04/12/2011
Jeu de jambes
Je range c'est dimanche. Et je range surtout des dessins de préférence, marottes et obsessions. Je retombe sur un dessin de corps emmêlés qui date de 1985. Avec un texte (sans titre) à la clé dans le goût automatique (ici fonctionnant sur le principe des associations d'idées et de mots) que je pondais encore en ce temps-là (j'ai délaissé avec le temps l'écriture automatique pour le dessin lui aussi automatique). Je le trouve encore bien, même bonifié dans la durée, passablement échauffé... Donc, je vous le colle aussi, par delà le dessin. Dites-moi ce que vous en pensez à l'occasion...
Bruno Montpied, sans titre, 21x29,7cm, stylo Bic sur papier, 1985
La jambe pend au bout du nez qui suinte du pied. Quatre jambes sautillantes viennent sur la pointe des pieds et s'enlacent aux poignets des bras qui se nouent aux cous des jambes de matrones et de têtes de Turc. Une jambe frémissante enfle et dans le gras de la cuisse un ongle grave quelques signes cabalistiques. C'est une chair malléable, fondante lorsque l'ongle use d'un petit fer à pyrogravure. La cuisse coule comme une motte de beurre. Les gouttes d'or fondu, chester aigre, s'étalent sur les mamelons mafflus d'une forte des Halles au sourire largement fendu sur sa denture ébréchée. Les flaques fondues imitent la forme des pieds. Certains ressemblent à des sabots. Plusieurs jambes voletantes, french cancan et jupons roses, frappent le sol de leurs talons aiguilles. Les chaussures filent dans l'air et vont se planter dans les paumes de main de conscrits qui défilent au pas cadencé, au pas de l'oie, faisant le salut nazi. La jambe! La jambe! La jambe! Elle a l'accent nasillard et laisse passage à la déesse qui s'extirpe du ventre de la cuisse. Au bord de la plaie, dégouttant des lèvres à vif, pendent à ce moment de petits doigts de pied dont les ongles sont miroitants. La main qui farfouille dans la bouche de cuisse aperçoit de ses milliards d'yeux, pris entre plusieurs feux croisés, au carrefour des pinceaux lumineux d'une DCA des chairs, sur chaque miroir onglé un petit jeu de mollet. Le muscle du mollet est une boule parfaitement sphérique qui au repos tombe au fond de la jambe, tout contre la cheville, telle une monstrueuse pomme d'Adam ou un kyste poussé sur le talon. Ainsi talonné, ressemblant à une vieille chaussette détendue, le mollet flasque où pend la peau lamentablement se couvre de sueur et chacun de ses poils commence à ressembler à un cou sans tête. Les cous se balancent au vent attendant les moissonneurs. A la fin de certains intervalles, ils propulsent à l'extérieur dans le ciel bleu des geysers de sang d'où dérivent en ruisseaux des immondices perdues dans le flot, quelques ongles géants, radeaux pour des pieds aux ongles incarnés, des jambes, toujours des jambes car nous sommes dans un pays de jambes, n'est-ce pas?... de jambes qui serpentent doucement au bas des collines des dos jusqu'à la mer qui est une forêt de poils, sous la pluie qui est une douche de sueur. Jambes, jambes qui faites toute ma délectation, jambes comme des boas qui poussent et se ramifient et se transforment en d'autres jambes, d'autres genous, d'autres pieds, d'autres têtes, lèvres, nez, d'autres ventres, accessoires qui ne se fixent jamais en un seul corps mais qui prolifèrent, se multiplient, alternent les uns avec les autres dans un carrousel sans bornes.
(BM, 16 avril 1985)
19:22 Publié dans Art singulier, Surréalisme | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : brno montpied, écriture automatique, dessin automatique, association d'idées, jambes | Imprimer
Commentaires
Tous les membres ou attributs sont cités, jambes, ventres, pieds, têtes, lèvres, nez, bras, cou, main, bouche, cuisse, mollet, peau, poils, ongles... et j'en passe, mais curieusement je sens que vous tournez autour du pot. Il n'y a en effet ni sexes, ni fesses, dans votre texte, lesquels sont pourtant bien visibles sur le dessin. Comme si les mots (ou l'auteur) tournaient autour sans pouvoir (ou vouloir) les nommer.
