Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/06/2011

Victoire et Défaite, à chacun son lot

J.-Galeani-Victoire-et-.jpg

J.Galeani, Victoire, Défaite, 1919, coll.particulière, ph.Bruno Montpied

J.-Galeani-nscrip.jpg

Inscription au verso du tableau précédent: "se tableau qui avez 3 m X 2m50 fut Censure aux Salin de la Nationnale Paris 1919 J.Galeani", coll. particulière, ph. BM

     Je dois à deux collectionneurs qui souhaitent garder l'anonymat la découverte de ce tableau naïf réalisé vraisemblablement à la fin de la Grande Guerre. C'est visiblement une charge contre les possédants accusés d'être des profiteurs de guerre. La "Victoire" de 1918 est celle du magnat à gauche tripotant ses sacs d'or pendant qu'en arrière-plan les cheminées de ses usines fonctionnent à plein régime, couronnées de drapeaux tricolores. La "Défaite" en revanche est réservée au Poilu qui revient estropié auprès de sa famille, qui n'a pas l'air bien riche elle, leur drapeau en berne cette fois-ci, et la croix derrière la scène semblant dire que le martyr a été réservé aux petits pendant que les gros s'en mettaient plein les poches. L'inscription placée au dos du tableau semble indiquer que cette peinture fut accompagnée d'une autre beaucoup plus grande (car 3m x 2,50m n'est absolument pas la dimension de cette œuvre retrouvée), qui fut refusée dans un salon. En tout état de cause, il semble que nous soyons en présence d'une peinture anarchiste. J. Galeani en est l'auteur, un nom à retenir, en espérant retrouver d'autres œuvres de ce trublion...

Commentaires

Anarchiste tu t'avances beaucoup je pense, le tableau représente le sentiment partagé par la plupart des anciens combattants de 14 (j'en ai connu un).

Je ne pense pas que l'anarchisme soit la signification du drapeau noir en berne au dessus du pas de porte mais il est intrigant.

Serait-ce un signe de deuil ? La femme pensait son mari mort ?

En tout cas c'est très fort.

Écrit par : Cosmo | 12/06/2011

Répondre à ce commentaire

En fait le drapeau en berne du côté des pauvres et de la famille du soldat peut signifier à la fois le drapeau noir de l'anarchie et le deuil. Il est aussi en berne par opposition aux fiers drapeaux tricolores qui claquent au-dessus des usines du patron à gauche.
Je trouve l'intention de la peinture nettement antimilitariste et anticapitaliste (un peu lourde cela dit, mais cela se voulait comme une forme d'agit-prop à destination des gens les plus simples). L'auteur paraît surfer sur les conclusions qui devaient en effet être partagées par pas mal d'anciens combattants, en voulant accentuer ces conclusions dans un sens idéologique plus nettement politisé.

Écrit par : Le sciapode | 14/06/2011

Répondre à ce commentaire

Il s'agit probablement d'une peinture préparatoire au même tableau, comme semble bien l'indiquer le démonstratif (orthografié "se"), ou d'une reprise ultérieure sur un petit format, l'original ayant disparu pour une raison ou une autre (destruction accidentelle, difficulté de stockage, réutilisation comme support pour un autre tableau, etc.). En tout cas c'est une belle œuvre, émouvante et authentiquement naïve. Les fautes d'orthographe, qui portent même sur les voyelles (salin pour salon), trahissent une instruction très sommaire, mais réelle, vu la qualité de la calligraphie. Au vu de la signature (Galeani), il pourrait s'agir d'un émigré italien ayant travaillé dans les mines du nord de la France et mobilisé pour défendre la marâtre patrie.

Écrit par : L'aigre de mots | 19/06/2011

Répondre à ce commentaire

Oui, bien beau tableau, et en plus entouré de mystères. Je précise qu'il y a aussi des Galéani en Corse et en France du Sud-Est.

Écrit par : Régis Gayraud | 22/06/2011

Répondre à ce commentaire

Bonjour,
J'ai vu votre intervention sur le site consacré à la guerre 14-18 - Section arts: http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/Pages-14-18-l-Art-et-la-Guerre/Arts-graphiques/armand-goupil-sujet_436_1.htm#t2171

Ce tableau est intéressant à bien des égards.

La dualité: le tableau est divisé en 2 parties qui partagent le même ciel qui se poursuit de la gauche vers la droite. Ils ont un même ciel en commun, pourtant le paysage est différent.

Chaque moitié semble contenir elle-même un double symbolisme.

Si sur la gauche le double symbolisme du capital et de l'argent est assez évident, en revanche sur la partie droite le symbolisme prête à interrogation.

