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26/10/2020

Du nouveau pour la mémoire de Martine Doytier

     M. Alain Amiel m'a écrit – suite aux notes que j'avais consacrées à cette artiste – pour me signaler la constitution d'une Association des Amies et Amis de Martine Doytier, forte à l'heure où je trace ces lignes de cent adhérents (pour en faire partie, cliquer ici). Cela fait beaucoup d'amis... Cela s'accompagne de la création d'un site web  entièrement consacré à elle: http://martinedoytier.com/.

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Martine Doytier "enchaînée" sous les essuie-glaces d'une camionnette, de Ben apparemment (je dis "apparemment" car la photo – extraite du site des Amis de M.D. – n'a pas de légende, me semble-t-il).

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Martine Doytier avec son chien "qui n'aimait qu'elle", photo extraite du site web des Amis de M.D ; elle paraissait bien défendue...

 

      Sur ce site, on trouve un lien vers Instagram avec des photos d'œuvres retrouvées ainsi que des portraits de Martine Doytier, cette artiste qui fut classable un temps dans l'art naïf (elle fréquenta Frédéric Altmann et Anatole Jakovsky) et aussi dans une forme d'art visionnaire (assez tourmenté). Les photos représentent, me semble-t-il, souvent des détails de peintures (pour avoir le titre, les dimensions de la totalité du tableau il faut cliquer sur l'icône montrant un schéma de maison en haut de l'écran, je dis ça pour les Nuls dans mon genre que l'on a oublié d'initier aux arcanes d'Instagram). Est frappante cette grande peinture sur triptyque, que l'artiste laissa inachevée après son suicide en 1984, une sorte de portrait grouillant, visionnaire, des différents protagonistes de la vie artistique niçoise que côtoya Martine Doytier (voir ci-dessous).

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Triptyque de Martine Doytier (inachevé), Autour de Nice, avec son autoportrait en peintre vers la droite.

 

          Dans la première Newsletter de l'Association, je retiens la déclaration suivante au sujet des peintures non encore répertoriées de Martine Doytier : "Nous avons lancé une opération de recherche pour tenter de retrouver certaines des œuvres qui ne sont pas localisées ou qui nous sont encore inconnues ! Peu à peu, nous avançons, mais il y a encore beaucoup à faire ! A ce jour, environ une soixantaine d’œuvres est identifiée dont moins de la moitié est localisée. Cela veut dire que nous en connaissons les propriétaires et que nous sommes donc en mesure de documenter les œuvres, voire d'en demander le prêt lorsque nous organiserons une exposition." Le but de ces recherches et de la fondation de l'association est bien de construire le catalogue raisonné de l'œuvre de cette peintre restée si longtemps dans l'ombre de l'Ecole de Nice. C'est ce à quoi s'est attelé Alain Amiel, en même temps qu'à une biographie actuellement en chantier, quoique bien avancée.

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Martine Doytier, peinture au titre non identifié, 2F, huile sur Isorel, 1952, collection Jean Ferrero (que je remercie de me l'avoir montrée), ph. Bruno Montpied.

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Verso de la peinture précédente, coll. Jean Ferrero, ph. B.M.

 

     "Un appel est donc lancé à tous ceux qui détiendraient des documents ou des informations permettant de retrouver les œuvres de cette artiste." (Site web de l'association). Pour transmettre d'éventuelles infos inédites sur cette artiste, il faut écrire à : <catalogue.martinedoytier@gmail.com>. Un numéro de téléphone est aussi disponible pour ceux qui préfèrent causer de vive voix: +33 6 08 91 56 24.

      Qu'on se le dise.

15/07/2012

Louis Soutter moins souterrain

"Il a appris à regarder en dedans. Par lui, nous pouvons regarder dedans un homme. Un homme racé, cultivé, ayant passé par tous les luxes de l'argent et une vie intelligente. Et qui aujourd'hui, remontant du réfectoire triste, couvre chaque jour, à soixante-cinq ans, un papier blanc de ces âpres, fortes et admirables compositions."

Le Corbusier, "Louis Sutter, L'inconnu de la soixantaine", dans Minotaure n°9, 1936 (Le nom de Soutter est orthographié par Le Corbusier sans le "o" à la manière du nom de l'aïeul de l'artiste, "celui qui fonda la Californie")

 

louis soutter,la maison rouge,musée denys puech,art moderne,art singulier,le corbusierLouis Soutter à Ballaigues dont il fuguait à l'occasion, semant ses dessins auprès de ses amis

