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15/10/2018

Une réaction d'Antoine de Galbert à la publication récente de "L'art brut" chez Citadelles et Mazenod

      L'Outsider Art Fair est dans trois jours, grande foire d'art brut, comme on sait, et  voici qu'une volée de bois vert paraît précisément maintenant, sous la forme d'un mail circulaire, à l'encontre du livre récemment paru sous la direction de Martine Lusardy, L'art brut, aux éditions Citadelles et Mazenod. Il est signé d'Antoine de Galbert. Je le reproduis ci-dessous par souci d'information, au cas où divers amateurs ne seraient pas sur le mailing de l'auteur.

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A propos de la parution de « L’art brut » dans la collection Citadelles/Mazenod.

 

       Je viens de recevoir ce beau livre dont l’ambition est de donner à l’art brut la place qu’il mérite dans l’histoire de l’art mais il ne correspond malheureusement pas aux exigences scientifiques qui ont fait la réputation de cette collection.

       Le fait que la maison rouge n’apparaisse à aucun moment dans cet ouvrage n’est pas un oubli, mais une volonté délibérée d’en ignorer le travail. Bien plus incroyable encore est l’absence systématique dans ces pages de l’incontournable collection de Bruno Decharme et du travail remarquable de l’association ABCD. Et ne parlons pas de la bibliographie plus qu’incomplète. Je m’étonne que les Editions Mazenod aient pu confier la direction éditoriale de ce livre à une personne animée par tant de ressentiments inexplicables.

      En vérité, cet art n’appartient à personne, et les nouveaux regards qui se tournent vers lui depuis peu exaspèrent ceux qui en avaient abusivement la garde.  Il y avait une part d’aigreur dans les positions défendues par Jean Dubuffet qui a théorisé sa pensée contre le  milieu officiel dont il se sentait exclu ; une part de jalousie, dont certains de ses héritiers ont peine à se défaire. Mieux vaut défendre ce que l’on aime que l’inverse, et rien ne sert d’opposer un art à un autre.

      La maison rouge, inaugurée en 2004, m’a sans cesse donné l’occasion de décloisonner les mouvements ou les époques, dans un pays où il existait peu de passerelles entre les arts. J’ai souvent pâti de cette dichotomie absurde et idiote, qui générait  mépris et intolérance, d’un côté comme de l’autre,  alors qu’il suffisait de contextualiser chaque forme d’art pour lui trouver un intérêt. Il ne m’a jamais semblé que le dramatique enfermement mental et social des artistes de l’art brut, soit une bonne raison pour maintenir leurs créations dans la pénombre d’un ghetto culturel. Bien au contraire, c’était leur faire honneur de les présenter à un public plus large.

       Nous avons organisé un grand nombre d’expositions d’art brut : Henry Darger, La collection Arnuf Rainer, Augustin Lesage et Elmar Trenkwalder, Louis Soutter, Eugen Gabritchevsky, la Collection ABCD/Bruno Decharme…  De nombreuses expositions thématiques comme Inextricabilia (proposée par Lucienne Peiry) ou plus récemment L’envol, ont accueilli de ces œuvres, empruntées au musée de Villeneuve d’Ascq, à la Collection de l’art brut de Lausanne, à la collection Prinzhorn, et à bien d’autres… et nous avons régulièrement commandé des textes à des éminents spécialistes appartenant au sérail.

        Antoine de Galbert,

        président de La maison rouge.

 

       Personnellement, si je trouve normal qu'Antoine de Galbert vienne protester contre le fait que le livre paru chez Citadelles et Mazenod oublierait de citer les nombreuses expositions montées par lui et son équipe à la Maison rouge, de même que le livre passerait sous silence la collection ABCD, effectivement une des plus belles et plus riches collections d'art brut en France, je ne comprends absolument pas qu'il puisse parler, par ailleurs, de "ceux qui avaient abusivement  la garde" de l'art brut et qui seraient exaspérés par les "nouveaux regards" (décloisonnant) qui se portent sur l'art brut depuis quelque temps, parmi lesquels il faut compter donc ceux de la Maison rouge.

