 1976 à 1990. Puis ce fut le tour de Marie-Colette Depierre, d'Estelle Fresneau, et enfin actuellement d'Antoinette Le Fahler de présider aux destinées du musée.
08/04/2012 | Lien permanent | Commentaires (1)
Recoins n°3
Recoins n°3 est sorti avec les feuilles qui se ramassent à la pelle, ce qui ne sera pas son cas, car le numéro a belle allure, en constante amélioration. La revue concoctée à Clermont-Ferrand par Emmanuel Boussuge avec la collaboration d'émérites Auvergnats pur sucre (ou pure gentiane), qui ont pour noms Benoît Hické, Franck Fiat, François Puzenat, Colas Grollemund, Julie Girard, Bill Térébenthine, Bastien Contraire, etc., la revue s'est épaissie (70 pages contre les 58 des deux premiers numéros, ce qui explique aussi la petitesse des caractères, car il faut bien payer tant de matière, ne s'en étonneront que les nantis et les bourgeois, n'est-ce pas Ani la moule?), nourrie qu'elle est de substantifiques moelles. Comme d'habitude, art, belles-lettres et rock'n roll sont convoqués aux quatre (re)coins de la revue.
Au sommaire, outre quelques articles sur le rock des origines (que je suis d'un oeil en éveil - car il faut être bien étroit d'esprit pour ne pas voir qu'il y a là une source de créativité populaire largement sous-évaluée dans nos contrées, n'est-ce pas Caligula Vagula?), que les auteurs traitent dans le sillage des ouvrages parus chez Allia, comme par exemple celui de Nick Tosches intitulé "Héros oubliés du rock'n roll", plusieurs contributeurs :
Tout d'abord votre serviteur (charité bien ordonnée commence par soi-même, n'est-ce pas?) intervient à propos du meunier Marcel Debord, dont l'environnement, à ce qu'avait révélé Jean-Luc Thuillier en 2007 dans son livre Arts et Singuliers de l'Art en Périgord, a été ravagé par la tempête en 1999, après avoir longtemps fait le plaisir des rares passants qui le connaissaient, car il fallait être curieux ou très bien renseigné pour tomber sur ce site à l'écart d'une route largement secondaire, à quelques encablures de Brantôme. Je l'avais visité en 1992 et ne m'étais pas résolu à en parler, son auteur étant infirme, fatigué (de fait il mourut en 1994). Recoins me permet aujourd'hui de renouer le fil avec cet homonyme d'un célèbre situationniste. Mon article est illustré d'une dizaine de photos, cherchant à faire le tour de cet environnement peu étudié et répertorié.
Autres intervenants dans la revue, Anna Pravdova et Bertrand Schmitt y publient un texte instructif sur Jan Krizek, qui fut un sculpteur à la croisée des routes entre surréalisme et art brut. Leur article préfigure des développements ultérieurs, tant on sent qu'ils s'y retiennent d'en dire trop. "Jan Krizek, sculpter en deux dimensions" est un amuse-gueule, une amorce. On retrouve également Régis Gayraud qui publie trois textes dont un est connu de ceux qui fréquentent les archives de mon blog (suivez le lien ci-contre, paresseux!). Un homme qui porte le même patronyme que lui et prénommé Joël, et lui aussi un habitué de cette colonne blogueuse (qui n'est pas la colonne sèche que nous avions rêvée, vous en souvenez-vous, chers Gayraud?), dépose un texte de "souvenirs familiaux", "Mots de ventre, mots de coeur" où il est question de mots privés familiaux. Et là, je crie au scandale. Dis donc le père Jojo, t'aurais pu me demander mon avis, car ce texte m'avait été promis en 1988 (et bonjour pour le réchauffé)! Pour une enquête que je menais alors, que je mis je dois l'avouer en stand-by durant les vingt ans qui suivirent mais que je n'ai jamais désespéré d'achever et de publier un jour...! J'ose donc espérer que ce texte n'est ici produit qu'en pré-publication.
Du côté d'Emmanuel Boussuge, qui signe aussi parfois Eubée dans sa revue, on notera l'excellente et quasi exhaustive présentation du peintre naïf bien oublié, méconnu, Millange, dont il eut la révélation auprès d'une érudite cantalienne Odette Lapeyre (je l'ai rencontrée un jour en sa compagnie, charmante vieille dame amoureuse de sa région du côté d'Antignac, elle renseigna Boussuge aussi sur le cas de François Aubert). Ce Millange, qu'Emmanuel qualifie de "peintre paysan", on pourrait tout à fait le qualifier d'Emile Guillaumin pictural. Comme ce dernier, qui fut on le sait un écrivain-paysan enrôlé sous la bannière des "écrivains prolétariens", il aimait à chanter les peines et les labeurs des champs, la vie rurale de son temps, le tout dans une palette vaporeuse qui confère une aura onirique à ses saynètes.