     C'est un été Soutter à Paris et à Rodez. L'occasion d'en découvrir plus sur cet artiste qui dessina, peignit, expérimenta, après avoir été casé contre son gré dans un asile de vieillards dans le Jura suisse, à 52 ans tout de même, sous prétexte qu'il dépensait trop, et que sa famille, dont il dépendit matériellement (il ne faut jamais dépendre des familles matériellement), ne pouvait plus le souffrir (il fut une vingtaine d'années à leurs crochets cela dit, après avoir divorcé et être revenu des Etats-Unis où il avait quitté une carrière qui paraissait prometteuse). Le Corbusier qui était son cousin, "issu de germain", précise Benoît Decron le conservateur du Patrimoine au musée Soulages de Rodez, prit fait et cause pour lui, en écrivant en 1936, six ans avant sa mort, dans Minotaure un article qui eut un certain retentissement.louis soutter,la maison rouge,musée denys puech,art moderne,art singulier,le corbusier Il ne fit pas que cela puisqu'il essaya aussi de placer ses dessins chez des collectionneurs et dans des galeries, lui permettant d'exposer aux USA à Hartford en 1935 (j'emprunte mes renseignements biographiques à la chronologie de Marion Bonnet parue dans le catalogue de l'exposition "Les primitifs sont petits - Cahiers de 1923-1930 de Louis Soutter" au Musée Fenaille de Rodez). Cela dit, l'intérêt de Le Corbusier paraît s'être singulièrement rafraîchi lorsqu'il découvrit les peintures au doigt que Soutter se mit à produire à partir de 1937 (peut-être faute à l'arthrose), production qui il faut bien le dire a beaucoup fait pour sa gloire aujourd'hui en raison de sa force et son modernisme précurseur.

 

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Louis Soutter, Le héros, (recto d'une feuille dessinée aussi au verso), exposé à La Maison Rouge, provient de la galerie Karsten Greve


      S'il eut une période de dessin plutôt académique dans sa jeunesse, pratiquant un réalisme imitant la perception rétinienne – il exerça en outre le métier de professeur de dessin ; il jouait parallèlement du violon dans des orchestres après avoir été l'émule et l'ami du compositeur Ysaye – c'est à partir de 1923, date à laquelle sa famille le relégua à l'hospice, qu'il commença véritablement à dessiner d'une façon qui retient aujourd'hui l'attention des esthètes, et notamment de ceux qui s'intéressent aux marginaux de l'histoire de l'art moderne.

 

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Je crois que le titre de ce dessin est "Les premières primevères à Ballaigues"


      Après sa période académique, on distingue trois périodes dans sa production plus originale, les dessins de 1923 à 1930 exécutés sur des cahiers à papier quadrillé, seuls supports qu'il pouvait se procurer,  les dessins dits "maniéristes "de 1930 à 1937, et enfin les peintures aux doigts des années 1937-1942. Il disparut cette dernière année, et sans doute pressentait-il sa fin, et depuis longtemps, tant son œuvre paraît en être obsédée. Plusieurs photos de lui le montrent tel un squelette vivant, le visage incroyablement émacié, portant beau, toujours élégant, masquant peut-être sous un dandysme provoquant sa hantise du néant (voir photo en ouverture de cette note).

 

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Louis Soutter, Voie latine et corps de fer, Prêtresses druides, expo La Maison Rouge, provient de la Galerie Karsten Greve


       Voir l'exposition de La Maison Rouge est une épreuve à dire vrai. On n'en sort pas rasséréné, si le besoin s'en faisait sentir. Le parcours aux œuvres fort bien choisies laisse un étrange souvenir de cabrioles et d'agitation contractée exécutées en contrejour sur un fond taché d'empreintes digitales, comme une danse macabre ombreuse. L'homme y est dépouillé jusqu'à l'os, on ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec l'époque (je suppose que cela a été déjà remarqué), où la "solution finale" de sinistre mémoire commençait d'être mise en action par les Nazis dans leurs camps de la mort. Il y a peu de chances que Soutter entre 37 et 42 en ait été averti. Mais le parallélisme est troublant, comme s'il s'agissait d'une anticipation visionnaire.

 

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Louis Soutter, Quatre femmes nues, période maniériste (entre 1930 et 1937), Musée Cantonal des Beaux-Arts, Lausanne

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"Les primitifs sont petits – Les Cahiers de 1923-1930 Louis Soutter", exposition au Musée Fenaille du 16 juin au 14 octobre 2012. Un catalogue est paru à cette occasion avec des textes de Michel Thévoz, Louis Pons et Benoît Decron.

"Louis Soutter, Le tremblement de la modernité", exposition à La Maison Rouge dans le XIIe ardt de Paris, commissariat Julie Borgeaud, du 21 juin au 23 septembre.

Egalement : Fondation Le Corbusier, Paris, "Louis Soutter, dessins", du 15 juin au 15 septembre ; Fondation suisse (14e ardt de Paris) "Le Corbusier, Louis Soutter–croisements", Exposition + conférence, du 28 juin au 30 septembre 2012 ; Centre culturel suisse (Paris 4e ardt), "Météorologies mentales, œuvres et livres de la collection Andreas Züst", Exposition + conférence, jusqu'au 15 juillet 2012 (là, c'est trop tard...).