       Il n'y a jamais eu d'autres gardiens du temple brut que Dubuffet et Thévoz pendant longtemps (et après tout, cela permit d'imposer dans le monde de l'art, qui l'avait largement ignoré jusque là, malgré les efforts des avant-gardes de la première moitié du XXe siècle, ce champ particulier de création où tous deux trouvaient de l'unité). C'est seulement à partir de 1995-1996, à l'occasion de l'exposition "Art brut et compagnie", montée à la Halle St-Pierre par Laurent Danchin et – tiens! – justement la Martine Lusardy interpellée aujourd'hui par Antoine de Galbert (car c'est elle, "la personne animée par des ressentiments"), que la Collection de l'Art Brut de Lausanne a accepté de prêter à l'extérieur de leur institution des œuvres de leur collection, dans un projet qui confrontait diverses collections à celle de Lausanne pour la première fois (l'Aracine, le petit musée du Bizarre, le Site de la Création franche, la Fabuloserie et la collection Cérès Franco). Ce projet d'il y a plus de vingt ans devançait ceux que la Maison rouge fit de son côté par la suite, à partir de 2004 donc (et qui furent, effectivement de fort instructives manifestations). On ne  peut donc reprocher à Mme Lusardy d'avoir été une gardienne du temple de l'art brut, car elle aussi avait "décloisonné", bien avant M. de Galbert. Il se trouve seulement que tous ceux qui se passionnent pour l'art brut n'ont pas forcément les mêmes manières de comprendre l'art brut.

     Mais peut-être, cela dit, faudrait-il regarder plus attentivement ce que l'on envisage aussi parfois derrière tous ces "décloisonnements" (que les surréalistes, pour leur part, avaient initiés, bien avant qu'un Dubuffet ne vienne faire main basse sur l'art qu'il étiqueta "brut"). S'il s'agit de rendre l'art brut soluble dans l'art contemporain le plus cérébral –  afin d'élargir la clientèle des galeries d'art brut – comme a tendance à vouloir le faire un galeriste comme Christian Berst, personnellement, je trouverais normal d'émettre quelque avis opposé, sans pouvoir être taxé pour autant de "gardien abusif de l'art brut", terme au fond qui ne veut pas dire grand-chose (et désigne peut-être, de la part de celui qui l'utilise, un désir secret de s'emparer, à son tour et à son seul profit, de l'art brut en question?).

      Il est plus que normal de défendre ce que l'on aime. Ce qui n'entraîne pas qu'on veuille l'enfermer dans un ghetto non plus...

11/06/2018

Infos-Miettes (31)

Briantais et Estaque chez LFLF2015 à St-Malo-de-Guersac

       Du 1er au 31 juillet prochain, ces deux artistes, dont j'ai plus d'une fois mentionné l'existence et les œuvres, rapprochent ces dernières pour une espèce de dialogue... Dans le cadre d'un de ces lieux comme il en apparaît régulièrement dans les mailles serrées du patchwork des petites communes françaises. Le vernissage est prévu pour le 7 juillet à partir de 16h. LFLF2015 (oui je sais, c'est plutôt cabalistique, et il faut trouver le coin où aura lieu l'expo : 56 ile d'Errand, Loire-Atlantique St-Malo-de-Guersac, tél: 06 18 97 13 63).

 

Créations populaires en Mayenne

      Et revoici une production de l'association CSN (Création Singulière et Naïve) – qui semble avoir laissé tomber le numéro de département qui flanquait son acronyme précédemment (53, le département de la Mayenne).

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Cénéré Hubert, un moulin illustré, photo Michel Leroux.

 

     Elle propose une exposition de quatre autodidactes singuliers , aux lisières de l'art naïf et de l'art brut, Gustave Cahoreau (dessinateur et sculpteur, bof...; voir ci-contre la tête chapeautée)bernard briantais,jean estaque,lflf2015,art singulier, Patrick Chapelière (passablement inégal, et souvent "décoratif" depuis quelque temps semble-t-il ; voir ci-contre œuvre de 2018)bernard briantais,jean estaque,lflf2015,art singulier, Raymond Lemée (ce dernier paraît recycler les crucifix : moi, je dis beurk!) et Céneré Hubert, à mon avis le plus intéressant des quatre (Michel Leroux et Jean-Louis Cerisier, qui interviennent dans cette association, ont souvent défendu ce dernier qui est un peu leur découverte ; ils m'ont du reste aidé à illustrer la notice que j'ai consacrée dans mon livre Le Gazouillis des éléphants à ce créateur, également l'auteur d'un environnement naïvo-brut à St-Ouën-des-Toits). L'expo se tiendra du 13 juillet au 26 août, à la Bergerie du château de Sainte-Suzanne, fort joli village mayennais, paraît-il.