Voici une impressionnante liste de librairies où on peut trouver Recoins n°3 à Paris : A la Halle Saint-Pierre bien sûr, mais aussi chez Libralire, dans le 11e, rue St-Maur, chez Bimbo Tower, passage St-Antoine (qui donne sur la rue de Charonne dans le 11e), à la galerie Nuitdencre, rue Jean-Pierre Timbaud (au 64), Un Regard moderne (rue Gît-le-Coeur dans le 6e), chez Parallèles, rue des Halles, chez Vendredi, rue des Martyrs, presqu'à l'angle avec le boulevard de Rochechouart, chez Atelier 9, dans la même rue mais un peu plus bas, chez Anima, avenue Ravignan, dans le 18e (la Butte Montmartre), au Monte-en-l'air, rue des Panoyaux (paraît-il), et également aussi à l'Atelier, la librairie qui se trouve en dessous du métro Jourdain, prés de la rue des Pyrénées (20e).
D'autre part, oyez, oyez, demain lundi 5 octobre, à 19h30, dans l'émission "Songs of praise" sur Aligre FM (93.1 à Paris), Emmanuel Boussuge, en compagnie du... sciapode, qui l'escortera fantomatiquement (car il devrait être question de rock'n roll et de musiques expérimentales et peu d'art brut, quoique... On devrait peut-être entendre, à cette occasion, un bout de la bande-son du film de Pierre et Renée Maunoury sur le créateur de l'art brut Pierre Jaïn), Emmanuel donc participera à l'émission hebdomadaire de cette émission vieille de vingt ans, pour présenter sa revue. Elle peut être captée par internet de partout in the world. Comme ça, si vous lisez cette note tardivement, vous pourrez encore vous rattraper.
Sinon, on peut aussi s'abonner à la revue pour 29€ (4 numéros) en écrivant à Recoins, 13, rue Bergier, 63000 Clermont-Ferrand (e-mail: revuerecoins@yahoo.fr).
04/10/2009 | Lien permanent | Commentaires (1)
Un catalogue d'expo ”La Mayenne à l'oeuvre” au Centre Kondas d'Art Naïf en Estonie
On peut désormais trouver en vente à la librairie de la Halle St-Pierre (par exemple...) le catalogue de l'expo "La Mayenne à l'œuvre: Destins croisés" organisée à Viljandi au Centre Kondas d'art naïf. J'ai déjà évoqué cette manifestation montée par l'Association CSN 53 ("Création Naïve et singulière en Mayenne"), conçue et coordonnée par Jean-Louis Cerisier, avec l'aide entre autres de Serge Paillard et Michel Leroux.
L'Estonie, c'est un peu loin... Et donc ce catalogue permet d'en voir davantage. Sur les créateurs et artistes mayennais, et aussi pour partir à la découverte de ce mystérieux inconnu qu'est Paul Kondas qui, s'il a été recensé dans l'Encyclopédie mondiale de l'Art Naïf (en 1984...), reste largement inconnu par nos contrées. Ce qui est dommage étant donné les quelques quatre peintures que nous montre le catalogue... (On aimerait fortement en voir plus).
Paul Kondas, Fleur de fougère, 80,5 x 51 cm, huile sur toile, 1980, coll. Musée de Viljandi (j'aime beaucoup le procédé de cerne blanc créant un halo luisant autour des personnages et des ronds dans l'eau, halos créés par l'éclat de la lune dans l'esprit de l'artiste, lune qui nimbe toute la scène d'une lueur de merveilleux)
Paul Kondas, Chasseur aux lapins, 140,5 x 86 cm, huile sur toile, 1977, coll. Musée de Viljandi
Dans l'esprit du concepteur de l'expo, il s'agissait donc d'esquisser une sorte d'échange entre des artistes mayennais et ce peintre naïf dont 26 œuvres furent acquises par le musée de Viljandi qui lui voua aussi son nom apparemment. Je ne sais pas à l'heure où j'écris ces lignes s'il est arrivé à convaincre Laval d'exposer des œuvres de Paul Kondas.
Henri Rousseau, La fabrique de chaises à Alfortville, prêt temporaire du Musée de l'Orangerie à Paris dans le cadre des collections permanentes du Musée d'Art Naïf et d'Art Singulier de Laval en février 2015 (pour pallier les prêts que ce dernier musée avait consenti au Palais des Doges à Venise dans le cadre d'une rétrospective Rousseau)
Certains pourront peut-être se demander pourquoi avoir adopté une perspective aussi régionaliste, par un curieux désir de se construire un destin ancré dans une zone départementale... Ce serait oublier qu'il s'est passé depuis déjà un siècle un curieux ancrage artistique à Laval et sa périphérie. Tout étant parti sans doute d'Henri Rousseau dit "le Douanier", puis de la fondation du Musée d'Art Naïf du Vieux-Château dont les collections s'enrichirent au départ d'un important socle d'œuvres provenant des collections rassemblées par Jules Lefranc, autre peintre naïf fort important, à la lisière d'une figuration poétique savante, de laquelle pourrait aussi participer l'œuvre d'un Elie Lascaux, originaire d'une autre partie de la France, le Limousin.
