17/09/2024
Une trouvaille dans un bar alsacien par Darnish
Henri Rogy, L'Oiseau de France, 1912 ; photo Darnish, 2024.
Grâces soient rendues à l'œil aiguisé de l'ami Darnish qui m'a transmis la photo ci-dessus, d'après un tableau déniché dans les toilettes (!) d'un bar de Strasbourg. Où se cache l'art naïf? Dans des recoins dédaignés, dirait-on.
Que dire de cette peinture, à part le fait qu'elle paraît représenter des Alsaciens saluant le passage d'un aéroplane venu de la France non occupée par les Prussiens, regardé avec les yeux de Chimène par des habitants nostalgiques de la France, la scène se déroulant au pied du poteau de frontière – datant de 1871! – entre ce dernier pays et le Reich allemand, ce dernier ayant annexé l'Alsace et une partie de la Lorraine, suite à la guerre perdue par Napoléon III.
1912... Encore deux ans, et la guerre se rallumera, avec pour conséquence la reprise de l'Alsace et de la Lorraine dépecée, en 1918 (jusqu'à la guerre suivante, pour quelques années de plus d'annexion). En 1912, les rapports avec l'Allemagne sont tendus depuis 1905. La Lorraine n'est pas totalement occupée, tandis que Metz, qui apparaît sous forme de pancarte dans ce tableau, l'est (voir la carte ci-contre avec la frontière en jaune qui matérialise le découpage postérieur à la guerre de 1870).
Des peintres prennent à cette époque le sujet de la revanche contre l'Allemagne pour sujet. Comme un certain Alfred Bettannier (Metz, 1851 - Paris, 1932) qui réalise quelques tableaux marquants comme La Conquête de la Lorraine en 1910 ou encore... Oiseau de France en 1912. "Oiseau de France", c'est précisément le titre du tableau retrouvé à Strasbourg. Tiens, tiens...
Il s'avère que le tableau de ce titre, de Bettannier, montre la même saynète. Il a été visiblement édité en carte postale et a dû beaucoup circuler, en particulier en Lorraine au début de la décennie des années 1910. Rogy l'a démarqué sans l'ombre d'un doute, dans une attitude fréquente chez les artistes populaires (j'ai évoqué déjà sur ce blog le cas d'un certain Kobus qui sculptait des panneaux en bas-relief d'après des gravures). Voici la carte (en noir et blanc) du tableau de Bettannier:
Alfred Bettannier, Reproduction photomécanique du tableau (original non localisé) L'Oiseau de France, Salon des Artistes français de 1912. ; cette reproduction sur papier est conservée au musée municipal de Nuits Saint-Georges.
Alfred Bettannier, L'Oiseau de France, 1912 ; reproduction trouvable sur Wikipédia...visiblement du tableau original.
Confronter les deux oeuvres permet de mesurer la différence entre la fraîcheur stylisée de l'art naïf et la banalité de l'art réaliste. On dirait aussi deux interprétations de classe vis-à-vis de mêmes gens réunis dans une même saynète. D'un côté, Rogy voit des gens simples (je dénombre 14 personnages dont deux enfants en avant du groupe, les pieds chaussés, les visages étant sommairement dessinés, les corps étant plutôt raides), là où Bettannier campe plutôt des gens respectables (je dénombre un peu plus de personnages: 18), certes choisis dans plusieurs catégories de la population (on voit un curé, des paysans, des garçons de la campagne en arrière-plan, avec les deux enfants de l'avant-plan qui sont pieds nus, cela dit, tous personnages peints avec souci du détail).
J'ajoute ci-après l'explication figurant dans la notice de la POP (Plateforme Ouverte du Patrimoine), qui commente la reproduction d'après Bettannier :
" "C'est un oiseau qui vient de France" est une chanson revancharde évoquant l'annexion par l'Allemagne de l'Alsace-Lorraine, créée en 1885 par Camille Soubise (paroles) et Frédéric Boissière (musique). Elle conte l'espoir rendu à une fillette et un vieillard par l'arrivée en Alsace d'une hirondelle venue de France. En 1912, le sentiment "anti-allemand" est encore présent et la chanson très populaire, au point que le peintre français Albert Bettannier expose au Salon des Artistes Français le tableau reproduit ici, sous le titre "L'Oiseau de France". Il s'agit d'une mise en images de la chanson, dans laquelle on reconnaît la petite fille et le vieil homme, figurés avec d'autres Alsaciens à la frontière séparant l'Alsace de la France. Ce n'est pas un oiseau qui leur redonne l'espoir, mais un avion français. Car c'est aux alentours de l'année 1910 que l'aviation fait son entrée dans les armées européennes. La nouvelle machine de guerre incarne, ici, la possible reconquête des terres perdues."
19:35 Publié dans Art immédiat, Art naïf | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : art naïf, henri rogy, revanche, alsace-lorraine occupée, patriotisme, guerre de 14-18, oiseau de france, alfred bettanier, copie populaire, réalisme et art naïf, kobus, plateforme ouverte du patrimoine (pop) | Imprimer
11/11/2015
Art populaire des soldats, pour dépasser par la merveille la grande boucherie...