(Ce sera ouvert tous les jours, de 10h00 à 19h00. Entrée libre. Un catalogue accompagne la manifestation. Il sera disponible (offert par le CIAP) à la librairie du château, face au lieu d’exposition).

 

"L'envol ou le rêve de  voler" à la Maison Rouge

      Du 16 juin au 28 octobre prochain, aura lieu à Paris une expo conjointement organisée par Antoine de Galbert et la collection ABCD sur le thème du rêve de voler. Ce sera la dernière de la Maison Rouge... Il y sera question sans doute, et entre autres, de Gustav Mesmer, cet aviateur en herbe, renouvelant le rêve des pionniers de l'aviation avec leurs drôles de machines volantes dont ont déjà parlé diverses autres publications et expositions fournies autrefois par la Collection de l'Art Brut. On se rappelle en particulier l'expo et le catalogue de "L'Art Brut dans le monde" qui contenait six petits courts-métrages dont un sur ce Mesmer. Mais ce ne sera pas le seul "Icare" de représenté dans cette expo puisque le dossier de presse annonce 130 artistes et créateurs, dont les œuvres (on en annonce 200) relèvent tantôt de l’art moderne, tantôt de l'art contemporain, tantôt de l'art brut, voire de l'art ethnographique ou populaire. Un peu du méli-mélo en somme, comme l'aime Antoine de Galbert...

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Gustav Mesmer

 

Carlés-Tolra, et l'amour, au Musée de la Création Franche cet été

      Deux expos en effet, distinctes, quoique dans un même lieu cet été à Bègles. "Le monde selon Carlés-Tolrá" d'une part, véritable rétrospective de cet artiste, grand ancien de l'art singulier (terme que l'on peut présenter comme synonyme de "neuve invention", voire de "création franche" – même si cette dernière expression cherche à intégrer également l'art brut, l'art naïf, même certaines expressions surréalisantes), du 15 juin au 2 septembre 2018, et "All I need is love" pour l'autre part, du 15 juin au 19 mai 2019. Sur l'expo Carlés-Tolrá, voici ce que précise le musée: "Pour la 90e année de cet auteur majeur de la collection Création Franche, le Musée lui consacre 6 salles où seront présentés, outre des œuvres du fonds de collection, des prêts exceptionnels du créateur comme ses premières peintures, des lettres échangées avec Jean Dubuffet dont il était proche et des œuvres de sa collection personnelle." On notera cette mention d'œuvres venues de la collection de l'artiste, chose qui reste peu connue chez Carlés-Tolra.

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Ignacio Carles-Tolrá.

 

     Dans le cadre de "All I need is love", qui est une sélection, un ré-accrochage  des collections permanentes du musée sur le thème de l'amour (votre serviteur  y a des œuvres présentées, je ne sais lesquelles, je rappelle que le musée conserve une donation de 129 (à peu de choses près...) de mes peintures et collages), une playlist a été proposée, en réalisation collaborative, à tous les internautes que cela stimulait. A signaler que l'animateur de ce blog y est allé également de ses propositions. Un petit jeu  peut donc s'esquisser (mais il n'y a pas de prix à gagner cette fois...). A vous de deviner au moins un morceau proposé par le Poignard... Cependant il me semble qu'il faut posséder un abonnement à Deezer, ou alors il faut écouter au musée toute la playlist (au moins 177 morceaux...).

 

Collection de l'Art Brut à Lausanne, nouvelle expo : "Acquisitions 2012-2018"

     Du 8 juin au 2 décembre 2018, vient de commencer la présentation d'une sélection d'œuvres acquises par la Collection depuis que Sarah Lombardi en est devenue la directrice. Cela donne plus de 150 œuvres en exposition. En même temps, paraît le fascicule de l'Art Brut n°26, avec des mini monographies sur certains créateurs récemment entrés dans la Collection, Charles Boussion, Gaël Dufrène,  Dunya Hirschter, Mehrdad Rashidi, Bernadette Touilleux, Royal Robertson, Michel Nedjar (pour la deuxième fois ; car il avait déjà fait l'objet d'une notice dans le fascicule n°16 en 1990, décidément Lausanne lui voue un véritable culte), etc.

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Charles "Cako" Boussion, "Tzar de jadis... Icône revisitée d'après un tableau sur bois, de Charles Cako Boussion, Montpellier, novembre 2011 à l'âge de 86 ans", peinture sur papier, 42x29,7cm ; ph. et coll. Bruno Montpied.