Jules Lefranc, Le môle noir, gouache sur papier, vers 1930, Musée d'Art Naïf et d'Art Singulier de Laval
C'est peut-être cette ouverture de Lefranc vers une figuration réaliste poétique qui amena d'autres peintres du cru, comme Henri Trouillard, à voguer de dérivation en dérivation vers des horizons carrément visionnaires, des Robert Tatin (présent par des lithographies dans l'expo Cerisier), des Alain Lacoste (lui aussi exposé à Viljandi) arrivant dans les décennies suivantes avec dans leurs bagages une liberté de ton encore plus radicalement éloignée de la représentation du réel "rétinien" (on les range dans ce qu'il est convenu d'appeler "l'art singulier", catégorie d'artistes en marge, semi-professionnels, au dessin automatique et empirique, plus ou moins inspirés par les exemples du surréalisme, de COBRA, ou de l'art brut). Jacques Reumeau pour sa part synthétisa peut-être toutes ces tendances dans le "melting-pot" d'une œuvre qui débouchait parfois dans l'hétéroclite, dérapant même jusqu'à une forme de ratage pathétique dans quelques cas. Deux œuvres reproduites dans le catalogue, provenant des collections Cerisier et Leroux, sont au contraire bien abouties, illustrant bien ce que j'appelle le "melting-pot" stylistique que paraissait rechercher Reumeau (et qui fait sa marque de fabrique, semble-t-il).
Jacques Reumeau, L'oiseau et le poisson, la rencontre, 64,5 x 49,5 cm, pastel, 1975, coll. Art Obscur Michel Leroux
Après ces glorieux aînés, vinrent toutes sortes d'autres artistes mayennais ou d'adoption (comme Joël Lorand, venu s'installer un temps en Mayenne ; je le crois aujourd'hui plutôt posé à Alençon) dont nous parle à l'occasion Jean-Louis Cerisier. Dans son expo en Estonie, on remarque les œuvres de Brigitte Maurice (figurative poétique semble-t-il), de Serge Paillard ou de Marc Girard. A suivre les indications de Cerisier dans ce catalogue, on comprend donc qu'il y a bien un creuset particulier dans cette belle région mayennaise.
Brigitte Maurice, Sans titre, 31,2 x 29 cm, huile sur bois, 2014, coll. Jean-Louis Cerisier
Et même si Jean-Louis Cerisier paraît avant tout s'intéresser à l'art dans une perspective de plasticien contemporain féru d'histoire de l'art, il n'oublie pas d'inviter des créateurs que l'on pourrait ranger dans l'art brut, comme Gustave Cahoreau, Patrick Chapelière (découvert et défendu au départ par Joël Lorand) ou "l'Ami des Bêtes" Cénéré Hubert pour lequel j'ai une certaine prédilection, créateurs "bruts" en cela qu'ils paraissent vivre (ou paraissaient vivre dans le cas de Hubert, décédé en 2001) au plus près leur création dans une proximité fusionnelle.
Cénéré Hubert, devant le portail décoré de son atelier, St-Ouen-des-Toits (Mayenne), ph. Michel Leroux
22/07/2015 | Lien permanent | Commentaires (5)
Les Mayennais toujours à l'œuvre et à la manœuvre en Estonie
"Chers amis et contacts,
J'ai le plaisir de vous annoncer une nouvelle exposition de La Mayenne à l'oeuvre, organisée au musée Paul Kondas d'art naïf et outsider de Viljandi en Estonie, du 15 mai au 15 juillet 2015.
Article de Pauline Launay dans Le Courrier de la Mayenne du 6-5-2015
Un dessin de Robert Tatin, La Vierge aux Oiseaux, 1982, coll. Art Obscur
Jean-Louis Cerisier, un billet de 1000 zlotys déchiré, allégorie d'un refus de la vénalité proposé par l'artiste?