11 novembre... On se repasse les vieux souvenirs de la grande guerre lorsque des soldats venus de tous les horizons d'Europe et des empires coloniaux sont venus engraisser la terre de France. Et moi, je rassemble les quelques objets en provenance de soldats qui sont venus échouer entre mes mains, fragiles (ou non) traces de leur passage sur terre... :
Sans titre, "fait le le 25.9 par EMI... 1917, Souvenir de (HMANL?) Auberville-la-Renault" (commune existant dans la Seine-Maritime), ph. Bruno Montpied
Cet ange qui me fut un jour expédié du centre de la France dans une boîte pleine de paille par Stéphanie Lucas avec ce petit texte accroché autour de lui... "Je n'ai pas de nom. On dit que j'ai été créé dans une tranchée pour honorer un ami cher, c'était il y a près d'un siècle."
Anonyme, Albert Ier et Elisabeth, roi et reine des Belges, notamment durant la guerre de 14-18, avec des inscriptions, gravées comme les effigies des monarques : "Souvenir, L'Union fait la force" et avec l'écusson de la Belgique ; beaucoup d'objets et bibelots furent produits à l'image de ce roi populaire en Belgique au moment de la guerre notamment ; ph BM
Ces douilles d'obus dorées gravées d'effigies du roi et de la reine des Belges par un Poilu inconnu... On sait qu'il existe nombre de douilles ciselées en ouvrages de patience par les soldats, mais généralement plutôt gravées de motifs floraux décoratifs qui personnellement m'ennuient plus.
C. Desage, "Souvenir de Soissons 1916", avec monogramme au tampon "DC"; sont représentés en un bouquet relié par un nœud de soie verte les drapeaux de la France, de la Russie (probablement), du Commonwealth (probablement), de l'Italie (probablement), de la Belgique ; j'ai du mal à comprendre le dessin paraissant figurer deux tranches de pommes en haut à droite ; ph. BM
Ce petit tableau confectionné avec une curieuse technique... où des bords cadrant l'image centrale (ainsi que les hampes et les contours des drapeaux) ont été réalisés grâce à un minutieux découpage dans du papier fin quadrillé, peut-être en double épaisseur, l'un teint en bleu au crayon de couleur, un autre comme doré. Du tissu de soie est collé en relief aussi à diverses places du premier filet de cadre intérieur, lui aussi brillant légèrement, même cent ans après... Le dessin est simplement exécuté aux crayons de couleur. Travail de patience d'un orfèvre cherchant l'exploit à n'en pas douter.
Anonyme, pot en terre vernissée, XXe siècle? Ph BM
Et ce pot représentant une tête d'officier au képi jaune dont je n'ai toujours pas réussi à situer la nationalité depuis la première fois où je l'ai mis en ligne sur ce blog... Joli dessin naïf, non?
Chrétien Volckel, "Corps royal d'Artillerie 6ème régiment", sans doute entre 1830 et 1848 (époque de Louis-Philippe, voir la couronne entourée des drapeaux tricolores en haut de la composition) ; ph BM
Depuis bien plus longtemps que le XXe siècle, on trouve des traces de l'attachement enfantin des soldats pour certains prestiges de l'armée, les boum-boum des canons, les uniformes, les képis à pompons, le spectacle des combats, en dépit des atrocités qui les accompagnent, comme le dessin aquarellé sur papier ci-dessus le montre bien, avec ces militaires à la parade comme des soldats de plomb qu'un enfant viendrait de sortir d'une boîte de jouets...
Poulet, dragon dans le "1er régiment de dragons, 3= escadron,, 4= peloton, tirage 7, matricule 345, classe 1897...", photo surpeinte (apparemment), ph. BM
Et que dire de ce tableau-ci, montrant un dragon à cheval, nommé cocassement Poulet (pour une fois qu'un poulet fait du cheval...), vers 1897, dont je ne suis pas sûr qu'il soit bien l'auteur, car l'œuvre a très bien pu être confiée à un artisan spécialisé dans la retouche de photographie. Je n'ai pas démonté le cadre centenaire pour examiner le support de l'image, mais il semble bien que ce soit un tirage photographique qui ait en effet servi de base à la peinture qui a tout recouvert hormis le visage du dragon, sa main droite tenant la lance aussi... Le cheval paraît avoir été inventé et non colorié à partir de la photo, ses pattes postérieures et antérieures sont projetées en parallèle en avant et en arrière, le peintre ayant ignoré le fait -révélé par les photographies de Marey ou de Muybridge pourtant à une époque précédente- que les chevaux vont l'amble, les pattes de gauche se déplaçant ensemble à l'opposé des pattes de droite... Et donc ne pouvant prendre l'aspect des pattes que l'on voit dans cette peinture. Peint ainsi le cheval du dragon paraît voler au-dessus du sol, comme on le voit dans certains tableaux d'époques plus anciennes représentant des courses équestres (j'ai dans l'esprit un derby d'Epsom peint où les cavaliers et leurs montures paraissent en lévitation au-dessus du gazon de l'hippodrome...).