01/05/2018

Ceija Stojka, le coup de poing de la mémoire

      La Maison Rouge à Paris va bientôt fermer, on le sait bien, hélas. Ce sera un haut lieu de la culture alternative, avec des propositions très souvent illuminantes, qui disparaîtra sans que rien d'équivalent ne naisse pour la remplacer, du moins  à l'instant où j'écris ces lignes (ce sera un grand trou dans le paysage culturel parisien). Et les dernières expositions qu'elle organise, comme celle consacrée à la créatrice et témoin rom autrichienne, "Ceija Stojka" (1933-2013), "une artiste rom dans le siècle", ou celle présentant la collection de Mme Déborah Neff, consacrée à des poupées noires américaines, "Black dolls", expo tout  à fait étourdissante, excellemment muséographiée, posant plein de questions sur la place des Afro-américains aux USA sous le regard des Blancs, ou bien encore l'exposition finale à venir en juin, "L'Envol", sur le thème des artistes qui ont rêvé d'envol (du 16 juin au 28 octobre 2018), organisée conjointement par Aline Vidal, Barbara Safarova, Antoine de Galbert et Bruno Decharme, toutes ces manifestations sont comme un feu d'artifice où le bouquet final ne pourrait cesser. Hélas (bis repetita)...

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Vue parcellaire de l'exposition "Black Dolls, collection Déborah Neff" à la Maison Rouge, ph. Bruno Montpied.

 

     L'expo Ceija Stojka, qui comme celle consacrée aux "Black dolls", se terminera bientôt, le 20 mai prochain, je l'ai vue dès le deuxième jour d'exposition, et quel coup de poing ce fut... On y revit la tragédie de la persécution et de l'extermination des Roms (100 000 morts en Autriche et en Allemagne ; on estime à 90% du total de leur population la disparition des Roms et Sintis en Autriche) par les Nazis à travers les yeux d'une enfant de 12 ans, qui peignit, et écrivit cela, à l'âge adulte (55 ans) en 1988, 45 ans après les faits, tout en ayant gardé sa fraîcheur d'enfant : sa déportation avec sa mère et des membres de sa famille dans les camps d'Auschwitz-Birkenau, Ravensbrück et Bergen-Belsen, d'où elle réchappa par miracle et grâce à des sacrifices terribles. Elle raconte comment elle et sa famille s'y prirent pour survivre (en mangeant des feuilles d'arbre par exemple, ou des lacets de cuir, du tissu... ou en se réchauffant sous des cadavres) dans quelques livres que l'on trouve en traduction française, comme Je rêve que je vis, libérée de Bergen-Belsen, ou Nous vivons cachés, récits d'une Romni à travers le siècle, tous deux aux éditions Isabelle Sauvage.

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Ceija Stojka, Ravensbrück 1944, tableau de 1994, 70x99,5cm, coll. privée, Montreuil.

 

     Ceija Stojka a voulu parler, premier témoin parmi les siens, qui eurent longtemps le secret en héritage vis-à-vis des assassins nazis (les raisons en paraissent multiples – mais c'est aussi qu'il y eut peu de rescapés des massacres et des camps, rien qu'en Autriche à peine 1200 à 1500 individus, d'après Gerhard Baumgartner dans le catalogue de l'exposition – et que les Roms se méfiaient des non Roms, vu le racisme ambiant, toujours prêt à reprendre flamme). Le souvenir la hantait, et déborda d'elle certainement. Il lui fallut se mettre à peindre, et à raconter (dans ce dernier cas grâce à Karin Berger qui cherchait des témoignages), dans les deux cas avec des moyens qu'elle s'inventa au fur et à mesure, dans un même mouvement les persécutions et les morts mais aussi la vie d'autrefois ou d'après dans la beauté de la campagne d'été (jamais d'hiver...). Un torrent d'images torturées, colorées, âpres, se déversa durant vingt ans. Elle n'eut aucun doute semble-t-il quant à la forme, aucun complexe vis-à-vis de la qualité esthétique de son témoignage, et c'est ce qui fait aussi une grande part de la force de cette œuvre au message violent, à l'expression immédiatement branchée sur le vécu atroce. Dans le film qui est diffusé sur le site de la Maison Rouge, Antoine de Galbert souligne que lorsqu'elle raconte, Ceija Stojka a toujours douze ans. Dans ses peintures aussi. Les angles de vue sont adaptés à la taille d'un enfant de cet âge. Et la facture des tableaux, si rude et fruste, est plus efficace et plus évocateur qu'une description réaliste, elle touche davantage en transmettant directement par ses lignes et ses couleurs bouleversées, et bouleversantes, le tourment de la vision et du souvenir de la peintre, à la fois psychologiquement enfantine et immergée dans l'enfance de l'art¹...

