03/08/2013
Création Franche n°38
Juste avant le mois de juillet et le départ sur les routes des plus chanceux est paru le dernier numéro de la revue Création Franche émanant du musée du même nom.
Création Franche n°38, juin 2013
Au sommaire, on retrouvera un nouvel article de mézigue, consacré à un site d'art brut en plein air très peu décrit et présenté. Je crois bien avoir ici publié le premier texte à son sujet. Mon article s'intitule "Un carnaval permanent dans l'Aubrac, les "épouvantails" de Denise et Pierre-Maurice". J'étais allé le visiter, après avoir été alerté à son sujet par une page du catalogue du Musée des Amoureux d'Angélique à Le Carla-Bayle et la recommandation également de François Sarhan.
Dense et Pierre-Maurice, la colline aux mannequins dans l'Aubrac, 2012, ph. Bruno Montpied
Denise et Pierre-Maurice, dont je ne donne pas les patronymes puisqu'il m'a semblé qu'une certaine discrétion était demandée par les auteurs (mais tant d'autres ne se donneront pas ce mal, soyez-en assurés), Denise et Pierre-Maurice sont des habitants ruraux des contreforts de l'Aubrac. Denise a pris plaisir, à la suite de la confection d'épouvantails destinés classiquement à faire fuir les rapaces qui s'attaquaient à leur volaille, à les faire se multiplier hors de cette fonction, peut-être pour épouvanter d'autres types de prédateurs...
Cela leur fait en tout cas de la compagnie, et constitue un panorama à coup sûr insolite sur la colline où elle les installe l'été, bien nippés et assez ressemblants à une armée de morts-vivants chorégraphiés figés. De quoi sont-ils les emblêmes ou les symboles? Des esprits anciens de la nature? Des aïeux passés comme nous passerons à notre tour? Du dérisoire statut d'êtres provisoirement installés sur cette Terre? Un peu de tout ça certainement...
Denise et Pierre-Maurice, mannequins ayant l'air de dire "nous ne sommes que de passage"..., 2012, ph.BM
Denise les aime propres, ses mannequins (ce sont davantage désormais des mannequins que des épouvantails) ; dès qu'ils s'abîment, elle les détruit par le feu, redonnant vie par la même occasion à la tradition des feux de la Saint-Jean ou de la mort du roi Carnaval que l'on brûlait je crois après Carême. Les vêtements, les nippes dont ils sont affublés, c'est sa partie à elle, Pierre-Maurice son mari se spécialisant plutôt dans la taille des masques en bois qu'elle peint ensuite de façon assez sauvage, souvent dans les mêmes couleurs, rouge, blanc et noir, les mêmes teintes qu'elle applique ausi à certains petits sujets en bois et matériaux recyclés qu'il lui arrive de céder moyennant quelque don en échange. Un tronc est aussi placé bien en vue pour ceux qui s'aventurent à prendre des photos. On ne vient pas pour prendre seulement...
Masques taillés par Pierre-Maurice et peints par Denise, 2012, ph.BM
Denise et Pierre-Maurice ont aussi des espaces de stockage qu'ils ont organisés en salles d'expositions particulièrement populeuses, dans un ancien garage et une ancienne étable ; ces ruraux développent ainsi des pratiques créatrices qui tout en s'inspirant de pratiques anciennes traditionnelles (les épouvantails) les subvertissent savamment, allant jusqu'à reconvertir tous les anciens espaces à leur disposition, remettant en cause leur fonction (la colline, l'étable, le garage, la nature)...
Au même sommaire de ce numéro 38 de Création Franche, on trouvera des articles de Jean-Louis Cerisier (première participation, ce me semble) sur Jacques Trovic, de Paul Duchein sur Fernand Michel, de Denis Lavaud sur Mr.Imagination, d'Anic Zanzi qui réussit l'exploit de publier dans Création Franche le même texte sur Yves-Jules Fleuri, quoiqu'illustré différemment, que celui qu'elle vient d'insérer dans le dernier fascicule de la Collection de l'Art Brut (n°24), etc... Pour plus de détails, on se reportera au site web du Musée de la Création Franche auprès duquel on trouvera les moyens de se procurer le numéro (également en vente en ce moment à la librairie de la Halle Saint-Pierre à Paris).