Écrit par : RR | 04/12/2011
Répondre à ce commentaireN'est-ce pas plus mal? Laisser le pot (aux roses) seulement en creux (après tout c'est dans sa nature)?
Écrit par : Le sciapode | 04/12/2011
Répondre à ce commentairePas plus mal, oui peut être, mais la question n'est pas là. Je m'interrogeais juste sur l'automaticité de l'écriture qui est donc en partie contrôlée. Vous corroborez d'ailleurs ce que je pense déjà, à savoir que l'écriture (ou le dessin) automatique ne l'est jamais vraiment tout à fait et qu'il y a là une sorte d'abus de langage. Les premiers mots ou les premiers traits viennent peut être comme cela, mais l'enchaînement qui suit est toujours plus ou moins déterminé par une intention consciente, sans doute non préalablement conçue, mais qui découle de ce que le début du processus évoque à celui qui tient le crayon; lequel va orienter délibérément le texte ou le dessin, jusque dans sa syntaxe et le choix des mots (ou des traits), dans le sens de ce qui est certes à l'origine involontairement esquissé mais dont la conscience s'est alors réapproprié la maîtrise.
Écrit par : RR | 05/12/2011
Répondre à ce commentaireSurprenant ce dessin, au trait, et surtout sans couleurs, d'ailleurs, je ne reconnais pas là ton trait qui, avec les années, s'est plutôt arrondi. C'est incisif et sans "fioritures", la partie gauche est la plus intéressante, cet entremêla de corps a en effet un goût assez érotique. Et puis le temps qui a laissé son empreinte, l'a effectivement embelli. Nouvelle source d'inspiration ? (Sachant que les périodes ou cycles finissent toujours par se rejoindre).
Gilles
Écrit par : gilles manero | 05/12/2011
Répondre à ce commentaireA Gilles:
Mes dessins de ces années-là, où les débuts du dessin chez moi n'étaient pas loin (j'ai commencé à dessiner en 1976), étaient déjà "arrondis" comme tu dis. Mais j'usais de stylos pour dessiner, notamment de "Japonais" verts de chez Pentel (que j'ai délaissés ensuite à peu d'années de là pour les rapidographes Rötring), qui m'inclinaient parfois à ce trait plus nerveux. Personnellement, je n'apprécie pas du tout ce style-là! Je n'ai pas publié ce dessin pour lui d'ailleurs mais pour le texte qui le flanquait (je l'avais collé en dessous), que je trouve plutôt bien, et pas illustratif (ce texte semi automatique -RR a raison de le souligner dans l'autre commentaire- était une dérive à partir du dessin sans nécessairement le décrire).
A RR:
Il me semble que l'automatisme n'est pas toujours un automatisme de formation des mots mais aussi, comme dans ce cas, un automatisme de l'image. Cela peut surgir avec lenteur, ce n'est pas nécessairement rapide. Je procède souvent ainsi quand il m'arrivait, quand il m'arrive encore -cet accueil hospitalier que je réserve aux images peut se produire dans les textes sur l'art brut et tutti quanti, ou dans les notes pour ce blog- de laisser venir à moi des gerbes d'images. Certains titres viennent à la fin des dessins dans une sorte d'automatisme aussi, en connexion probablement avec l'aspect lui-même fortement automatique des dessins.
Écrit par : Le sciapode | 06/12/2011
Répondre à ce commentaireAlors, combien de dessins, rangés ou non rangés?
Ça s' accumule, j' en suis sûr, comme chez moi!
Les avez-vous en compte?
On se rappelle les dessins montrés à Bègles en 89,...bon... souvenirs d' ancien combattant du travail en solitaire dans sa rangée!
Ciao!
Écrit par : Jean Marie Staive | 06/12/2011
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