11/12/2011
Il y a de l'art brut parisien, le saviez-vous?
Vue partielle de l'exposition Exil, ph Bruno Montpied
"Exil, l'art brut parisien", c'est une exposition au Réfectoire des Cordeliers dans le Ve ardt qui n'est pas une salle de cantine comme les autres, c'est une architecture fort ancienne où sont montées depuis quelque temps des manifestations fort bien mises en scène. La dernière prévue entre le 1er décembre 2011 et le 12 janvier 2012 ne déroge pas à cette règle. Elle est très soigneusement présentée, les œuvres sont fort bien mises en valeur. On nous y annonce 59 "artistes" (c'est moi qui rajoute les guillemets) venus de 9 ateliers médico-sociaux et de 4 ateliers d'art-thérapie tous situés à Paris. On en retrouve un, l'ESAT (ex-CAT) de Ménilmontant dont j'ai déjà eu l'occasion de mentionner une intéressante expo au Carré de Baudouin dans les hauteurs de Ménilmontant naguère. Reviennent ainsi dans cette expo faire un petit tour une grande peinture de Joseph Tibi (décidément remarquable peintre d'origine tunisienne), et quelques pièces de Philippe Lefresne et de Fathi Oulad Ben Abid qui paraissent toujours assez en forme. A noter aussi que c'est la troisième expo d'envergure sur l'art des handicapés mentaux que l'on nous présente à Paris en l'espace d'un an et demi, la première ayant été l'expo du Madmusée à la Maison des Métallos (plutôt réussie, voir la note où je la signalais) en avril 2010.
Philippe Lefresne, sans titre, 65x50cm, 1985, (ESAT de Ménilmontant), ph B.M.
Mais, à part quelques cas comme ceux que je viens de citer, il ne se produit pas de choc véritable à parcourir cette grande et belle salle des Cordeliers. On nous y annonce de "l'art brut", mais qui en a décidé, hormis les organisateurs? Suffit-il de sortir quelques productions, au reste de qualité (sans aller jusqu'à la surprise bouleversante), la plupart du temps vraiment trop en référence à des courants divers de l'art moderne (un zeste de COBRA, un peu d'expressionnisme, un peu de peinture enfantine, beaucoup "d'art brut" déjà vu), sans qu'on en sache la raison (on soupçonne tout de même l'influence occulte de l'animateur de l'atelier), pour obtenir à coup sûr le sacro-saint "art brut"? L'impression dominante est d'assister à une sorte de revue d'influences mal digérées de l'art moderne. Comme si les animateurs avaient fait réaliser leurs rêves secrets de créateurs par les participants interposés de leurs ateliers.
Anne et Cyril, L'Oiseau, 100x80cm, 2009 (CAJ Robert Job) ; tiens? On dirait du Acézat... Ph BM
L'affirmation, placée en préambule de l'exposition par Véronique Dubarry (adjointe au maire de Paris chargée des personnes en situation de handicap), comme quoi on aurait ici affaire à de l'art brut parisien, m'apparaît donc quelque peu aventurée (on retrouve son "éditorial" sur le site internet consacré à l'exposition, www.exil-artbrutparisien.fr ; à lire sur ce site aussi le texte du professeur François Robichon, petit chef d'œuvre de passe-passe intellectuel où l'art brut se voit retourné comme un gant, assimilé à l'art contemporain, ce qui permet de légitimer toutes les insuffisances côté inventivité et tous les mimétismes aussi de ces productions d'art-thérapie). Une autre affirmation de Mme Dubarry prête à sourire, il n'existerait à Paris en effet aucun lieu voué à présenter de l'art brut (« Existe-t-il à Paris un lieu dédié où les artistes parisiens en situation de handicap mental et psychique, issus de n’importe quels ateliers, puissent exposer? De cette question, et de sa réponse négative, a émergé la volonté collective de sortir hors les murs le travail d’artistes jusqu’ici cloisonné »). Il faudrait emmener de toute urgence Mme Dubarry visiter la Halle Saint-Pierre (qui n'a jamais réservé des expos uniquement à l'art issu des handicaps, préférant l'intégrer à des ensembles plus vastes et moins cloisonnés)... Il est vrai qu'en ce moment à la Ville on se préoccupe de moins en moins de la Halle, préférant lui augmenter sans cesse son loyer, et diminuer les subventions dans l'espoir sans doute de voir ses animateurs actuels (Martine Lusardy et son équipe) enfin abandonner les lieux, pour les livrer aux associations de quartier justement, peut-être même ces associations qui promeuvent de ce simili art brut style Réfectoire des Cordeliers.