     Cette exposition est si forte, qu'elle entraîne presque le spectateur à revivre le traumatisme de Ceija Stojka, et à travers elle, l'horreur de ce que durent subir tant de ses semblables. C'est pourquoi on a du mal à en parler après, parce que l'on touche un peu du bout de l'âme les raisons du silence des rescapés, l'immense silence de mort et d'horreur qui saisit celui ou celle qui voit tout à coup ce qu'un homme peut infliger comme supplice à un autre homme, au nom de mythes, de mensonges, d'idéologie, de lubies funestes.

      Ce qui a contribué Ceija Stojka à parler s'explique derrière un de ses tableaux par cette inscription laconique qui murmure, comme dans un souffle, qu'il lui semble toujours qu'Auschwitz n'est pas complètement mort et qu'il dort seulement... Et donc que jamais il ne faudra baisser la garde.

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Ceija Stojka

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¹ L'enfance est peut-être le trait d'union des deux expositions, davantage que le racisme. Cette enfance qui porte en elle l'espoir d'abolition de la haine raciste. Car le racisme, tant qu'il ne lui a pas été inculqué par les adultes, n'existe pas chez l'enfant.

20/09/2014

Info-miettes (25)

     C'est bientôt l'automne, ma saison préférée, et il pleut des événements plus ou moins bruts: demandez le programme...

    Dans le cadre de la "S" Grand Atelier, structure dans les Ardennes belges (Vielsahm)... pour les créateurs déficients mentaux, on aime à mixer ces derniers avec des auteurs de bande dessinée voire d'autres types d'artistes (il sont, je cite: "pour l’éclatement des catégories artistiques et la valorisation des nouveaux langages issus de la mixité entre artistes outsiders et artistes contemporains":...Ouais, ouais, ouais... Le grand méli-mélo à la mode ces temps-ci où l'art contemporain tente de se faire une perfusion de sang frais)

     Diverses expos, conférences, débats sont annoncés en France, plus ou moins en rapport avec cette "S" Grand Atelier, je ne retiens personnellement que les expos ci-dessous :

1. L’ARMY SECRÈTE
Au sein de l’exposition : Bruno DECHARME, Art Brut/ Collection ABCD
La Maison Rouge, 10 Boulevard de la Bastille, 12ème
Du 18 octobre 2014 au 18 janvier 2015

(Une grande exposition de la collection ABCD? Hmm... Cela devrait être le grand événement de la fin de l'année donc).

2. "Chefs-d'oeuvre", carte blanche à Bruno Decharme en parallèle à l'expo de La Maison Rouge (le titre exact étant "Masterpieces", mais j'ai traduit car j'en ai marre du snobisme qui consiste à se  coucher, en France, devant les clients anglo-saxons en se mettant à parler leur langue). Ce sera du 21 octobre au 29 novembre à la Galerie Christian Berst : 5 Passage des Gravilliers, 3ème, Paris. Avec des œuvres d'Aloïse, Jaime Fernandes, Domsic, Guo Fengyi, Joseph Lambert (peu connu, il me semble), Tichy, Stoffers, Schroder-Sonnenstern, Zemankova, Scottie Wilson, etc... On ne sait pas si parmi ces œuvres certaines seront à vendre, car en définitive on est encore dans une galerie. ABCD se séparerait-elle de certains de ses joyaux?

 

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Un dessin d'Eric Derkenne tel qu'on le voit sur le site web d'ABCD, des faces, ou des bouts de faces agrandies, striées...


3. ÉRIC DERKENNE : CHAMPS DE BATAILLE
Exposition rétrospective
Commissariat : Gustavo Giacosa
Espace abcd, 12 rue Voltaire, 93100 Montreuil
Du 26 octobre au 19 décembre 2014
Vernissage 25 octobre 19heures en partenariat avec l’Outsider Art Fair

Ce que j'ai vu de ce Eric Derkenne ne m'enthousiasme guère. C'est austère, très facile à rapprocher de certaines œuvres exsangues que l'on nous exhibe régulièrement chez nos plasticiens contemporains, un créateur venu d'atelier pour handicapés mentaux semble-t-il, posant une fois de plus la question des influences possibles occultes ou déclarées des artistes qui pilotent ces ateliers...