Ainsi, le soldat n'est peut-être pas le mari de la femme qui attend sur le perron? Aucun des enfants ne va à sa rencontre, pas même la femme.

On peut l'interpréter de la façon suivante: il s'agit là d'une double défaite : Le soldat a "perdu" sa jambe et la femme a "perdu" son mari (drapeau en berne).
Au final, ils ont tous perdu quelque chose ou quelqu'un. Seul le patron a gagné sur les deux "tableaux".

Ce qui me laisse perplexe, c'est la présence de ce Christ avec un suaire "rouge", couleur assez inhabituelle pour la circonstance.

Il est dommage que la photo mise en ligne ne laisse pas voir d'autres détails qui nous auraient sans doute mis sur la voie...

Cordialement.
DH

Écrit par : Inouk44 | 17/12/2014

Répondre à ce commentaire

La remarque d'Inouk 44 sur le ciel commun et la double défaite est très judicieuse. A propos du pagne rouge qui ceint les hanches du Christ, on peut y voir une allusion discrète au drapeau rouge du mouvement ouvrier, réactualisé par la toute jeune révolution d'Octobre. Cette discrétion par rapport au drapeau noir me laisse toutefois penser que le peintre est nettement de sensibilité anarchiste, ce qui n'est pas alors incompatible avec la référence chrétienne (on sait qu'il a existé un courant anarchiste chrétien, essentiellement d'inspiration tolstoïenne, mais aussi assez répandu chez des anarchistes italiens, origine que le nom de Galeani, orthographié sans accent, semble suggérer).

Écrit par : L'aigre de mots | 18/12/2014

Répondre à ce commentaire

Quelle idée, aussi, de proposer un tableau de ce genre au salon de la Société nationale des Beaux-arts (dit salon de la Nationale)! C'est bien d'un naïf ! et c'est d'ailleurs très sympathique pour ce que cela montre de candeur et d'optimisme. C'était sans doute la Société d'artistes la moins sensible à ce genre de choses, la plus fermée, la plus académique. Cf. ce lien vers ce qu'en disait, par exemple, le Bulletin de la vie artistique de Félix Fénéon, juste début 1920, après ce Salon où Galeani avait été refusé (c'est à la 5e page du lien):
http://www.lespassionsdesandra.com/medias/files/felix-feneon-bulletin-vie-artistique.pdf
A moins que ce soit de sa part une provocation. Eh oui, parce que, figurez-vous...
Peintre naïf et anarchiste, Jean Galeani? Bien sûr, bien sûr, voyons...
Bien entendu,c'est quand même facile à retrouver... Filleul de Louise Michel, même.. Excusez du peu...
Cf. ce témoignage recueilli par Pierre Dumayet et disponible en accès liv-bre sur le site de l'INA :
http://www.ina.fr/video/I11182208
(Excusez, chez Sciapode, d'être intervenu. J'ai pas mal hésité, car vous trouvez que je suis trop présent sur votre blog, mais bon, voilà, hum...)

Écrit par : Régis Gayraud | 19/12/2014

Répondre à ce commentaire

Extraordinaire ce reportage ! Là vous méritez une belle médaille (en chocolat) mon cher Régis !

Écrit par : RR | 19/12/2014

Merci, c'est gentil, RR! Cela dit, quand on écoute bien le reportage, on se demande s'il n'est pas plutôt sympathisant communiste qu'anarchiste, le bonhomme. Il a peint Staline qui est accroché face au Christ sur son palier, il y a aussi Vaillant-Couturier, ensuite le Lénine forgeron en fonte... D'ailleurs avez vous noté? Il dit que c'est "du camarade Lénine". C'est un peu ambigu... Je pense qu'il se mélange les prépositions.
Enfin, il y avait chez pas mal de francs-tireurs - on en a connu d'autres - de la vieille génération - Galeani dit avoir 85 ans, le reportage date de 1955, donc, il est né en 1870 (comme Lénine, soit dit en passant...) - une sorte de confusion entre anarchie et bolchevisme, les bolcheviks étant appréciés pour avoir passé le grand coup de balai de 1917.
J'ai l'impression, par ailleurs, que ce que l'on voit en accès libre sur le site de l'INA n'est que le début du reportage. Ces 6 minutes de reportage finissent en queue de poisson. En commandant le film, on l'aurait peut-être en entier...
Sinon, encore une remarque : quand il dit que Louise Michel lui propose d'être sa marraine "il y a vingt ou trente ans", il ne voit plus bien le temps passer, le garçon. Louise Michel est morte en 1905...
En attendant, pour faire saliver les Sciapodes, un autre lien qui nous ramène au refus du Salon de la Nationale, vers cette photo étonnante :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b69277000
Jean Galéani ne pouvait pas réaliser des tableaux de cette taille dans son petit logement. Je suppose que, et le tableau figurant dans la charrette à bras de cette photo, et celui évoqué au dos de la petite toile montrée par le Sciapode, ont été réalisé là où il "avait de la place", dixit Dumayet, c'est-à-dire dans sa roulotte.
Sinon, quel flair, Dumayet!