Gustave Cahoreau tenant une de ses sculptures, un "protégé" de Michel Leroux... Archives Art Obscur
Céneré Hubert, créateur multi-formes et notamment créateur d'environnement à St-Ouen-des-Toits (toujours en Mayenne), Archives Art Obscur
Un très beau dessin (pastel?) de Patrick Chapelière ; à noter que les trois créateurs ci-dessus s'apparentent davantage à l'art brut qu'à l'art dit singulier, tant leur travail s'accomplit dans l'écart vis-à-vis des démarches traditionnelles artistiques ; coll. Art Obscur
Alain Lacoste, autre Singulier mayennais bien connu et prolifique ; coll. Art Obscur
Marc Girard ; j'aime assez cette œuvre qui me fait penser à ... moi, mais aussi à Chaissac, à Lacoste...; coll. Art Obscur
Et un Joël Lorand, un... Peut-être relativement ancien, non? ; coll. Art Obscur
12/05/2015 | Lien permanent | Commentaires (6)
Un monde modeste, film sur Arte
Le dimanche 27 septembre à 23h25 sur Arte, sera diffusé le documentaire de Stéphane Sinde, écrit avec Bernard Tournois, réalisé cette année, "Un monde modeste" (52 min).
Consacré essentiellement à l'art modeste - ce concept voulu indélimité et forgé par Hervé Di Rosa, traitant d'un champ de l'art particulièrement vivant et souvent poétique, grosso modo l'art populaire manufacturé, le monde des collectionneurs de bibelots, objets et images publicitaires, le kitsch, etc. - ce film permet d'apercevoir (vite, car l'esthétique du film a fort à voir avec le clip) Guy Brunet dans son décor, Joseph Donadello, Bernard Belluc et ses installations compulsives, Alfredo Vilchis, l'habitant-paysagiste populaire Yves Floch, "l'Organugamme" de Danielle Jacqui, ainsi que divers médiateurs, Hervé Di Rosa, Bernard Stiegler, et Pascal Saumade (récent commissaire de l'exposition "Kitsch-Catch", qui après une première installation à Lille, s'est déplacée ensuite début 2009 au Musée International des Arts Modestes à Sète, musée dont on voit quelques images fugitives dans le film).
Ce film, que nous avons vu en projection pour la presse (le P.S. ne recule devant rien pour satisfaire ses lecteurs), disons-le tout de suite, ne sert peut-être pas bien la cause de l'art dit modeste. Et encore moins celle des créateurs populaires qu'il nous laisse par bribes superficielles entrapercevoir. Le montage rapide, amusant au début, cherchant à créer l'illusion de la modernité (qui est aujourd'hui assimilée dans une large frange du cinéma documentaire à la vitesse, à l'épate par l'étourdissement, plutôt qu'au temps laissé à la réflexion), devient vite agaçant. Certains créateurs semblent même présentés pour amuser la galerie (Guy Brunet est montré en train de faire un film à partir de ses silhouettes naïves, faisant parler des effigies de cartons comme des marionnettes, le public rigole de tant de naïveté...). On amalgame les plus inspirés (Brunet, Donadello, Floch, Vilchis, Belluc) avec des histrions a priori légèrement hystériques et incohérents (Michel "El coyote" Giroud).
De temps à autre des fragments surnagent. Le philosophe Bernard Stiegler (qui sort un livre chez Galilée ces temps-ci) insiste sur l'esprit de résistance à la pensée unique qui se manifeste chez les créateurs autodidactes, ainsi que sur la collectionnite qui caractériserait les travaux et autres objets réunis dans l'art modeste. Un artiste péruvien parle de cette nouvelle forme d'art qu'il pratique - et qui pourrait s'appliquer aussi à l'entreprise de Bernard Belluc - "le collage-archivage". Mais son interview, là comme ailleurs, passe à la vitesse du TGV, on a à peine le temps de le remarquer encore moins de s'en souvenir... Di Rosa, pourtant à l'origine le fondateur du concept d'art modeste, est à peine interrogé. Pascal Saumade, excellent dénicheur de talents populaires contemporains (ex-votos mexicains, imagerie du catch, affiches et portraits naïfs de Guy Brunet, posters faits main pour la publicité de films ghanéens de série Z), fait des apparitions fantomatiques.
Le film n'est qu'un tourbillon de couleurs et de fragments de phrases qui laisse l'amateur de ces formes d'art profondément sur sa faim. Pourtant le concept d'art modeste mériterait mieux, une collection de petits films (posés) sur chacun de ses domaines. On pourrait pousser plus loin l'interrogation à propos de ses diverses sous-catégories. L'art brut est-il un sous-ensemble de l'art modeste? Le terme de "modeste" n'est-il pas dépréciatif pour des Donadello, des Floch, des Guy Brunet, des Alfred Vilchis? Danielle Jacqui à un moment du film a le mérite d'avoir repéré le bât qui blesse, elle le clame avec netteté: "Je ne suis pas modeste, je fais l'Organugamme"... Jacqui pas modeste, ça, on peut dire qu'elle parle d'or. Il est du reste passablement paradoxal que le Musée des Arts modestes lui ait précisément proposé à elle d'exposer son projet en cours, le Colossal d'Art Brut, initialement projeté pour décorer la façade de la gare d'Aubagne (voir son blog en cliquant sur le lien à son nom).