4. MATCH DE CATCH à VIELSALM / VIVRE à FRAN DISCO

Bandes dessinées, peintures, sculptures et installations, rencontre du créateur trisomique Marcel Schmitz et de l'auteur de BD Thierry Van Hasselt autour d'une cité imaginaire, Fran Disco, créée par Schmitz.
Commissariat : Barnabé Mons et Thierry Van Hasselt
Chez Agnès B., 17 rue Dieu, 10ème
Du 29 octobre au 08 novembre 2014
Vernissage 28 octobre 18 heures

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Coco Fronsac toujours sur la Rive Gauche

    Là, on est plutôt du côté de l'art contemporain franchement assumé. Mais un art contemporain primesautier, poétique, imaginatif, humoresque, pas très éloigné des anciennes œuvres de Prévert, du groupe Panique, de la 'Pataphysique, etc. L'exposition est déjà commencée, et se finira début octobre, comme on le verra en déchiffrant l'affiche ci-dessous.

 

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La Maison de verre, André Breton, initiateur et découvreur

    Au Musée Henri-Martin à Cahors commence ce 20 septembre une exposition consacrée principalement au Breton installé à l'Auberge des Mariniers de St-Cirq-Lapopie, qui cueillait des agates dans le lit du Lot, des racines aux formes suggestives, prenait fait et cause pour le mouvement des Citoyens du Monde de Gary Davis, se passionnait pour les hasards objectifs, autant de points qui seront évoqués dans l'exposition, avec un rassemblement, dit le dossier de presse, d'une impressionnante collection d’œuvres et de documents, dont certains parfaitement inédits, paraît-il. Un catalogue sort à l'égide de l'Atelier André Breton et des Editions de l'Amateur.

la s grand ateleir,art des déficients mentaux,trisomiques,marcel schmitz,mixité outsider et art contemporain,abcd,eric derkenne,gustavo giacosa,la maison rouge,cités imaginaires,galerie agnès b.    "Je n’ai pas connu d’homme qui ait une plus grande capacité d’amour. Un plus grand pouvoir d’aimer la grandeur de la vie et l’on ne comprend rien à ses haines, si l’on ne sait pas qu’il s’agissait pour lui de protéger la qualité même de son amour de la vie, du merveilleux de la vie. Breton aimait comme un cœur qui bat. Il était l’amant de l’amour dans un monde qui croit à la prostitution. C’est là son signe. » (Marcel Duchamp, entretien avec André Parinaud, Arts, 5 octobre – 11 octobre 1966).

 Photographe non identifié, André Breton observant un crapaud, date?

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 Dans la lumière du surréalisme, galerie Les Yeux Fertiles

Les Yeux Fertiles, cette sympathique galerie de la rue de Seine dans le 6e à Paris, a la bonne idée en parallèle de l'expo cadurcienne de montrer un ensemble d’œuvres liées au surréalisme dont ce manuscrit de poème sur bois dû à Breton ("Au Regard des divinités")la s grand ateleir,art des déficients mentaux,trisomiques,marcel schmitz,mixité outsider et art contemporain,abcd,eric derkenne,gustavo giacosa,la maison rouge,cités imaginaires,galerie agnès b. rehaussé par Slavko Kopac que l'on avait déjà vu ici et là (à commencer sur le site web de l'Atelier André Breton). Un beau poème-objet en vérité. Pour les dates, faudra attendre, je ne retrouve plus ce sacré carton d'invitation, et c'est pas le site internet de la galerie qui va nous aider, ils sont toujours en retard d'une annonce d'expo... (Cependant, l'Aigre de Mots a eu l'extrême obligeance de compléter l'info manquante, voir ci-dessous dans les commentaires).