04:04 Publié dans Art Brut, Art immédiat, Art populaire contemporain, Art singulier, Environnements populaires spontanés | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : denise et pierre-maurice, musée des amoureux d'angélique, association gepetto, environnements spontanés, art singulier, revue création franche, épouvantails, carnaval, jean-louis cerisier, jacques trovic | Imprimer
Commentaires
Après avoir été les invités d'honneur en 2013 du N° 38 de la revue "Création franche", Denise et Maurice, les héros (bien connus sur ce blog) du film et du livre du même titre, "Denise et Maurice, dresseurs d'épouvantails", seront cette année les invités exceptionnels de la 14e étape du Tour de France cycliste qui se déroulera le dimanche 16 juillet entre Laissac-Séverac l'église et le Puy en Velay. A cette occasion on pourra découvrir le site vu d'avion (ou plutôt vu de drone, selon mes informations), c'est-à-dire tel que les voient les éperviers contre lesquels les épouvantails de Denise et Maurice ont à l'origine été créés. J'imagine qu'ils ne manqueront pas de faire un petit coucou aux nombreux téléspectateurs présents devant leurs téléviseurs. Ne manquez surtout pas cette expérience inoubliable !
PS: Pour ceux qui les connaissent bien, je profite de l'occasion pour annoncer la triste nouvelle de la disparition de Ratoune (le seul chien 100% végétarien que je connaisse), il y a quelques mois déjà. In Pace.
Écrit par : RR | 01/07/2017
Répondre à ce commentaireVous êtes du genre devin, RR, pour ce qui est de de la façon dont sera retransmise cette étape (merci du scoop qui nous révèle une nouvelle facette de vos inclinations, vous êtes fan de course cycliste, à ce que je vois), avec la vue de drone que vous prophétisez. En effet, si toutes les étapes cette année sont retransmises intégralement sur France Télévision, ce qui pourrait permettre logiquement d'apercevoir même fugacement le site des épouvantails de l'Aubrac, on n'est jamais sûr de la manière de filmer les bords de routes où figurent rarement les inspirés des mêmes bords.... Des épouvantails vus de haut, ça risque en effet de n'être que des petits points...
Et puis la caméra passe si vite...
A moins que, comme vous l'écrivez, ils soient vraiment les "invités exceptionnels" du Tour (si les journalistes qui conçoivent les sujets d'après Tour y songeaient plus souvent, ce serait en effet une bonne occasion de faire connaître au large public qui suit cette épreuve quelques-uns des sites les plus ébouriffants que l'on rencontre en France ; rappelons-nous, il y a quelques années, par exemple, de splendides vues du Palais Idéal à Hauterives, avec le commentateur Jean-Paul Truc qui avait enfin accepté de lâcher ses églises et autres châteaux pour se fendre de quelques commentaires sur une création hors du commun et bien imaginative, issue d'un homme du peuple).
Écrit par : Le sciapode | 01/07/2017
Répondre à ce commentaireAucune prophétie, mon cher Sciapode, l'information m'a été confiée par la première concernée, c'est à dire Denise elle-même. Vous vous imaginez bien que ces vues aériennes programmées pour agrémenter les commentaires sportifs quelquefois un peu ennuyeux (surtout dans ce genre d'étape où il ne devrait pas se passer grand chose) sont tournées avant le jour de leur diffusion. En l'occurence, le survol du site de Denise et Maurice a été filmé par un drone cette semaine. Ce qu'il en restera effectivement lors de la retransmission de l'étape, je n'en sais rien. Et si par malheur il y avait une échappée extraordinaire il n'en restera même peut-être rien... Comme disent les commentateurs: ce sont les aléas du direct !
Quant à mon inclination pour les courses cyclistes, je vais faire aujourd'hui mon "coming out" et vous révéler (ainsi qu'aux lecteurs de ce blog que le sujet va passionner, je n'en doute pas) qu'à 12 ans j'étais déjà abonné au Miroir du cyclisme et qu'adolescent je vénérais comme une relique la casquette de Roger Pingeon dont il s'était débarrassé lors de l'étape qu'il avait gagné en échappée à Chambéry dans le tour 1967. Il se trouve que, présent sur le bord de la route, j'ai été témoin de ce geste "incroyable". La possession de cette casquette quasi divine (il a ensuite gagné le tour cette année là) avait fait de moi pendant quelques jours le héros de tous les enfants du terrain de camping dans lequel je séjournais alors...