On aurait pu, surtout, laisser parler les créateurs populaires, et laisser de côté les spécialistes de la pensée, si intéressants soient-ils. Mais peut-être veut-on voir le populo sous un oripeau décidément trop modeste?
18/09/2009 | Lien permanent | Commentaires (5)
Une affiche de la Collection de l'art brut fort originale
Affiche éditée par la Collection de l'art brut de Lausanne à l'occasion de son exposition des 40 ans de sa fondation ; les auteurs d'art brut représentés dans les 17 médaillons encadrant la composition (où l'on reconnaît en bas le château de Beaulieu, qui abrite la Collection) sont, en partant de la gauche en bas : Carlo, Pascal-Désir Maisonneuve, Augustin Lesage, Joseph "Pépé" Vignes, Louis Soutter, Adolf Wölfli, Elisa Bataille, Laure Pigeon, Aloïse, Madge Gill, Simone Marye, Emile Ratier, Miguel Hernandez, Juva, Francis Palanc, André Robillard (seul vivant de la série), et Jules Doudin.
L'auteur de l'affiche, les amateurs l'auront reconnu, est Guy Brunet qui a sans doute voulu, à cette occasion, gratifier la Collection d'un œuvre très originale, à la fois dans la perspective de sa propre œuvre, avant tout axée comme on sait sur un éloge dithyrambique du cinéma américain et français d'avant les années 1970, et à la fois dans la perspective de l'art brut. Il a été exposé l'année dernière en effet à Lausanne, qui, de ce fait, l'adoubait comme auteur d'art brut (terme que je préfère de loin à "artiste", bien que ce mot soit utilisé par Brunet lui-même dans les textes inscrits au bas de l'affiche ; "auteur" ou "créateur" sont en effet plus adaptés qu'"artiste" qui donne une fausse idée de l'usage social qui est fait de l'art par la majorité des individus collectionnés sous l'étiquette d'art brut). On conçoit donc que Guy Brunet se sente redevable vis-à-vis de cette Collection qui a consacré de manière si éclatante sa vision (il se campe en réalisateur de films documentaires sur l'histoire du cinéma, les confectionnant avec les moyens du bord, et faisant converger en eux toute une "armée" de silhouettes peintes représentant acteurs et producteurs, qu'il fait bouger devant ses caméras, des fresques et des emboîtages peints pour les décors, et toute une flopée d'affiches peintes sur papiers divers de très grand format, qui sont des transpositions d'affiches ayant existé).
Guy Brunet devant ses personnages découpés en silhouettes peintes, ph. Bruno Montpied, 2012
Ce qui est original dans cette affiche dans la perspective des auteurs d'art brut, c'est que l'on rencontre ici un des premiers cas – voire l'unique cas – où un des auteurs de l'art brut peint une sélection de ses congénères (17 personnages, choisis subjectivement). L'art brut, on le sait, est plutôt une collection d'individualistes forcenés, œuvrant avant tout pour eux-mêmes, sans souci des autres, ne cherchant pas nécessairement à être reconnus tant ils sont avant tout le siège d'une pulsion expressive qui ne s'accommode d'aucun besoin vénal, d'aucun besoin d'autres regards dans l'immédiat ("dans l'immédiat", parce qu'il est entendu que, peut-être, sur un plan différé, absolu, ils recherchent obscurément un contact avec un autre quel qu'il soit, un autre qui soit à l'écoute). Ici, avec cette affiche, qui fut probablement commandée qui plus est (on aimerait le savoir) par les responsables de la Collection (qui eut l'idée? Sarah Lombardi?) – ce qui est aussi une première me semble-t-il à Lausanne –, on a poussé un auteur d'art brut à dialoguer par delà les âges avec d'autres auteurs, réalisant ainsi ce que j'avance dans la parenthèse ci-dessus, permettre enfin le contact sur un plan absolu de tous ces enfants perdus les uns avec les autres...
Mais en passant cette commande, on peut se demander s'il n'y a pas eu remise en question implicite des caractéristiques autarciques de l'art brut, tel qu'il était conçu à l'origine par Jean Dubuffet ou Michel Thévoz. Et, curieusement, cette remise en question aura été opérée par les gardiens de la collection principale de l'art brut eux-mêmes... Et pourquoi pas?
09/08/2016 | Lien permanent | Commentaires (2)
Un tableau comme on les aime, vers lesquels il faut aller à présent...
Auteur masqué, titre inconnu...