Notre dragon s'est représenté en train de jouissivement caracoler dans la plaine avec ses petits camarades en arrière-plan, comme s'il s'agissait d'une sortie équestre agreste. On le croirait parti pour un tournoi de démonstration, tagada-tagada....
Les belles bacchantes des dragons fin de XIXe siècle...
Sur cette œuvre, on consultera en complément d'information la note du 18 novembre, "Fantaisie militaire", que Laurent Jacquy a consacrée à notre dragon sur son blog Les Beaux Dimanches, où l'on verra que l'auteur nous y révèle posséder plusieurs autres de ces "cadres de réservistes" fréquents entre la fin du Second Empire et la guerre de 14-18.
11:58 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : 11 novembre, guerre de 14-18, poilus, souvenirs de guerre, auberville-la-renault, soissons, albert ier, rois des belges, douilles d'obus, art populaire militaire, c.desage, photos peintes, poulet dragon | Imprimer
24/01/2015
Appel de la famille de Gaston Mouly
Travail de mémoire sur l’œuvre de Gaston Mouly
Gaston Mouly, notre père ou grand-père, a produit des œuvres pendant plus de 15 ans en grand nombre et de toutes sortes (sculptures, dessins, pyrogravures…) et de toutes tailles (de la galette à la sculpture monumentale). Et chacun sait qu’il fut reconnu pour sa créativité et son travail. C’est en 1997 qu’il nous a quittés en nous laissant cette œuvre considérable, mais en grande partie dispersée.
Nous jugeons aujourd’hui nécessaire d’engager un travail pour la recenser et la sauvegarder.
Celui-ci débute par la recherche de lieux ou de personnes ayant en leur possession ses œuvres et acceptant de nous en transmettre les références (titre, date, matériaux, description) accompagnées de visuels.
Aussi, nous sollicitons les potentiels détenteurs d’œuvres de bien vouloir se manifester auprès de sa petite-fille Doriane Mouly pour permettre la réalisation de ce catalogue raisonné.
Votre aide nous est précieuse, et nous vous en remercions très sincèrement par avance.
Doriane Mouly
PS: Pour contacter Doriane Mouly, prière de passer par l'adresse de ce blog, en privé donc. Deux moyens de trouver l'adresse: 1 Vous cliquez à droite en haut de la colonne de droite sur "Me contacter". Par ce moyen vous ne pouvez envoyer que du texte dans vos messages. 2. Autre solution, vous cliquez sur "A propos". S'ouvre alors une page qui contient "l'éditorial" de ce blog. A la fin de ce texte d'intention, vous trouvez une adresse e-mail du blog. Vous pourrez alors joindre à vos messages des visuels en pièces jointes. L'animateur du blog répercutera vers la famille Mouly.
Gaston Mouly, Soldats écossais s'exerçant à l'escrime à la baïonnette 1917/ Observoitoire (sic) anglais dans un moulin 1917, Crayons de couleur sur papier Arches, 46x61 cm, vers 1989 (photographié à Lherm en 89), coll. Bruno Montpied
Gaston Mouly, Sans titre (le Chabrot), crayons de couleur sur papier Arches, 46x61 cm, vers 1989, coll. BM
13:05 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gaston mouly, doriane mouly, recensement de l'oeuvre de gaston mouly, art rustique moderne, art singulier, guerre de 14-18, chabrot | Imprimer
10/06/2011
Victoire et Défaite, à chacun son lot
J.Galeani, Victoire, Défaite, 1919, coll.particulière, ph.Bruno Montpied
Inscription au verso du tableau précédent: "se tableau qui avez 3 m X 2m50 fut Censure aux Salin de la Nationnale Paris 1919 J.Galeani", coll. particulière, ph. BM
Je dois à deux collectionneurs qui souhaitent garder l'anonymat la découverte de ce tableau naïf réalisé vraisemblablement à la fin de la Grande Guerre. C'est visiblement une charge contre les possédants accusés d'être des profiteurs de guerre. La "Victoire" de 1918 est celle du magnat à gauche tripotant ses sacs d'or pendant qu'en arrière-plan les cheminées de ses usines fonctionnent à plein régime, couronnées de drapeaux tricolores. La "Défaite" en revanche est réservée au Poilu qui revient estropié auprès de sa famille, qui n'a pas l'air bien riche elle, leur drapeau en berne cette fois-ci, et la croix derrière la scène semblant dire que le martyr a été réservé aux petits pendant que les gros s'en mettaient plein les poches. L'inscription placée au dos du tableau semble indiquer que cette peinture fut accompagnée d'une autre beaucoup plus grande (car 3m x 2,50m n'est absolument pas la dimension de cette œuvre retrouvée), qui fut refusée dans un salon. En tout état de cause, il semble que nous soyons en présence d'une peinture anarchiste. J. Galeani en est l'auteur, un nom à retenir, en espérant retrouver d'autres œuvres de ce trublion...
23:33 Publié dans Art immédiat, Art naïf, Art populaire insolite | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : j.galeani, art naïf, art anarchiste, guerre de 14-18, grande guerre, première guerre mondiale, antimilitarisme, jean galéani | Imprimer