Écrit par : Régis Gayraud | 19/12/2014

Vraiment étonnant ce Galéani vendant ses peintures et dessins par tirage de loterie en parcourant la campagne en roulotte et exhibant à Paris son tableau refusé (un autre !) sur une charrette à bras. Sinon concernant ses convictions politiques, c'est vrai que le bonhomme a l'air un peu confus (ou syncrétiste peut-être comme pouvaient l'être souvent les gens non doctrinaires): anti militariste et anti clérical, c'est sûr, anti autoritaire également (il en a fait un tableau) sans que l'on sache effectivement le sens précis qu'il accordait à cette notion. Pour le reste il semble avoir été assez porté aux galipettes crapuleuses en pleine nature (au moins en imagination). Je le trouve décidément bien sympathique ce Galéani...

Écrit par : RR | 19/12/2014

Répondre à ce commentaire

Le tableau qu'il fait transporter (en fait, il est à côté de la charrette) sur sa charrette se trouve en fond de ce portrait.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6927699s
Visiblement une allégorie satirique de la justice. On peut reconstituer mentalement le tableau avec ces deux vues.
Sur Gallica, il y a encore deux portraits en pied de lui, cigarette au bec. Le tout est daté de 1914.

http://gallica.bnf.fr/Search?ArianeWireIndex=index&p=1&lang=FR&q=Jean+Galeani%2C+peintre+portrait

Écrit par : Régis Gayraud | 19/12/2014

Le plus étonnant est peut-être, avec une telle peinture, de telles opinions, une telle manière ostentatoire de mettre en scène le refus de son tableau au salon d'automne, qu'il n'ait pas attiré l'attention des artistes "d'avant-garde" de son époque. Il va falloir fouiller, je pressens des découvertes...
En attendant, il y a encore sur les archives Gaumont-Pathé en ligne un petit film de 1914 sur cette anecdote du refus de son tableau. Il faut s'identifier pour pouvoir le lire, mais cette fois, j'arrête de mâcher le travail à tout le monde, ce n'est pas mon blog, à la fin...

Écrit par : Régis Gayraud | 19/12/2014

En effet, qu'est-ce que ça serait si vous mâchiez le travail à tout le monde...

Écrit par : Le sciapode | 19/12/2014

Répondre à ce commentaire

C'est tout ce que vous trouvez à dire. Ah bon. Je vous croyais avoir un véritable enthousiasme pour ce genre d'artistes. Désolé de m'être trompé.

Écrit par : Atarte | 19/12/2014

Répondre à ce commentaire

Avant de juger si expéditivement, monsieur le pâtissier, veuillez vous mettre en tête qu'il existe des dizaines de situations qui peuvent m'empêcher de réagir aussi souvent que l'a fait monsieur gayraud. Je ne dors pas nécessairement sur mon ordinateur.
Et comment pouvez-vous douter que je ne sois pas intéressé par toutes ses révélations sur le peintre Galeani que j'avais remarqué primitivement chez deux excellents collectionneurs?

Écrit par : Le sciapode | 20/12/2014

Répondre à ce commentaire

De la lecture du Petit Parisien de novembre 1913, il ressort que Jean Galeani habitait au 74, rue de Turenne, dans un quartier qui à l'époque n'avait rien du Marais huppé d'aujourd'hui et était peuplé d'ouvriers et d'artisans.

Écrit par : L'aigre de mots | 20/12/2014

Répondre à ce commentaire

Bravo, l'Aigre, vous êtes un aigle!
C'est effectivement dans le n°13520 du 4 novembre 1913, page 4. On y trouve un récit détaillé, quoique sarcastique, de l'affaire de la charrette à bras traversant Paris et une photo de face de son oeuvre, puis l'adresse à la fin.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k564874z/f4.image.r=Galeani.langFR

ou bien

ftp://ftp.bnf.fr/056/N0564874_JPEG_4_4EM.jpg

Écrit par : Régis Gayraud | 20/12/2014

Écrire un commentaire