Écrit par : RR | 01/07/2017
Vous l'avez toujours cette casquette, Mr Rolls Royce ? Ou un autre garnement de votre espèce vous l'a chouravée à la veille de votre départ du camping ? Des détails, bon sang, des détails...
Écrit par : Félicie Corvisart | 01/07/2017
Répondre à ce commentaireMea Culpa, suite à un doute tout de suite comblé par une vérification (Ah la magie d'internet !), l'étape que j'évoque ne se finissait pas à Chambéry mais à Digne. Et si Pingeon avait bien gagné le tour cette année là, il n'avait pas non plus gagné cette étape: son échappée avait du être rattrapée, du moins je le suppose puisque c'est un certain José Samyn qui avait remporté l'étape. Ah ! Quand la mémoire commence à défaillir !
Pour en revenir à la casquette du regretté Pingeon (j'apprends en effet par ma rapide recherche qu'il vient de mourir en mars de cette année) je l'ai gardée de nombreuses années dans le fond d'un tiroir de ma chambre d'adolescent avant de perdre définitivement sa trace quand j'ai quitté (tôt) le domicile familial. J'espère avoir comblé les attentes de Félicie que cette casquette avait l'air d'exciter... Pour finir je tiens à préciser que j'ai résilié mon abonnement au "Miroir du cyclisme" quand Eddy Merckx à commencer à gagner visiblement frauduleusement cette épreuve prestigieuse avec la complicité de l'omerta journalistique. Avant Merckx la plupart des coureurs étaient fils de paysans ou de condition modeste et s'ils se dopaient un peu aux amphétamines (comme Anquetil) ils usaient plutôt de "remontants" qui venaient directement de la ferme. Avec Merckx est arrivée la génération des fils de commerçants et des truqueurs. La suite n'a fait que confirmer cette tendance qui a émergé juste après 68... Mais bon, tout ça n'intéresse peut-être pas beaucoup les lecteurs amateurs d'art spontané fidèles à ce blog...
Écrit par : RR | 01/07/2017
Répondre à ce commentaireFinalement, l'information du drone survolant le site de Denise et Maurice en Lozère s'est terminée en tuyau crevé... Jamais à aucun moment les épouvantails et leurs auteurs n'ont été évoqués dans la retransmission de l'étape qui emmenait les coureurs à travers l'Aubrac vers Le Puy en Velay (fort belle étape avec de jolis plans de cette magnifique partie du Massif Central). Je ne sais pas à quoi ont servi les vues du drone qu'évoquait RR à grands renforts de trompe dans ses précédents commentaires. Comme d'habitude, les commentaires cultureux du commentateur Franck Ferrand commis pour cette fonction à la place du vieux baveux Jean-Paul Truc, n'ont parlé que d'églises et de châtelains. Même le passage du peloton à St-Alban-du-Limagnole n'a soulevé aucun souvenir que c'était dans l'asile psychiatrique du lieu qu'a été inventée la psychothérapie institutionnelle (années 1940-1960) qui améliora la vie des malades dans les décennies qui suivirent, et encore moins que c'est en cet endroit que vécut Auguste Forestier, premier créateur brut que rechercha Dubuffet avant son fameux voyage en Suisse (et avant son voyage à St-Alban même), voyage en Suisse dans les asiles que les Suisses voudraient présenter comme le voyage fondateur de l'art brut (alors qu'il n'est que le premier moment où apparaît le terme "art brut").
Bon, on me dira que le Tour de France n'est pas le lieu pour parler de ce genre de chose. Mais pourquoi pas, en même temps? Le Tour est un événement populaire, et les créateurs de bord de routes, l'art brut lui-même pour une bonne part, l'art naïf (où le vélo joue souvent les premiers rôles), sont pourtant à l'évidence à mettre en relation directe avec lui.