L'autre jour, en me promenant dans mes archives iconographiques numérisées, j'ai découvert, ou redécouvert ce tableau que j'avais photographié je ne sais où, au gré d'une balade, peut-être dans un musée. Il m'a de nouveau frappé (j'écris "de nouveau", car si je l'ai photographié – alors que je n'ai pas noté sa référence très clairement, et qu'apparemment il relève d'un champ d'exploration qui n'est pas, ou qui n'est plus, souvent le mien – c'est qu'il m'avait déjà frappé une première fois), ce qui n'est pas si fréquent. On aperçoit parfois pour la seconde fois des images que l'on avait aimées sur le moment mais dont le charme, la surprise, se sont évaporés à la deuxième rencontre. Ce qui n'est pas le cas ici. Celui-ci m'a encore captivé.
Il y a du Van Gogh qui souffle à l'intérieur, la folie – la tourmente – en moins, il me semble. Le paysage se soulève comme pris d'une danse de Saint-Guy.
Extrait de Paracelse, de Georg Wilhelm Pabst (1943, en Allemagne) ; du Michaël Jackson avant l'heure...
Les pitons, les maisons, les chemins, tous se mettent à onduler telles des bayadères envoûtées, comme les personnages du film de Pabst ci-dessus (une surprise là aussi, que j'ai dénichée en cherchant l'orthographe de Saint-Guy). Les nuages et les buissons eux-mêmes partent en sarabande. Le paysage, au départ classique, un peu fauve, ondoie, part en vrille, littéralement, travaillé de tourbillons, comme si de l'intérieur germait un outre-paysage, plus abstrait, plus surréel, délaissant la référence aux paysages réalistes. Ce tableau réalise la prouesse de marier figuration d'après motif avec figuration ne renvoyant qu'à elle-même, dans un jeu détaché de la copie du monde environnant.
PS: J'offre un de mes petits dessins à qui trouvera le nom du peintre au tableau renversant (Mais, Régis Gayraud, vous ne jouez pas! Désolé... Laissez une chance aux autres sur ce coup...). Et essayez, please, de ne pas recourir à internet, c'est trop facile, soyez honnête, ne vous fondez dans vos hypothèses que sur vos connaissances ou intuitions.
Le premier à donner, en commentaires (l'horaire d'arrivée de ces derniers faisant foi), le nom en question choisira parmi les deux dessins ci-dessous:
Bruno Montpied, La Petite sorcière, 21x14,5cm, 2017.
B.M., Le Clown triste, 14,5 x 21 cm, 2017.
02/07/2018 | Lien permanent | Commentaires (14)
Jacques Reumeau et ses amis, une exposition à Laval, terre dont Reumeau ne paraît pouvoir s'échapper...?
Ce fut le titre de l'expo montée récemment (du 1er au 16 avril derniers, une trop courte quinzaine de jours...) au musée de la Perrine, que je n'ai pu voir, mais dont je possède le catalogue, friand que je suis de recueillir le maximum d'informations supplémentaires sur ce personnage, ancienne figure lavalloise de l'art singulier et visionnaire qui a marqué de nombreux autres artistes de la même région. Ce sont du reste certains d'entre eux qui, au sein de l'association CNS 53 ("Création Naïve et Singulière en Mayenne"), dont j'ai déjà eu l'occasion à maintes reprises de parler ici (de même que de Reumeau), ont organisé l'exposition et édité le catalogue, au premier rang desquels Jean-Luc Mady et Marc Girard.
Jacques Reumeau, Naissance du singe (pour Reumeau, le singe était-il donc ovipare?), 75x100cm, MANAS de Laval ; Reumeau allait observer les primates au petit zoo du Jardin de la Perrine à Laval... Sa peinture reflète, par une de ses séries, cette passion pour les singes.
Il semble que ce projet au musée de la Perrine fut surtout l'occasion de confronter la peinture de certains de ses amis ou connaissances à celle de Reumeau. C'est du moins l'impression que je retire en parcourant le catalogue. On y découvre, entre autres, les œuvres curieuses de Barbâtre ou celles, plus naïves-véristes, de Philippe Le Gouaille, qui fut l'instituteur du jeune Reumeau, et qui, à ce titre, exerça une influence non négligeable sur sa vocation ultérieure de peintre, si l'on suit les confidences du peintre Barbâtre dans le catalogue. Ce Le Gouaille est parfaitement inconnu, et possède pourtant, semble-t-il, une œuvre forte, proche par son style de celle d'un Jean Eve par exemple.
Jacques Reumeau, Le monde fantastique des oiseaux, 75x100cm, MANAS de Laval ; Reumeau eut envie, à un moment, de composer des paysages en quelque sorte habités par ses visions ; ce mixage entre réalité visuelle et fantasmes visionnaires était une piste originale, mais Reumeau alla-t-il assez loin dans ce domaine? Il est permis d'en douter si l'on regarde les exemples procurés dans le catalogue cité ci-dessus...