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La galerie Polysémie, une actualité fertile

      Cette galerie marseillaise a en effet une activité plutôt débordante ces temps-ci, en rapport avec la rentrée bien sûr. Si je ne partageais pas leurs goûts pour certains des artistes exposés jusqu'ici (par exemple Jean-Pierre Nadau), j'ai été intrigué et séduit par les informations reçues de leur part récemment. J'ai déjà évoqué (le 2 août dernier) l'expo de Solange Knopf qui va bientôt s'ouvrir à Paris dans une galerie louée pour l'occasion (la galerie B&B,  6 bis rue des Récollets, 10e ardt, du 30 septembre au 6 octobre). Elle y sera accompagnée des Staelens, de Gérard Nicollet et de Huston Ripley. Mais la galerie ne s'arrête pas là. Elle annonce des présentations de travaux africains singuliers ou bruts dans ses locaux marseillais (titre de l'expo: "African outsiders", du 16 octobre au 20 novembre) dont Frédéric Bruly Bouabré (récemment disparu) et Franck Lundangi (ancien champion de football). La galerie sera également présente au Salon d'Art Alternatif (Outsider Art Fair, en langage marchand) qui se tiendra une fois de plus à l'Hôtel super chic "Le A" du 23 au 26 octobre. On devrait y voir entre autres des œuvres de Philippe Azéma et d'Evelyne Postic.

 

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Philippe Azéma, œuvre présentée actuellement dans l'exposition de la Halle St-Pierre, "Sous le vent de l'art brut 2, la collection De Stadshof"

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Et c'est reparti pour la Biennale de l'Art Partagé

        On en est à la 5ème et ce sera du 18 octobre au 16 novembre. A Rives en Isère dans le parc de l'Orgère à la Salle François Mitterrand, et toujours organisée par l'association Œil-Art de Jean-Louis Faravel. Il y a beaucoup d'artistes invités, et comme c'est l'usage avec l'art partagé (très partagé en l'espèce, vu le nombre d'invités), le récepteur béotien, qui trouve dans sa boîte aux lettres une invitation pour le vernissage (qui aura lieu le samedi 18 octobre à partir de 18h30), ce béotien aura du mal à savoir comment départager (faut croire qu'existe aussi l'art départagé...) le bon grain de l'ivraie. Sur les 70 (environ) artistes présents, je n'en retiens pour l'instant qu'un seul dont j'aurais été bien curieux de découvrir les œuvres, Gilles Manero, bien trop rare dans notre région parisienne, surtout si il a décidé d'exposer des dessins (ce que je préfère à ses sculptures, je dois dire). Ah si quelques autres aussi, Fatimazara Khoubba, Caroline Dahyot, Jacqueline Vizcaïno, Yves Jules, Alexis Lippstreu, Jean Aihade (un "singulier" africain découvert par le galeriste Alain Dettinger si je ne m'abuse), Virginie Chomette... Comme le signale Jean-Louis Faravel dans le commentaire ci-dessous, on peut se faire une idée de chaque exposant en cliquant sur le site web dont j'ai mis le lien ci-dessus (Œil-art).

 

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Gilles Manero, petit dessin au crayon, 2001, coll. BM

 

15/07/2012

Louis Soutter moins souterrain

"Il a appris à regarder en dedans. Par lui, nous pouvons regarder dedans un homme. Un homme racé, cultivé, ayant passé par tous les luxes de l'argent et une vie intelligente. Et qui aujourd'hui, remontant du réfectoire triste, couvre chaque jour, à soixante-cinq ans, un papier blanc de ces âpres, fortes et admirables compositions."

Le Corbusier, "Louis Sutter, L'inconnu de la soixantaine", dans Minotaure n°9, 1936 (Le nom de Soutter est orthographié par Le Corbusier sans le "o" à la manière du nom de l'aïeul de l'artiste, "celui qui fonda la Californie")

 

louis soutter,la maison rouge,musée denys puech,art moderne,art singulier,le corbusierLouis Soutter à Ballaigues dont il fuguait à l'occasion, semant ses dessins auprès de ses amis

     C'est un été Soutter à Paris et à Rodez. L'occasion d'en découvrir plus sur cet artiste qui dessina, peignit, expérimenta, après avoir été casé contre son gré dans un asile de vieillards dans le Jura suisse, à 52 ans tout de même, sous prétexte qu'il dépensait trop, et que sa famille, dont il dépendit matériellement (il ne faut jamais dépendre des familles matériellement), ne pouvait plus le souffrir (il fut une vingtaine d'années à leurs crochets cela dit, après avoir divorcé et être revenu des Etats-Unis où il avait quitté une carrière qui paraissait prometteuse). Le Corbusier qui était son cousin, "issu de germain", précise Benoît Decron le conservateur du Patrimoine au musée Soulages de Rodez, prit fait et cause pour lui, en écrivant en 1936, six ans avant sa mort, dans Minotaure un article qui eut un certain retentissement.louis soutter,la maison rouge,musée denys puech,art moderne,art singulier,le corbusier Il ne fit pas que cela puisqu'il essaya aussi de placer ses dessins chez des collectionneurs et dans des galeries, lui permettant d'exposer aux USA à Hartford en 1935 (j'emprunte mes renseignements biographiques à la chronologie de Marion Bonnet parue dans le catalogue de l'exposition "Les primitifs sont petits - Cahiers de 1923-1930 de Louis Soutter" au Musée Fenaille de Rodez). Cela dit, l'intérêt de Le Corbusier paraît s'être singulièrement rafraîchi lorsqu'il découvrit les peintures au doigt que Soutter se mit à produire à partir de 1937 (peut-être faute à l'arthrose), production qui il faut bien le dire a beaucoup fait pour sa gloire aujourd'hui en raison de sa force et son modernisme précurseur.