Ceci dit, je n'ai rien contre le fait qu'on puisse créer à Paris un nouveau lieu voué aux "artistes parisiens en situation de handicap mental et psychique" (pour les y "recloisonner", Mme Dubarry?) pourvu que cela ne se fasse pas au détriment de lieux déjà existants comme cela semble être parfois la politique de la Ville de Paris qui adore créer par ailleurs des nouveaux lieux complètement artificiels (voir le 104 ce complexe culturel créé dans les locaux des anciennes pompes funèbres municipales...) ou ressusciter des salles de spectacle d'un autre temps (les trois Baudets, le Louxor...).
Lydie Boisset, Autoportrait, mai 2008,(production Atelier de la Passerelle, coll. BM)
Il existe des endroits en France où l'on produit des œuvres autrement inventives qui pour le coup sont davantage dignes d'être rangées dans l'art brut (par le fait de cette inventivité), comme par exemple les productions de l'Atelier La Passerelle à Cherbourg que je défends sur ce blog depuis quelque temps. On aura l'occasion très bientôt de découvrir quelques œuvres venues de ce Cotentin où souffle le vent de l'art brut dans les locaux de la Maison Rouge bd de la Bastille (voir bientôt la note à ce sujet sur ce blog).
Exil, l'art brut parisien, Réfectoire des Cordeliers, du mardi au samedi, 10h30-19h, nocturne les jeudi de 10h30 à 21h30, 15 rue de l'Ecole de Médecine, Ve ardt. Renseignements: 01 40 33 19 19.
01:06 Publié dans Art moderne ou contemporain acceptable, Art populaire contemporain, Art singulier | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : esat de ménilmontant, exil, handicapés mentaux, réfectoire des cordeliers, philippe lefresne, art brut, art singulier, art-thérapie, la passerelle | Imprimer
Commentaires
nice art:)
Écrit par : benk | 13/12/2011
Répondre à ce commentaireEn effet, cette exposition m'a laissé sur ma faim. Excepté pour Tibi (curieusement absent du dossier sur les exposants proposé à l'entrée) et Lefresne, dont, sans les connaître auparavant j'ai remarqué la force d'expression plastique, je n'ai pas éprouvé d'entousiasme particulier.
Écrit par : L'aigre de mots | 24/12/2011
Répondre à ce commentaireC'est bien involontairement, et non pour devancer quelque déplorable réforme de l'ortograf, que le «h» s'est fait la malle dans l' «enthousiasme» de mon commentaire précédent...
Écrit par : L'aigre de mots | 24/12/2011
Répondre à ce commentaireEn le soulignant, vous désirez donc que je laisse la coquille (à moins de l'effacer et par conséquent d'effacer aussi votre commentaire sur la coquille). Car un blog peut se corriger savez-vous? C'est là un de ses avantages sur les éditions papier.
Écrit par : Le sciapode | 24/12/2011
Répondre à ce commentaireTibi paraît toujours présenté avec un certain mystère. C'est du moins l'impression que j'avais déjà eue lors de l'expo de l'ESAT de Ménilmontant au Pavillon Carré de Baudouin il y a quelques mois de ça.
Cette ESAT paraît tout à fait à part dans la "gestion" de ses créateurs.
Et je vous suggère de façon insistante d'aller aussi à la Maison Rouge, voir la petite salle du "vestibule" (la cave en fait) où sont montrés quelques spécimens de productions de l'atelier La Passerelle de Cherbourg. Il y a là aussi quelques inventifs tous plus inconnus les uns que les autres, (et tous aussi planants entre parenthèses). A suivre: Kevin, Pascal (qu'aime beaucoup déjà Recoins), Yann, Patrice, Christine, Hervé, Nicolas, etc.
L'expo principale de la Maison Rouge sur les vanités du passé et d'aujourd'hui, bien morbide et macabre par moments, devrait peut-être aussi vous inspirer.
Écrit par : Le sciapode | 24/12/2011
Répondre à ce commentaireOui, laissez la coquille, elle nous mène à Saint-Jacques de Compostelle, là où est installée la fondation Eugenio Granell, dont je vous ai communiqué un document récent.
D'autre part, je compte bien ne pas manquer l'exposition de la Maison Rouge, tant pour ses vanités, dont me savez friand, que pour les productions de la Passerelle.
Écrit par : L'aigre de mots | 24/12/2011
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