Qu'il est mystérieux pour moi de constater à quel point l'aura de Jacques Reumeau n'a toujours pas dépassé le cercle de la Mayenne. Hormis quelques rares expos en dehors de cette zone (La Baule, Angers, voire une galerie parisienne sur l'île St-Louis...), l'activité de Reumeau se cantonna à Laval où il prit, on l'a dit suffisamment souvent, une dimension de figure locale. L'aspect hétéroclite de sa production est probablement cause de l'étroitesse géographique de sa réception... Et, de plus, aujourd'hui, ses œuvres ne tournent pas, puisque la majorité d'entre elles se trouvent conservées dans les réserves du Musée d'Art Naïf et d'Arts Snguliers de Laval (le MANAS), d'où elles sortent rarement pour voyager loin de la Mayenne. Ses amis n'ont-ils pas tendance, aussi, à le cantonner à sa région, comme si cette dernière était une île culturelle...?
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Par ailleurs, son ami, le peintre et critique Jean-Louis Cerisier nous a récemment confié un nouveau texte, publié aussi sur le site web Tiens, etc., de Jean-Claude Leroy, où il pointe, entre autres, les liens unissant Reumeau au thème de l'animalité...
Jacques Reumeau
Le paysage, le corps, l’animal
Le peintre Jacques Reumeau sera passé comme une comète dans l’univers de la création inspirée autodidacte. Né en 1949, il n’aura vécu que 38 ans. Pourtant, il aura eu le temps de produire dans une sorte de fièvre créatrice une œuvre imposante, souvent dérangeante, puissante, parfois cruelle, parfois désespérée, malicieuse même à certains moments.
Jacques a œuvré dans un état de possession. On comprend qu’il fut si sensible à l’environnement rural mayennais où les pratiques de sorcellerie et de magie noire avec ses guérisseurs et ses rebouteux étaient encore présentes dans les modes de pensée et de vie de l’époque. Le peintre était fasciné par les forces contraires. Il manifestait ce penchant dans ses recherches et ses choix de lecture à la bibliothèque municipale où je le côtoyais. Il arborait une apparence sombre dans son expression, son allure, sa silhouette, sa tenue vestimentaire.
Jacques Reumeau en compagnie de Jean-Louis Cerisier, photo tirée d'un film Super 8 de 1987 (que pour la petite histoire j'ai aidé à rendre possible, à ce que je crois me souvenir, en prêtant une caméra Super 8).
Cet univers obscur peuplait surtout ses œuvres, leur conférant un aspect mystérieux et inquiétant. Les paysages, traités à la sanguine noire, plus rarement délavés, sont perçus comme des lieux habités par des esprits, sinon hantés. Les esprits malins, la malice, le maléfice, le mal, ne sont jamais loin. Domine le noir, cette non-couleur dans laquelle s’affichait le peintre quand lui-même hantait les rues de Laval de sa démarche nerveuse, pressée, à l’affût d’on ne sait quelle force souterraine.
Le peintre a bien perçu les caractéristiques du paysage mayennais avec son bocage dense, ses arbres resserrés formant des barrières végétales, ses successions d’espaces circonscrits. La perception du paysage par Reumeau est pourtant plus qu’une affaire de regard. Elle est de l’ordre de la vision.
Œuvrant pendant 20 ans à peine, il aura mené sa carrière artistique de manière endiablée, s’y consacrant corps et âme, quand les tourments de son corps et de son âme justement lui laissaient quelque répit. Car il lui fallait composer avec cela aussi : un corps en souffrance ou en attente, rarement détendu, un esprit en désordre et un cœur qui saignait des plaies de son âme et de ses manques affectifs. Le corps et l’âme enlacés comme une double chaîne de vie et de mort.
Reumeau était habité par une fièvre comparable à celle d’un héros dostoïevskien, tel Raskolnikov, insomniaque, agité en proie à d’insolubles conflits pour finir par se résoudre à une recherche de rédemption. Reumeau ne pouvait pas faire autrement que de pousser jusqu’au déraisonnable les limites de l’excès, excès de boisson et de tabac, excès d’insomnies, excès de violence, j’en passe… pour finir par chercher le chemin improbable d’une aurore fuyante.
Le corps souffrant, éprouvé, l’esprit fiévreux, Reumeau s’en servait aussi de gisement, à l’image de ces Carrières de l’âme, titre du recueil de poèmes de son ami Gérard Bodinier, publié en 1976, illustré par le peintre. Le corps est omniprésent, d’abord symbolique dans les premières représentations prenant l’aspect de divinités, puis celui de petits personnages, de diablotins s’agitant sur des échelles, tels des fourmis au service de l’âtre de Lucifer. Ces personnages butinent littéralement le paysage pour en extraire la sève féconde. Enfin le corps métamorphique, kafkaïen, ayant fait exploser le schéma corporel se trouve réduit à ses viscères munis d’un œil, d’une bouche et d’un cloaque.