Écrit par : Le sciapode | 20/07/2017
Répondre à ce commentaireMerci, cher Sciapode, de rappeler l'importance de Saint-Alban de Limagnole dans la création de la psychothérapie institutionnelle, où, après la Seconde Guerre mondiale, des psychiatres comme Jean Oury et François Tosquelles ont tenté de traiter la folie de façon non répressive, voire libertaire. Sur Tosquelles, ancien révolutionnaire catalan antistalinien membre du POUM, on peut voir un beau documentaire de François Pain, Danièle Sivadon et Jean-Claude Pollack en cliquant sur le lien suivant : https://vimeo.com/167991974
Écrit par : L'aigre de mots | 21/07/2017
Je vous trouve un peu facilement ironique, le Sciapode ! Mon information n'était pas un "tuyau crevé" mais un tuyau que France Télévision n'a sans doute pas jugé utile de raccorder au réseau. J'écrivais d'ailleurs:
"le survol du site de Denise et Maurice a été filmé par un drone cette semaine. Ce qu'il en restera effectivement lors de la retransmission de l'étape, je n'en sais rien."
Il n'en est donc finalement rien resté...
Je profite de ce commentaire pour informer les éventuels lecteurs normands de ce blog que le film sur Denise et Maurice sera projeté le jeudi 27 juillet à 18h (entrée libre) au cinéma le Drakkar à Dives sur Mer dans le cadre du festival "rencontres d'été en Normandie" consacré cette année au thème des "libertés" (vaste sujet, je vous l'accorde). Mais je suis très content que le film ait été sélectionné précisément dans le cadre de cette thématique car le sujet des environnements est rarement traité sous cet angle qui me semble pourtant fort pertinent. C'est d'ailleurs entre autre la lecture de ma préface au livre de Bruno Montpied "éloge des jardins anarchiques" dans laquelle j'évoque cette dimension plus politique qui a motivé les organisateurs pour m'inviter à cette manifestation.
https://www.rencontresdete.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=177&Itemid=2
Écrit par : RR | 20/07/2017
Répondre à ce commentaire"... le sujet des environnements est rarement traité sous cet angle [de la liberté, de la dimension politique...]"... Euh, vous y croyez vraiment à cette rareté? Vous ne croyez pas que vous vous attribuez des mérites déjà bien acquis à d'autres? Car enfin, de quoi parle-t-on donc, par exemple dans les livres qui se sont consacrés aux inspirés du bord des routes, si ce n'est de liberté?
Écrit par : Le sciapode | 21/07/2017
Répondre à ce commentaireQuels livres ? Ceux édités il y a 30 ans et beaucoup plus encore (celui de Gilles Ehrmann, par exemple) oui bien sûr, mais pour de plus récents...je n'en vois pas beaucoup. Citez-moi ceux auxquels vous pensez ? De manière générale même les interventions publiques sur les créations spontanées (et à plus forte raison lorsqu'elles se font dans un cadre universitaire ou dans les murs d'une galerie) ne développent jamais de lecture politique du phénomène social dont elles parlent. Assez curieusement si la critique et l'art contemporain politisent à outrance leurs discours (sur un mode évidemment très factice: quelle création "n'interroge" pas la liberté aujourd'hui ?) ces mêmes critiques (je ne citerai personne) ne notent par contre jamais la nature libertaire (dans la démarche) et transgressive es environnements spontanés. Je persiste donc et je signe: cette préface à votre livre (que vous devriez relire d'ailleurs) a à cet égard un caractère de manifeste que je ne vois pas exprimé ailleurs dans l'époque présente. Je ne m'attribue donc rien de manière abusive, tel que vous le sous entendez. (Excusez-moi cher Sciapode, mais je ne raisonne pas en termes de "mérites" acquis ou pas. Les idées appartiennent à ceux qui s'en servent. Cela vaut pour moi comme pour vous)
Écrit par : RR | 21/07/2017
Ah, mais vous écartez d'un revers de main bien pratique ce qui se dit ou s'écrit depuis 30 ans (et même plus longtemps que ça, si l'on pense aux surréalistes et à Breton auteur d'un texte pas mal orienté du côté du libertaire, "L'art des fous, la clé des champs" (vers 1946) et aussi plus ancien (1933), son texte sur l'art médiumnique, "Le message automatique"), comme si tout ce sur quoi reposent les fondations de la "culture brute" ne comptait pour rien dans les opinions que peuvent professer nos contemporains à propos d'art brut...