 

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Louis Soutter, Le héros, (recto d'une feuille dessinée aussi au verso), exposé à La Maison Rouge, provient de la galerie Karsten Greve


      S'il eut une période de dessin plutôt académique dans sa jeunesse, pratiquant un réalisme imitant la perception rétinienne – il exerça en outre le métier de professeur de dessin ; il jouait parallèlement du violon dans des orchestres après avoir été l'émule et l'ami du compositeur Ysaye – c'est à partir de 1923, date à laquelle sa famille le relégua à l'hospice, qu'il commença véritablement à dessiner d'une façon qui retient aujourd'hui l'attention des esthètes, et notamment de ceux qui s'intéressent aux marginaux de l'histoire de l'art moderne.

 

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Je crois que le titre de ce dessin est "Les premières primevères à Ballaigues"


      Après sa période académique, on distingue trois périodes dans sa production plus originale, les dessins de 1923 à 1930 exécutés sur des cahiers à papier quadrillé, seuls supports qu'il pouvait se procurer,  les dessins dits "maniéristes "de 1930 à 1937, et enfin les peintures aux doigts des années 1937-1942. Il disparut cette dernière année, et sans doute pressentait-il sa fin, et depuis longtemps, tant son œuvre paraît en être obsédée. Plusieurs photos de lui le montrent tel un squelette vivant, le visage incroyablement émacié, portant beau, toujours élégant, masquant peut-être sous un dandysme provoquant sa hantise du néant (voir photo en ouverture de cette note).

 

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Louis Soutter, Voie latine et corps de fer, Prêtresses druides, expo La Maison Rouge, provient de la Galerie Karsten Greve


       Voir l'exposition de La Maison Rouge est une épreuve à dire vrai. On n'en sort pas rasséréné, si le besoin s'en faisait sentir. Le parcours aux œuvres fort bien choisies laisse un étrange souvenir de cabrioles et d'agitation contractée exécutées en contrejour sur un fond taché d'empreintes digitales, comme une danse macabre ombreuse. L'homme y est dépouillé jusqu'à l'os, on ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec l'époque (je suppose que cela a été déjà remarqué), où la "solution finale" de sinistre mémoire commençait d'être mise en action par les Nazis dans leurs camps de la mort. Il y a peu de chances que Soutter entre 37 et 42 en ait été averti. Mais le parallélisme est troublant, comme s'il s'agissait d'une anticipation visionnaire.

 

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Louis Soutter, Quatre femmes nues, période maniériste (entre 1930 et 1937), Musée Cantonal des Beaux-Arts, Lausanne

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"Les primitifs sont petits – Les Cahiers de 1923-1930 Louis Soutter", exposition au Musée Fenaille du 16 juin au 14 octobre 2012. Un catalogue est paru à cette occasion avec des textes de Michel Thévoz, Louis Pons et Benoît Decron.

"Louis Soutter, Le tremblement de la modernité", exposition à La Maison Rouge dans le XIIe ardt de Paris, commissariat Julie Borgeaud, du 21 juin au 23 septembre.

Egalement : Fondation Le Corbusier, Paris, "Louis Soutter, dessins", du 15 juin au 15 septembre ; Fondation suisse (14e ardt de Paris) "Le Corbusier, Louis Soutter–croisements", Exposition + conférence, du 28 juin au 30 septembre 2012 ; Centre culturel suisse (Paris 4e ardt), "Météorologies mentales, œuvres et livres de la collection Andreas Züst", Exposition + conférence, jusqu'au 15 juillet 2012 (là, c'est trop tard...).