Une autre constante habite l’œuvre de l’artiste, celle de l’animalité. Qui a à voir d’ailleurs avec le corps. Car dans sa démarche de démembrement du corps humain, Reumeau ne cherchait-il pas à se libérer de cet encombrant humain, le réduisant à l’envi à l’état d’homoncule ou de mandragore, pour aller plus avant encore vers la primitivité, la source de lui-même afin de débusquer la bête qui s’était installée en lui, à son corps défendant dans l’inconscient d’une enfance tourmentée. Les blessures avaient fait de lui un animal traqué. La bête qui précède l’homme, la poursuivre en la représentant, n’était-ce pas mettre en lumière tous les manques affectifs de sa jeunesse.
Ce corps réduit, cette bête traquée, ces paysages hantés vont pourtant livrer bataille… jusqu’au bout. En la personne du peintre qui, bien que sevré de médicaments, n’abdiquera pas. Parsèment les œuvres de la dernière période de Reumeau des couteaux, des coups, des membres arrachés, du sang, le combat tribal, le retour à l’origine de la vie et du monde, celui-là même qui depuis la nuit des temps lutte pour sa survie. La vie, celle-là même née de l’informe, des formes incertaines, de l’organique. Reumeau, défiant l’abattement qui le guettait, a réussi par son art à donner une forme à son désarroi et à ses visions.
Jean-Louis Cerisier, 2016.
26/04/2017 | Lien permanent | Commentaires (6)
La Maison de la Gaieté à Chérac (suite), on se mobilise...
La Maison de la Gaieté, cette maison couverte de mosaïques dans les années 1930 par Ismaël Villégier et son fils Guy, qui étaient apparemment cabaretiers et qui avaient également décoré l'intérieur, dont j'ai déjà parlé il y a quelque temps sur ce blog, est toujours en danger de destruction par volonté de la mairie qui est propriétaire du lieu. Des associations se sont créées avec des idées pour la pérennité de cet édifice, une pétition a été lancée et a recueilli (chiffre de mars 2015) 470 signatures. On peut trouver des infos ici.
depuis cette photo d'Eric Straub (2012), les palmiers ont été sciés...
Détail des murs couverts de mosaïque "Le roi des cocus"... ph Association pour le Renouveau de la Maison de la Gaieté
Il serait bien sûr dommage que ce lieu voué autrefois à la joie soit rayé de la carte et qu'à la place on trouve un jour une Maison de la Tristesse... Je répète que la meilleure façon de prolonger ce lieu, c'est-à-dire la plus en accord avec son esprit, serait d'y créer un espace de documentation et de rencontre autour des inspirés du bord des routes, créateurs autodidactes qui n'ont rien à voir avec les artistes tels qu'on les connaît avec leurs désirs de promotion, de gloriole...
Page 1 de la fiche consacrée à la maison des Viléger père et fils à Chérac par l'Inventaire du Patrimoine de la région Poitou-Charentes
Page 5 de la fiche de l'Inventaire ; décors intérieurs, objets, meubles, tableau en mosaïque...
26/04/2015 | Lien permanent
Petit supplément sur Mauquest et ses mosaïques de timbres
Après avoir remercié comme il se doit ce fou de web qu'est Régis Gayraud, toujours prêt à nous délivrer toute fiche signalétique sur le moindre inconnu laissé sur le bord de la route de la grande Histoire de l'Art, en l'occurrence les dates de naissance et de mort de Mauquest (1906-1993 donc ; Régis a même déniché un tweet du Musée de la Poste concernant le même monsieur colleur de timbres, voir ici)), prénommé donc Robert, auteur de fleurs et rosiers en timbres découpés et collés, que j'avais évoqué dans ma note précédente, il me restait à retrouver dans mes albums une carte postale qu'il me semblait avoir acquise auprès dudit Mauquest (et non pas de Guy Môquet) lorsque nous l'avions rencontré, les amis Cerisier et moi, lors de notre balade le long de la Marne vers 1990. La voici, repêchée tout à l'heure:
Robert Mauquest et le fameux rosier du Concours Lépine de 1933, conservé chez lui., avec ses 32 000 timbres et ses 20 000 à la surface de son bac.
Et à son avers, ça donne ça:
Au Concours Lépine de 1933, M. Mauquest avait 27 ans donc (si Régis Gayraud ne s'est pas trompé dans ses explorations d'état-civil, mais c'est exclu...). Cela fait jeune pour un passe-temps qui paraît davantage celui d'un homme âgé, comme les puzzles, les châteaux de cartes, les architectures d'allumettes, les rideaux en capsules de bouteilles, etc. Cette carte postale avait été commandée par lui, qui s'était également fabriqué les tampons que l'on voit dessus. Il se bricolait ainsi une modeste et embryonnaire campagne de communication.
11/01/2021 | Lien permanent | Commentaires (5)