S'il n'y a pas énormément de textes de la part des universitaires apparus récemment dans le champ de l'histoire et de la critique de l'art brut, revendiquant une position libertaire caractérisée (l'universitaire est prudent et ne veut pas risquer de se faire mal voir), on ne peut oublier tout ce qui a été produit du côté de Lausanne, après 1975 ("L'Art brut" de Michel Thévoz, chez Skira, est paru cette année-là) pour ne parler que de la collection de l'Art Brut, du temps où Michel Thévoz était le directeur de la collection. Il avait de la sympathie pour l'anti-psychiatrie par exemple, et a caractérisé une exposition conçue par Claude et Clovis Prévost sur les environnements spontanés "comme un éloge de l'anarchie architecturale" (en 1978-1979). Par ailleurs il a toujours défendu chez les auteurs d'art brut l'attitude asociale, comme par exemple (un exemple parmi tant d'autres), lorsqu'il soutenait Martial Richoz, "l'homme-bus", cet excentrique qui circulait dans les rues de Lausanne en conduisant un bus imaginaire seulement matérialisé par une sorte de diable pourvu de simili cadrans de tableau de bord.
Plus généralement, il a toujours défendu les auteurs d'art brut d'un point de vue libertaire. Lucienne Peiry, qui lui a succédé, a tenté de maintenir cette ligne, reconnaissant l'aspect subversif de l'art brut, sans être aussi saignante certes.
Il y a chez les auteurs de livres sur les environnements spontanés - plus globalement et vaguement il est vrai - une attitude admirative envers les créateurs autodidactes qui brisent les lignes de l'art admis officiellement. Cela ne dépasse pas certes le champ de la critique artistique. Mais c'est un bon début sur le chemin d'une critique sociale plus générale, vous l'admettrez peut-être.
Du côté situationniste, Bruno Montpied (c'est bon de parler de soi à la 3e personne...) a, à un moment, recherché ce qu'il pouvait y avoir comme rapports entre l'art brut et "l'utopie situationniste", et il a tiré de ces recherches une longue étude, malheureusement non disponible en français (mais qui n'en existe pas moins aux USA ; j'attends toujours de trouver une occasion de la publier en français), en 2000-2001 (il s'excuse d'avoir été aussi pionnier dans le domaine) intitulée "Art brut et utopie situationniste : un parallèle", insérée dans un dossier spécial sur les architectures "outsiders" publiée sous la direction du sociologue de l'art Frédéric Allamel dans l'universitaire "The Southern Quarterly Review" (université du Mississipi...). Voici du reste l'intitulé exact, extrait de la bibliographie complète de Bruno Montpied: "« Outsider art, the situationist utopia : a parallel » (« L’Art Brut, l’utopie situationniste : un parallèle »), dans "The Southern Quarterly Review", vol.39, n°1-2, Hattiesburg (Université du Sud Mississippi), USA, automne 2000-hiver 2001 (étude comparée de deux phénomènes contemporains, le rassemblement de l’art brut par Jean Dubuffet au service d’une certaine vision de l’art et l’utopie des débuts du mouvement situationniste, dans les deux cas une même problématique de collusion de l’art avec la vie quotidienne).
Il y a en effet nombre de convergences et de parallèles à noter entre les deux phénomènes. Par exemple, la participation du situationniste et ancien fondateur du groupe COBRA, Asger Jorn à la deuxième compagnie de l'Art Brut... Qui exerça une influence possible sur une radicalisation possible de Dubuffet en 1968 lorsqu'il publia "Asphyxiante culture" dans la collection de pamphlets de Jean-Jacques Pauvert, justement appelée "Libertés"...
Le même Montpied a également commis des articles pour des périodiques anarchistes ("Le Monde Libertaire" -article sur un environnement à Champigny, celui de Maurice Lellouche- et "Réfractions", dans lequel fut publié le titre qui servit de titre général au recueil paru en 2011 aux éditions de l'Insomniaque, "Eloge des jardins anarchiques").
Vous oubliez de renseigner les lecteurs de ce blog sur le fait que c'est bien parce que Montpied cherchait des appuis dans le monde libertaire, voire au delà (les post-situs? Ce qui restait des surréalistes? Voir sa participation à la revue "Surr" où Montpied essaya de propager dans le groupe surréaliste parisien au début des années 2000 l'intérêt pour l'art brut et l'art singulier vus comme des phénomènes d'expression libérée des hiérarchies et du système de valeurs admises dans "l'Establishment"), qu'il est allé rencontrer un certain Remy Ricordeau, lors d'une projection d'un de ses films. Il savait assez bien qu'il saurait trouver de ce côté-là une oreille attentive à une interprétation libertaire, indépendante de tout parti, y compris d'un parti libertaire, par horreur du militantisme et de tout enrégimentement. Le discours qui s'entend à travers les commentaires du film "Bricoleurs de paradis", écrit à l'origine du projet du film par les deux compères en commun, reflète leur accord intellectuel et une prise de position en harmonie. La préface au livre "Eloge des jardins anarchiques", sorti en même temps que le film, oubliez-vous que c'est ce même Montpied qui vous la proposa? Pourquoi venir redemander sa lecture, comme si je ne savais pas sa teneur, imprégnée d'idées voisines des miennes?
Simplement, ce qui peut nous différencier peut-être, c'est que je n'éprouve aucunement le besoin de faire savoir à grands renforts de trompette que je défends un angle d'attaque "politique" caractérisé, qui souvent se leste d'une certaine lourdeur, risquant même de tuer le sujet dès qu'il s'agit d'y appliquer une grille d'analyse un peu trop circonscrite, voulant à tout prix faire passer le "chameau" par le chas de son aiguille...
Enfin, on pourrait également vous rappeler qu'il existe d'autres types d'interprétations qui sans être nettement rattachables à un point de vue libertaire, ne s'en rapprochent pourtant pas moins, comme les grilles d'analyse des amateurs de contre-culture (comme Laurent Danchin par exemple) ou les prétendus libertaires du type de Jean-François Maurice qui animait la défunte revue "Gazogène" dans le Lot.
On pourrait citer aussi les films et les articles de Philippe Lespinasse, documentariste proche de revues comme "Siné-mensuel" et de personnalités comme Philippe Carles, ce même Lespinasse se revendiquant de la pensée d'un Pierre Bourdieu (toutes références que j'ignore personnellement, je ne les cite que pour information).
Écrit par : Le sciapode | 21/07/2017
Mais je vous laisse vos mérites que je ne vous discute évidemment pas (même si je persiste à ne pas raisonner en termes de "mérite", notion qui personnellement me déplait, mais peu importe). Je n'évoquais pas ce qui a été publié il y a plus de 20 ans, j'évoquais les publications, critiques ou articles de presse les plus récents (je parlais d'époque présente). La réception d'une œuvre ou d'un phénomène évolue selon les époques, justement. Il se trouve qu'en l'espèce la réception des environnements spontanés, après avoir été très politique comme vous en résumez très bien l'histoire, s'est peu à peu dépolitisée et qu'aujourd'hui c'est une approche universitaire aseptisée qui me semble plutôt privilégiée. Ma préface, (comme votre livre bien sûr) ou le film qu'il l'accompagnait tendaient entre autre à prendre le contre pied de cette évolution. C'est en tout cas sur cette base et ce constat que je me suis engagé à trouver un producteur sensible aux approches politiques et sociales (Temps noir qui vient de produire pour Arte une très bonne "histoire de l'anarchisme" en 2 volets) pour le film et un éditeur également "politique" (L'insomniaque) pour le livre et que nous nous sommes entendus et avons collaboré. Cependant, je ne vois aucun renfort de trompettes pour affirmer mon "angle d'attaque" politique. Je rappelais juste à l'occasion de l'annonce de ce festival qui traite cette année du thème des "libertés" que la lecture de ma préface a entre autre motivé mon invitation à venir présenter mon film. Mais je m'en excuse: je comprends maintenant qu'au regard de vos mérites acquis, je devrai la prochaine fois inciter les organisateurs à vous inviter plutôt que moi.
Écrit par : RR | 22/07/2017
Répondre à ce commentaireLa critique comme quoi il y a actuellement une nouvelle catégorie de gens -universitaires et marchands alléchés par la viande fraîche de l'art brut- qui se sont emparés des créateurs autodidactes inspirés s'est maintes fois exprimée sur ce blog, il me semble, en notes comme en commentaires. Et je dois dire que ce genre de critiques a également lieu énormément en privé, dans les correspondances, les confidences des uns et des autres.
Ce blog se voit aussi comme un lieu de résistance à cet accaparement de l'art brut par une nouvelle caste de nécrophages, caste qui laisse dire, par exemple, par le truchement de quelques journalistes, que les pionniers de la communication autour de l'art brut étaient des gens qui voulaient se garder jalousement pour eux seuls l'art brut. C'est un mensonge et un retournement éhontés. Les dits pionniers, n'étant pas issus de la diaspora journalistique, de la profession communicante -qui se foutait royalement de l'art brut, tant que ce dernier ne voyait pas ses cotes monter- faisaient comme ils pouvaient, avec les moyens limités dont ils disposaient. Ils étaient passionnés, ils voulaient faire connaître leurs passions, mais ils étaient pauvres. J'en ai fait partie, je sais de quoi je parle. Dire aujourd'hui que ces pionniers (les Maurice, les Ryczko, les Caire, les Danchin, les Montpied, etc.) ne voulaient pas partager est une monstrueuse saloperie. C'est reprocher la faiblesse des moyens qu'avaient ces pauvres passionnés d'art brut, tout en profitant par dessous de leurs informations malgré tout distillées.
Bon... Et pour répondre à vos critiques récurrentes sur la question des "mérites", sachez que je n'emploie pas le mot au sens de mérite agricole. Il ne s'agit pas pour moi de réclamer une statue ou une médaille-colifichet à m'accrocher sur la poitrine. Mais seulement de répondre à ce qui me paraissait de votre part un éloge quelque peu égocentrique de votre propre revendication "politique", comme si cette dernière était isolée (ou la seule valable). Cela m'a paru un peu énorme, ce cavalier seul, je l'avoue. Et j'ai du coup rapproché cela de votre défense précédente - dans une autre série de commentaires à ma note sur les anonymes de l'art - de l'amour-propre et du désir de reconnaissance. Ces sentiments que je trouve légitimes, l'on se doit de les préserver de pencher vers le culte de la personnalité et des chevilles qui enflent, travers qui peuvent toujours se manifester quand on se tresse des couronnes en solitaire dans un domaine où l'on n'est pas seul justement...
Enfin, l'invitation par le festival de Dives-sur-Mer, je ne vous la dispute guère et vous le laisse honorer bien volontiers, soyez-en sûr.
Écrit par : Le sciapode | 22/07/2017
Votre polémique porte sur le fait que vous êtes d'accord, donc ? Allez, un poutou et on oublie !
Écrit par : Michel Nulpar, artiste brut | 22/07/2017
Répondre à ce commentaireEt bien au moins ce quiproquo aura servi à retracer l'histoire de la réception des environnements spontanés et de la lecture politique qui l'a caractérisée dès l'origine. De rappeler également le bien fondé et la nécessité renouvelée de cette approche dans la manière de les traiter. Et pour finir, de réitérer notre dégoût partagé pour cette clique de nécrophages qui non contents de vivre sur la bête "brute" (ce que je leur reproche finalement le moins) enrégimentent celle-ci dans l'art réifié.
Écrit par : RR | 24/07/2017
Répondre à ce commentaire...dans l'art réifié (c'est à dire "chosifié" ) dont ils se font les promoteurs aurais-je dû préciser, mais cela allait de soi, je pense.
Pour rappel, définition de la réification: "transformation effective d'un rapport social, d'une relation humaine en « chose », c'est-à-dire en système apparemment indépendant de ceux pour lesquels ce processus s'est effectué".
Écrit par : RR | 26/07/2017
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